Carmel

L'Imitation de Jésus-Christ - Livre IV

Du sacrement de l'Eucharistie

EXHORTATION A LA SAINTE COMMUNION

VOIX DE JESUS CHRIST

1. J. C. Venez à moi, vous tous qui êtes épuisés de travail et qui êtes chargés, et je vous soulagerai.
Le pain que je donnerai c'est ma chair, que je donnerai pour la vie du monde.
Prenez et mangez : ceci est mon corps qui sera livré pour vous. Faites ceci en mémoire de moi.
Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang demeure en moi, et moi en lui.
Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie.

RÉFLEXION  LIVRE IV / Exhortation

Nous voyons ici l'accomplissement des promesses divines, des espérances du genre humain, des figures et des prophéties de l'ancienne loi. Le sacrifice réel, celui qui opère à jamais la réconciliation de l'homme avec Dieu, succède aux sacrifices symboliques et sans efficacité. La véritable Pâque est immolée, la manne céleste nourrit désormais non plus seulement le peuple d'Israël, mais tous les peuples de l'alliance nouvelle, tous les vrais enfants du père des croyants. A l'exemple du Roi de paix, le Pontife éternel selon l'ordre  de Melchisédech offre au Très Haut le pain et le vin, le pain vivant descendu du ciel : et le pain qu'il donne est sa chair, et le vin est son sang ; et, en vérité, à moins qu'on ne mange la chair, et qu'on ne boive le sang du Fils de l'Homme, on n'aura point la vie en soi, car ma chair, il le dit lui même, est vraiment une viande, et mon sang un breuvage : celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui. Voilà le pain descendu du ciel : qui mange ce pain vivra éternellement. Il n'y a point à hésiter, ce langage est clair ; il faut se soumettre, il faut dire : Je crois, Seigneur, augmentez ma foi. Et qu'avaient annoncé les Prophètes ? Les pauvres mangeront et seront rassasiés et leur âme vivra éternellement. Tous les riches de la terre ont mangé et ont adoré : tous ceux qui habitent la terre se prosterneront en sa présence. Et nous aussi, dans l'inébranlable fermeté de notre foi, mangeons et adorons ; rassasions nous de cette chair, abreuvons nous de ce sang, qui nous transforme en Jésus Christ même. Victime d'un prix inestimable, il acquitte volontairement notre dette envers la justice divine, et, pour nous appliquer sans réserve et sans mesure la vertu de son sacrifice, il unit sa chair à notre chair, son âme à notre âme : de sorte que par cette ineffable union nous sommes remplis de la divinité, dont la plénitude habite en lui corporellement. Prodigieux mystère d'amour ! l'homme a mangé le pain des anges. Et comment ? parce que le Verbe de Dieu, qui nourrit, dit saint Augustin, de sa substance incorruptible les anges incorruptibles, s'est fait chair, et a habité parmi nous. Comme  donc la créature spirituelle se  nourrit du Verbe, qui est  son aliment par excellence, et comme l'âme humaine, spirituelle aussi, mais en punition  du péché chargée des liens de  la mortalité, a été abaissée de  telle sorte, qu'il faut qu'elle  s'efforce d'atteindre par les conjectures des choses visibles  à l'intelligence des choses invisibles, l'aliment spirituel de la  créature a été fait visible, non  par un changement de sa nature, mais relativement à la nôtre, afin qu'en cherchant ce  qui est visible nous fussions  rappelés au Verbe invisible.  Chrétiens, allez au banquet sacré, approchez vous de cette table où Jésus Christ tout entier se livre à vous, où le Verbe divin se fait lui même votre aliment incompréhensible : Prenez et mangez le véritable pain du ciel. Là est l'espérance, la vie, la dernière épreuve de la foi, la consommation de l'amour.

CHAPITRE I : Avec quel respect il faut recevoir Jésus

VOIX DU DISCIPLE

1. LE F. Ce sont là vos paroles, ô Jésus vérité éternelle ! quoiqu'elles n'aient pas été dites dans le même temps, et qu'elles ne soient pas écrites dans le même lieu.
Et puisqu'elles viennent de vous, et qu'elles sont véritables, je dois les recevoir toutes avec une foi pleine de reconnaissance.
Elles sont de vous, car c'est vous qui les avez dites ; mais elles sont aussi à moi, parce que vous les avez dites pour mon salut.
Je les reçois avec joie de votre bouche, afin qu'elles se gravent profondément dans mon coeur.
Ces paroles pleines de tant de bonté, de tendresse et d'amour m'animent ; mais la pensée de mes crimes m'effraie, et ma conscience impure m'éloigne d'un mystère si saint.
La douceur de vos paroles m'attire ; mais le poids de mes péchés me retient.

2. Vous m'ordonnez d'aller à vous avec confiance, si je veux avoir part avec vous ; et de me nourrir du pain de l'immortalité, si je veux obtenir la vie et la gloire éternelle.
Venez, dites vous, venez à moi, vous tous qui souffrez et qui êtes oppressés, et je vous ranimerai.
O douce et aimable parole à l'oreille d'un pécheur ! vous invitez, Seigneur mon Dieu, le pauvre et l'indigent à la participation de votre corps sacré.
Mais qui suis je, Seigneur, pour oser m'approcher de vous ? Voilà que les cieux des cieux ne peuvent vous contenir, et vous dites : Venez tous à moi.

3. D'où vient cette miséricordieuse condescendance, une si tendre invitation ?
Comment oserais je aller à vous, moi qui ne sens en moi-même aucun bien qui puisse me donner quelque confiance ?
Comment vous recevrai je en ma maison, moi qui ai souvent outragé votre bonté ?
Les Anges et les Archanges vous adorent en tremblant, les Saints et les Justes sont saisis de frayeur ; et vous dites : Venez tous à moi !
Si ce n'était pas vous qui le dites, Seigneur, qui pourrait le croire ?
Et si vous n'ordonniez vous-même d'approcher de vous, qui en aurait l'audace ?

4. Noé, cet homme juste, travailla cent ans à construire l'arche, pour se sauver avec peu de personnes : et moi, comment pourrai je en une heure me préparer dignement à recevoir dignement le Créateur du monde ?
Moïse, le plus grand de vos serviteurs, pour qui vous étiez comme un ami, fit une arche d'un bois incorruptible, qu'il revêtit d'un or, très pur, afin d'y déposer les tables de la loi : et moi, vile créature, j'oserai recevoir si facilement le fondateur de la loi et l'auteur de la vie ?
Salomon, le plus sage des rois d'Israël, employa sept ans à élever un temple magnifique à la gloire de votre nom : il célébra pendant huit jours la fête de sa dédicace ; il offrit mille hosties pacifiques, et au son des trompettes, au milieu des cris de joie, il plaça solennellement l'arche d'alliance dans le lieu qui lui était préparé.
Et moi, misérable que je suis, et le plus pauvre des hommes, comment vous introduirai je  dans ma maison, moi qui sais à peine employer pieusement une demi heure ? Et plût à Dieu que j'eusse une seule fois employé dignement un moindre temps encore !

5. O mon Dieu ! que n'ont point fait ces saints hommes pour vous plaire, et combien, hélas ! ce que je fais est peu ! combien est court le temps que je consacre à me préparer à la communion !
Rarement suis je bien recueilli, plus rarement suis je libre de toute distraction.
Et certes, en votre divine et salut    aire présence, nulle pensée profane ne devrait s'offrir à mon esprit, nulle créature ne devrait l'occuper ; car ce n'est pas un ange, mais le Seigneur des anges que je dois recevoir en moi.

6. Quelle distance infinie, d'ailleurs, entre l'arche d'alliance avec ce qu'elle renfermait, et votre corps très pur avec ses ineffables vertus ; entre les sacrifices de la loi, figure du sacrifice à venir, et la véritable hostie de votre corps, accomplissement de tous les anciens sacrifices ?

7. Pourquoi donc ne suis je pas plus enflammé en votre adorable présence ?
Pourquoi n'ai je pas soin de me mieux préparer à la participation de vos saints mystères, lorsque ces antiques patriarches et ces saints prophètes, ces rois et ces princes avec tout leur peuple, ont montré tant de zèle pour le culte divin ?

8. David, ce roi si pieux, fit éclater ses transports par des danses religieuses devant l'arche, se souvenant des bienfaits que Dieu avait répandus sur ses pères ; il fit faire divers instruments de musique, il composa des psaumes que le peuple chantait avec allégresse, selon ce qu'il avait ordonné, et, animé de l'Esprit Saint, souvent il les chanta lui même sur sa harpe ; il apprit aux enfants d'Israël à louer Dieu de tout leur coeur, et à unir chaque jour leurs voix pour le célébrer et le bénir.
Si la vue de l'arche d'alliance inspirait tant de ferveur, tant de  zèle pour les louanges de Dieu, quel respect, quel amour ne doit pas m'inspirer, et à tout le peuple chrétien, la présence de votre sacrement, ô Jésus ! et la réception de votre corps adorable ?

9. Plusieurs courent en divers lieux pour visiter les reliques des saints ; ils écoutent avidement le récit de leurs actions ;  ils admirent les vastes temples bâtis en leur honneur, et baisent leurs os sacrés, enveloppés dans l'or et la soie.
Et voilà que vous même, ô mon Dieu, vous êtes ici présent devant moi sur l'autel, vous, le Saint des saints, le Créateur des hommes, le Roi des anges !
Souvent c'est la curiosité, le désir de voir des choses nouvelles, qui fait entreprendre ces pèlerinages ; et de là vient que, guidé par ce motif frivole, sans véritable contrition, on en tire peu de fruit pour la réforme des moeurs.
Mais ici, dans le sacrement de l'autel, vous êtes présent tout entier, ô Christ Jésus ! vrai Dieu et vrai homme ; et toutes les fois qu'on vous reçoit dignement et avec ferveur, on recueille en abondance les fruits du salut éternel.
Ce n'est pas la légèreté, ni la curiosité, ni l'attrait des sens, qui conduit à ce banquet sacré, mais une foi ferme, une vive espérance, une charité sincère.

10. O Dieu créateur invisible du monde ! que vous êtes admirable dans ce que vous faites pour nous ! avec quelle bonté, quelle tendresse vous veillez sur vos élus, vous donnant vous-même à eux pour nourriture dans votre sacrement !
C'est là ce qui surpasse toute intelligence ; ce qui, plus qu'aucune autre chose, attire à vous les coeurs pieux et enflamme leur amour.
Car vos vrais fidèles, occupés toute leur vie de se corriger, puisent dans la fréquente réception de cet auguste sacrement une merveilleuse ferveur et un zèle ardent pour la vertu.

11. O grâce admirable du sacrement, connue des seuls fidèles serviteurs de Jésus Christ ! car les serviteurs infidèles, asservis au péché, ne peuvent en ressentir l'influence.
La grâce de l'Esprit Saint est donnée dans ce sacrement ; il répare les forces de l'âme et lui rend sa beauté première, que le péché avait effacée.
Telle est quelquefois la puissance de cette grâce et la ferveur qu'elle inspire, que non seulement l'esprit, mais le corps languissant, en reçoit une vigueur nouvelle.

12. Et c'est pourquoi nous devons déplorer avec amertume la tiédeur et la négligence qui affaiblissent en nous le désir de recevoir Jésus Christ, unique espérance des élus et leur seul mérite.
Car c'est lui qui nous sanctifie et qui nous a rachetés ; il est la consolation de ceux qui voyagent sur la terre, et l'éternelle félicité des Saints.
Combien donc ne doit on pas gémir de ce que plusieurs montrent tant d'indifférence pour ce sacré mystère, qui est la joie du ciel et le salut du monde !
O aveuglement ! ô dureté du coeur humain ! d'être si peu touché de ce don ineffable, qui semble perdre de son prix à mesure qu'on en use davantage !

13. Si cet adorable sacrement ne s'accomplissait qu'en un seul lieu, et qu'un seul prêtre dans le monde entier consacrât l'hostie sainte, avec quelle ardeur les hommes n'accourraient ils pas en ce lieu, vers ce prêtre unique, pour voir célébrer les saints mystères ?
Mais il y a plusieurs prêtres, et le Christ s'est offert en plusieurs lieux, afin que la miséricorde et l'amour de Dieu pour l'homme éclatent d'autant plus, que la sainte communion est plus répandue dans le monde.
Je vous rends grâces, ô Jésus, pasteur éternel, qui, dans notre exil et notre indigence, daignez nous nourrir de votre corps et de votre sang précieux, et nous inviter de votre propre bouche à la participation de ces sacrés mystères, disant : Venez à moi vous tous qui portez votre fardeau avec travail, et je vous soulagerai.

RÉFLEXION LIVRE IV / CHAPITRE I

Tout ce qu'offrait de plus grand, de plus imposant, de plus saint, le culte de l'ancienne alliance, n'était qu'une légère ombre des mystères de l'Homme Dieu. David célèbre avec pompe le retour de l'arche à Jérusalem ; mais cette arche était vide, elle ne renfermait pas le Sauveur du genre humain. Salomon bâtit un temple magnifique ; il en fait, en présence du peuple saisi de respect, la  dédicace solennelle : des victimes sans  nombre sont immolées ; mais ces victimes, qu'est ce ? de vils animaux dont le sang ne peut apaiser la souveraine justice. Le monde demeurait dans l'attente du salut annoncé,
lorsque voilà qu'au moment prédit s'accomplissent les promesses aperçues et saluées de loin par les Patriarches durant leur pèlerinage sur la terre. Le Désiré des nations, le Dominateur, l'Ange de l'Alliance, Celui dont le nom est Jéhovah, vient dans son temple, et le vrai sacrifice de propitiation remplace à jamais les sacrifices figuratifs. Au fond du tabernacle,  sous les voiles du sanctuaire, repose l'hostie toujours vivante, l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde. Le même qui est assis à la droite du Père est là présent, et sa voix nous appelle : Prenez et mangez, ceci est mon corps ; buvez, ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, répandu pour la rémission des péchés. Mangez, ô mes amis ! buvez, enivrez vous, mes bien aimés ! vous tous qui avez soif, venez à la source dont les eaux rejaillissent de l'éternelle vie. Ceux qui, refusant de se désaltérer à cette source pure, s'en vont cherchant à l'écart des eaux furtives, Dieu leur prépare un breuvage assoupissant, et leurs yeux se ferment. Dans ce sommeil il leur semble qu'ils ont faim et qu'ils mangent, et au réveil leur âme est vide. Altérés, ils rêvent qu'ils boivent, et ils se réveillent, pleins de lassitude, et ils ont encore soif, et leur âme est vide. Venez donc, je suis le pain de vie ; celui qui vient à moi n'aura jamais faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif. Qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour. Seigneur, je crois et j'adore : mon âme, haletante de désir, s'élance vers vous ; et puis soudain une grande frayeur l'arrête : car, hélas ! que suis je pour oser m'approcher de mon Dieu ? Quand je considère mes souillures, ma bassesse, ma misère profonde, je n'ai plus qu'un sentiment, qu'une parole : Retirez vous de moi, parce je suis un homme pécheur. Cependant, ô Jésus ! ce sont les pécheurs que vous êtes venu appeler, et non pas les justes. Et c'est pourquoi, frappant ma poitrine, et implorant votre miséricorde, je me lèverai et j'irai : j'irai avec une vive foi, avec un ardent amour, vers le Fils, le Verbe, splendeur de la gloire de Dieu et figure de sa substance, vers le Sauveur divin, qui nous purifie de nos péchés, qui s'incorpore à sa créature pour l'élever jusqu'à lui ; j'irai, et je dirai : Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez en moi ; mais dites seulement un mot, et mon âme sera guérie.

