Carmel

L'Imitation de Jésus-Christ - Livre II

Instructions pour avancer dans la vie intérieure

CHAPITRE I : De la conversion intérieure

1. Le royaume de Dieu est au-dedans de vous, dit le Seigneur.
Revenez à Dieu de tout votre coeur, laissez là ce misérable monde, et votre âme trouvera le repos.
Apprenez à mépriser les choses extérieures et à vous donner aux intérieures, et vous verrez le royaume de Dieu venir en vous.
Car le royaume de Dieu est paix et joie dans l'Esprit Saint : ce qui n'est pas donné aux impies. Jésus Christ viendra à vous, et il vous remplira de ses consolations, si vous lui préparez au-dedans de vous une demeure digne de lui.
Toute sa gloire et toute sa beauté est intérieure ; et c'est dans le secret du coeur qu'il se plaît.
Il visite souvent l'homme intérieur, et ses entretiens sont doux, ses consolations ravissantes ; sa paix est inépuisable, et sa familiarité incompréhensible.

2. Âme fidèle, hâtez vous donc de préparer votre coeur pour l'époux, afin qu'il daigne venir et habiter en vous.
Car il a dit : Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure. Laissez donc entrer Jésus en vous, et n'y laissez entrer que lui.
Lorsque vous posséderez Jésus, vous serez riche, et lui seul vous suffit. Il veillera sur vous, il prendra de vous un soin fidèle en toutes choses, de sorte que vous n'aurez plus besoin de rien attendre des hommes.
Car les hommes changent vite, et vous manquent tout d'un coup mais Jésus Christ demeure éternellement : inébranlable dans sa constance, il est près de vous jusqu'à la fin.

3. On ne doit guère compter sur un homme fragile et mortel, encore bien qu'il nous soit utile et que vous soyez chers l'un à l'autre, et il n'y a pas lieu de s'attrister beaucoup, si quelquefois il vous traverse et s'élève contre vous.
Ceux qui sont aujourd'hui pour vous pourront demain être contre vous, et réciproquement : les hommes changent comme le vent.
Mettez en Dieu toute votre confiance ; qu'il soit votre crainte et votre amour : il répondra pour vous, et il fera ce qui est le meilleur.
Vous n'avez point de demeure stable : en quelque lieu que vous soyez, vous êtes étranger et voyageur ; et vous n'aurez jamais de repos que vous ne soyez unis intimement à Jésus Christ.

4. Que cherchez vous autour de vous ? Ce n'est pas ici le lieu de votre repos.
Votre demeure doit être dans le ciel, et vous ne devez regarder toutes les choses de la terre que comme en passant.
Tout passe, et vous passez avec tout le reste.
Prenez garde de vous attacher à quoi que ce soit, de peur d'en devenir l'esclave et de vous perdre.
Que sans cesse votre pensée monte vers le Très Haut, et votre prière vers Jésus Christ.
Si vous ne savez pas encore vous élever aux contemplations célestes, reposez vous dans la Passion du Sauveur, et aimez à demeurer dans ses plaies sacrées.
Car si vous vous réfugiez avec amour dans ces plaies et ces précieux stigmates, vous sentirez une grande force au temps de la tribulation ; vous vous inquiéterez peu du mépris des hommes et vous supporterez aisément les paroles médisantes.

5. Jésus Christ a été aussi méprisé des hommes en ce monde, et, dans les plus extrêmes angoisses, abandonné des siens, de ses amis, de ses proches, au milieu des opprobres.
Jésus Christ a voulu souffrir et être méprisé, et vous osez vous plaindre de quelque chose !
Jésus Christ a eu des ennemis et des détracteurs, et vous ne voudriez avoir que des amis et des bienfaiteurs !
Comment votre patience méritera t elle d'être couronnée, s'il ne vous arrive rien de pénible ? Si vous ne voulez rien souffrir, comment serez vous ami de Jésus Christ ?
Souffrez avec Jésus Christ et pour Jésus Christ, si vous voulez régner avec Jésus Christ.

