Carmel

Circulaire de Sœur Marie-Dosithée

de notre Monastère de la Visitation du Mans

Abrégé de la vie et des vertus de notre chère sœur
Marie Dosithée GUÉRIN   1829-1877

En une dizaine d'occurrences, nous avons remplacé l'expression "Sa Charité", désignant une personne, par le mot "elle".

Décédée en ce Monastère de la Visitation Sainte-Marie du Mans, le 24 Février 1877, âgée de 48 ans, dont 17 de profession, au rang des Sœurs Associées.

« La crainte de Dieu est le commencement de la Sagesse. »

Proverbes  I, 7

Cette parole si profonde, dictée par le Saint-Esprit, eut une réalisation frappante dans la vie toute fervente et sainte de notre regrettée défunte. La crainte de Dieu fut, dès le début de son existence, le sentiment dominant de son âme, jamais il ne la quitta ; et, si plus tard, l'amour prit tellement le dessus qu'il absorba tout le reste, il fut toujours basé sur une crainte filiale, dont le fruit précieux a été, d'après l'oracle de nos saints Livres, la possession de la Sagesse.

Notre chère Sœur naquit le 31 Mai 1829, à Saint Denis-sur-Sarthon, petit bourg de Normandie non loin d'Alençon, où habitaient ses honorables et vertueux parents. Ils y vivaient dans une modeste aisance, possédant l'estime et l'affection générales, justement méritées par leur probité et leurs bons principes. Louise fut l'aînée des trois enfants que Dieu accorda à Monsieur et à Madame Guérin. Dès ses premières années, elle se constitua comme l'ange gardien de sa sœur, et plus tard de son frère, qui, beaucoup plus jeune, fut élevé par ses soins et sous sa direction presque maternelle. Madame Guérin était une femme fortement trempée, d'une énergie peu commune, d'un courage que rien n'effrayait, simple et quelque peu rustique, mais d'une foi robuste et d'un jugement fort droit. L'éducation donnée par une telle mère ne pouvait être que très sérieuse ; elle le fut en effet. La raison, le devoir, l'observance de la loi divine et des préceptes de l'Eglise sans aucune dispense, le travail et les solides vertus chrétiennes, tels étaient les principes qu'elle s'efforçait d'inculquer à ses enfants et surtout de leur faire pratiquer. La nature de notre chère Sœur était toute disposée à cet austère régime, par ses propres inclinations. Elle était née sérieuse, et sentait un besoin instinctif de suivre en tout le devoir et de bien employer sa vie. A peine avait-elle quelques lueurs de raison, que la crainte du péché s'accentuait si vive dans cette âme innocente, que son nom seul la glaçait d'effroi. Très active et pétulante, la petite fille avait les désirs prononcés, elle eût été volontaire si la main rigide, quoique bonne, de sa digne mère ne lui eût fait prendre l'habitude d'obéir en tout. Cette seule parole : "c'est un péché", arrêtait la pauvre enfant dans ses inclinations les plus fortes, et coupait court immédiatement à tout désir, à toute récréation, presque à toutes pensées. Madame Guérin qui voyait chez sa fille cette crainte excessive d'offenser Dieu, usait un peu trop de l'ascendant de la puissante phrase : c'est un péché !  pour réprimer ses moindres imperfections. Louise travaillait beaucoup, et s'amusait fort peu.

Désireuse de sauvegarder l'innocence de sa chère petite, Mme Guérin la tenait éloignée des  autres enfants, et lui donnait à cet égard des leçons dont l'austérité rendait notre Louise craintive outre mesure. Dans les rares occasions où elle se trouvait avec des enfants de son âge, si des jeux s'organisaient, tels que rondes ou exercices semblables, la pauvre fillette eût cru faire un grand péché de se trouver près d'un petit garçon; elle s'esquivait tremblante et le plus adroitement possible, s'attirant parfois de malicieuses plaisanteries sur ce qu'on appelait son humeur sauvage. Un trait prouvera le pouvoir qu'avait la voix de la conscience sur cette enfant prévenue de la grâce. Il arriva qu'un jour Mme Guérin conduisit ses deux filles dans une maison de campagne, où Louise aperçut une de ces têtes de carton coloriées dont se servent les marchandes de modes, qui excita ses plus ardentes convoitises ; il lui semblait que rien ne pourrait lui faire plus de plaisir que de posséder cet objet. Dans son désir, elle disait sans cesse à sa jeune sœur : « Oh ! que je serais heureuse si l'on me donnait cette grosse tête ! » Celle-ci aimant beaucoup son aînée, communiqua à la dame propriétaire du trésor en question les vœux de notre Louise, âgée alors de 7 ou 8 ans. Cette dame, qui connaissait la conscience plus que timorée de la petite fille, lui dit en riant, pour l'éprouver : « Je te la donnerai bien volontiers à une seule condition. » « Oh ! reprit Louise, avec cent conditions si vous voulez, Madame, je vous donnerai tout ce que j'ai pour l'avoir !» — « Il ne s'agit de rien me donner, mais de faire quelque chose de très simple et très facile. » — « Je ferai tout ce que vous voudrez, repartit l'enfant. » — « Eh bien ! si tu veux embrasser mon petit garçon, tu l'auras.» A cette parole inattendue, Louise éprouve en elle-même un violent combat, sa sœur la presse et la tourmente pour remplir bien vite la condition si facile : mais Louise craint de désobéir à sa Mère et d'offenser Dieu, c'en est assez pour étouffer son ardent désir. Elle devient indifférente et froide, et répond sérieusement à la bonne dame : « Oh ! je n'en veux plus, Madame, je vous remercie, gardez-la, je n'y penserai plus jamais. »

Les défauts si communs à l'enfance étaient vraiment inconnus à notre bien-aimée Sœur; de son propre aveu, elle ne se rappelait pas avoir jamais fait le plus petit mensonge, ni tourné la tête à l'église, ni commis une désobéissance. Dès qu'elle put comprendre ce qu'était Dieu à son égard, son plus grand bonheur fut de le prier et d'être auprès des saints autels. Quand sa mère la conduisait aux offices de la paroisse, Louise se tenait dans un si profond recueillement qu'elle ne voyait personne, et ignorait même qui était à côté d'elle. Aussitôt qu'elle sut lire, ce qu'elle apprit dans l'Apocalypse, elle ne leva plus les yeux de son livre, et, pendant la grand'messe, suivait trois ou quatre fois l'ordinaire du Saint Sacrifice, ne croyant pas pouvoir rester un instant sans prier. La foi, la crainte de Dieu, l'innocence brillaient du plus vif éclat dans cette âme ; mais, comme on l'a pressenti déjà, une certaine atmosphère de rigorisme, de contrainte et de scrupule l'environnait de toutes parts, gênant son expansion, et lui préparant bien des souffrances. L'éducation que recevait Louise, autant que ses tendances naturelles, nourrissait cette fâcheuse disposition, qui quelques années plus tard devait lui causer un vrai martyre.