CHAPITRE II : Combien Dieu manifeste à l'homme sa bonté et son amour dans le sacrement de l'Eucharistie

VOIX DU DISCIPLE

1. Plein de confiance en votre bonté et votre grande miséricorde, je m'approche de vous, Seigneur : malade, je viens à mon Sauveur ; consumé de faim et de soif, je viens à la source de la vie ; pauvre, je viens au Roi du ciel ; esclave, je viens à mon Maître ; créature, je viens à Celui qui m'a fait ; désolé, je viens à mon tendre consolateur.
Mais qu'y a t il en ce misérable qui vous porte à venir à lui ? que suis je pour que vous vous donniez vous même à moi ?
Comment un pécheur osera-t il paraître devant vous ? et comment daignerez-vous venir vers ce pécheur ?
Vous connaissez votre serviteur, et vous savez qu'il n'y a en lui aucun bien qui mérite cette grâce.
Je confesse donc ma bassesse, je reconnais votre bonté, je bénis votre miséricorde, et je vous rends grâces à cause de votre immense charité.
Car c'est pour vous même et non pour mes mérites que vous en usez de la sorte, afin que je connaisse mieux votre tendresse, et que, embrasé d'un plus grand amour, j'apprenne à m'humilier plus parfaitement à votre exemple.
Et puisqu'il vous plaît ainsi et que vous l'avez ainsi ordonné, je reçois avec joie la grâce que vous daignez me faire : et puisse mon iniquité n'y pas mettre obstacle !

2. O tendre et bon Jésus  ! quelles louanges perpétuelles ne vous devons nous pas pour la réception de votre sacré Corps, si élevé au dessus de tout ce que peut exprimer le langage de l'homme !
Mais que penserai je en le recevant, en m'approchant de mon Seigneur, que je ne puis révérer autant que je le dois, et que cependant je désire ardemment recevoir ?
Quelle pensée meilleure et plus salutaire que de m'abaisser profondément devant vous, et d'exalter votre bonté infinie pour moi ?
Je vous bénis, mon Dieu, et je veux vous louer éternellement. Je me méprise et me confonds devant vous dans l'abîme de mon abjection.

3. Vous êtes le Saint des saints, et moi le rebut des pécheurs.
Vous vous inclinez vers moi, qui ne suis pas digne de lever les yeux sur vous.
Vous venez à moi, vous voulez être avec moi, vous m'invitez à votre table. Vous voulez me donner  à manger un aliment céleste, le pain des Anges, qui n'est autre que vous même, ô pain vivant ! qui êtes descendu du ciel, et qui donnez la vie au monde.

4. Voilà la source de l'amour et le triomphe de votre miséricorde. Que ne vous doit on pas d'actions de grâces et de louanges pour ce bienfait !
O salutaire dessein que celui que vous conçûtes d'instituer votre sacrement !  ô doux et délicieux banquet où vous vous donnâtes vous même pour nourriture !
Que vos oeuvres sont admirables, Seigneur ! que votre puissance est grande ! que votre vérité est ineffable !
Vous avez dit, et tout a été fait, et rien n'a été fait que ce que vous avez ordonné.

5. Chose merveilleuse, que nul homme ne saurait comprendre, mais que tous doivent croire : que vous, Seigneur mon Dieu, vrai Dieu et vrai homme, vous soyez contenu tout entier sous la moindre partie des espèces du pain et du vin, et que, sans être consumé, vous soyez mangé par celui qui vous reçoit !
Souverain Maître de l'univers, vous qui, n'ayant besoin de personne, avez cependant voulu habiter en nous par votre sacrement, conservez sans tache mon âme et mon corps, afin que je puisse plus souvent célébrer vos saints mystères avec la joie d'une conscience pure et recevoir pour mon salut éternel ce que vous avez institué principalement pour votre gloire, et pour perpétuer à jamais le souvenir de votre amour.

6. Réjouis toi, mon âme, et rends grâces à Dieu d'un don si magnifique, d'une si ravissante consolation, qu'il t'a laissée dans cette vallée de larmes.
Car toutes les fois qu'on célèbre ce mystère, et qu'on reçoit le corps de Jésus Christ, l'on consomme soi même l'oeuvre de sa rédemption, et on participe à tous les mérites du Christ.
Car la charité de Jésus Christ ne s'affaiblit jamais, et jamais sa propitiation infinie ne s'épuise.
Vous devez donc toujours vous disposer à cette action sainte par un renouvellement d'esprit et méditer attentivement ce grand mystère de salut.
Lorsque vous célébrez le divin sacrifice, ou que vous y assistez, il doit vous paraître aussi grand, aussi nouveau, aussi digne d'amour, que si, ce jour là même, Jésus Christ, descendant pour la première fois dans le sein de la Vierge, se faisait homme, ou que, suspendu à la Croix, il souffrît et mourût pour le salut des hommes.

RÉFLEXION LIVRE IV / CHAPITRE II

L'apôtre saint Jean, ravi en esprit dans la Jérusalem céleste, vit au milieu du trône de Dieu un agneau comme égorgé, et autour de lui les sept esprits que Dieu envoie par toute la terre, et vingt quatre vieillards ; et ces vieillards se prosternèrent devant l'Agneau, tenant dans leurs mains des harpes et des coupes pleines de parfums, qui sont les prières des Saints, et ils chantaient un cantique nouveau à la louange de celui qui a été mis à mort, et qui nous a rachetés pour Dieu, de toute tribu, de toute langue, de tout peuple et de toute nation : et des myriades d'anges élevaient leur voix, et disaient : L'Agneau qui a été égorgé est digne de recevoir puissance, dignité, sagesse, force, honneur, gloire et bénédiction ; et toutes les créatures qui sont dans le ciel, sur la terre et dans la mer, et tout ce qui est dans ces lieux, disaient : A celui qui est assis sur le trône et à l'Agneau, bénédiction, honneur, gloire et puissance dans les siècles des siècles. Voici maintenant un autre spectacle. Ce même Agneau, qui reçoit sur le trône éternel l'adoration des anges et des saints, et qu'environne toute la gloire des cieux, vient à nous plein de douceur, et, voilé sous les apparences d'un peu de pain, il se donne à ses pauvres créatures, pour sanctifier notre âme, pour la nourrir, et notre corps même, par l'union substantielle de sa chair à notre chair, de son sang à notre sang, s'incarnant, si on peut le dire, de nouveau en chacun de nous, et y accomplissant d'une manière incompréhensible, en se communiquant à nous selon tout ce qu'il est, le grand sacrifice de la Croix. O Christ, Fils du Dieu vivant, que vos voies sont merveilleuses ! et qui m'en développera le mystère impénétrable ? Si je monte jusqu'au ciel, je vous y vois dans le sein du Père, tout éclatant de sa splendeur. Si je redescends sur la terre, je vous y vois dans le sein de l'homme pécheur, indigent, misérable : attiré en quelque sorte, et fixé par l'amour, aux deux termes extrêmes de ce qui peut être conçu, dans l'infini de la grandeur et dans l'infini de la bassesse ; et comme si ce n'était pas assez de venir à cet être déchu quand il vous désire, quand il vous appelle, vous l'appelez vous même le premier, vous l'appelez avec instance ; vous lui dites : Venez, venez à moi, vous tous qui souffrez, et je vous soulagerai : venez, j'ai désiré d'un grand désir de manger cette Pâque avec vous. C'en est trop, Seigneur, c'en est trop. Souvenez vous qui vous êtes : ou plutôt faites, mon Dieu, que je ne l'oublie jamais, et que je m'approche de vous comme les anges eux mêmes s'en approchent, en tremblant de respect, avec un coeur rempli du sentiment de son indignité, pénétré de vos miséricordes et embrasé de ce même amour inépuisable, immense, éternel qui vous porte à descendre jusqu'à lui.

CHAPITRE III : Qu'il est utile de communier souvent

VOIX DU DISCIPLE

1. Je viens à vous, Seigneur, pour jouir de votre don, et goûter la joie du banquet sacré que dans votre tendresse, vous avez, mon Dieu, préparé pour le pauvre.
En vous est tout ce que je puis, tout ce que je dois désirer ; vous êtes mon salut et ma rédemption, mon espérance et ma force, mon honneur et ma gloire.
Réjouissez donc aujourd'hui l'âme de votre serviteur, parce que j'ai élevé mon âme vers vous, Seigneur Jésus.
Je désire maintenant vous recevoir avec un respect plein d'amour : je désire que vous entriez dans ma maison, pour mériter d'être béni de vous comme Zachée, et d'être compté parmi les enfants d'Abraham.
Votre corps, voilà l'objet auquel mon âme aspire ; mon coeur brûle d'être uni à vous.

2. Donnez vous à moi, et ce don me suffit ; car, sans vous, rien ne me console.
Je ne puis être sans vous, et je ne saurai vivre si vous ne venez à moi.
Il faut donc que je m'approche de vous souvent et que je vous reçoive comme le soutien de ma vie de peur que, privé de cette céleste nourriture, je ne tombe de défaillance dans le chemin.
C'est ainsi, miséricordieux Jésus, que prêchant aux peuples, et les guérissant de diverses langueurs, vous dites un jour : Je ne veux pas les renvoyer à jeun dans leurs maisons, de peur que les forces ne leur manquent en route. Daignez donc en user de la même manière avec moi vous qui avez voulu demeurer dans votre sacrement pour la consolation des fidèles.
Car vous êtes le doux aliment de l'âme ; et celui qui vous mange dignement aura part à l'héritage de la gloire éternelle.
Combien il m'est nécessaire, à moi qui tombe et pèche si souvent, qui me laisse aller si vite à la tiédeur, au découragement, de me renouveler, de me purifier, de me ranimer, par des prières et des confessions fréquentes, et par la réception de votre corps sacré, de peur que, m'en abstenant trop longtemps, je n'abandonne mes résolutions.

3. Car les penchants de l'homme l'inclinent au mal dès  l'enfance ; et s'il n'est soutenu par ce remède divin, il s'enfonce de plus en plus.
La sainte Communion retire du mal et fortifie dans le bien.
Si donc je suis maintenant si souvent négligent et tiède quand je communie ou que je célèbre le saint sacrifice, que serait ce si je renonçais à cet aliment salutaire et si je me privais de ce secours puissant ?
Ainsi quoique je ne sois pas tous les jours assez bien disposé pour célébrer les divins mystères, j'aurai soin cependant d'en approcher aux temps convenables, et de participer à une grâce si grande.
Car c'est la principale consolation de l'âme fidèle, tandis qu'elle voyage loin de vous dans un corps mortel, de se souvenir souvent de son Dieu, et de recevoir son bien aimé dans un coeur embrasé d'amour.

4. O prodige de votre tendresse pour nous ! Vous, Seigneur mon Dieu, qui donnez l'être et la vie à tous les esprits, vous daignez venir à une pauvre âme misérable, et avec votre divinité et votre humanité tout entières, rassasier sa faim.
O heureuse, mille fois heureuse l'âme qui peut vous recevoir dignement, vous son Seigneur et son Dieu, et goûter avec plénitude la joie de votre présence !
Oh ! qu'il est grand le Seigneur qu'elle reçoit ! qu'il est aimable l'hôte qu'elle possède ! que le compagnon, l'ami qui se donne à elle, est doux et fidèle ! que l'époux qu'elle embrasse est beau  ! qu'il est noble et digne d'être aimé par dessus tout ce qu'on peut aimer, et tout ce qu'il y a de plus désirable !
Que le ciel et la terre, dans leur parure magnifique, se taisent devant vous, ô mon bien aimé ! car tout ce qu'on admire de beau en eux, ils le tiennent de vous, dont la sagesse n'a point de bornes, et jamais ils n'approcheront  de votre beauté souveraine.