6. Si une seule fois vous étiez entré bien avant dans le coeur de Jésus, et que vous eussiez ressenti quelque mouvement de son amour, que vous auriez peu de souci de ce qui peut ou vous contrarier ou vous plaire ! vous vous réjouiriez d'un outrage reçu, parce que l'amour de Jésus apprend à l'homme à se mépriser lui même.
Celui qui aime Jésus et la vérité, un homme vraiment intérieur et dégagé de toute affection déréglée, peut librement s'approcher de Dieu, et, s'élevant en esprit au dessus de soi même, se reposer en lui par une jouissance anticipée.

7. Celui qui estime les choses suivant ce qu'elles sont, et non d'après les discours et l'opinion des hommes, est vraiment sage ; c'est Dieu qui l'instruit plus que les hommes.
Celui qui vit au-dedans de lui même, et qui s'inquiète peu des choses du dehors, tous les lieux lui sont bons, et tous les temps, pour remplir ses pieux exercices.
Un homme intérieur se recueille bien vite, parce qu'il ne se répand jamais tout entier au dehors.
Les travaux extérieurs, les occupations nécessaires en certain temps, ne le troublent point ; mais il se prête aux choses selon qu'elles arrivent.
Celui qui a établi l'ordre au-dedans de soi ne se tourmente guère de ce qu'il y a de bien ou de mal dans les autres.
L'on n'a de distractions et d'obstacles qu'autant que l'on s'en crée soi même.

8. Si vous étiez ce que vous devez être, entièrement libre et détaché, tout contribuerait à votre bien et à votre avancement.
Mais beaucoup de choses vous déplaisent et souvent vous troublent, parce que vous n'êtes pas encore tout à fait mort à vous même et séparé des choses de  la terre.
Rien n'embarrasse et ne souille tant le coeur de l'homme que l'amour impur des créatures.
Si vous rejetez les consolations du dehors, vous pourrez contempler les choses du ciel et goûter souvent les joies intérieures.

RÉFLEXION LIVRE II /CHAPITRE I

L'âme chrétienne, détachée du monde, n'a qu'un désir pour le temps comme pour l'éternité : d'être unie à Jésus, de cette union ineffable dont la divine peinture nous ravit dans le cantique mystérieux de l'amour.  Mon bien aimé est à moi, et je suis à lui ; il repose entre les lis, jusqu'à ce que l'aurore se lève, et que les ombres déclinent. Hélas ! que cherchez vous au dehors ? Rentrez, rentrez en vous même ; préparez au céleste époux une demeure digne de lui, et il viendra, et il s'y reposera ; car ses délices sont d'habiter dans le coeur qui l'appelle. Alors, seul avec Jésus, loin des bruits de la terre, dans le silence des créatures, i1 vous parlera comme un ami parle à un ami, et, transporté de l'entendre, vous ne voudrez plus à jamais écouter que lui.

CHAPITRE II : Qu'il faut s'abandonner à Dieu en esprit d'humilité

1. Inquiétez vous peu qui est pour vous ou contre vous ; mais prenez soin que Dieu soit avec vous en tout ce que vous faites.
Ayez la conscience pure, et Dieu prendra votre défense.
Toute la malice des hommes ne saurait nuire à celui que Dieu veut protéger.
Si vous savez vous taire et souffrir, Dieu, sans doute, vous assistera.
Il sait le temps et la manière de vous délivrer ; abandonnez vous donc à lui.
C'est de Dieu que vient le secours ; c'est lui qui délivre de la confusion.
Il est souvent très utile, pour nous retenir dans une plus grande humilité, que les autres soient instruits de nos défauts et qu'ils nous les reprochent.