Il semble que le lys de la virginité fut implanté dans son âme avec la grâce du saint Baptême : jamais cette enfant n'eut d'autre pensée que de se consacrer à Dieu, et l'idée seule du mariage lui causait une répugnance et un éloignement inexprimables. Cette répulsion était connue non seulement de sa famille, mais des amis qui fréquentaient la maison. On se plaisait à la taquiner sous ce rapport ; les mères disaient en sa présence à Mme Guérin : « Oh ! vous me donnerez Louise pour a être la femme de mon fils. » Aussitôt l'enfant éclatait en cris et en sanglots, protestant qu'elle ne se marierait jamais. Sa sœur alors, pleine de compassion pour la peine de sa chère aînée, et n'éprouvant point le même sentiment, disait bien haut avec une franchise toute candide : « Oh ! ne la faites pas pleurer, vous me prendrez à sa place ! » Les scènes de ce genre n'étaient pas rares. Un jour entre autres, c'était dans l'octave de l'Epiphanie, un respectable ami de la famille apporta aux enfants un gâteau des rois ; il se trouva malheureusement que la fève tomba dans le morceau donné à Louise, aussitôt le bon Monsieur dit qu'il est ravi qu'elle soit la reine, et que lui étant naturellement le roi, puisqu'il a donné le gâteau, la petite fille sera sa femme. Louise indignée jette son gâteau à terre, se met à pleurer en s'écriant : " Non, non, je ne serai ni votre femme, ni votre reine !" Et depuis ce moment, elle eut peine à supporter la vue du bon vieillard. L'étude avait beaucoup d'attrait pour notre chère enfant ; elle s'y fût livrée avec ardeur si sa mère l'eût permis ; mais Mme Guérin préférait que ses filles sussent travailler à l'aiguille, et c'était vers ce genre d'occupations qu'elle les poussait activement. Notre chère Sœur contracta donc, dès ses jeunes années, cette habitude du travail manuel dont elle nous donna plus lard un exemple si persévérant.

Longtemps avant sa première communion, Louise suivit avec zèle et piété les catéchisme de sa paroisse ; l'instruction religieuse avait pour elle les plus doux charmes, la vérité captivait son esprit et ravissait son cœur ; elle eût voulu entendre toujours parler de Dieu et des grands mystères de notre sainte religion. Son désir de s'approcher du Banquet des Anges était ardent; et quand vint l'année qui devait lui apporter ce bonheur, l'innocente enfant veilla plus encore sur elle pour éviter les moindres fautes, et redoubla de ferveur dans ses exercices de piété. A dix ans, Louise put enfin recevoir son Dieu pour la première fois ; elle s'était préparée sérieusement à cette ineffable visite, et en recueillit des grâces abondantes et des fruits durables. La vocation religieuse, qui semblait née avec elle, se fortifia sensiblement à dater de ce grand jour; c'était son unique pensée, et elle eût voulu pouvoir la suivre immédiatement. La vie du cloître ou la vie d'ermite excitait ses aspirations continuelles ; celle dernière avait même sa préférence, et, à l'exemple de Sainte Thérèse {d'Avila], elle fit longtemps le projet de fuir la maison paternelle pour se retirer dans quelque Thébaïde silencieuse, où elle ne devait vivre que d'oraison. Mais comme notre Bienheureuse Sœur Marguerite Marie, la crainte de rencontrer des hommes dans son désert l'empêchait d'exécuter ses plans d'évasion.

Mme Guérin, voyant grandir sa fille aînée, comprit qu'il fallait lui faire donner au moins les premiers éléments d'instruction nécessaires dans toutes les situations de la vie. Elle la plaça donc à Alençon dans une petite pension séculière, où l'enfant se conduisit parfaitement, et étudia avec ardeur; mais elle l'en retira après quelques mois, préférant la confier, ainsi que sa sœur cadette, à la sage direction des Religieuses de l'Adoration perpétuelle. Pour cela, Mme Guérin détermina son mari à vendre la petite terre qu'ils possédaient à Saint-Denis, et à acheter une maison à Alençon, afin de se rapprocher de ses deux filles, dont elle n'eût pu supporter la séparation. En femme de tête, la digne mère activa la vente et l'acquisition, se mit en devoir de faire exécuter des réparations considérables dans la nouvelle demeure, et conduisit le tout avec une énergie peu commune. Mais il se trouva que les dépenses occasionnées par ces travaux dépassèrent de beaucoup les prévisions de Mme Guérin, qui avait pris toute la responsabilité de l'entreprise à l'égard de son mari. La fortune modeste de cette respectable famille se trouvait assez sérieusement compromise, ce qui causa à la mère de notre chère Sœur des inquiétudes et une tristesse que rien ne pouvait dissiper. Dans cette épreuve, elle n'eut pas le courage de se séparer de sa chère Louise, son ange consolateur, et mit sa plus jeune fille seule au couvent. Bien que notre bonne Sœur n'eût alors que douze ans, elle sut soutenir sa mère dans cette tribulation, relever son esprit abattu par les pensées de foi et de confiance qu'elle lui suggérait, et passa ainsi une année difficile et bien méritoire, se dévoilant de toute façon pour soulager Mme Guérin, et éviter les dépenses qui n'étaient pas absolument nécessaires. Les embarras pécuniaires s'étant un peu dissipés, Louise alla rejoindre sa sœur chez les Dames de l'Adoration ; c'était la réalisation de ses ardents désirs.

Se trouver dans une maison religieuse, entourée d'épouses de Notre-Seigneur, avoir sous les yeux des exemples de vertu, pouvoir prier el étudier à son aise, c'était presque le paradis pour la chère enfant. Jamais encore elle ne s'était trouvée si heureuse, et les deux ans qu'elle passa au couvent s'écoulèrent trop rapides au gré de son cœur. Dans sa foi et son innocence, elle regardait toutes ses Maîtresses comme des Saintes, dont elle eût voulu baiser les traces et les vêtements ; sa vénération à leur égard égalait presque l'honneur qu'elle portait aux Bienheureux du Ciel, jamais elle ne voyait en elles l'ombre d'une imperfection, tant son estime et son respect étaient profonds. Louise fut une élève irréprochable, elle travaillait avec une application et une ardeur qu'il était plutôt nécessaire de modérer que d'exciter, et sa conduite était vraiment exemplaire. A quinze ans Mademoiselle Guérin fut rappelée dans sa famille, et quitta le Pensionnat avec une douleur vivement sentie; mais elle sut en faire le sacrifice à Dieu, et commença une vie plus vertueuse que jamais, avec un dévouement pour les siens, un oubli d'elle-même et une piété qui lui attirèrent bien des grâces. A cette époque, un troisième enfant vint, accroître les sollicitudes de Madame Guérin, qui, tout entière au soin de sa maison, crut pouvoir confier son petit Benjamin à sa chère fille aînée. Louise tint donc lieu tout à la fois de bonne, de mère et d'institutrice à son cher petit frère, qu'elle entoura de tous les soins et des délicates attentions que son cœur lui suggérait. Ce fut elle qui l'initia aux premières connaissances, lui apprit à prier, et dirigea, jusqu'à sa première communion, l'esprit et le cœur de cet enfant, qui plus tard devait faire sa consolation et payer son dévouement par la reconnaissance la plus vive. Jusqu'à l'âge de dix-neuf ans, Mademoiselle Louise mena doucement cette vie de famille dans l'exercice de toutes les vertus chrétiennes. Le monde n'eut jamais le moindre attrait pour son cœur, elle l'ignora et en fut ignorée ; son esprit et ses usages excitaient sou mépris ; et, à cet âge où l'illusion est si facile et si commune, notre chère Sœur goûtait et possédait déjà cette Sagesse céleste dont la crainte de Dieu donne les prémices.