RÉFLEXION LIVRE IV / CHAPITRE  III

Autant on doit apporter de soin à s'éprouver soi même avant de manger le pain et de boire le calice du Seigneur, autant il faut prendre garde à ne pas se tenir éloigné de la Table sainte par un faux respect et une crainte excessive. Nous serons toujours, quoi que nous fassions, infiniment indignes d'une faveur si haute : nul n'est pur, nul n'est saint, devant Celui qui est la sainteté même. Mais quand le Sauveur nous dit : Venez, il connaît notre misère, et c'est pour la guérir qu'il nous presse de venir à lui. Allons y donc, non comme le pharisien hypocrite, en rendant grâce à Dieu dans notre coeur de n'être pas tels que les autres hommes : Dieu repousse avec, horreur cet orgueil d'une conscience qui se déguise à elle même sa plaie secrète ; allons y, mais comme l'humble publicain, les yeux baissés vers la terre, frappant notre poitrine et disant : Seigneur, ayez pitié de moi, soyez propice à ce pauvre pécheur ! Il est nécessaire sans doute de se préparer par la pénitence, le recueillement, la prière à la communion du corps et du sang de Jésus Christ ; mais, après s'y être disposé sincèrement et de toute son âme, c'est faire injure au Rédempteur que de refuser ses dons, c'est se priver volontairement des grâces les plus précieuses les plus abondantes, les plus saintes ; c'est renoncer à la vie car, si l'on ne mange la chair du Fils de l'homme, et si l'on ne boit son sang, on n'aura point la vie en soi. Nous devons aspirer continuellement à ce pain descendu du ciel ; sans cesse nous devons le demander, nous devons nous en nourrir sans cesse, pour qu'il détruise le principe de mort qui est en nous depuis le péché.  Seigneur, donnez nous toujours ce pain, ce pain dont vous avez dit qu'il donne la vie éternelle. C'est ce que disent les Juifs, et ils expriment par là le désir de toute la nature humaine, ou plutôt de toute la nature intelligente. Elle veut vivre éternellement ; elle veut ne manquer de rien ; en un mot, elle veut être heureuse, C'est encore ce qu'en pensait la Samaritaine, lorsque Jésus lui ayant dit : O femme ! celui qui boit de l'eau que je donne n'a jamais soif, elle répond aussitôt : Seigneur, donnez moi de cette eau afin que je n'aie jamais soif et que je ne sois pas obligée de venir ici puiser de l'eau dans un puits si profond avec tant de peine. Encore un coup, la nature humaine veut être heureuse ; elle ne veut avoir aucun besoin, elle ne veut avoir ni faim, ni soif, aucun désir à remplir aucun travail, aucune fatigue et cela, qu'est ce autre chose, sinon être heureuse ? Voilà ce que veut la nature humaine : voilà son fonds. Elle se trompe dans les moyens ; elle a soif des plaisirs des sens ; elle veut exceller ; elle a soif des honneurs du monde. Pour parvenir aux uns et aux autres, elle a soif des richesses : sa soif est insatiable ; elle demande toujours, et ne dit jamais : C'est assez ; toujours plus et toujours plus. Elle est curieuse : elle a soif de la vérité ; elle ne sait où la prendre, ni quelle vérité peut la satisfaire : elle en ramasse ce qu'elle peut par ci par la, par de bons, par de mauvais moyens ; et comme toute âme curieuse est légère, elle se laisse tromper par tous ceux qui lui promettent cette vérité qu'elle cherche. Voulez-vous n'avoir jamais faim, jamais n'avoir soif, venez au pain qui ne périt point, au Fils de l'homme qui vous l'administre : à sa chair, à son sang, où est
tout ensemble la vérité et la vie, parce que c'est la chair et le sang non point du fils de Joseph, comme disaient les Juifs, mais du Fils de Dieu. O Seigneur, donnez moi toujours de ce pain ! Qui n'en serait affamé ? qui ne voudrait être assis à votre table ? qui la pourrait jamais quitter ?

CHAPITRE IV : Que Dieu répand des grâces abondantes en ceux qui communient dignement

VOIX DU DISCIPLE

1. Seigneur mon Dieu, prévenez votre serviteur de vos plus douces bénédictions, afin que je puisse approcher dignement et avec ferveur de votre auguste sacrement.
Rappelez mon coeur à vous ; réveillez moi du profond assoupissement où je languis. Visitez-moi pour me sauver, pour que je goûte intérieurement la douceur qui est cachée en abondance dans ce sacrement comme dans sa source.
Faites briller aussi votre lumière à mes yeux, afin qu'ils discernent un si grand mystère ; fortifiez ma foi pour le croire inébranlablement.
Car c'est l'oeuvre de votre amour et non de la puissance humaine : c'est votre institution sacrée, et non une invention de l'homme.
Nul ne peut concevoir par lui-même des merveilles au dessus de la pénétration des Anges mêmes.
Que pourrai je donc, moi, pécheur indigne, moi cendre et poussière, découvrir et comprendre d'un mystère si haut ?

2. Seigneur, dans la simplicité de mon coeur, avec une foi ferme et sincère, et sur le commandement que vous m'en avez fait, je m'approche de vous plein de confiance et de respect, et je crois sans hésiter que vous êtes ici présent dans ce sacrement, et comme Dieu et comme homme. Vous voulez donc que je vous reçoive et que je m'unisse à vous dans la charité ?
C'est pourquoi j'implore votre clémence, et je vous demande en ce moment une grâce particulière, afin que, embrasé d'amour, je me fonde et m'écoule tout entier en vous, et que je ne désire plus aucune autre consolation.
Car cet adorable sacrement est le salut de l'âme et du corps, le remède de toute langueur spirituelle. Il guérit les vices, réprime les passions, dissipe les tentations ou les affaiblit, augmente la grâce, accroît la vertu, affermit la foi, fortifie l'espérance, enflamme et dilate l'amour.

3. Quels biens sans nombre n'avez vous pas accordés et n'accordez vous pas encore chaque jour, dans ce sacrement, à ceux que vous aimez, et qui le reçoivent avec ferveur, ô mon Dieu, unique appui de mon âme, réparateur de l'infirmité humaine, source de toute consolation intérieure !
Car vous les consolez avec abondance en leurs tribulations diverses ; vous les relevez de leur abattement par l'espérance de votre protection ; vous les ranimez intérieurement, et les éclairez par une grâce nouvelle ; de sorte que ceux qui se sentaient pleins de trouble et de tiédeur avant la communion se trouvent tout changés après s'être nourris de cette viande et de ce breuvage célestes.
Vous en usez ainsi avec vos élus, afin qu'ils reconnaissent clairement, et par une manifeste expérience, toute la faiblesse qui leur est propre, et tout ce qu'ils reçoivent de votre grâce et de votre bonté.
Car d'eux mêmes, froids, durs, sans goût pour la piété, par vous ils deviennent pieux, zélés, fervents.
Qui, en effet, s'approchant humblement de la fontaine de suavité, n'en remporte pas un peu de douceur ? ou qui, en se tenant près d'un grand feu, n'en reçoit pas quelque chaleur ?
Vous êtes, mon Dieu, cette fontaine toujours pleine et surabondante, ce feu toujours ardent et qui ne s'éteint jamais.

4. Si donc il ne m'est pas permis de puiser à la plénitude de la source, et de m'y désaltérer parfaitement, j'approcherai cependant ma bouche de l'ouverture par où s'écoulent les eaux célestes, afin d'en recueillir au moins une petite goutte pour apaiser ma soif, et ne pas tomber dans une entière sécheresse.
Et si je ne puis encore être tout céleste et tout de feu, comme les Chérubins et les Séraphins, je m'efforcerai pourtant de m'animer à la piété et de préparer mon coeur afin qu'en participant avec humilité à ce sacrement de vie, je reçoive au moins quelque légère étincelle de ce feu divin.
Bon Jésus, Sauveur très saint, suppléez vous même par votre bonté et votre grâce à ce qui me manque, vous qui avez daigné appeler à vous tous les hommes, en disant : Venez à moi, vous tous qui êtes accablés de travail et de douleur, et je vous soulagerai.

5. Je travaille à la sueur de mon front, mon coeur est brisé de douleur, le poids de mes péchés m'accable, les tentations m'agitent, une foule de passions mauvaises m'enveloppent et me pressent, et il n'y a personne qui me secoure, qui me délivre et qui me sauve, si ce n'est vous, Seigneur mon Dieu, mon Sauveur, entre les mains de qui je me remets, et tout ce qui est à moi, afin que vous me protégiez et me conduisiez à la vie éternelle.
Recevez moi pour l'honneur et la gloire de votre nom, vous qui m'avez préparé votre corps et votre sang pour nourriture et pour breuvage.
Faites, Seigneur mon Dieu, mon Sauveur, que ma ferveur et mon amour croissent d'autant plus que je participe plus souvent à ce divin mystère.

RÉFLEXION  LIVRE IV / CHAPITRE IV

Jésus Christ, près de quitter la terre, promit à ses disciples de leur envoyer l'Esprit consolateur : et c'est ce divin Esprit qui nous est donné dans les sacrements de la nouvelle alliance. Amour substantiel du Père et du Fils, il aide notre infirmité, car nous ne savons pas demander comme il faut, mais l'Esprit demande pour nous avec des gémissements ineffables ; et celui qui scrute les coeurs sait ce que désire l'Esprit, parce qu'il demande selon Dieu pour les saints. Par une invisible opération aussi douce que puissante, il incline librement notre volonté au bien, il la purifie, il l'élève vers Dieu : il est notre force, comme le Verbe est notre lumière. Or, quand nous possédons en nous Jésus Christ, nous possédons le Verbe même, et nous participons à tous les dons que le Verbe et l'Esprit, qui procède de lui, répandent incessamment sur l'humanité sainte du Sauveur, devenu un avec nous par la communion de son corps et de son sang, de son âme et de sa divinité, qui en est inséparable. En lui sont toutes les richesses de la plénitude de l'intelligence, tous les trésors de la sagesse et de la science souveraine : et ces trésors, il les ouvre pour nous dans le sacrement de l'Eucharistie ; il nous dispense selon nos besoins ces célestes richesses, tandis que l'Esprit sanctificateur nous embrase de ses flammes divines, qui consument les dernières traces du péché, nous donnent comme un avant goût de la félicité céleste, et nous préparent à en jouir pleinement lorsque nous aurons atteint le terme  heureux de nos épreuves sur la terre. Allez donc à la source des grâces, allez à l'autel, allez à Jésus ; et à qui, Seigneur, irions nous ? Vous seul avez les paroles de la vie éternelle. Languissants, vous nous fortifiez ; affligés, vous nous consolez ; troublés par les tempêtes qui s'élèvent au-dedans et au dehors de nous, vous commandez aux vents, et il se fait un grand calme. O Jésus ! votre amour me presse, et mon âme a défailli dans l'ardeur de s'unir à vous. C'est là tout mon désir, je n'en ai point d'autre, je ne veux que vous, ô mon Dieu ! Oh ! quand pourrai je dire : Mon bien aimé est à moi, je suis à lui : ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus Christ qui vit en moi ?

CHAPITRE V : De l'excellence du sacrement de l'autel, et de la dignité du sacerdoce

VOIX DU BIEN-AIME

1. Quand vous auriez la pureté des Anges et la sainteté de Jean-Baptiste, vous ne seriez pas digne de recevoir ni même de toucher ce sacrement.
Car ce ne sont pas les mérites de l'homme qui lui donnent le droit de consacrer et de toucher le corps de Jésus Christ et de se nourrir du pain des Anges.
O mystère ineffable ! ô sublime dignité des prêtres, auxquels est donné ce qui n'a point été accordé aux Anges !
Car les prêtres validement ordonnés dans l'Eglise ont seuls le pouvoir de célébrer et de consacrer le corps de Jésus Christ.
Le prêtre est le ministre de Dieu, il use de la parole de Dieu selon le commandement et l'institution de Dieu ; mais Dieu, à la volonté de qui tout est soumis, à qui tout obéit lorsqu'il commande, est le principal auteur du miracle qui s'accomplit sur l'autel, et c'est lui qui l'opère invisiblement.

2. Vous devez donc, dans cet auguste sacrement, croire plus à la toute puissance de Dieu qu'à vos propres sens et à ce qui paraît aux yeux : et vous ne sauriez dès lors approcher de l'autel avec assez de respect et de crainte.
Pensez à ce que vous êtes,  et considérez quel est celui dont vous avez été fait le ministre par l'imposition des mains de l'évêque.
Vous avez été fait prêtre, et consacré pour célébrer les saints mystères : maintenant soyez fidèle à offrir à Dieu le sacrifice avec ferveur, au temps convenable, et que toute votre conduite soit irrépréhensible.
Votre fardeau n'est pas plus léger ; vous êtes lié, au contraire, par des obligations plus étroites, et obligé à une plus grande sainteté.
Un prêtre doit être orné de toutes les vertus et donner aux autres l'exemple d'une vie pure.
Ses moeurs ne doivent point ressembler à celles du peuple : il ne doit pas marcher dans les voies communes, mais il doit vivre comme les Anges dans le ciel, ou comme les hommes parfaits sur la terre.

3. Le prêtre revêtu des habits sacrés tient la place de Jésus Christ, afin d'offrir à Dieu d'humbles supplications pour lui-même et pour tout le peuple.
Il porte devant et derrière lui le signe de la croix du Sauveur, afin que le souvenir de sa passion lui soit toujours présent.
Il porte devant lui la croix sur la chasuble, afin de considérer attentivement les traces de Jésus Christ, et de s'animer à les suivre.
Il porte la croix derrière lui, afin d'apprendre à souffrir avec douceur pour Dieu tout ce que les hommes peuvent lui faire de mal.
Il porte la croix devant lui, afin de pleurer ses propres péchés : derrière lui, afin que, par une tendre compassion, il pleure aussi les péchés des autres ; et se souvenant qu'il est établi médiateur entre Dieu et le pécheur, il ne se lasse point d'offrir des prières et des sacrifices, jusqu'à ce qu'il ait obtenu grâce et miséricorde. Quand le prêtre célèbre, il honore Dieu, il réjouit les Anges, il édifie l'Eglise, il procure des secours aux vivants, du repos aux morts, et se rend lui même participant de tous les biens.

RÉFLEXION LIVRE IV  / CHAPITRE V

Pour comprendre la grandeur du sacerdoce chrétien, il faut considérer les caractères qui le distinguent immuablement, et forment comme le sceau divin dont il fut marqué à son origine. Et d'abord il est un de même qu'il n'y a qu'un Dieu, il n'y a qu'un Médiateur de Dieu et des hommes, Jésus Christ, apôtre et Pontife de notre foi, toujours vivant pour intercéder en notre faveur. Tout prêtre dans l'exercice de ses célestes fonctions représente Jésus Christ, ou plutôt est Jésus Christ même, qui seul opère véritablement ce qu'annoncent les paroles et les actes de son ministre, seul lie et délie, seul dispense la grâce, seul immole et offre à son Père la victime de propitiation, qui est une aussi : car Jésus entrant par son sang une seule fois dans le Saint des saints a consommé la rédemption éternelle. Ainsi un sacrifice, un prêtre, un sacerdoce, qui, dans son immense hiérarchie, n'est que le Pontife invisible des biens futurs, est multiplié visiblement sur tous les points de la terre, pour y continuer sa grande mission jusqu'à la fin des siècles. Et non seulement le sacerdoce est un, il est encore universel : car tous les peuples ont été donnés en héritage à Jésus Christ, et depuis le lever du soleil jusqu'au couchant, en tous lieux le sacrifice doit être accompli et l'offrande pure présentée au Seigneur. Il est éternel ; car de toute éternité Dieu a dit au Christ : Tu es mon Fils, je t'ai engendré aujourd'hui, et encore : Tu es prêtre éternellement selon l'ordre de Melchisédech. Il est saint ; car il convenait que nous eussions un tel Pontife, saint, pur, sans tache, séparé des pécheurs et élevé au dessus des cieux ; et les démons mêmes, vaincus par Celui qui possède le sacerdoce éternel, lui ont rendu ce témoignage : Je sais qui vous êtes, le Saint de Dieu. Oh ! qu'elle est élevée, qu'elle est sublime la dignité du prêtre ! mais aussi qu'elle est redoutable ! Associé à la puissance de Jésus Christ Pontife, dans l'unité de son sacerdoce, ministre avec lui et en lui du sacrifice de la Croix renouvelé chaque jour sur l'autel d'une manière non sanglante ; distributeur du pain de vie, du corps et du sang du Rédempteur, sur lesquels il lui a été donné pouvoir ; revêtu de la mission du Fils de Dieu pour le salut du monde, ses devoirs sont proportionnés à une si haute vocation, et c'est à lui surtout qu'il est dit : Soyez saint, parce que moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint. Pauvre pécheur, si faible, si languissant, si infirme, comment pourrai je m'élever, ô Jésus ! à la sainteté que vous exigez de moi ? Je tremble à cette pensée, et je perdrais toute espérance, si votre bonté ne daignait me rassurer, disant : Cela est impossible aux hommes, mais tout est possible à Dieu.

