Carmel
De Céline à Thérèse – 17 juillet 1894

DE  
MARTIN Céline, Soeur Geneviève de la Sainte Face
À 
MARTIN Thérèse, Soeur Thérèse de l'Enfant Jésus

17/07/1894

De Céline à Thérèse.17 juillet 1894Ma Thérèse chérie,C'est en courant que je vais t'écrire, car ces jours-ci je n'ai pas le temps de me retourner. J. de C.
(Joseph de Cornière) est là et nous sommes occupés toute la journée à faire de la photographie.Nous nous déguisons et nous faisons toute une histoire de voyageurs en tableaux vivants («Voyage excentrique aux Cordillères des Andes »), ce sera très drôle, mais en attendant je commence par en avoir assez. Mes journées me semblent fades, plus de lectures, pas le temps d'écrire, à peine le temps de faire une méditation, nous sommes toujours par monts et par vaux.Ma Thérèse chérie, oh ! je ne saurais te dire ce que cette vie me pèse ... Quand j'ai reçu ta lettre j'étais encore l'âme toute profonde, je l'ai goûtée, je l'ai savourée ta lettre ... mais à présent je suis comme un bois, il n'y a plus rien à tirer de moi. - Quand j'ai reçu ta lettre, ma Thérèse chérie, je n'avais pas l'âme triste, mais toute gonflée d'ardeur pour être bonne et pratiquer la vertu, c'est encore à toi que je devais cela, ton livre du P. Surin est extraordinaire et bien sûr je vais m'en acheter un pareil.C'est tout à fait ce langage-là qu'il faut me tenir à moi. .... A chaque livre que tu me prêtes je dis la même chose, mais je crois que je n'en ai encore jamais trouvé qui me fasse autant de bien comme conseils évangéliques. Ma Thérèse !... oh ! j'en ai fait des méditations sur toi, sur notre affection à nous deux !..... Et il m'a semblé, je ne saurais te dire cela très bien, il m'a semblé que tu m'étais trop ...que tu m'étais un appui qui me permettait de trop m'appuyer ... que je faisais trop fond de toi et me basais trop sur toi, que tu m'étais trop indispensable ... enfin devine le reste !. .. Et il m'a semblé que pour être toute à Dieu il me faudrait te quitter. .... J'ai entrevu l'avenir et j'ai cru qu'il me faudrait me séparer de toi pour ne te revoir qu'au Ciel ... Enfin ô ma Thérèse chérie, j'ai eu peur et j'ai eu comme le pressentiment d'un sacrifice surpassant tous les sacrifices ..........Chaque jour et c'est le coeur tout frémissant, mais l'âme inondée de grâces qu'il me faut m'habituer à cette idée. Depuis que je ne t'ai vue j'ai eu des pensées très profondes sur une foule de sujets .... La croix m'est apparue toute nue, et avec elle une foule de réalités ... certainement le bon Dieu fait à mon âme des appels étranges, dans l'intime intime et c'est au milieu d'une paix et d'une tranquillité d'âme incroyables. O ma Thérèse ! que ne puis-je te parler !.. et pourtant je ne te dirais rien, je n'ai rien à te dire ...Ma Thérèse ! oh ! comprends ta Céline sans qu'elle te parle, sans qu'elle te dise un seul mot !..... O la vie, la vie ! Et je trouve que c'est si court la vie, et que nous serons si heureuses de nous retrouver là-haut ... Tout m'apparait comme un songe, j'en reste ...Thérèse ! ta lettre m'a été un chant du ciel, une douce mélodie .... oh ! comprends tout ce que j'ai compris ! Mais je t'aime trop, vois-tu ....O ma Thérèse, mon coeur me gêne et c'est pour cela que j'ai comme la certitude intime que le bon Dieu pour régner sur ma nature aura encore besoin de la briser,j'ai besoin de la croix et de la tribulation la plus amère ....Thérèse!....Ces jours je suis partie dans l'extérieur et j'en souffre beaucoup, c'est un malaise continuel, de plus nous passons nos journées dans des fous-rires à nous pâmer et je suis altérée de solitude, je ne respire plus. Puis je suis malheureuse ... n'étant pas habituée à vivre avec des garçons, cela me semble drôle de passer mes journées en leur compagnie ; quelque saints qu'ils soient et purs et candides je ne puis pas m'y habituer. O ma Thérèse, comprends ce que je veux dire ... Ces jours-ci j'ai des scrupules, et tout mêlé ensemble, avec la privation de mes exercices, me rend aride et triste ...J'embrasse bien fort mes chères petites soeurs et notre Mère. Oh! que je les aime mes chères petites soeurs! ..... Surtout soigne-toi bien, c'est un devoir de conscience ... Les gerbes de pâquerettes(modèles) sont en location, que Pauline ne les garde pas plus d'un mois. Marie du S.C. ne m'a pas encore envoyé: « le seulement pour aujourd'hui... (PN-5) » Et ta fille la petite C. (Castel), je suis inquiète des nouvelles !. ..(Papa va bien gentiment)

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