Mais, parce que cette âme était agréable au Seigneur, il était nécessaire, comme le dit l'Ange à Tobie, qu'elle fût éprouvée par la tentation; celle-ci vint et fut aussi douloureuse et prolongée que méritoire. Le démon, sans doute jaloux et inquiet de sa marche rapide dans le sentier des Saints, dressa contre elle ses batteries les plus adroites et les plus perfides. Comme il le fait à l'égard de toutes les âmes, il s'attaqua au point sensible de cette nature, et se fit un levier puissant de ce sentiment de crainte et de cette disposition de rigorisme qui dominait sa conscience, sans toutefois l'asservir jusque-là. Dieu, qui voulait épurer son amour et fortifier sa fidélité, fit passer cette âme innocente et généreuse par le creuset de la souffrance, d'où elle devait sortir plus pure encore et riche des nombreux mérites de sa résignation. Des peines intérieures affreuses vinrent fondre sur notre bien-aimée Sœur. Terreurs, doutes, perplexités de toutes sortes, scrupules sans cesse renaissants, obscurité générale sur tout ce qui touche à la spiritualité, enveloppèrent son âme comme d'un vêtement de douleur et d'angoisse. La vie lui devint un supplice : son unique désir était d'aimer son Dieu, de le servir, de tout faire pour sa gloire, et il lui semblait à tout moment l'offenser, et tous les chemins qui devaient la conduire à Lui, paraissaient fermés ou remplis d'obstacles insurmontables... Les âmes seules qui ont passé parce genre d'épreuve, savent tout ce qu'elle a de cruel, et que toutes les autres souffrances pâlissent en face de cette torture. Notre filière Sœur souffrit d'autant plus qu'elle n'avait autour d'elle aucun secours, aucune direction. Elle se confessait alors à un respectable prêtre fort âgé, qui ne comprenant pas la situation de sa pénitente, augmentait encore ses angoisses, et compliquait, par ses avis, les embarras inextricables que l'ennemi amoncelait dans son esprit.

Quand l'âme souffre, il est rare que le corps n'en éprouve pas la pénible influence ; la santé jusque-là très florissante et même vigoureuse de Mademoiselle Guérin, s'altéra peu à peu sérieusement. Le défaut de sommeil et d'appétit causé par ses souffrances intérieures amenèrent une maigreur excessive, un teint maladif et une faiblesse générale qui inquiétèrent ses respectables parents. Ils n'en pouvaient découvrir la cause, et leur chère fille se gardait bien de rien communiquer sur ce martyre du cœur, qui n'eût pas été compris. Cette épreuve dura cinq ou six ans, et, ce qu'il y a d'admirable, c'est que la fidélité et l'amour de notre vertueuse Sœur semblèrent croître en proportion des difficultés. Bien que la piété, la réception des sacrements et l'accomplissement de tous ses devoirs ne lui offrissent que des épines et des tortures, elle les embrassait avec l'ardeur et la générosité des martyrs accueillant les instruments de leurs supplices. Dans ces longues et douloureuses années, il n'y eut qu'un mois pendant lequel la courageuse athlète faiblit dans cet âpre combat, et laissa l'ennemi prendre quelque avantage. Abattue et découragée, croyant que, malgré sa haine du péché et son ardent désir d'aimer Dieu, elle ne pouvait faire autrement que de l'offenser, la pauvre âme mit bas les armes, et se dit : « Je ne puis plus vivre ainsi, advienne que pourra ! » La vertu était trop profondément enracinée dans ce cœur pour que de grandes fautes lussent possibles, comme il arrive parfois, dans de semblables épreuves, à des âmes moins affermies. Mais le caractère et la nature prirent un peu le dessus, et, sons la double influence des tentations d'impatience et de découragement, jointes à la souffrance, produisirent quelques procédés moins délicats dans les rapports de notre chère Sœur avec sa famille. Ce fut le seul temps d'infidélité signalé dans sa vie ; et ses plus graves manquements se bornèrent à quelques paroles brusques, à des vivacités passagères, et à moins de générosité dans l'ensemble de ses devoirs. Dieu qui aimait chèrement cette âme, et savait combien il en était aimé, eut pitié de sa défaillance momentanée, causée par la lassitude. Tout à coup, pendant la prière, notre bien-aimée Sœur sentit que ses peines, ses obscurités, ses frayeurs lui étaient enlevées. Une lumière éclatante remplaça les ténèbres, les plus douces certitudes anéantirent les pénibles doutes; la paix, le calme l'inondèrent d'un bonheur céleste : son intérieur était transformé. Mais cette grâce intime et précieuse fut un secours passager, semblable à ce pain mystérieux que l'Ange apporta au prophète Elie pour lui donner la force de poursuivre son chemin.

Mademoiselle Guérin vécut quelque temps au milieu des consolations les plus senties, et dans une lumière intérieure qu'aucun nuage ne semblait plus devoir obscurcir ; puis il fallut reprendre la route du Calvaire. Sans cause apparente, l'état d'angoisse et de perplexités revint, et la souffrance morale enveloppa, pour des années encore, l'âme et la vie de notre fervente Sœur. Au milieu de ses afflictions, elle ne perdait pas de vue la vocation sainte qu'elle avait toujours sentie au fond de son cœur. Elle découvrit à son confesseur, qui était alors un prêtre très éclairé et plein de zèle, son désir d'entrer chez les Révérendes Mères Clarisses. Celui-ci, voyant la santé de sa pénitente ébranlée, lui dit d'attendre quelques années, afin d'expérimenter dans sa famille si elle pourrait soutenir l'austérité de la Règle. Mademoiselle Louise se mit à l'épreuve de ses forces : pendant trois carêmes, elle jeûna avec autant de rigidité que les généreuses filles de Sainte Claire ; le résultat fut la ruine de son estomac, qui ne se remit jamais complètement de ces pieux excès. Sa santé était trop profondément altérée pour lui laisser l'espoir d'être jamais capable de soutenir un genre de vie si pénitente. Elle le comprit, et, bien qu'aveu de vifs regrets, elle renonça à cette vocation qui répondait à tous ses attraits. Dieu permit que, sur ces entrefaites, la Vie de notre Saint Fondateur [François de Sales] tombât entre ses mains ; elle la lut avec délices, et bientôt elle goûta tellement son esprit, qu'elle conçut un ardent désir de devenir l'une de ses filles. Mais plusieurs années la séparaient encore de son entrée dans l'Arche Sainte, et une œuvre de dévouement était offerte à sa générosité, avant que l'heureux port de la vie religieuse s'ouvrit pour cette âme fervente.

Sa jeune sœur avait atteint l'âge où, dans une position de fortune modeste, on doit songer à se pourvoir pour l'avenir, elle vint un jour trouver sa chère aînée, et la pria de s'unir à elle pour une neuvaine à la Sainte Vierge, qui devait se terminer le jour de sa grande fête de l'Immaculée-Conception. Mesdemoiselles Guérin prièrent ensemble fervemment, et, la neuvaine achevée, la sœur de notre chère défunte alla déclarer à sa mère qu'elle désirait se mettre à la tête d'un atelier de dentelles. Le point d'Alençon occupe une quantité des jeunes filles de la ville ; c'est, comme on le sait, la richesse industrielle du pays. Madame Guérin approuva ce projet, mais à la condition que sa fille aînée aurait la haute main, et prendrait la responsabilité de l'entreprise. C'était une chaîne qui se formait pour retenir dans le monde Mademoiselle Louise, dont le cœur n'aspirait qu'à le quitter. Néanmoins croyant que Notre-Seigneur lui demandait, pour quelque temps du moins, le sacrifice de ses plus chers ? désirs, elle accepta la tâche que la divine Providence lui imposait, et s'y dévoua complètement. Mesdemoiselles Guérin choisirent leurs ouvrières, les mirent à l'œuvre, et bientôt se virent en possession d'un travail important qu'il fallait mettre en vente. Là était la difficulté : une petite ville de province offre peu de fortunes assez considérables pour acheter fréquemment des dentelles de haut prix; ces demoiselles avaient peu de relations, et par suite, nulle chance de succès. Notre chère Sœur, malgré sa timidité excessive, se décida à partir pour Paris, où elle ne connaissait ni une personne, ni une rue, afin de proposer à quelque maison de commerce d'acheter ses dentelles. On juge facilement de la peine extrême qu'elle se donna, n'ayant aucune entente des affaires. Elle réussit peu dans ce premier voyage; mais, sans se décourager, elle revint à Alençon, espérant trouver une organisation commerciale plus facile pour des jeunes filles. Eu effet, quelque temps après, une grande maison de Paris s'engagea à traiter avec Mesdemoiselles Guérin, leur lit des commandes à prix fixe, et les choses s'établirent sur un pied rassurant pour l'avenir. Notre bonne Sœur eu bénissait Dieu, espérant pouvoir bientôt laisser les intérêts de la terre entre les mains de sa chère cadette, pour ne s'occuper plus que de ceux du ciel et de l'éternité !