CHAPITRE VI : Prière du Chrétien avant la Communion

VOIX DU DISCIPLE

1. Seigneur, lorsque je considère votre grandeur et ma bassesse, je suis saisi de frayeur, et je me confonds en moi même.
Car si je m'approche de vous, je fuis la vie ; et si je m'en approche indignement, j'irrite votre colère.
Que ferais je donc, mon Dieu, mon protecteur, mon conseil dans tous mes besoins ?

2. Montrez moi la voie droite, enseignez moi quelque court exercice pour me disposer à la sainte Communion.
Car il m'est important de savoir avec quelle ferveur et quel respect je dois préparer mon coeur, pour recevoir avec fruit votre sacrement, ou pour vous offrir ce divin sacrifice.

RÉFLEXION LIVRE IV  / CHAPITRE VI

S'il est nécessaire de préparer son âme avant la prière, combien plus avant d'approcher de la divine Eucharistie ! Et c'est pourquoi l'Apôtre dit : Que l'homme s'éprouve soi-même, et qu'il mange ainsi de ce pain et boive ce calice : car celui qui mange et boit indignement, mange et boit son jugement, ne discernant point le corps du Seigneur. Mais, hélas ! mon Dieu, plus je m'éprouve, plus je me reconnais indigne de m'unir à vous dans le sacrement adorable de votre corps et de votre sang ; et cependant si je ne mange votre chair et ne bois votre sang, je n'aurai point la vie en moi ; de sorte que je suis partagé entre le désir de m'asseoir au banquet sacré où vous invitez vos fidèles, et la crainte d'entendre ces paroles terribles : Pourquoi êtes vous entré ici sans être revêtu de la robe nuptiale ? Jetez le, pieds et mains liés, dans les ténèbres extérieures : là sont les pleurs et les grincements de dents. Que ferai je donc ? Ah ! voici ce que je ferai. Je me présenterai tel que je suis, dépouillé, nu, misérable, devant mon Seigneur et mon Dieu, et je lui dirai : Ayez pitié de moi, Seigneur, et daignez me revêtir vous-même du vêtement pur qui me rendra digne d'être admis dans la salle du festin. Si vous ne venez à mon secours, si vous ne suppléez à mon indigence, je serai, ô mon divin Maître, à jamais exclu de votre table sainte ; mais vous laisserez tomber sur ce pauvre un regard, de compassion ; vous viendrez à lui dans votre bonté, dans votre miséricorde immense, et votre main s'étendra pour couvrir sa nudité : oui, Seigneur, j'ai espéré en vous, et je ne serai point confondu éternellement.

CHAPITRE VII : De l'examen de conscience, et de la résolution de se corriger

VOIX DU BIEN-AIMÉ

1. Sur toutes choses, il faut que le prêtre qui se dispose à célébrer les saints mystères, à toucher et à recevoir le corps de Jésus Christ, s'approche de ce sacrement avec une profonde humilité de coeur, un respect suppliant, une pleine foi, et une pieuse intention d'honorer Dieu.
Examinez avec soin votre conscience, et, autant que vous le pourrez, purifiez la par une contrition véritable et par une humble confession, de sorte que, délivré du poids de vos fautes, exempt de troubles et de remords, vous puissiez librement venir à moi.
Ayez une vive douleur de tous vos péchés en général : déplorez en particulier ceux que vous commettez chaque jour ; et, si le temps vous le permet, confessez à Dieu, dans le secret du coeur, toutes les misères qui sont le fruit de vos passions.

2. Affligez vous et gémissez d'être encore sous l'empire de la chair et du monde :
Si peu occupé de mourir à vos inclinations ; si agité par les mouvements de la concupiscence ;
Si peu exact à veiller sur vos sens ; si souvent séduit par de vains fantômes ;
Si enclin à vous répandre au dehors ; si négligent à rentrer en vous même ;
Si porté au rire et à la dissipation ; si dur, quand vous devriez verser des larmes de componction ;
Si prompt à vous livrer au relâchement et à la mollesse ; si lent à embrasser une vie austère et fervente ;
Si curieux de nouvelles et de ce qui attire les regards par sa beauté ; si plein de répugnance pour ce qui abaisse et humilie ;
Si avide de beaucoup avoir ; si avare pour donner ; si ardent à retenir ;
Si inconsidéré dans vos discours si impuissant à vous taire ;
Si déréglé dans vos moeurs ; si indiscret dans vos actions ;
Si intempérant dans le manger et le boire ; si sourd à la parole de Dieu ;
Si convoiteux de repos ; si ennemi du travail ;
Si éveillé pour des récits frivoles ; si appesanti par le sommeil durant les veilles saintes ; si pressé d'en voir la fin ; si peu attentif en y assistant ;
Si dissipé en récitant l'office divin,  si tiède en célébrant, si aride dans la communion ;
Si aisément distrait, si rarement bien recueilli ;
Sitôt ému de colère ; si prompt à blesser les autres ;
Si enclin à juger le mal ; si sévère à le reprendre ;
Si enivré de joie dans la prospérité, si abattu dans l'adversité ;
Si fécond en bonnes résolutions, et si stérile en bonnes oeuvres.

3. Après avoir confessé et déploré avec une grande douleur et un vif sentiment de votre faiblesse ces défauts et tous les autres qui peuvent être en vous, formez un ferme propos de vous corriger et d'avancer dans la vertu.
Offrez vous ensuite avec une pleine résignation et sans aucune réserve sur l'autel de votre coeur, comme un holocauste perpétuel, en l'honneur de mon nom, m'abandonnant entièrement le soin de votre corps et de votre âme, afin d'obtenir ainsi la grâce de célébrer dignement le saint Sacrifice, et de recevoir avec fruit le sacrement de mon corps.

4. Car il n'y a point d'oblation plus méritoire, ni de satisfaction plus grande pour les péchés
que de s'offrir sincèrement à Dieu en lui offrant, à la Messe et dans la Communion, le corps de Jésus Christ.
Si l'homme fait ce qui est en lui, et s'il a un vrai repentir toutes les fois qu'il s'approche de moi pour demander grâce et miséricorde : j'en jure par moi-même, dit le Seigneur, je ne me souviendrai plus de ses péchés, et ils lui seront tous pardonnés, car je ne veux point la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive.

RÉFLEXION LIVRE IV  / CHAPITRE VII

Il n'est rien de plus utile en soi, ni de plus indispensable pour approcher dignement de l'autel, que de descendre en sa conscience, et d'en scruter avec une sévérité salutaire les tristes profondeurs. Nous avons en nous-mêmes comme une image du royaume des ténèbres : là vit, croît et se propage l'innombrable famille des vices, nés de la triste concupiscence qui a infecté la vie humaine dans sa source. Quiconque examine sérieusement son coeur y trouve le germe de tout ce qui est mauvais, un orgueil tantôt hardi et violent, tantôt plein de déguisements et de ruses, une curiosité effrénée, des convoitises ardentes, la haine qu'accompagnent l'injure, l'outrage et la calomnie, l'envie mère du meurtre, l'avarice qui dit sans cesse : Apporte, apporte, la dureté d'âme, les joies coupables de l'esprit : et bien que ces semences de mort ne se développent pas dans chaque homme au même degré, tous les ont en eux mêmes, et la grâce seule les étouffe plus ou moins. Tel est, depuis la chute originelle, le partage des enfants d'Adam. Qui, dans son effroi, ne crierait vers Dieu du fond de cette immense misère pour implorer de lui secours et miséricorde ? Il délaisse ceux qui cachent leurs crimes, et pardonne à ceux qui s'accusent. Touché de pitié pour les pécheurs, Jésus Christ a institué le sacrement de pénitence, qui les régénère dans le sang de l'Agneau et les revêt de l'innocence primitive. Voilà la robe nuptiale nécessaire pour assister au festin de l'Epoux. Vous qui portez avec douleur le poids de vos péchés, hâtez vous donc, allez, pleins de repentir, de foi, d'espérance et d'amour, déposer cet accablant fardeau aux pieds de celui qui tient, dans le tribunal sacré, la place du Fils de Dieu même : allez et humiliez vous ; allez et pleurez ; une main divine essuiera vos larmes, et, rétablis en grâce avec Dieu, en paix avec vous mêmes, vous chanterez dans l'allégresse l'hymne du pardon : Heureux ceux dont les iniquités ont été remises et les péchés couverts !  Heureux celui à qui le Seigneur n'a point imputé son péché et dont le coeur a été sans fraude ! Parce que j'ai tu mon crime, il a vieilli dans mes os, et crié dans mon sein pendant tout le jour. Car votre main s'est appesantie sur moi le jour et la nuit ; je me suis tourné et retourné dans mon angoisse, tandis que l'épine perçait mon coeur. Alors je vous ai déclaré mon péché, je n'ai point caché mon injustice. J'ai dit : Je confesserai contre moi mon iniquité au Seigneur ; et vous, Seigneur, vous m'avez remis l'impiété de mon péché. C'est pour cela que vos serviteurs vous invoquent dans le temps propice ; et le déluge des grandes eaux n'approchera point d'eux.

CHAPITRE VIII : De l'oblation de Jésus Christ sur la Croix et de la résignation de soi même

VOIX DU BIEN-AIMÉ

1. Comme je me suis offert volontairement pour vos péchés à mon Père, les bras étendus sur la croix, et le corps nu, ne réservant rien, et m'immolant tout entier, pour apaiser Dieu : ainsi vous devez tous les jours, dans le sacrifice de la Messe, vous offrir à moi comme une hostie pure et sainte, du plus profond de votre coeur, et de toutes les puissances de votre âme.
Que demandai-je de vous, sinon que vous vous abandonniez à moi sans réserve ?
Tout ce que vous me donnez hors vous ne m'est rien, parce que c'est vous que je veux et non pas vos dons.

2. Comme tout le reste ne vous suffirait pas sans moi, ainsi aucun de vos dons ne peut me plaire si vous ne vous donnez vous même.
Offrez vous à moi, donnez-vous pour Dieu tout entier, et votre oblation me sera agréable.
Je me suis offert tout entier pour vous à mon Père, je vous ai donné tout mon Corps et tout mon Sang pour nourriture, afin d'être tout à vous, et que vous fussiez tout à moi.
Mais si vous demeurez en vous même, si vous ne vous abandonnez pas sans réserve à ma volonté, votre oblation n'est pas entière, et nous ne serons pas unis parfaitement.
L'oblation volontaire de vous-même entre les mains de Dieu doit donc précéder toutes vos oeuvres, si vous voulez acquérir la grâce et la liberté.
S'il en est peu qui soient éc1airés de ma lumière et qui jouissent de la liberté intérieure, c'est qu'ils ne savent pas se renoncer entièrement eux mêmes.
Je l'ai dit, et ma parole est immuable : Si quelqu'un ne renonce pas à tout, il ne peut être mon disciple. Si donc vous voulez être mon disciple, offrez vous à moi avec toutes vos affections.

RÉFLEXION LIVRE IV / CHAPITRE VIII

On n'aurait qu'une idée bien faible et bien incomplète du sacrifice de la Croix, si l'on n'y voyait que ce qui paraît, pour ainsi dire, aux sens. Jésus Christ a offert non seulement son corps sacré en proie à toutes les souffrances et à toutes les angoisses que peut endurer la nature humaine, mais encore son âme sainte étroitement unie au Verbe divin, toutes ses douleurs, toutes ses affections, toutes ses volontés, et l'agonie et le délaissement qui tira de son coeur ce dernier cri : Mon Père, pourquoi m'avez vous abandonné ? En cet état, il représentait l'humanité entière, condamnée à mourir ; et l'homme, en effet, fut frappé de mort jusque dans les plus secrètes profondeurs de son être. Alors tout fut consommé, et le supplice et la rédemption. Or chaque fois que le prêtre, montant à l'autel, y renouvelle, selon l'institution divine, cet ineffable sacrifice, chaque fois que le fidèle participe à la victime immolée, et le fidèle et le prêtre doivent s'offrir, ainsi que Jésus Christ s'est offert lui même : leur sacrifice uni au sien doit être, comme le sien, sans réserve : car, nous aussi, nous sommes attachés à la Croix, et avec Jésus Christ et en Jésus Christ, nous souffrons pour nous, pour nos frères, pour les vivants, pour les morts, pour toute la grande famille humaine ; ce qui fait dire à l'Apôtre saint Paul ces étonnantes paroles :  Je me réjouis de mes souffrances à cause de vous ; et ce qui manque à la passion de Jésus Christ, je l'accomplis en ma chair, pour son corps, qui est l'Église ; non sans doute que la Passion du Sauveur ne fût plus que surabondante pour ôter le péché du monde, et satisfaire à la justice de Dieu ; mais parce que chacun de nous doit la reproduire en soi, et parce que, étant les membres d'un seul corps, qui est le corps du Christ, tout ce que nous souffrons, il le souffre avec nous, de sorte que nos souffrances deviennent comme une partie de sa Passion propre. O Jésus ! je m'offre avec vous, je m'offre tout entier ; me voilà sur l'autel : frappez, Seigneur, achevez le sacrifice ; détruisez tout ce qui en moi est de l'homme condamné, ces désirs de la terre, ces affections, ces volontés, ces sens qui me troublent, ce corps de péché ; et, les yeux fixés sur votre Croix, je dirai : Tout est consommé !