2. Quand un homme s'humilie de ses défauts, il apaise aisément les autres et se réconcilie sans peine ceux qui sont irrités contre lui.
Dieu protège l'humble et le délivre ; il aime l'humble et le console ; il s'incline vers l'humble et lui prodigue ses grâces, et après l'abaissement, il l'élève dans la gloire.
Il révèle à 1'humble ses secrets ; il l'invite et l'attire doucement à lui.
Quelque affront qu'il reçoive l'humble vit encore en paix parce qu'il s'appuie sur Dieu et non sur le monde
Ne pensez pas avoir fait de progrès, si vous ne vous croyez au dessous de tous les autres.

RÉFLEXION LIVRE II / CHAPITRE II

Que vous importent les discours et les pensées des hommes !  Ce ne seront point eux qui vous  jugeront. S'ils vous accusent à tort, Celui qui voit le fond des consciences vous a déjà justifié. S'ils vous reprochent des fautes réelles, n'êtes vous pas heureux
d'être averti, heureux de souffrir une humiliation salutaire ? Ce qui vous trouble, c'est l'orgueil, qui ne saurait supporter d'être repris. L'humble ne s'irrite point, ne s'émeut point, lors même que la passion le condamne injustement. Plein de sentiment de sa misère, on ne saurait jamais tant l'abaisser, qu'il ne s'abaisse dans son coeur encore davantage. Voulez vous que rien n'altère le calme de votre âme ? Abandonnez vous à Dieu en toutes choses ; et dans les peines, les contrariétés, les traverses, dites avec Jésus Christ : Oui, mon Père parce qu'il vous a plu ainsi.

CHAPITRE III : De l'homme pacifique

1. Conservez vous premièrement dans la paix, et alors vous pourrez la donner aux autres.
Le pacifique est plus utile que le savant.
Un homme passionné change le bien en mal, et croit le mal aisément. L'homme paisible et bon ramène tout au bien.
Celui qui est affermi dans la paix ne pense mal de personne mais l'homme inquiet et mécontent est agité de divers soupçons : il n'a jamais de repos, et n'en laisse point aux autres.
Il dit souvent ce qu'il ne faudrait pas dire, et ne fait pas ce qu'il faudrait faire.
Attentif au devoir des autres, il néglige ses propres devoirs.
Ayez donc premièrement du zèle pour vous même, et vous pourrez ensuite avec justice l'étendre sur le prochain.

2. Vous savez bien colorer et excuser vos fautes, et vous ne voulez pas recevoir les excuses des autres.
Il serait plus juste de vous accuser vous même et d'excuser votre frère.
Si vous voulez qu'on vous supporte, supportez aussi les autres.
Voyez combien vous êtes loin encore de la vraie charité et de l'humilité, qui jamais ne s'irrite et ne s'indigne que contre elle même !
Ce n'est pas une grande chose de bien vivre avec les hommes doux et bons, car cela plaît naturellement à tous ; chacun aime son repos, et s'affectionne à ceux qui partagent ses sentiments.
Mais vivre en paix avec des hommes durs, pervers, sans règle, ou qui nous contrarient, c'est une grande grâce, une vertu courageuse et digne d'être louée.

3. Il y en a qui sont en paix avec eux mêmes et avec les autres.
Et il y en a qui n'ont point de paix, et qui troublent celle d'autrui : ils sont à charge aux autres et plus à charge à eux mêmes.
Il y en a enfin qui se maintiennent dans la paix et qui s'efforcent de la rendre aux autres.
Au reste, toute notre paix, dans cette misérable vie, consiste plus dans une souffrance humble que dans l'exemption de la souffrance.
Qui sait le mieux souffrir possédera la plus grande paix.
Celui là est vainqueur de soi et maître du monde, ami de Jésus Christ et héritier du ciel.