Mais un obstacle inattendu allait encore se dresser devant elle. Sa santé altérée notablement, comme on le sait, par ses épreuves intérieures et ses austérités, s'étant remise suffisamment pour lui permettre de suivre notre genre de vie, elle ne voyait de ce côté aucune difficulté, lorsqu'un rhume, négligé complètement, vint tout à coup compromettre l'état de sa poitrine, et lui donner le germe de la phtisie qui devait lentement consumer plus tard notre bien chère Sœur. Des crachements de sang et une fièvre violente survinrent, bientôt la vie de Marie-Louise fut en danger, elle était condamnée par le médecin qui déclarait le mal sans remède. Pendant six semaines, elle lutta contre la mort, qui semblait imminente. Au fond du cœur, Mlle Guérin garda l'assurance d'arriver enfin au but de ses désirs, et, dans cet espoir, commença une neuvaine à N.-D. de la Salette, lui demandant assez de santé pour se consacrer à Dieu. Le dernier jour, un mieux très sensible se manifesta ; il alla toujours croissant, et, au bout de deux mois, notre chère Sœur avait repris un embonpoint qu'elle n'avait pas eu depuis bien des années. La volonté divine se déclarait évidente, les forces lui étaient rendues afin qu'elle put suivre l'appel depuis si longtemps entendu. Mais par prudence, elle crut devoir différer son entrée en religion afin de s'assurer qu'elle était bien remise. Un hiver rigoureux fut affronté sans la plus légère toux, deux autres lui succédèrent se passant aussi bien ; notre chère aspirante crut le moment venu d'entrer dans l'Arche Sainte. Elle pria son pieux directeur de lui obtenir une place dans notre Monastère. M. l'abbé écrivit donc à notre Très Honorée Mère Thérèse de Gonzague de Freslon, lui proposant sa pénitente, dont il fit connaître les vertus et la solide vocation. L'éloge qu'il en faisait prévint en sa faveur, et une réponse favorable fut donnée.
Au comble de ses vœux, Mademoiselle Louise s'empressa d'écrire à son tour à notre Vénérée Mère demandant la permission de venir immédiatement faire une retraite, et, s'il se pouvait, commencer ensuite la vie religieuse. Elle était alors âgée de 29 ans. Ce fut le mercredi de Pâques, 7 avril 1858, que les portes de la Maison de Dieu s'ouvrirent pour cette âme, qui depuis si longtemps, aspirait à les franchir. Ses premières impressions furent aussi douces et consolantes que possible, elle se croyait à peu près au ciel. La vue des religieuses, les exercices du Chœur, tous les lieux du monastère répondaient à ses attraits les plus intimes, elle chantait dans son âme comme le Roi- Prophète : " C'est ici le lieu de mon repos !"

Notre chère Sœur Marie-Dosithée parut, dès l'abord, ce qu'elle fut toujours depuis, une âme de devoir, pleine de ferveur au service de Dieu et de dévouement au prochain. Mais nos bonnes Mères voulurent avoir des renseignements sur sa santé, qui alors paraissait assez satisfaisante. Interrogée, Mademoiselle Louise donna connaissance de la maladie de poitrine qu'elle avait eue deux ans auparavant ; on la fit voir au médecin qui constata que les poumons étaient actuellement en bon état, mais que la phtisie pouvait et devait reparaître dans un temps plus ou moins éloigné. Cette consultation fit décider le départ de la chère retraitante : la Communauté comptant alors bon nombre d'infirmes et de santés fort délicates, notre Très Honorée Mère ne croyait pas pouvoir en accepter de nouvelles. Cette décision fut un coup de foudre pour notre pauvre Sœur, qui eu conçut une douleur extrême ; elle fit les plus vives instances pour la faire changer, suppliant qu'on essayât au moins ses forces, mais Dieu permit que nos Supérieurs parussent inflexibles, sans doute pour exciter davantage la foi et la confiance de cette âme généreuse. En vain évoquait-elle la bonté et la douceur de notre Bienheureux Père envers les santés débiles, il fut arrêté qu'elle quitterait l'Arche Sainte. Au milieu des larmes abondantes que versait Mademoiselle Louise, une voix intime l'assurait intérieurement que, Dieu dût-il faire un miracle, elle ne sortirait jamais de cet asile béni. Le jour de son départ n'ayant pas été fixé, la vertueuse aspirante, au lieu de s'en enquérir, se mit avec une ferveur touchante à suivre du matin au soir nos saints exercices, et dans le temps qu'ils lui laissaient libres, elle travaillait plus qu'aucune officière de la Maison. Ayant prié qu'on lui donnât de l'ouvrage, et la Roberie manquant alors d'aides, Mademoiselle Louise tint lieu de deux ou trois, dévorant, pour ainsi dire, le travail, au point de faire une robe entière par jour. Trois semaines se passèrent ainsi ; la Communauté ne pouvait qu'être édifiée de tant de constance, d'humilité et de ferveur. Un soir, notre chère Sœur vit entrer dans sa cellule notre Vénérée Mère Thérèse de Gonzague avec une expression aussi consolante que satisfaite, et Sa Charité lui dit avec son bon sourire : « Mon enfant, votre confiance nous a touchées, Notre-Seigneur ne veut pas que nous vous fassions partir ; non seulement vous resterez, mais demain vous entrerez au Noviciat. » Jamais peut-être l'âme de notre pauvre Sœur n'avait éprouvé une joie aussi profonde. Elle surabondait de reconnaissance; vivre dans la maison de Dieu, pour elle c'était presque la béatitude ! aussi quelles actions de grâces envers N.-S., quels chauds mercis à l'égard de notre bonne Mère s'échappèrent de son cœur !