CHAPITRE IX : Que nous devons nous offrir à Dieu avec tout ce qui est à nous, et prier pour tous

VOIX DU DISCIPLE

1. Seigneur, à qui tout appartient dans le ciel et sur la terre, je veux aussi me donner à vous par une oblation volontaire ; je veux être à vous pour toujours.
Dans la simplicité de mon coeur, je m'offre à vous aujourd'hui, mon Dieu, pour vous servir à jamais, pour vous obéir, pour m'immoler sans cesse à votre gloire.
Recevez moi avec l'oblation sainte de votre précieux corps, que je vous offre aujourd'hui en présence des Anges qui assistent invisiblement à ce sacrifice : et faites qu'il porte des fruits de salut pour moi et pour tout votre peuple.

2. Toutes les fautes et tous les crimes que j'ai commis devant vous et devant vos saints Anges, depuis le jour où j'ai pu commencer à pécher jusqu'à ce moment, je vous les offre, Seigneur, sur votre autel de propitiation, afin que vous les consumiez par le feu de votre amour, que vous effaciez toutes les taches dont ils ont souillé ma conscience, et qu'après l'avoir purifiée vous me rendiez votre grâce, que mes péchés m'avaient fait perdre, me les pardonnant tous pleinement, et me recevant, dans votre miséricorde, au baiser de paix.

3. Que puis je faire pour expier mes péchés, que de les confesser humblement, avec une amère douleur, et d'implorer sans cesse votre clémence ?
Je vous en conjure, exaucez-moi, soyez moi propice, quand je me présente devant vous, mon Dieu.
J'ai une vive horreur de tous mes péchés et je suis résolu à ne plus les commettre. Ils m'affligent profondément, et toute ma vie je ne cesserai de m'en affliger, prêt à faire pénitence et à satisfaire pour eux selon mon pouvoir.
Pardonnez les moi, Seigneur, pardonnez les moi pour la gloire de votre saint nom. Sauvez mon âme, que vous avez rachetée au prix de votre sang.
Voilà que je m'abandonne à votre miséricorde, je me remets entre vos mains : traitez moi selon votre bonté et non selon ma malice et mon iniquité.

4. Je vous offre aussi tout ce qu'il y a de bien en moi, quelque faible, quelque imparfait qu'il soit, afin que, l'épurant, le sanctifiant, le perfectionnant sans cesse, vous le rendiez plus digne de vous, plus agréable à vos yeux, et que vous me conduisiez à une heureuse fin, moi le plus inutile, le plus languissant et le dernier des hommes.

5. Je vous offre encore tous les pieux désirs des âmes fidèles, les besoins de mes parents, de mes amis, de mes frères, de mes soeurs, de tous ceux qui me sont chers ; de ceux qui m'ont fait, ou à d'autres, quelque bien pour l'amour de vous ; de ceux qui ont demandé ou désiré que j'offrisse des prières et le saint Sacrifice pour eux et pour les leurs, soit qu'ils vivent encore en la chair, soit que le temps ait fini pour eux.
Que tous sentent le secours de votre grâce, la puissance de vos consolations ; protégez les dans les périls, délivrez les de leurs peines, et qu'affranchis de tous les maux, ils vous rendent, pleins de joie, d'éclatantes actions de grâces.

6. Je vous offre enfin des supplications et l'hostie de paix, principalement pour ceux qui m'ont offensé en quelque chose, qui m'ont contristé, qui m'ont blâmé, qui m'ont fait quelque tort ou quelque peine ; et pour tous ceux aussi que j'ai moi même affligés, blessés, troublés, scandalisés, le sachant ou sans le savoir, afin que vous nous pardonniez à tous nos péchés et nos offenses mutuelles.
Ôtez de nos coeurs, ô mon Dieu, le soupçon, l'aigreur, la colère, tout ce qui divise, tout ce peut altérer la charité et diminuer l'amour fraternel.
Ayez pitié, Seigneur, ayez pitié de ces pauvres qui implorent votre grâce, votre miséricorde ; et faites que nous soyons dignes de jouir ici bas de vos dons et d'arriver à l'éternelle vie. Ainsi soit il.

RÉFLEXION LIVRE IV / CHAPITRE IX

Après s'être purifié par le sacrement de pénitence, et s'être uni, selon tout ce qu'il est, à Jésus Christ, hostie de propitiation pour le salut des hommes, le prêtre s'offre encore pour eux et pour lui même, afin que la vertu du sacrifice qui doit s'accomplir lui soit appliquée, et à ses frères et à tous ceux pour qui Jésus Christ, sacrificateur et victime, l'a consommé sur la Croix. Comme le Sauveur s'est immolé pour lui, il veut s'immoler pour le Sauveur, ne vivre que pour sa gloire et mourir pour elle. Il le supplie de consumer dans le feu de son amour tout ce qui reste en lui d'impur et de terrestre. Il dépose en quelque manière sur l'autel ses pensées et ses affections, ses volontés, ses désirs, tout son être, afin d'être revêtu en Jésus Christ d'une vie nouvelle, de cette vie selon Dieu qui fait que l'homme ne vit plus pour soi, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour lui. Ainsi anéanti dans la présence du souverain Maître, et comme baigné déjà du sang qui demande grâce, il intercède pour ses proches, ses amis, ses bienfaiteurs, pour ses ennemis même, pour ceux qui le haïssent et le persécutent, embrassant dans sa charité, immense comme celle du Christ, toutes les créatures qu'il a rachetées, tous les enfants du Père céleste, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants. Élevé par l'onction sacerdotale entre la terre et le ciel, il couvre, pour ainsi dire, le genre humain tout entier de sa prière et de son amour. Il le voit, par le péché, dans un état de mort, et ses désirs l'enfantent à la vie, semblable au Médiateur suprême, qui, dans les jours de sa chair, offrant avec un grand cri et avec larmes des prières et des supplications à Celui qui peut sauver de la mort, fut exaucé à cause de son respect. Oui, le salut vient du Seigneur ; il a fait éclater les merveilles de son Saint. Prêtres du Dieu vivant, offrez lui le sacrifice de justice. Je vous prierai, Seigneur ; vous entendrez ma voix le matin ; le matin, je me présenterai devant vous : j'entrerai dans votre maison, et, rempli de votre crainte, j'adorerai dans votre saint temple : et tous ceux qui espèrent en vous se réjouiront, et ils tressailliront d'allégresse éternellement, parce que vous habiterez en eux.

CHAPITRE X : Qu'on ne doit pas facilement s'éloigner de la sainte Communion

VOIX DU BIEN-AIMÉ

1. Il faut recourir souvent à la source de la grâce et de la divine miséricorde, à la source de toute bonté et de toute pureté, afin que vous puissiez être guéris de vos passions et de vos vices, et que, plus fort, plus vigilant, vous ne soyez ni vaincu par les attaques du démon, ni surpris par ses artifices.
L'ennemi des hommes, sachant quel est le fruit de la sainte Communion, et combien est grand le remède qu'y trouvent les âmes pieuses et fidèles, s'efforce, en toute occasion et par tous les moyens, de les en éloigner autant qu'il peut.

2. Aussi est ce au moment où ils s'y disposent que quelques-uns éprouvent les plus vives attaques de Satan.
Cet esprit de malice, comme il est écrit au livre de Job, vient parmi les enfants de Dieu pour les troubler par les ruses ordinaires de sa haine, cherchant à leur inspirer des craintes excessives et de pénibles perplexités, pour affaiblir leur amour, ébranler leur foi, afin qu'ils renoncent à communier, ou qu'ils ne communient qu'avec tiédeur.
Mais il ne faut pas s'inquiéter de ses artifices et de ses suggestions, quelque honteuses, quelque horribles qu'elles soient, mais les rejeter toutes sur lui.
Il faut se rire avec mépris de cet esprit misérable, et n'abandonner jamais la sainte Communion, à cause de ses attaques et des mouvements qu'il excite en nous.

3. Souvent aussi l'on s'en éloigne par un désir trop vif de la ferveur sensible, et parce qu'on a conçu de l'inquiétude sur sa confession.
Agissez selon les conseils des personnes prudentes, et bannissez de votre coeur l'anxiété et les scrupules, parce qu'ils détruisent la piété, et sont un obstacle à la grâce de Dieu.
Ne vous privez point de la sainte Communion, dès que vous éprouvez quelque trouble ou une légère peine de conscience ; mais confessez vous au plus tôt, et pardonnez sincèrement aux autres les offenses que vous avez reçues d'eux.
Que si vous avez vous même offensé quelqu'un, demandez lui humblement pardon, et Dieu aussi vous pardonnera.

4. Que sert de tarder à se confesser, et de différer la sainte Communion ?
Purifiez vous promptement, hâtez vous de rejeter le venin et de recourir au remède ; vous vous en trouverez mieux que de différer longtemps.
Si vous différez aujourd'hui pour une raison, peut être s'en présentera t il demain une plus forte, et vous pourriez ainsi être sans cesse détourné de la Communion, et sans cesse vous y sentir moins disposé.
Ne perdez pas un moment, secouez votre langueur, déchargez vous de ce qui vous pèse ; car à quoi revient il de vivre toujours dans l'anxiété, toujours dans le trouble, et d'être éloigné chaque jour, par de nouveaux obstacles, de la Table sainte ?
Rien, au contraire, ne nuit davantage que de s'abstenir longtemps de communier ; car d'ordinaire l'âme tombe par là dans un profond assoupissement.
O douleur ! il se rencontre des chrétiens si tièdes et si lâches, qu'ils saisissent avec joie tous les prétextes pour différer à se confesser, et dès lors aussi à communier, afin de n'être pas obligés de veiller avec plus de soin sur eux mêmes.

5. Hélas ! qu'ils ont peu de piété, peu d'amour, ceux qui se privent si aisément de la sainte Communion !
Qu'il est heureux, au contraire, et agréable à Dieu, celui qui vit de telle sorte, et qui conserve sa conscience si pure, qu'il serait préparé à communier tous les jours, et communierait en effet s'il lui était permis, et qu'il pût le faire sans singularité !
Si quelqu'un s'en abstient quelquefois par humilité, ou par une cause légitime, on doit louer son respect.
Mais si sa ferveur s'est refroidie, il doit se ranimer, et faire tout ce qu'il peut ; et Dieu secondera ses désirs, à cause de la droiture de sa volonté, qu'il considère principalement.

6. Que si des motifs légitimes l'empêchent d'approcher de la sainte Table, il conservera toujours l'intention et le saint désir de communier, et ainsi il ne sera pas entièrement privé du fruit du Sacrement.
Quoique tout fidèle doive, à certains jours et au temps fixé, recevoir avec un tendre respect le Corps du Sauveur dans son Sacrement, et rechercher en cela plutôt la gloire de Dieu que sa propre consolation, cependant il peut aussi communier en esprit tous les jours, à toute heure, avec beaucoup de fruit.
Car il communie de cette manière, et se nourrit invisiblement de Jésus Christ, toutes les fois qu'il médite avec piété les mystères de son Incarnation et de sa Passion, et qu'il s'enflamme de son amour.

7. Celui qui ne se prépare à la Communion qu'aux approches des fêtes, ou quand la coutume l'y oblige, sera souvent mal préparé
Heureux celui qui s'offre au Seigneur en holocauste, toutes les fois qu'il célèbre le sacrifice ou qu'il communie.
Ne soyez, en célébrant les saints mystères, ni trop lent ni trop prompt ; mais conformez vous à l'usage ordinaire et régulier de ceux avec qui vous vivez.
Il ne faut point fatiguer les autres ni leur causer d'ennui, mais suivre l'ordre commun établi par vos pères, et consulter plutôt l'utilité de tous que votre attrait et votre piété particulière.

RÉFLEXION LIVRE IV / CHAPITRE X

Qu'il faille exciter des chrétiens à s'asseoir à la Table sainte, à se nourrir du pain de vie, à recevoir en eux l'auteur et le consommateur de la foi, le Sauveur des hommes, le Verbe de Dieu ; qu'ils cherchent de tous côtés des prétextes pour se tenir éloignés de lui, qu'ils regardent comme une dure obligation le devoir qu'impose l'Église de participer en certains temps au corps et au sang de Jésus Christ, c'est quelque chose de si prodigieux et tout ensemble de si effrayant, que l'âme fuit cette pensée, comme elle fuirait une vision de l'enfer. Mais parmi les fidèles que l'amour attire au banquet sacré de l'Époux, il en est qui, abusés par de tristes et fausses doctrines, ou retenus par les scrupules d'une conscience timide à l'excès, ne se croient jamais assez préparés, et se privent volontairement de la divine Eucharistie, à cause du respect même que leur inspire cet auguste sacrement. Sans doute on doit s'éprouver soi même ; sans doute il serait à désirer que ceux qui mangent le pain des Anges eussent toute la pureté de ces célestes esprits ; mais Celui qui connaît notre misère, et qui est venu la guérir, n'exige pas que l'homme soit parfait pour approcher de la source des grâces ; il demande seulement qu'il se soit purifié par la pénitence, et qu'il apporte au pied de l'autel un coeur contrit et humilié, un repentir sincère de ses fautes, une volonté droite, un amour ardent. Tandis que Jésus repousse et maudit les pharisiens, superbes observateurs de la loi, il accueille la femme pécheresse, il compatit à son humble douleur, il bénit ses larmes, et beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup aimé. Trop souvent les apparentes délicatesses de conscience qui séparent longtemps de la communion cachent un grand et coupable orgueil. Au lieu de s'abandonner aux conseils du guide qui tient la place de Dieu, on veut se conduire et se juger soi même : erreur funeste dont le dernier terme, le terme inévitable, est ou le désespoir, ou une effroyable présomption. Ne quittez, ne quittez jamais la voie de l'obéissance ; toutes les autres aboutissent à la perdition. Si l'on vous interdit l'accès de la Table sainte, abstenez vous et pleurez : car quel sujet plus légitime de pleurs ? Si l'on vous dit : Allez à Jésus dans le sacrement de son amour, approchez avec allégresse. Nulle disposition n'égale le sacrifice entier du raisonnement humain et de la volonté propre ; ayez en tout et toujours la simplicité d'un petit enfant : la simplicité du coeur est chère à Dieu ; il la bénit pour le temps, il la bénit pour l'éternité.

