Carmel
De M. Guérin à Mme Martin – 7 janvier 1876.

DE  
GUÉRIN Isidore
À 
GUÉRIN Zélie, Madame Louis Martin

07/01/1876

 
De M. Guérin à Mme Martin. 7 janvier 1876.
 
Lisieux Le 7 janvier 1876.
Ma chère soeur
Je puis enfin prendre la plume et répondre à tes bonnes lettres, te remercier des bonnes et belles choses que tu nous as envoyées et des voeux sincères que tu fais pour notre prospérité. Tu penses bien que nous ne sommes pas en retour avec toi (sic) et que nous vous rendons largement l'affection et les voeux que vous faites pour nous. Nous ne vous oublions jamais dans nos prières pas plus que vous ne le faites de nous dans les vôtres. Vous avez vos tribulations comme nous et notre destin n'est pas d'être heureux ici-bas. Nous avons enfin terminé notre inventaire, c'est une besogne ingrate, dure et fatigante et pendant laquelle les cheveux blanchissent par les soucis qui vous passent par la tête, dans l'attente d'un résultat négatif. [1v°l Cette année cependant, comme nous avions fait 21000 f. de plus que les autres années, j'espérais un bénéfice de 2000 f. environ. Ce bénéfice s'élève à 2. 500 f. bien net, car il faut te dire que depuis quelque temps, je ne sais pas même si je ne t'en avais pas parlé quand tu vins à Lisieux (du 14 au 18 août 1875), nous nous étions aperçus que nous avions fait erreur dans nos inventaires en omettant d'y faire figurer l'intérêt des capitaux personnels que nous avions engagés. Or jusqu'à ce jour nous ne perdons plus que 5000 f. au maximum. Le fameux chiffre de 100. 000 f. est dépassé puisque cette année nous avons fait 115. 000. Si nous pouvons encore augmenter, nous ferons des bénéfices sans un sou de frais. Nous supposons que 200. 000 f. chiffre que nous atteindrons un jour, nous laisseront 10. 000 f. de bénéfice net. Nous pouvons sûrement dire que voilà la première année seulement que nous avons du bénéfice. Je te dirai que je suis plus tranquille depuis que nous avons commencé la neuvaine (Neuvaine de communions le premier vendredi du mois), mes tracasseries sont bien moins noires et malgré tout j'ai une confiance secrète dans l'avenir. Voici quelques-uns des motifs qui me donnent espoir. Avant d'entreprendre la Droguerie [2r°l j'allai à Paris comme tu te le rappelles et je demandai conseil à N. D. des Victoires. Depuis, nous avons eu toutes sortes d'embûches dont nous sommes sortis très heureusement, les Procès qu'on voulait nous faire ont avorté ou se sont bien terminés. Nous avons été incendiés et nous n'avons rien perdu, au contraire les difficultés se sont levées peu à peu et nous avons été mieux installés qu'auparavant. Voilà mes motifs principaux. Avant hier, la tristesse m'accablait plus que de coutume, j'ai prié St Joseph et j'ai ouvert les psaumes au hasard, voici ce que j'ai lu : « Le Seigneur veille sur les jours de ceux qui sont purs et sans tache et leur héritage sera éternel. ‑ Ils ne seront point confondus au temps mauvais et ils seront rassasiés au jour de la famine, etc... etc. J'ai été jeune et je suis vieux et je n'ai point encore vu de juste abandonné, ni ses enfants mendier leur pain (Ps 36, 18‑19, 25) etc., etc. » Depuis ce jour je suis consolé. Enfin nous avons le droit d'espérer puisque nos affaires vont en croissant. Mais je t'assure que lorsque l'inquiétude me prend, je suis moins attristé de mon sort que de celui de ce pauvre Maudelonde (son beau-frère et associé). Moi qui avais en grande partie cherché à faire cette entreprise pour lui créer [2v°l une position. Enfin je vais me mettre absolument à l'ouvrage et j'espère que l'année prochaine sera encore meilleure que celle-ci. Tout le reste va bien, la pharmacie rapporte toujours de beaux bénéfices, dans quelques jours je vais t'envoyer les intérêts qui te sont dus et je profite de l'occasion pour remercier de nouveau ce bon Louis de toutes les bontés qu'il a pour moi et je prie Dieu qu'il l'en récompense dans sa famille. Tu diras à Marie que je suis bien content d'elle ainsi que de ses jolies petites lettres, pour l'en récompenser elle viendra nous voir à Lisieux et sa visite nous fera du bien comme la dernière fois. Dis à Léonie que je suis content des progrès qu'elle a faits et que j'espère qu'elle s'efforcera encore davantage d'être bonne fille. Embrasse les autres petits poulots pour nous, et reçois pour toi et le Bon Louis mes souhaits les plus tendres et les plus affectueux
Ton frère dévoué.
1. Guérin
Je regrette que tu n'aies pas pris du vin à [2v°tv] M. Lecourt. Celui que tu as acheté n'est pas soigné et tu auras du mauvais vin. Pour avoir du vin passable il faut mettre 160 fr. Celui que tu as acheté est bon à boire de suite.

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