Depuis qu'elle était entrée à la Visitation, Mademoiselle Louise n'avait donné aucune nouvelle à sa famille, qui, inquiète d'un silence si prolongé, se disposait à venir la chercher, soupçonnant qu'elle ne se trouvait pas au gré de ses désirs. On lui écrivit dans ce sens, elle répondit aussitôt qu'elle était au comble du bonheur, mais qu'il y avait eu beaucoup de difficultés pour son admission, ce qui motivait son silence. Madame Guérin, non rassurée, arrive, et dit à sa chère fille qu'elle veut l'emmener à tout prix, dans la crainte que les premières difficultés ne se représentent. Mais l'énergique Sœur Louise, affirmant que jamais son pied ne franchira la porte de clôture, mit fin au combat maternel, et l'heureuse postulante poursuivit son essai, commencé alors depuis huit jours. Ce fut vraiment un temps d'épreuve pour notre généreuse Sœur. Du côté de la santé, rien ne lut épargné pour sonder ses forces et ses ressources. La Règle lui fut proposée sans aucun ménagement ; elle la suivit de point en point, ne faisant que deux repas par jour, communiant à la messe de Communauté, jeûnant tout le Carême, et suivant le train général du matin au soir. Notre bien-aimée Sœur, n'ayant pas de voix, et sa poitrine étant compromise, fut mise au rang des Sœurs associées; ce qui ne l'empêchait pas de se former, au Noviciat, à toutes les rubriques et cérémonies du saint Office, comme si elle eût été du chœur. Il serait difficile de voir une postulante plus exemplaire à tous égards. Modèle accompli de régularité, de fidélité aux moindres observances et aux recommandations de l'obéissance, dès que le devoir lui était connu, elle s'y portait avec une ferveur, une générosité qui renversait tout obstacle. En entrant dans la Maison de Dieu, Mademoiselle Guérin s'était dit avec tonte l'énergie de sa nature et l'ardeur de sa foi: «Je viens ici pour être une Sainte ! » Ce but fut toujours devant ses yeux, et elle y tendit avec une persévérance qui lui assurait la conquête.

Au début de sa vie religieuse, et même pendant plusieurs années, la fidélité et la vertu de notre chère Sœur eurent quelque chose de trop rigide, et qui sentait la contrainte et la gêne ; elle en souffrait la première, et, par suite, son exemple fut moins goûté et moins profitable que si la sainte liberté de l'esprit de notre Saint Fondateur eut accompagné cette grande exactitude. D'une timidité extrême, notre bonne Sœur avait de la difficulté à s'ouvrir à ses Supérieures, et la direction lui fut longtemps une épreuve douloureuse. Elle eût voulu se faire connaître, et les paroles ne venaient pas à ses lèvres, pas même pour exprimer l'ardent désir qu'elle éprouvait d'avancer dans la carrière religieuse, et d'arriver à la consommation de son sacrifice. La Directrice du Noviciat était alors Notre Très Honorée Sœur Marie Victoire Doney, dont la bonté, l'ouverture et la simplicité engageaient comme naturellement à la confiance. Voyant sa postulante si renfermée, si craintive, quoique très fervente, elle forma sur elle un jugement peu favorable, et craignit qu'elle ne pût jamais prendre le véritable esprit de notre sainte vocation. On prolongea donc l'épreuve bien au-delà du temps ordinaire, et ce ne fut qu'après onze mois de postulat que Sœur Louise revêtit nos saintes livrées, le 24 Février 1859.
Ce jour apporta à son âme d'ineffables consolations : être la Fiancée de Notre-Seigneur, porter l'habit de ses Epouses lui causait une joie inexprimable. Elle reçut le nom de Marie Dosithée, et il semble qu'elle était l'image fidèle du saint et si obéissant religieux qui devenait son Patron. La Novice fut plus exemplaire encore que ne l'avait été la postulante ; nos livrées saintes furent vraiment, pour notre chère Sœur, ce que notre Bienheureux Père déclare qu'elles sont réellement en elles-mêmes : « des armes de lumière. » Elle comprit dès lors le point défectueux, quoique involontaire, de sa conduite, et résolut à tout prix de surmonter sa timidité, son sérieux trop austère, le défaut d'ouverture avec ses Supérieures et d'expansion à l'égard du prochain. Son année de probation fut riche de victoires sur ces tendances naturelles, et notre bien-aimée Sœur se montra mieux encore ce qu'elle fut toute sa vie : un modèle de régularité, d'obéissance et d'exactitude à tous ses devoirs. Elle fut employée alors au réfectoire, à la lingerie des élèves et comme surveillante au Pensionnat. Ce dernier office lui causait d'extrêmes répugnances, que sa timidité augmentait encore. En se rendant près des enfants, il lui semblait aller au supplice, et elle était obligée de faire appel aux pensées de foi les plus saisissantes pour y puiser le courage de se surmonter. Là, comme en tout ce qu'elle faisait, elle n'agissait que d'après un seul principe, le devoir : l'accomplir elle-même, le faire observer autour d'elle était son unique préoccupation.

Sous un extérieur un peu froid, notre chère Sœur cachait un cœur sensible et excellent. Pendant son Noviciat, touchée des bontés et du dévouement de sa digne Maîtresse, elle conçut pour elle une affection pleine de reconnaissance, mais qui eût pu devenir un peu trop exclusive. Notre-Seigneur, qui voulait cette âme toute détachée et morte à l'humain, se servit d'une légère circonstance pour rompre le fil qui commençait à paralyser son vol. Sœur Marie Dosithée eut un jour une indisposition qui la retint couchée dans sa cellule; il arriva que sa bonne Maîtresse, si attentive ordinairement envers ses Novices, surtout lorsqu'elles étaient malades, oublia complètement d'aller la visiter, et, le lendemain, la revoyant au Noviciat suivre les exercices ordinaires, ne s'enquit aucunement de ses nouvelles. Cette apparente indifférence fut très sensible à notre chère Sœur qui avait souffert de l'abandon de la veille ; c'en fut assez pour dégager à tout jamais son cœur de la recherche des consolations trop naturelles. A dater de ce moment, son détachement fut entier, et, tout en restant pleine de respectueuse affection et de confiance filiale envers ses Supérieures, elle ne vit plus que Dieu en elles, obéissant d'autant mieux à la créature qu'elle n'y considérait que le Créateur. L'année de probation achevée, la Communauté fut heureuse d'admettre à la sainte profession notre chère Sœur Marie Dosithée. Le 12 Mars 1860 consomma l'union de cette âme fidèle avec l'Époux qu'elle avait uniquement désiré et cherché depuis l'aurore de sa vie. Elle comprit toute l'étendue de la perfection enclose dans nos trois vœux, ainsi que dans l'esprit de notre Institut, et s'y dévoua avec une générosité d'amour qui ne se démentit jamais. Le jour de sa profession mit le comble à son bonheur, tout en ouvrant aux yeux de son âme une carrière de sacrifices. Le premier que Notre-Seigneur lui demanda fut celui de sa bonne Mère. Madame Guérin s'endormit dans le Seigneur entre les bras de sa seconde fille, qu'une union aussi heureuse que chrétienne avait fixée près d'elle. Sœur Marie Dosithée aimait tendrement sa famille, mais d'une façon toute surnaturelle, comme il sera facile de le constater dans la suite. Ce douloureux événement lui fut donc très sensible, mais elle s'y résigna avec sa générosité habituelle.

Dure sur elle-même, notre chère Sœur n'acceptait pas volontiers les soulagements, et sa mortification primait quelquefois sa prudence. C'est ainsi que vers le moment de sa profession, elle négligea encore un rhume qui amena une fièvre lente et quelques crachements de sang ; c'était l'ancienne maladie qui reparaissait, comme elle le fit à plusieurs reprises pendant dix-sept ans. Arriver à être sainte était, nous l'avons dit, l'unique but de cette âme ; elle ne l'atteignit point sans efforts, sans luttes, ni souffrances. Dieu permit, pour perfectionner sa vertu et accroître son amour, qu'elle ressentit presque tout le temps de sa vie religieuse, à l'exception des deux dernières années, un ensemble de répugnances, de difficultés, de craintes qui l'arrêtaient, ou, du moins, semblaient entraver sa marche à tout instant. L'esprit de rigorisme, qui, dans le monde, causa tant de peines intérieures à notre chère Sœur, fut presque toujours son martyre. L'obéissante tourna ses efforts vers ce point, avec une constance que nous révèlent tous ses papiers de direction. Nous lisons ces lignes tracées par les différentes mains des Supérieures et Directrices de notre regrettée défunte : « Prendre par obéissance l'esprit de largeur en tout, pour l'intérieur et l'extérieur. » « Eviter la crainte et le resserrement, en s'appuyant sur l'obéissance. » Paix, humilité, grande dilatation dans le service de Dieu, abandon total ; ne pas tant redouter les fautes. Attention à s'agrandir toujours plus.