CHAPITRE XI : Que le corps de Jésus Christ et l'Écriture sainte sont très nécessaires à l'âme fidèle

VOIX DU DISCIPLE

1. Seigneur Jésus, quelles délices inondent l'âme fidèle admise à votre Table, où on ne lui présente d'autre aliment que vous même, son unique bien-aimé, le plus cher objet de ses désirs.
Oh ! qu'il me serait doux de répandre en votre présence des pleurs d'amour, et d'arroser vos pieds de mes larmes comme Madeleine.
Mais où est cette tendre piété et cette abondante effusion de larmes saintes ?
Certes, en votre présence et celle des saints Anges, tout mon coeur devrait s'embraser et se fondre de joie.
Car vous m'êtes véritablement présent dans votre Sacrement, quoique caché sous des apparences étrangères.

2. Mes yeux ne pourraient supporter l'éclat de votre divine lumière, et le monde entier s'évanouirait devant la splendeur de votre gloire.
C'est donc pour ménager ma faiblesse que vous vous cachez sous les voiles du Sacrement.
Je possède réellement et j'adore Celui que les anges adorent dans le ciel ; mais je ne le vois encore que par ma foi, tandis qu'ils le voient tel qu'il est, sans voile.
Il faut que je me contente de ce flambeau de la vraie foi, et que je marche à sa lumière, jusqu'à ce que luise l'aurore du jour éternel, et que les ombres des figures déclinent.
Mais quand ce qui est parfait sera venu, l'usage des sacrements cessera, parce que les bienheureux, dans la gloire céleste, n'ont plus besoin de secours.
Ils se réjouissent sans fin dans la présence de Dieu, et contemplent sa gloire face à face ; pénétrés de sa lumière et comme plongés dans l'abîme de sa divinité, ils goûtent le Verbe de Dieu fait chair, tel qu'il était au commencement et tel qu'il sera durant toute l'éternité.

3. Qu'au souvenir de ces merveilles tout me soit un pesant ennui, même les consolations spirituelles, car tandis que je ne verrai point le Seigneur mon Dieu dans l'éclat de sa gloire, tout ce que je vois, tout ce que j'entends en ce monde ne m'est rien.
Vous m'êtes témoin, Seigneur, que je ne trouve nulle part de consolation, de repos en nulle créature ; je ne puis en trouver qu'en vous seul, mon Dieu, que je désire contempler éternellement.
Mais cela ne peut être tant que je vivrai dans ce corps mortel.
Il faut donc que je me prépare à une grande patience, et que je soumette à votre volonté tous mes désirs.
Car vos Saints, Seigneur, qui, ravis d'allégresse, règnent maintenant avec vous dans le ciel, ont aussi, pendant qu'ils vivaient, attendu avec une grande foi et une grande patience l'avènement de votre gloire.
Je crois ce qu'ils ont cru ; ce qu'ils ont espéré, je l'espère ; j'ai la confiance de parvenir, aidé de votre grâce, là où ils sont parvenus.
Jusque là je marcherai dans la foi, fortifié par leurs exemples.
J'aurai aussi des livres saints pour me consoler et m'instruire, et par dessus tout votre sacré Corps, pour remède et pour refuge.

4. Car je sens que deux choses me sont ici bas souverainement nécessaires, et que sans elles je ne pourrais porter le poids cette misérable vie.
Enfermé dans la prison du corps, j'ai besoin d'aliments et de lumière.
C'est pourquoi vous avez donné à ce pauvre infirme votre chair sacrée, pour être la nourriture de son âme et de son corps, et votre parole pour luire comme une lampe devant ses pas.
Je ne pourrais vivre sans ces deux choses ; car la parole de Dieu est la lumière de l'âme, et votre sacrement le pain de vie.
On peut encore les regarder comme deux tables placées dans les trésors de l'Église.
L'une est la table de l'autel sacré, sur lequel repose un pain sanctifié, c'est à dire le Corps précieux de Jésus Christ.
L'autre est la table de la loi divine, qui contient la doctrine sainte, qui enseigne la vraie foi, qui soulève le voile du sanctuaire, et nous conduit avec sûreté jusque dans le Saint des saints.
Je vous rends grâces, Seigneur Jésus, lumière de l'éternelle lumière, de nous avoir donné par le ministère des prophètes, des apôtres et des autres docteurs, cette table de la doctrine sainte.

5. Je vous rends grâces, ô Créateur et Rédempteur des hommes, de ce qu'afin de manifester votre amour au monde vous avez préparé un grand festin, où vous nous offrez pour nourriture non l'agneau figuratif, mais votre très saint Corps et votre Sang.
Dans ce sacré banquet, que partagent avec nous les Anges, mais dont ils goûtent plus vivement la douceur, vous comblez de joie tous les fidèles, et vous les enivrez du calice du salut, qui contient toutes les délices du ciel.

6. Oh ! qu'elles sont grandes, qu'elles sont glorieuses les fonctions des prêtres, à qui il a été donné de consacrer le Dieu de majesté par des paroles saintes, de le bénir de leurs lèvres, de le tenir entre leurs mains, de le recevoir dans leur bouche et de le distribuer aux autres hommes !
Oh  ! qu'elles doivent  être innocentes les mains du prêtre, que sa bouche doit être pure, son corps saint, et son âme exempte des plus légères taches, pour recevoir si souvent l'auteur de la pureté !
Il ne doit sortir rien que de saint, rien que d'honnête, rien que d'utile, de la bouche du prêtre qui participe si fréquemment au sacrement de Jésus Christ.

7. Qu'ils soient simples et chastes les yeux qui contemplent habituellement le Corps de Jésus Christ. Qu'elles soient pures et élevées au ciel les mains qui touchent sans cesse le Créateur du ciel et de la terre. C'est aux prêtres surtout qu'il est dit dans la Loi : Soyez saints, parce que je suis saint, moi le Seigneur votre Dieu.

8. Que votre grâce nous aide, Dieu tout puissant ! nous qui avons été revêtus du sacerdoce, afin que nous puissions vous servir dignement, avec une vraie piété et une conscience pure.
Et si nous ne pouvons vivre dans une innocence aussi parfaite que nous le devrions, accordez nous du moins de pleurer sincèrement nos fautes et de former en esprit d'humilité la ferme résolution de vous servir désormais avec plus de ferveur.

RÉFLEXION  LIVRE IV  / CHAPITRE XI

Qu'est ce que la terre ? un lieu d'exil, une vallée de larmes, comme l'appelle l'Église. L'homme y cherche dans les ténèbres la vérité, qui est la vie de son intelligence, il y cherche, au milieu des maux sans nombre, un bien, il ne sait quel bien, immense, inépuisable, éternel, qui est la vie de son coeur : et tout ce qu'il cherche lui échappe. Le doute, l'opinion, l'erreur, fatiguent sa raison épuisée. Ce qu'il a cru des biens se change en amertume ; il trouve au fond de tout le vide et l'ennui. Est il seul, son âme retombe avec douleur sur elle-même ; il a besoin de support, et malheur à lui s'il met sa confiance dans les autres hommes !  Ils se masquent pour le surprendre, ils profanent pour le tromper le nom d'ami ; tandis que leur bouche lui sourit, ils lui tendent des pièges dans l'ombre, et quand à force de ruses, de mensonges et de basses noirceurs, ils l'ont enveloppé de leurs rets, tout à coup se dévoilant, ils se ruent sur lui et le dévorent, comme l'hyène dévore sa proie. Lamentable condition ! mais Dieu n'a pas abandonné sa pauvre créature dans ces extrémités de la misère. Il l'éclaire par sa parole, il la soutient par sa grâce, il l'anime, il la console par la foi d'une vie meilleure, par l'espérance de posséder, après ces jours d'épreuves, le bien auquel elle aspire, le bien infini, qui est lui même. Et ces dons merveilleux d'un amour inénarrable, rassemblés, concentrés en quelque sorte dans la divine Eucharistie, y sont offerts à nos désirs sans autre mesure que ces désirs mêmes. Toutes les fois que nous approchons  de cet auguste sacrement nous recevons en nous la sagesse, la lumière incréée, le Verbe de Dieu, la parole vivante : nous recevons l'Auteur de la grâce, le Consommateur de la foi, le gage immortel de notre espérance ; la chair crucifiée pour nous s'incorpore à notre chair, le sang qui a sauvé le monde se mêle à notre sang ; un saint baiser unit notre âme à l'âme du Rédempteur ; sa divinité nous pénètre et consume en nous tout ce que le péché avait corrompu ; l'ami fidèle repos dans notre sein, il nous parle, il nous dit : Pose moi comme un sceau sur ton coeur, car l'amour est plus fort que la mort ; et alors, embrasés de cet amour ardent comme le feu, nous ne voyons plus que le bien aimé, nous n'avons plus de vie que 1a sienne, et la tristesse de notre pèlerinage s'évanouit dans les joies du ciel.

CHAPITRE XII : Qu'on doit se préparer avec un grand soin à la sainte Communion

VOIX DU BIEN-AIMÉ

1. Je suis l'ami de la pureté, et c'est de moi que vient toute sainteté.
Je cherche un coeur pur, et là est le lieu de mon repos.
Préparez moi un grand Cénacle orné, et je célébrerai chez vous la Pâque avec mes disciples.
Si vous voulez que je vienne à vous, et que je demeure en vous, purifiez vous du vieux levain, et nettoyez la maison de votre coeur.
Bannissez-en les pensées du siècle et le tumulte des vices.
Comme le passereau qui gémit sur un toit solitaire, rappelez vous vos péchés dans l'amertume de votre âme.
Car un ami prépare toujours à son ami le lieu le meilleur et le plus beau ; et c'est ainsi qu'il lui fait connaître avec quelle affection il le reçoit.

2. Sachez cependant que vous ne pouvez, quels que soient vos propres efforts, vous préparer dignement, quand vous y emploieriez une année entière, sans vous occuper d'autre chose.
Mais c'est par ma grâce et, ma seule bonté qu'il vous est permis d'approcher de ma table, comme un mendiant invité au festin du riche, et qui n'a, pour reconnaître ce bienfait, que d'humbles actions de grâces.
Faites ce qui est en vous, et faites le avec un grand soin. Recevez, non pour suivre la coutume ou pour remplir un devoir rigoureux, mais avec crainte, avec respect, avec amour le Corps du Seigneur bien aimé, de votre Dieu, qui daigne venir à vous.
C'est moi qui vous appelle, qui vous commande de venir, je suppléerai à ce qui vous manque ; venez, et recevez moi.

3. Lorsque je vous accorde le don de la ferveur, remerciez en votre Dieu, car ce n'est pas que vous en soyez digne, mais parce que j'ai eu pitié de vous.
Si vous vous sentez, au contraire, aride, priez avec instance, gémissez et ne cessez point de frapper à la porte, jusqu'à ce que vous obteniez quelque miette de ma table, ou une goutte des eaux salutaires de la grâce.
Vous avez besoin de moi, et je n'ai pas besoin de vous. Vous ne venez pas à moi pour me sanctifier ; mais c'est moi qui viens à vous pour vous rendre meilleur et plus saint.
Vous venez pour que je vous sanctifie, et pour vous unir à moi, pour recevoir une grâce nouvelle, et vous enflammer d'une nouvelle ardeur d'avancer dans la vertu.
Ne négligez point cette grâce ;  mais préparez votre coeur avec un soin extrême, et recevez votre bien aimé.

4. Mais il ne faut pas seulement vous exciter à la ferveur avant la communion, il faut encore travailler à vous y conserver après ; et la vigilance qui la doit suivre n'est pas moins nécessaire que la préparation qui la précède, car cette vigilance est elle même la meilleure préparation pour obtenir une grâce plus grande.
Rien, au contraire, n'éloigne davantage des dispositions où l'on doit être pour communier, que de se trop répandre au dehors en sortant de la Table sainte.
Parlez peu, retirez vous dans un lieu secret, et jouissez de votre Dieu.
Car vous possédez celui que le monde entier ne peut vous ravir.
Je suis celui à qui vous devez vous donner sans réserve, de sorte que, dégagé de toute inquiétude, vous ne viviez plus en vous, mais en moi.

RÉFLEXION LIVRE IV / CHAPITRE XII

La préparation à la Pâque nouvelle comprend deux choses : il faut purifier le cénacle et il faut l'orner : c'est à dire que pour recevoir dignement le corps et le sang de Jésus Christ, l'âme doit être avant tout exempte de souillures, elle doit être lavée dans les eaux de la pénitence, et ensuite s'être exercée à la pratique des vertus, qui la rendent agréable à Dieu. Ce qui plaît au Seigneur, ce qui attire ses grâces, c'est une profonde humilité, un nouveau mépris de soi même, une foi vive, un abandon parfait à ses volontés, le détachement de la terre et le désir des biens célestes, la charité qui est douce, patiente, qui n'est point jalouse, qui n'agit point témérairement, qui ne s'enfle point d'orgueil, qui n'est point ambitieuse, qui ne cherche point ses intérêts, qui ne s'aigrit de rien, ne soupçonne point le mal, ne se réjouit point de l'injustice, mais se réjouit de la vérité ; qui souffre tout, croit tout, espère tout, supporte tout : charité vraiment divine, et, selon la doctrine du grand Apôtre, préférable à tout ce qu'il y a de plus élevé. Quand je parlerais toutes les langues des hommes et le langage des Anges, si je n'ai point la charité, je suis comme un airain sonnant ou une cymbale retentissante. Et quand j'aurais le don de prophétie, quand je pénétrerais tous les mystères et que je posséderais toute science, quand j'aurais la foi parfaite jusqu'à transporter les montagnes, si je n'ai point la charité, je ne suis rien. Et quand j'aurais distribué tous mes biens pour nourrir les pauvres, et livré mon corps aux flammes, si je n'ai point la charité, tout cela ne me sert de rien. Âme chrétienne, qui aspirez au banquet nuptial, imitez donc les Vierges sages : prenez de l'huile, allumez votre lampe pour allez au devant de l'Époux ; car celles dont les lampes seront éteintes entendront cette parole terrible : En vérité, je ne vous connais point.