Cette pénible tendance resta donc longtemps au fond de son âme, lui causant mille souffrances intimes. Mais notre bonne Sœur Marie Dosithée travailla généreusement pour vaincre cet ennemi de sa perfection autant que de son bonheur ; et l'on peut dire qu'elle le défit complètement à la fin de sa vie, comme nous le verrons bientôt. Les vertus et la parfaite régularité de cette vraie religieuse la rendaient un modèle pour les commençantes; aussi à l'époque où elle dut quitter le Noviciat, y fut-elle retenue comme Assistante. Elle exerça cette charge pendant six ans, et il serait difficile de la remplir avec plus de zèle, de dévouement et de ponctualité qu'elle ne le fit. Notre chère Sœur ne ménageait ni son temps, ni sa peine pour former à nos saintes observances les postulantes et les novices. Possédant elle-même parfaitement, et accomplissant avec une fidélité exemplaire tout ce qui tient à la Règle, aux usages et aux recommandations, ses actions, autant que ses paroles, étaient un enseignement perpétuel. Non seulement elle apprenait aux jeunes Sœurs ce qu'il faut faire, mais elle montrait et aidait à le bien faire. Plusieurs d'entre nous se rappellent avec reconnaissance les nombreuses visites faites dans leur cellule, par notre vigilante Sœur Marie Dosithée, pour les former à l'ordre dont la jeunesse actuelle est si souvent dépourvue. Elle s'efforçait d'inculquer aux prétendantes un grand amour et respect des Supérieures, de la Règle et du devoir. Peut-être se mêlait-il à ces précieux enseignements ce quelque chose d'âpre et de rigoureux qui tenait à sa nature et aux dispositions pénibles de son âme ; mais si elle effrayait un peu, chacune lui accordait toujours une profonde estime et une vraie gratitude. Notre bien-aimée Sœur joignit à l'emploi d'Assistante du Noviciat ceux de seconde Portière, de Surveillante du Pensionnat, d'Assistante des parloirs et de Surveillante de la Communauté. Elle fut aussi aide à la Roberie, à la Lingerie et chargée du soin des bas. En tout et partout, ce fut la fidèle servante du Seigneur, faisant avec le dévouement le plus complet ce que lui confiait la sainte obéissance.

Son esprit sérieux et essentiellement pratique avait, nous l'avons dit, au jour de sa profession, compris dans toute leur étendue nos engagements sacrés. Nous croyons pouvoir dire qu'elle les remplit avec une fidélité assez rare, même parmi les âmes ferventes. Le blanc lys qui avait embaumé de ses parfums célestes son enfance et sa vie dans la famille, s'implanta plus fortement encore en son âme, quand, à la vertu, vint s'ajouter le vœu. Notre chère Sœur ne vivait, respirait et aspirait que pour l'Époux divin : son détachement des créatures était entier. Ses affections n'avaient d'autre principe, ni d'autre fin, que la gloire de Dieu et l'ordre de sa sainte volonté. Deux de ses nièces furent élevées dans notre Pensionnat; Sœur Marie Dosithée, sous la sanction de l'obéissance, s'occupa de ces chères enfants avec une sollicitude et une sagesse qui ne tendaient qu'à en faire des chrétiennes sérieuses, leur inculquant l'esprit de sacrifice, d'abnégation, l'amour du travail et du devoir selon qu'elle-même en était pénétrée. Ces chères enfants profitèrent de leçons si vertueuses, et vouèrent à leur tante une tendresse pleine de vénération et de reconnaissance. Sa perte leur causa une profonde douleur, ainsi qu'à toute la famille, dont elle fut vraiment le conseil et la consolation. Dans ses rapports avec ses parents, comme avec le prochain, quel qu'il fut, Sœur Marie Dosithée se tenait toujours dans cette attitude de réserve et de mortification qui porte au respect, et empêche toute familiarité ; peut-être même aurait-on pu lui souhaiter plus d'abandon et d'épanouissement. Ces traits furent les derniers qui s'ajoutèrent comme couronnement à sa vertu, et la rendirent, vers la fin de sa vie, d'une aménité et d'une charité pleines d'expansion.

La pauvreté de notre chère Sœur était vraiment pauvre et indigente. Elle aimait de choix les vêtements et les objets vils et usés, pourvu qu'ils fussent propres; ses industries pour la pratique de cette vertu, étaient aussi ingénieuses que touchantes. Elle demandait permission de raccommoder elle-même ses chaussures, et les faisait servir jusqu'à extinction ; ses résolutions de retraite et ses petites notes de dévotion étaient toujours écrites sur des bouts de papier trouvés çà et là ; se lever et se coucher sans lumière étaient sa pratique habituelle. Etant chargée d'un autel, qu'elle décorait avec autant de zèle que de piété, ses bouquets de fleurs artificielles offraient à la Reine des cieux le parfum de la sainte pauvreté, à défaut d'autre mérite. Nous ne croyons pas que jamais elle ait usé de fournitures neuves pour les confectionner. Le temps était mis à profit par cette vraie religieuse comme le prix du sang de Jésus, et avec quelle sainte avarice ! Elle n'en perdait jamais une minute, et son activité naturelle mise au service de sa vertu, la faisait travailler sans relâche à l'ouvrage qui lui était confié, avec une ardeur que souvent l'obéissance dut modérer. Dans les dernières semaines de sa maladie, on la voyait encore raccommoder les bas dès le matin après Prime, ne posant l'aiguille que lorsque les quintes de toux ou l'extrême faiblesse ne lui permettait plus de la tenir.

L'obéissance de notre chère défunte était parfaite. Saintement esclave de nos règles bénies et de nos observances, elle les accomplissait avec une ponctualité et une exactitude scrupuleuses. On peut dire sous ce rapport qu'elle a tout accompli jusqu'à un iota. L'importance qu'elle y attachait l'avait portée à s'en instruire avec le plus grand soin : aussi recourait-on à elle en toute assurance, lorsqu'il s'élevait quelque doute ou embarras touchant nos moindres usages. Son esprit de foi lui faisait voir Notre-Seigneur dans la personne de ses Supérieures; elle leur porta toujours un respect plein d'affection et une confiance et soumission entières. Elle s'en remettait aveuglément à leur direction pour la conduite de son âme, et rendait compte de son intérieur avec une grande ouverture, surmontant en cela sa timidité naturelle. Une parole de notre Très Honorée Mère était un ordre sacré pour notre fervente Sœur, qui ne se fût pas permis une réflexion pouvant y être tant soit peu contraire. Si parfois l'empressement de sa nature et ses désirs prononcés la portaient à manifester à sa Supérieure une volonté personnelle, elle en demandait promptement pardon, en s'humiliant de ces petites productions de l'esprit propre. La parole de nos Saints Livres s'est vérifiée en notre bonne Sœur Marie Dosithée d'une façon frappante, et cette vraie obéissante a réellement pu raconter ses victoires. Cette vertu si féconde en fruits de sainteté transforma l'intérieur et l'extérieur de notre chère défunte. Ses craintes firent place à un abandon parfait, à une paix absolue, à une confiance d'enfant envers Notre-Seigneur. Sa réserve un peu froide, et ce qu'il y avait de moins cordial dans ses rapports avec le prochain se changèrent en une aimable aisance, en une charité douce et toute dévouée. La mortification, trait distinctif de sa vie, ne brilla que mieux quand elle fut accompagnée des vertus aimables qui en relèvent le prix. Jusqu'à la fin, Sœur Marie Dosithée fut ennemie des recherches et satisfactions naturelles ; elle porta la croix de la souffrance et de la maladie avec un courage et une énergie rares, qui lui méritèrent des grâces et des consolations exceptionnelles, comme nous le dirons tout à l'heure.

Extrêmement fidèle à l'oraison, sa voie fut souvent douloureuse. Longtemps elle crut devoir s'y exercer elle-même par une action personnelle, qui l'oppressait au lieu de l'unir paisiblement à Dieu. Dans ses dernières années, elle comprit que l'âme doit plutôt se livrer à l'action divine, et abandonner le raisonnement pour rester passive sous l'influence de l'esprit de grâce. Alors son cœur se dilatant, elle entra dans l'oraison de simple regard si recommandée par notre Saint Fondateur, et en recueillit les fruits les plus abondants : une remise totale d'elle-même à Notre-Seigneur, et la sainte liberté d'esprit.

A diverses reprises pendant sa carrière religieuse, notre bien-aimée Sœur donna des inquiétudes plus ou moins graves sur l'état de sa poitrine ; presque chaque hiver voyait reparaître une toux opiniâtre souvent accompagnée de fièvre et de crachements de sang. Deux ans avant sa mort, l'humeur maligne, au lieu de se porter sur les poumons, se jeta sur un pied, y produisant une enflure assez considérable pour rendre à notre pauvre Sœur la marche difficile. Monsieur notre Médecin, tout en soignant ce mal, le regardait comme un préservatif pour la poitrine. Mais l'heure de la récompense approchait pour cette âme fidèle et généreuse. Notre-Seigneur allait, comme un habile sculpteur, mettre les dernières touches à cette vivante statue, afin qu'elle arrivât à la conformité la plus parfaite avec son divin Modèle. Au mois de Janvier 1876, le triduum si excellent que voulut bien nous prêcher Monseigneur notre digne Evêque, fut pour notre chère Sœur un moment solennel et décisif. Ayant eu, comme la plupart d'entre nous, l'avantage devoir en particulier Sa Grandeur, Sœur Marie-Dosithée en reçut des paroles si lumineuses et si pénétrantes sur les vues de Dieu à son égard, qu'à dater de ce jour elle entra dans une nouvelle voie. Notre digne Prélat, avec la grâce qui lui est propre, comprit de suite les besoins de cette âme ardente mais anxieuse. D'une seule parole, il mit fin à ses anxiétés, et la fixa dans le paisible abandon qu'elle a conservé jusqu'à sa mort. Sa reconnaissance pour ce bienfait inappréciable s'exprima souvent d'une manière touchante. Que de fois elle dit depuis à notre Vénérée Mère : « Monseigneur a fait un vrai miracle, je suis toute transformée. Oh ! ma Mère, quelle grâce ! je ne sais plus qu'aimer, me confier et m'abandonner ! aidez-moi à en remercier le bon Dieu ! » Nous trouvons dans ses papiers ces quelques lignes qui nom semblent devoir dater de cette époque :  « Abandon ! mais abandon dans les plus petits détails ! Oraison de simple regard en Dieu; me souvenir de cette parole : Ne rien faire, et recevoir beaucoup. Dans les sécheresses de l'oraison, me tenir sous le regard de Notre-Seigneur sans recourir aux considérations. Abandon pour la préparation à la sainte communion et l'action de grâces ; laisser Notre-Seigneur agir lui-même. Lorsque j'aurai quelque chose à faire, au lieu de penser à la bien faire, m'abandonner à Notre- Seigneur. » Ce programme spirituel fut ponctuellement suivi par notre chère Défunte, qui arriva vraiment à se perdre en Dieu, pour le laisser seul opérer et vivre en son âme.

A l'automne de cette même année, notre chère Sœur qui, depuis plusieurs mois, luttait contre la toux, la fièvre et un ensemble de maux qui n'annonçaient que trop une fin prochaine, dut s'arrêter malgré elle dans sa vie laborieuse et régulière. Sans la retenir positivement à l'infirmerie, car il semblait que la vie de communauté fût son élément indispensable, notre Très Honorée Mère voulut qu'elle y restât au moins dans les moments où elle était plus oppressée et abattue ; mais lorsque sonnait un exercice, on la voyait se traîner avec son bâton au réfectoire, à la récréation, aux assemblées, heureuse de pouvoir, au moins par sa présence, témoigner de son amour à nos Saintes Règles. Nous souffrions de voir les efforts généreux de notre bien-aimée malade pour tirer des forces de sa faiblesse, et suivre encore le train commun, mais à la fin de Novembre, l'enflure extrême des jambes, les suffocations et la fièvre ardente arrêtèrent notre courageuse Sœur. Depuis quelques semaines, elle avait obtenu de notre Vénérée Mère une permission qui faisait le bonheur et le soutien de sa vie, et dont elle profita, on peut dire, jusqu'à son dernier souffle. Son état ne l'assurant jamais d'un lendemain, notre excellente Mère l'avait autorisée à faire la sainte communion tous les jours où elle pourrait se lever. La foi et l'amour de son âme opérèrent alors une sorte de prodige sur son pauvre corps, et nous admirâmes avec émotion la chère infirme se levant chaque matin au réveil, alors même qu'elle pouvait à peine faire quelques mouvements pour passer ses habits; et avec l'aide de nos bonnes Sœurs Infirmières et son inséparable bâton, se traîner au chœur malgré l'enflure énorme de ses jambes et de ses pieds, qui, à tout instant, semblaient fléchir. Grâce à cette indomptable énergie, dont l'amour divin surtout était le puissant levier, cette âme fervente put jusqu'à quatre jours avant sa mort aller chercher le bon Dieu, selon son expression, et Il vint Lui-même quand cette fidèle Epouse dut rester sur la Croix.

"Jamais, nous disait-elle dans son humilité, je n'eusse osé prétendre à la communion quotidienne, et voilà que Notre-Seigneur a si bien arrangé toutes choses que je puis jouir de cette immense laveur : le peu de forces qui me restent sont toutes pour le bon Dieu, afin que je puisse chaque matin le recevoir. Oh ! que de grâces nos Sœurs ! disait la chère malade, j'en suis inondée ! " En effet, sa paix était céleste ; elle parlait des progrès de son mal, de la mort, de l'éternité avec un calme et une sérénité admirables. On ne pouvait la visiter sans en recueillir un véritable profit spirituel, tant sa conversation était édifiante et respirait la grâce. Quelques semaines avant sa mort, il lui échappa une parole capable de causer autant d'admiration que d'étonnement. Près de paraître devant le Souverain Juge, sa conscience, si craintive et si délicate pourtant, lui permit de faire cette belle révélation : "Grâce au bon Dieu, il me semble n'avoir jamais commis de faute tout à fait volontaire !" Souvent, alors qu'elle était Assistante du Noviciat, elle avait, à son insu, laissé pressentir ce beau secret de sa fidélité ; quand quelque jeune Sœur, étant avertie par Sa Charité d'un manquement quelconque, cherchait à s'excuser en alléguant que ce n'était pas volontaire. « Oh ! répliquait Sœur Marie Dosithée, assurément, ma Sœur, je le pense bien ! Comment supposer qu'une âme religieuse puisse faire des fautes volontaires ! » Touchante exclamation qui parfois confondit les cœurs moins fidèles qui la reçurent, et qui nous révélait la pureté et la générosité de celui de notre fervente Sœur. Il eût été difficile, dans les derniers mois de cette vertueuse existence, de retrouver aucune trace de cette sorte d'âpreté et de rigidité contrainte qui, autrefois, semblaient nuire à la suavité de sa vertu. Notre chère Sœur Marie Dosithée n'était que douceur, amabilité, abandon ; son abord était toujours gracieux, ses paroles pleines de bienveillance et de sainte joie. Elle exprimait à notre bien-aimée Mère sa reconnaissance dans les termes les plus touchants, et l'assurait que lorsqu'elle serait au ciel, elle prierait beaucoup pour elle et pour toute notre maison, afin que toutes les âmes y deviennent saintes. Elle ajouta, un jour, délicatement : « Je demanderai aussi à Notre-Seigneur, ma Mère, qu'il ménage votre cœur, et empêche la mort de venir vous enlever vos filles, au moins d'ici un bon espace de temps. » Cette prière fut exaucée, car nous fûmes deux ans sans décès après la perte de cette chère Défunte, ce qui est assez rare dans notre famille, et nous avions vraiment le sentiment que c'était à sa charitable intervention que nous devions cette faveur.