CHAPITRE XIII : Que le fidèle doit désirer de tout son coeur de s'unir à Jésus Christ dans la Communion

VOIX DU DISCIPLE

1. Qui me donnera, Seigneur, de vous trouver seul, et de vous ouvrir tout mon coeur, et de jouir de vous comme mon âme le désire ; de sorte que je ne sois plus pour personne un objet de mépris, et qu'étranger à toute créature, vous me parliez seul, et moi à vous, comme un ami parle à son ami, qui s'assied avec lui à la même table ?
Ce que je demande, ce que je désire, c'est d'être uni tout entier à vous, que mon coeur se détache de toutes les choses créées, et que par la sainte Communion et la fréquente célébration des divins mystères j'apprenne à goûter les choses du ciel et de l'éternité.
Ah ! Seigneur mon Dieu, quand, m'oubliant tout à fait moi même, serai je parfaitement uni à vous et absorbé en vous ?
Que je sois en vous, et vous en moi, et que cette union soit inaltérable.

2. Vous êtes vraiment mon bien aimé, choisi entre mille, en qui mon âme se complaît et veut demeurer à jamais.
Vous êtes le Roi pacifique ; en vous est la paix souveraine et le vrai repos ; hors de vous, il n'y a que travail, douleurs, misère infinie.
Vous êtes vraiment un Dieu caché, vous vous éloignez des impies, mais vous aimez à converser avec les humbles et les simples.
Oh ! que votre tendresse est touchante Seigneur, vous qui,  pour montrer à vos enfants tout votre amour, daignez les rassasier d'un pain délicieux qui descend du ciel !
Certes, nul autre peuple, quelque grand qu'il soit, n'a des dieux qui s'approchent de lui comme vous, ô mon Dieu ; vous vous rendez présent à tous vos fidèles, vous donnant vous même à eux chaque jour pour être leur nourriture, et pour qu'ils jouissent de vous, afin de les consoler et d'élever leur coeur vers le ciel.

3. Quel est le peuple, en effet, comparable au peuple chrétien ? Quelle est, sous le ciel, la créature aussi chérie que l'âme fervente en qui Dieu daigne entrer pour la nourrir de sa chair glorieuse ?
O faveur ineffable ! ô condescendance merveilleuse ! ô amour infini qui n'a été montré qu'à l'homme !
Mais que rendrai je au Seigneur pour cette grâce, pour cette immense charité ?
Je ne puis rien offrir à mon Dieu qui lui soit plus agréable que lui donner mon coeur sans réserve, et de m'unir intimement à lui.
Alors mes entrailles tressailliront de joie, lorsque mon âme sera parfaitement unie à Dieu !
Alors il me dira : Si vous voulez être avec moi, je veux être avec vous. Et je lui répondrai : Daignez demeurer avec moi, Seigneur, je désire ardemment d'être avec vous. Tout mon désir est que mon coeur vous soit uni.

RÉFLEXION LIVRE IV / CHAPITRE XIII

Je m'abandonne à vous, ô mon  Dieu !  à votre unité, pour être fait un avec vous ; à votre infinité  et à votre immensité incompréhensible, pour m'y perdre et m'y oublier moi même ; à votre sagesse infinie, pour y être gouverné selon vos desseins, et  non pas selon mes pensées ; à vos décrets éternels, connus et  inconnus, pour m'y conformer  parce qu'ils sont tous également
justes ; à votre éternité, pour en faire mon bonheur ; à votre toute puissance, pour être toujours sous votre main ; à votre  bonté paternelle, afin que dans le temps que vous m'avez marqué, vous receviez mon esprit entre vos bras ; à votre justice,  autant qu'elle justifie l'impie et le pécheur, afin que d'impie et de pécheur vous me fassiez  juste et saint. Il n'y a qu'à cette justice qui punit les crimes que je ne veux pas m'abandonner car ce serait m'abandonner à  la damnation que je mérite ; et  néanmoins, Seigneur, elle est  sainte, cette justice, comme tous vos autres attributs ; elle est sainte et ne doit pas être privée de son sacrifice. Il faut donc aussi m'y abandonner, et voici que Jésus Christ se présente, afin que je m'y abandonne en lui et par lui !

CHAPITRE XIV : Du désir ardent que quelques âmes saintes ont de recevoir le corps de Jésus Christ

VOIX DU DISCIPLE

1. Combien est grande, ô mon Dieu ! l'abondance de douceur que vous avez réservée à ceux qui vous craignent !
Quand je viens à considérer avec quel désir et quel amour quelques âmes fidèles s'approchent, Seigneur, de votre sacrement, alors je me confonds souvent en moi même, et je rougis de me présenter à votre autel et à la table sacrée de la communion avec tant de froideur et de sécheresse ; d'y porter un coeur si aride, si tiède, et de ne point ressentir cet attrait puissant, cette ardeur qu'éprouvent quelques-uns de vos serviteurs, qui, en se disposant à vous recevoir, ne sauraient retenir leurs larmes, tant le désir qui les presse est grand, et leur émotion profonde.
Ils ont soif de vous, ô mon Dieu ! qui êtes la source d'eau vive ; et leur coeur et leur bouche s'ouvrent également pour s'y désaltérer. Rien ne peut rassasier ni tempérer leur faim que votre sacré Corps, qu'ils reçoivent avec une sainte avidité et les transports d'une joie ineffable.

2. Oh ! que cette ardente foi est une preuve sensible de votre présence dans le sacrement !
Car ils reconnaissent véritablement le Seigneur dans la fraction du pain, ceux dont le coeur est tout brûlant lorsque Jésus est avec eux.
Qu'une affection si tendre, un amour si vif est souvent loin de moi !
Soyez moi propice, ô bon Jésus ! plein de douceur et de miséricorde ! Ayez pitié d'un pauvre mendiant, et faites que j'éprouve au moins quelquefois, dans la sainte Communion, quelques mouvements de cet amour qui embrase tout le coeur, afin que ma foi s'affermisse, que mon espérance en votre bonté s'accroisse, et qu'enflammé par cette manne céleste, jamais la charité ne s'éteigne en moi.

3. Dieu de bonté, vous êtes tout-puissant pour m'accorder la grâce que j'implore, pour me remplir de l'esprit de ferveur, et me visiter dans votre clémence, quand le jour choisi par vous sera venu.
Car, encore que je ne brûle pas de la même ardeur que ces âmes pieuses, cependant, par votre
grâce, j'aspire à leur ressembler, désirant et demandant d'être compté parmi ceux qui ont pour vous un si vif amour, et d'entrer dans leur société sainte.

RÉFLEXION LIVRE IV / CHAPITRE XIV

Avant le jour de la Pâque, Jésus sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père, comme il avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'à la fin. Ce fut alors qu'il institua la divine Eucharistie, comme pour perpétuer sa demeure au milieu des disciples qu'il avait aimés et de tous ceux qu'il aimerait jusqu'à la consommation des siècles, accomplissant ainsi cette promesse : Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai à vous ; et il est venu, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire du Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité. Il est vrai que sa présence se dérobe à nos sens ; mais elle n'en est ni moins réelle, ni moins efficace : ainsi je crois, Seigneur, ainsi j'adore. Si Jésus Christ, en se donnant à nous dans le sacrement de l'autel, ne se couvrait pas d'un voile, s'il ne retenait pas en soi une partie de sa lumière, s'il se montrait tout ce qu'il est, plus beau qu'aucun des enfants des hommes, et avec une tendresse ineffable aspirant de s'unir à nous, corps à corps, coeur à coeur, esprit à esprit, notre frêle humanité ne pourrait supporter le poids d'une félicité semblable, et l'âme briserait ses liens mortels. C'est pourquoi le divin Sauveur a voulu ne se rendre visible qu'à la foi seule, et la foi suffit pour embraser de telles ardeurs les vrais fidèles, qu'il n'est rien sur la terre de comparable à leur amour. Aucune langue ne peut exprimer ce qui se passe, dans le secret du coeur, entre l'Epoux et l'Épouse : ces transports, ce calme, ces élans du désir, cette joie de la possession, ces chastes embrassements de deux âmes perdues l'une dans l'autre, cette douce langueur, ces paroles brûlantes, ce silence plus ravissant. Ah ! si vous saviez le don de Dieu, et quel est celui qui vous dit : Donnez moi à boire, vous lui demanderiez vous même, et il vous donnerait de l'eau vive. Tous les saints lui ont demandé, et il a entendu leur voix, et il les a désaltérés à la source éternelle. Demandez aussi, priez, suppliez ; l'esprit et l'époux disent : Venez. Et que celui qui écoute dise : Venez. Que celui qui a soif vienne, et que celui qui veut reçoive gratuitement l'eau qui donne la vie. Et l'Époux dit : Je viens. Ainsi soit il. Venez, Seigneur Jésus.

CHAPITRE XV : Que la grâce de la dévotion s'acquiert par l'humilité et l'abnégation de soi-même

VOIX DU BIEN-AIMÉ

1. Il faut désirer ardemment la grâce de la ferveur, ne vous lasser jamais de la demander, l'attendre patiemment et avec confiance, la recevoir avec gratitude, la conserver avec humilité, concourir avec zèle à son opération, et, jusqu'à ce que Dieu vienne à vous, ne vous point inquiéter en quel temps et de quelle manière il lui plaira de vous visiter.
Vous devez surtout vous humilier, lorsque vous ne sentez en vous que peu ou point de ferveur ; mais ne vous laissez point trop abattre, et ne vous affligez point avec excès.
Souvent Dieu donne en un moment ce qu'il a longtemps refusé ; il accorde quelquefois à la fin de la prière ce qu'il a différé de donner au commencement.

2. Si la grâce était toujours donnée aussitôt qu'on la désire, ce serait une tentation pour la faiblesse de l'homme.
C'est pourquoi l'on doit attendre la grâce de la ferveur avec une confiance ferme et une humble patience.
Lorsqu'elle vous est cependant ou refusée ou ôtée secrètement, ne l'imputez qu'à vous même et à vos péchés.
C'est souvent peu de chose qui arrête, ou qui affaiblit la grâce ; si pourtant l'on peut appeler peu de chose, et si l'on ne doit pas plutôt compter pour beaucoup, ce qui nous prive d'un si grand bien.
Mais quel que soit cet obstacle, si vous le surmontez parfaitement, vous obtiendrez ce que vous demandez.

3. Car, dès que vous vous serez donné à Dieu de tout votre coeur, et que, cessant d'errer d'objets en objets au gré de vos désirs, vous vous serez remis entièrement entre ses mains, vous trouverez la paix dans cette union, parce que rien ne vous sera doux que ce qui peut lui plaire.
Quiconque élèvera son intention vers Dieu avec un coeur simple, et se dégagera de tout amour et de toute aversion déréglée des créatures, sera propre à recevoir la grâce et digne du don de la ferveur.
Car Dieu répand sa bénédiction où il trouve des vases vides ; et plus un homme renonce parfaitement aux choses d'ici-bas, plus il se méprise et meurt à lui même, plus la grâce vient à lui promptement, plus elle remplit son coeur, et l'affranchit et l'élève.

4. Alors, ravi d'étonnement, il verra ce qu'il n'avait point vu, et il sera dans l'abondance, et son coeur se dilatera, parce que le Seigneur est avec lui, et qu'il s'est lui même remis sans réserve et pour toujours entre ses mains.
C'est ainsi que sera béni l'homme qui cherche Dieu de tout son coeur, et qui n'a pas reçu son âme en vain.
Ce disciple fidèle, en recevant la sainte Eucharistie, mérite d'obtenir la grâce d'une union plus grande avec le Seigneur, parce qu'il ne considère point ce qui lui est doux, ce qui le console, mais au dessus de toute douceur et de toute consolation, l'honneur et la gloire de Dieu.

RÉFLEXION LIVRE IV / CHAPITRE XV

Bien qu'on doive aimer Dieu pour lui seul, il est permis de désirer ses dons, pourvu que l'on demeure pleinement soumis à sa volonté sainte. Les grâces les plus précieuses ne sont pas toujours les grâces senties, celles qui, pour ainsi dire, inondent l'âme de lumière et de joie. Elles peuvent, si l'on n'y prend garde, exciter la vaine complaisance. Souvent il est plus sûr de marcher en cette vie dans les ténèbres de la pure foi, d'être éprouvé par la tristesse, la souffrance, l'amertume, et de porter la Croix intérieure comme Jésus, lorsqu'il s'écriait : Mon Père ! pourquoi m'avez vous délaissé ? Alors tout orgueil est abattu ; on ne trouve en soi qu'infirmité ; on s'humilie sous la main qui frappe, mais qui frappe pour guérir, et ce saint exercice d'abnégation, plus méritoire pour l'âme fidèle et plus agréable à Dieu qu'aucune ferveur sensible, attendrit le céleste Époux et le ramène près de l'Épouse, qui, privée de son bien aimé, veillait dans sa douleur, semblable au passereau solitaire qui gémit sous le toit. Il se découvre à elle dans la divine Eucharistie ; il la console, il essuie ses larmes, il lui prodigue ses chastes caresses, il l'embrase de son amour, comme les disciples d'Emmaüs, alors qu'ils disaient : Notre coeur n'était il pas tout brûlant au-dedans de nous lorsqu'il nous parlait dans le chemin, et nous ouvrait les Écritures ? Seigneur, je m'avoue indigne de goûter ces ravissantes douceurs. Je connais mon iniquité, et mon péché est sans cesse devant moi. Que me devez vous, sinon la rigueur et le châtiment ? Et toutefois j'oserai implorer votre miséricorde immense ; je m'approcherai, le front contre terre, de la source d'eau vive, espérant que votre pitié en laissera tomber quelques gouttes sur mon âme aride. Accordez moi, Seigneur, ce rafraîchissement avant que je m'en aille, et bientôt je ne serai plus.

CHAPITRE XVI : Qu'il faut dans la Communion exposer ses besoin à Jésus Christ et lui demander sa grâce.

VOIX DU DISCIPLE

1. Seigneur plein de tendresse et de bonté, que je désire recevoir en ce moment avec un pieux respect, vous connaissez mon infirmité et mes pressants besoins, vous savez en combien de maux et de vices je suis plongé, quels sont mes peines, mes tentations, mes troubles et mes souillures.
Je viens à vous chercher le remède pour obtenir un peu de soulagement et de consolation.
Je parle à Celui qui sait tout, qui voit tout ce qu'il y a de plus secret en moi, et qui seul peut me secourir et me consoler parfaitement.
Vous savez quels biens me sont principalement nécessaires, et combien je suis pauvre en vertu.