Une Sœur lui disant un jour qu'elle devrait prier pour sa guérison : « Oh ! répondit notre vertueuse malade, je m'en garderai bien ; Notre-Seigneur ne sait-il pas mieux que moi ce qu'il me faut ? Je me fie à Lui, qu'il fasse ce qu'il voudra, je ne m'en mets pas eu peine. » Une autre fois, elle disait à notre bonne Mère : «  Je suis surprise de me sentir si en paix ! Je ne me préoccupe pas même des dernières souffrances, ni de mon agonie, je suis si persuadée que le bon Dieu me donnera sa grâce, que je n'en ai aucun souci. »

L'état de notre édifiante malade s'aggravant chaque jour, Monsieur notre Médecin conseilla de la faire administrer dans la crainte d'un accident soudain. Rien n'était plus facile que d'annoncer cette nouvelle à Sœur Marie Dosithée. Elle l'accueillit avec joie, sans l'ombre d'une émotion. Il fut décidé que la cérémonie aurait lieu le soir après l'oraison. La Communauté avertie, par la cloche, se réunit à l'infirmerie. Monsieur notre Confesseur entra, tout le monde était au lieu convenu, sauf la chère malade. On l'aperçut bientôt, arrivant de sa cellule tranquillement, le bâton d'une main et sa petite lanterne de l'autre, nous disant avec un sourire : "Je pense que la cérémonie ne se fera pas sans moi ! » Elle se mit dans un fauteuil et reçut avec sa foi et sa sérénité ordinaires les saintes onctions qui arment pour le dernier combat. On était aux fêtes de Noël ; notre excellente infirme continua à se lever tous les jours au réveil pour se rendre au Chœur et faire la sainte Communion, jusqu'au 20 Février ; elle mourut le 21. On peut dire qu'elle usa des forces de la nature jusqu'à extinction. Quand il lui fut impossible de faire mouvoir ses pauvres jambes, elle se soumit avec résignation à garder le lit, espérant bien que ce serait pour peu de temps. En effet, trois jours seulement la séparaient de son entrée dans la Patrie. Notre chère Sœur les passa dans les plus édifiantes dispositions ; son abandon était si complet et sa paix si parfaite, qu'un soir notre bien-aimée Mère lui proposant de l'aire entrer notre digne Confesseur, la chère malade répondit : « Ma Mère, je n'ai vraiment rien à lui dire»  ; et, après un instant de repos : « Oh ! si, j'ai deux péchés; je puis bien m'en accuser devant nos Sœurs infirmières, car notre saint Fondateur dit qu'il ne faut pas dire les péchés mortels, mais qu'on peut dire les péchés véniels : eh bien, je désire trop mourir, puis j'ai fait des questions pour savoir si je ne suis pas loin de là. » Notre bonne Sœur Marie Dosithée, qui n'était pas très gaie naturellement, le devenait au seuil de l'éternité; elle souriait à la mort, laissait échapper des paroles plaisantes et naïves qui nous étonnaient.

Le saint Viatique lui fut donné deux fois dans les trois jours qu'elle fut alitée. Le 23, l'oppression augmentant ainsi que la faiblesse, notre Vénérée Mère, qui prodiguait ses visites à la vertueuse malade, lui proposa que la Communauté vint réciter près d'elle les prières de la recommandation de l'âme. Sœur Marie Dosithée accueillit ce secours avec bonheur, et s'unit du cœur et des lèvres à ces saintes formules; Monsieur notre Confesseur étant entré, elle fut abondamment munie de toutes les indulgences. Le soir, notre bonne Mère, après être restée plusieurs heures avec elle, la fortifiant et encourageant, lui dit, comme toujours, de se remettre toute aux soins du Cœur de Jésus, qui saurait bien proportionner son secours et ses grâces aux souffrances et aux angoisses du dernier passage. « Oh ! je m'y confie, ma Mère, répondit notre pieuse Sœur, aussi je ne m'effraie de rien. Notre-Seigneur me soutient ! J'ai la grâce du moment, je l'aurai jusqu'à la fin ! » Vers deux heures de la nuit, une pénible agonie commença. La Sœur qui gardait notre chère malade alla avertir notre Mère Vénérée et l'infirmière, qui arrivèrent en toute hâte. Cette nature énergique et forte luttait violemment contre sa destruction, mais la sérénité de l'âme ne se démentit pas un instant. Sœur Marie Dosithée avait sa pleine connaissance, murmurait tout bas les aspirations que lui suggérait notre bien-aimée Mère, et renouvelait ses vœux, le sacrifice de sa vie, avec une ferveur admirable. Notre bonne Mère lui disant qu'elle reposait sur le Cœur de Jésus : « Oui, tout bellement, répondit-elle. » Comme on lui proposait de boire un peu : « Oh ! non, dit-elle, je ne veux plus rien... — Que Notre-Seigneur ? dit notre Mère. — Ah ! oui ! » reprit en souriant la chère agonisante. S'étant informée de l'heure, et se rendant compte que le vingt-quatrième jour de Février était commencé, elle dit à notre bonne Mère : « Ah ! c'est beau de mourir pour l'anniversaire de ma prise d'Habit ! »  — Oui, lui répondit notre Mère, Notre-Seigneur va changer pour vous le vêtement de la sainte religion en celui de la gloire éternelle.» La pieuse mourante sourit à cette pensée. Enfin, vers 7 heures et demie, un Samedi, cette âme généreuse quitta son enveloppe terrestre pour aller se mêler au chœur de ces Vierges fidèles, dont la lampe fut toujours abondamment munie de l'huile de la charité. Ses traits prirent un air de béatitude qui nous frappa. Près de cette vertueuse Défunte, on respirait une paix et une consolation toutes célestes, qui nous parurent un indice du bonheur dont elle jouissait déjà. La petite nièce de notre chère Sœur Marie Dosithée, encore élève au Pensionnat, ayant fait des instances pour voir une dernière fois les restes aimés de sa bonne tante, ne se lassait pas de dire en la contemplant : «  Oh! que ma tante est belle ! elle a bien l'air d'une sainte ! » Cette appréciation était partagée par toute la Communauté, qui regrette notre bien-aimée Sœur comme l'une des âmes les plus ferventes que nous ayons eues parmi nous. Veuille Notre-Seigneur nous faire la grâce d'imiter ses vertus si religieuses, et rendre notre fin semblable à la sienne !

DIEU SOIT BÉNI !