2. Voilà que je suis devant vous, pauvre et nu, demandant votre grâce, implorant votre miséricorde.
Rassasiez ce mendiant affamé, réchauffez ma froideur du feu de votre amour, éclairez mes ténèbres par la lumière de votre présence.
Changez pour moi toutes les choses de la terre en amertume ; faites que tout ce qui m'est dur et pénible fortifie ma patience : que je méprise et que j'oublie tout ce qui est créé, tout ce qui passe. Élevez mon coeur à vous dans le ciel, et ne me laissez pas errer sur la terre.
Que, de ce moment et à jamais, rien ne me soit doux que vous seul, parce que vous seul êtes ma nourriture, mon breuvage, mon amour, ma joie, ma douceur et tout mon bien.

3. Oh ! que ne puis je, enflammé, embrasé par votre présence, être transformé en vous, de sorte que je devienne un même esprit avec vous, par la grâce d'une union intime, et par l'effusion d'un ardent amour !
Ne souffrez pas que je m'éloigne de vous, sans m'être rassasié et désaltéré ; mais usez envers moi de la même miséricorde dont vous avez souvent usé avec vos saints d'une manière si merveilleuse.
Qui pourrait s'étonner qu'en m'approchant de vous je fusse entièrement consumé de votre ardeur, puisque vous êtes un feu qui brûle toujours et ne s'éteint jamais, un amour qui purifie les coeurs et qui éclaire l'intelligence ?

RÉFLEXION LIVRE IV / CHAPITRE XVI

Ce n'est point en nous efforçant d'élever notre esprit à de sublimes pensées que nous recueillerons le fruit de la sainte Communion, mais en adorant, pleins d'amour, Jésus Christ en nous, en lui ouvrant notre coeur avec une grande confiance et une grande simplicité, comme un ami parle à son ami. Nous avons des besoins, il faut les lui exposer. Nous sommes couverts de plaies, il faut les lui montrer, afin qu'il les lave dans son divin sang. Nous sommes faibles, il faut lui demander de ranimer nos forces. Nous sommes nus, affamés, altérés, il faut lui dire : Ayez pitié de ce pauvre mendiant. De lui découlent toutes les grâces. Écoutez ces paroles : Je suis la résurrection et la vie ; celui qui croit en moi, encore qu'il soit mort, il vivra : et tout homme qui vit et qui croit en moi ne mourra point à jamais. Croyez vous ainsi ? O  chrétien ! je ne te dis plus rien : C'est Jésus Christ qui te parle en la personne de Marthe ; réponds avec elle : Oui, Seigneur, je crois que vous, êtes le Christ, Fils du Dieu vivant,  qui êtes venu en ce monde.  Ajoutez avec saint Paul : Afin de sauver les pécheurs, desquels je suis le premier. Crois donc, âme chrétienne, adore, espère, aime. O Jésus ! ôtez les voiles, et que je vous voie.  O Jésus ! parlez dans mon coeur, et faites que je vous écoute. Parlez, parlez, parlez ; il n'y a plus qu'un moment : parlez. Donnez moi des larmes pour vous répondre : frappez la pierre ; et que les eaux d'un amour plein d'espérance, pénétré de reconnaissance, coulent jusqu'à terre.

CHAPITRE XVII : Du désir ardent de recevoir Jésus Christ

VOIX DU DISCIPLE

1. Seigneur, je désire vous recevoir avec un pieux et ardent amour, avec toute la tendresse et l'affection de mon coeur, comme vous ont désiré dans la communion tant de Saints et de fidèles qui vous étaient si chers à cause de leur vie pure et de leur fervente piété.
O mon Dieu ! Amour éternel, mon unique bien, ma félicité toujours durable, je désire vous recevoir avec toute la ferveur, tout le respect qu'ait jamais pu ressentir aucun de vos Saints.

2. Et, quoique je sois indigne d'éprouver ces admirables sentiments d'amour, je vous offre cependant toute l'affection de mon coeur, comme si j'étais animé seul de ces désirs enflammés qui vous sont si agréables.
Tout ce que peut concevoir et désirer une âme pieuse, je vous le présente, je vous l'offre, avec un respect profond et une vive ardeur.
Je ne veux rien me réserver ; mais je veux vous offrir sans réserve le sacrifice de moi même et de tout ce qui est à moi.
Seigneur mon Dieu, mon Créateur et mon Rédempteur, je désire vous recevoir aujourd'hui avec autant de ferveur et de respect, avec autant de zèle pour votre gloire, avec autant de reconnaissance, de sainteté, d'amour, de foi, d'espérance et de pureté, que vous désira et vous reçut votre sainte Mère, la glorieuse Vierge Marie, lorsque, l'Ange lui annonçant le mystère de l'Incarnation, elle répondit avec une pieuse humilité : Voici la servante du Seigneur ; qu'il me soit fait selon votre parole.

3. Et de même que votre bienheureux précurseur, le plus grand des Saints, Jean Baptiste, lorsqu'il était encore dans le sein de sa mère, tressaillit de joie en votre présence par un mouvement du Saint Esprit, et que vous voyant ensuite converser avec les hommes, il disait avec un tendre amour et en s'humiliant profondément : L'ami de l'époux, qui est près de lui et qui l'écoute, est ravi d'allégresse, parce qu'il entend la voix de l'époux, ainsi je voudrais être embrasé des plus saints, des plus ardents désirs, et m'offrir à vous de toute l'affection de mon coeur.
C'est pourquoi je vous offre tous les transports d'amour et de joie, les extases, les ravissements, les révélations, les visions célestes de toutes les âmes saintes, avec les hommages que vous rendent et vous rendront à jamais toutes les créatures dans le ciel et sur la terre ; je vous les offre ainsi que leurs vertus, pour moi et pour tous ceux qui se sont recommandés à mes prières, afin qu'ils célèbrent dignement vos louanges, et vous glorifient éternellement.

4. Seigneur mon Dieu, recevez mes voeux et le désir qui m'anime de vous louer, et de vous bénir, avec l'amour immense, infini, dû  à votre ineffable grandeur.
Voilà ce que je vous offre, et ce que je voudrais vous offrir chaque jour et à chaque moment, je prie et je conjure de tout mon coeur tous les esprits célestes et tous vos fidèles serviteurs de s'unir à moi pour vous louer et pour vous rendre de dignes actions de grâces.

5. Que tous les peuples, toutes les tribus, toutes les langues vous bénissent, et célèbrent dans des transports de joie et d'amour la douceur et la sainteté de votre nom.
Que tous ceux qui offrent avec révérence et avec piété les divins mystères, et qui les reçoivent avec une pleine foi, trouvent devant vous grâce et miséricorde et qu'ils prient avec instance pour moi, pauvre pécheur.
Et lorsque, après s'être unis à vous, selon leurs pieux désirs, ils se retireront de la Table sainte rassasiés et consolés merveilleusement, qu'ils daignent se souvenir de moi, qui languis dans l'indigence.

RÉFLEXION LIVRE IV / CHAPITRE XVII

Que cet adorable sacrement opère en moi, ô mon Sauveur,  la rémission de mes péchés ;  que ce sang divin me purifie,  qu'il lave toutes les taches qui ont souillé cette robe nuptiale  dont vous m'aviez revêtu dans le baptême, afin que je puisse  m'asseoir avec assurance au banquet des noces de votre  Fils. Je suis, je l'avoue, une  âme pécheresse, une épouse infidèle, qui ai manqué une  infinité de fois à la foi donnée.  Mais revenez, me dites vous, ô Seigneur ! revenez, je vous recevrai, pourvu que vous ayez  repris votre première robe et  que vous portiez, dans l'anneau  que l'on vous met au doigt, la marque de l'union où le Verbe divin entre avec vous. Rendez moi cet anneau mystique ; revêtez moi de nouveau, ô mon Père ! comme un enfant prodigue qui retourne à  vous,  de cette robe de l'innocence et de la sainteté que je dois apporter à votre Table. C'est l'immortelle parure que vous nous demandez, vous qui êtes en même temps l'époux, le convive et la victime immolée qu'on nous donne à manger. C'est à cette Table mystique que l'on trouve l'accomplissement de cette parole : Qui me mange vivra pour moi. Qu'elle s'accomplisse en moi, ô mon Sauveur ! que j'en sente l'effet :
transportez moi en vous, et que ce soit  vous même qui viviez en moi. Mais  pour cela, que je m'approche de ce céleste repas avec les habits les plus magnifiques ; que j'y vienne avec toutes les vertus ; que j'y coure avec une joie digne d'un tel festin et de la viande immortelle que vous m'y donnez.

CHAPITRE XVIII : Qu'on ne doit point chercher à pénétrer le mystère de l'Eucharistie, mais qu'il faut soumettre ses sens à la Foi

VOIX DU BIEN-AIMÉ

1. Gardez vous du désir curieux et inutile de sonder ce profond mystère, si vous ne voulez pas vous plonger dans un abîme de doutes.
Celui qui scrute la majesté sera accablé par la gloire.
Dieu peut faire plus que l'homme ne peut comprendre.
On ne défend pas une humble et pieuse recherche de la vérité, pourvu qu'on soit toujours prêt à se laisser instruire, et qu'on s'attache fidèlement à la sainte doctrine des Pères.

2. Heureuse la simplicité qui laisse le sentier des questions difficiles, pour marcher dans la voie droite et sûre des commandements de Dieu.
Plusieurs ont perdu la piété en voulant approfondir ce qui est impénétrable.
Ce qu'on demande de vous, c'est la foi et une vie pure, et non une intelligence qui pénètre la profondeur des mystères de Dieu.
Si vous ne comprenez pas ce qui est au dessous de vous, comment comprendrez vous ce qui est au dessus ?
Soumettez vous humblement à Dieu, captivez votre raison sous le joug de la foi, et vous recevrez la lumière de la science, selon qu'il vous sera utile ou nécessaire.

3. Plusieurs sont violemment tentés sur la foi à ce sacrement ; mais il faut l'imputer moins à eux qu'à l'ennemi.
Ne vous troublez point, ne disputez point avec vos pensées, ne répondez point aux doutes que le démon vous suggère ; mais croyez à la parole de Dieu, croyez à ses Saints et à ses Prophètes, et l'esprit de malice s'enfuira loin de vous.
Il est souvent très utile à un serviteur de Dieu d'être éprouvé ainsi.
Car le démon ne tente point les infidèles et les pécheurs qui sont à lui déjà ; mais il attaque et tourmente de diverses manières les âmes pieuses et fidèles.

4. Allez donc avec une foi simple et inébranlable, et recevez le sacrement avec un humble respect, vous reposant sur la toute puissance de Dieu de ce que vous ne pourrez comprendre.
Dieu ne trompe point ; mais celui qui se croit lui même est trop souvent trompé.
Dieu s'approche des simples il se révèle aux humbles, il donne l'intelligence aux petits, et il cache sa grâce aux curieux et aux superbes.
La raison de l'homme est faible, et se trompe aisément ; mais la vraie foi ne peut être trompée.

5. La raison et toutes les recherches naturelles doivent suivre la foi et non la précéder ni la combattre.
Car la foi et l'amour s'élèvent par dessus tout, et opèrent d'une manière inconnue dans le très saint et très auguste sacrement.
Dieu, éternel, immense, infiniment puissant, fait dans le ciel et sur la terre des choses grandes, incompréhensibles, et nul ne saurait pénétrer ses merveilles.
Si les oeuvres de Dieu étaient telles que la raison de l'homme pût aisément les comprendre, elles cesseraient d'être merveilleuses et ne pourraient être appelées ineffables.

RÉFLEXION LIVRE IV / CHAPITRE XVIII

L'impie veut savoir, et c'est là sa perte. Il demande le salut à la science, il le demande à l'orgueil, il se le demande à lui-même : et du fond de son intelligence ténébreuse, de sa nature impuissante et dégradée, sort une réponse de mort. Chrétiens, ne l'oubliez jamais, le juste vit de la foi. Vivez donc de la foi, en vivant de l'adorable Eucharistie, qui en est la plus forte comme la plus douce épreuve. Celui qui est la voie, la vérité, la vie, Jésus Christ, Fils de Dieu, a parlé ; il a dit : Ceci est mon corps, ceci est mon sang, le croyez vous ainsi ? Oui, je le crois ainsi, Seigneur. Le ciel et la terre passeront, mais vos paroles ne passeront point. Je crois et je confesse que ce qui était du pain est vraiment votre corps, que ce qui était du vin est vraiment votre sang. Mon esprit se soumet et impose silence aux sens révoltés. Dieu a tant aimé l'homme, qu'il a donné pour lui son Fils unique : et pour compléter, pour perpétuer à jamais ce grand don, le Fils aussi se donne à l'homme, tous les jours à la Table sainte, réellement et substantiellement. Encore un coup, je crois, Seigneur, je crois à l'amour que Dieu a eu pour nous, à l'amour du Père, à l'amour du Fils ; et cet amour infini explique tout, éclaircit tout, satisfait à tout. Qu'importe  que nous comprenions ? Ne savons nous pas que vos voies sont impénétrables, et que celui qui scrute la majesté sera opprimé par la gloire ? Notre bonheur est de croire sans comprendre ; notre bonheur est de nous plonger les yeux fermés et de nous perdre dans l'abîme incompréhensible de votre amour. Que la raison superbe et contentieuse se taise donc, qu'elle cesse d'opposer insolemment sa faiblesse à votre toute puissance. À ses doutes, à ses demandes curieuses, nous n'avons qu'une réponse : Dieu a tant aimé ! et cette réponse suffit, et nulle autre ne suffit sans elle. Elle pénètre, comme une vive lumière, au fond du coeur en état de l'entendre, du coeur qui croit à l'amour, qui sait et qui sent ce que c'est que d'aimer. Vous vous étonnez qu'un Dieu se cache sous les apparences d'un pain terrestre et corruptible, que le Sauveur des hommes se soit fait leur aliment ; vous hésitez, votre foi chancelle : c'est que vous n'aimez pas ! Et vous, âmes croyantes, âmes fidèles, allez à l'autel, avec joie, fermeté, confiance ; allez à Jésus, allez au banquet mystérieux de l'amour. Et où irions nous, Seigneur ? Quoi ! à la chair et au sang, à la raison, à la philosophie ? aux sages du monde ? aux murmurateurs, aux incrédules, à ceux qui sont encore tous les jours à nous demander : Comment nous peut-il donner sa chair à manger ? comment est il dans le ciel, si en même temps on le mange sur la terre ? Non, Seigneur, nous ne voulons point aller à eux, ni suivre ceux qui vous quittent. Nous suivrons saint Pierre et nous dirons : Maître, où irions nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle.

FIN