RÉFLEXION LIVRE II / CHAPITRE III

Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés les enfants de Dieu. Comprenez la grandeur de ce nom et l'instruction profonde qu'il renferme. La paix, c'est l'ordre parfait ; et le trouble, les dissensions, les discordes, la guerre, ne sont entrés dans le monde que par la violation de l'ordre ou par le péché. Ainsi, point de paix où règne le péché ; point de paix dans l'homme dont les pensées, les affections, les volontés ne sont pas en tout conformes à l'ordre ou à la vérité et à la volonté de Dieu ; point de paix dans la société dont les doctrines et les lois s'écartent de la loi et des doctrines révélées de Dieu : et quiconque, homme ou peuple, brise cette loi, nie ces doctrines ne fût ce qu'en un seul point, cet homme, ce peuple rebelle à Dieu, subit à l'instant le châtiment de son crime. Un malaise inconnu s'empare de lui ; je ne sais quelle force désordonnée le pousse et le repousse en tout sens, et nulle part il ne trouve de repos. Comme Caïn après son meurtre, il a peur. Non, la paix n'est, en effet, que pour les enfants de Dieu : ils la goûtent en eux mêmes, et la répandent sur les autres ; elle coule, pour ainsi dire, de leur coeur comme ces fleuves qui arrosaient l'heureux séjour de notre premier père au temps de son innocence. Et quand viendra la dernière heure, ce sera encore la paix, car le royaume de Dieu est justice et paix. Enfants de Dieu, entrez dans le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde !

CHAPITRE IV : De la pureté d'esprit et de la droiture d'intention

1. L'homme s'élève au dessus de la terre sur deux ailes, la simplicité et la pureté.
La simplicité doit être dans l'intention, et la pureté dans l'affection.
La simplicité cherche Dieu, la pureté le trouve et le goûte.
Nulle bonne oeuvre ne vous     sera difficile, si vous êtes libre au-dedans de toute affection déréglée.
Si vous ne voulez que ce que Dieu veut et ce qui est utile au prochain, vous jouirez de la liberté intérieure.
Si votre coeur était droit, alors toute créature vous serait un miroir de vie et un livre rempli de saintes instructions.
Il n'est point de créature si petite et si vile qui ne présente quelque image de la bonté de Dieu.

2. Si vous aviez en vous assez d'innocence et de pureté, vous verriez tout sans obstacle. Un coeur pur pénètre le ciel et l'enfer.
Chacun juge des choses du dehors selon ce qu'il est au-dedans de lui même.
S'il est quelque joie dans le monde, le coeur pur la possède.
Et s'il y a des angoisses et des tribulations, avant tout elles sont connues de la mauvaise conscience.
Comme le fer mis au feu perd sa rouille et devient tout étincelant, ainsi celui qui se donne sans réserve à Dieu se dépouille de sa langueur et se change en un homme nouveau.

3. Quand l'homme commence à tomber dans la tiédeur, alors il craint le moindre travail, et reçoit avidement les consolations du dehors.
Mais quand il commence à se vaincre parfaitement et à marcher avec courage dans la voie de Dieu, alors il compte pour rien ce qui lui était le plus pénible.

RÉFLEXION LIVRE II / CHAPITRE IV

Quand Jésus Christ voulut proposer un modèle à ses disciples, le choisit il parmi les hommes distingués par la science ou par la supériorité de leur esprit ? Non ; il appela un petit enfant, le plaça au milieu d'eux, et dit : En vérité je vous le dis, si vous ne vous convertissez et ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez point dans le royaume  des cieux. Or que voyons nous dans l'enfance ? la simplicité, la pureté. Elle croit, elle aime, elle agit, sans aucun retour sur elle même, par un premier mouvement du coeur ; et voilà ce qui plaît à Dieu. I1 ne demande ni de longues prières, ni d'éloquents discours, ni des méditations profondes, mais une volonté droite et un amour plein de candeur. N'avoir en tout de désirs que les siens, s'oublier entièrement soi même, se soumettre aux volontés de l'adorable Providence, sans chercher à les scruter : quoi de plus pur que cet abandon, que cette simple obéissance ? Aussi la récompense en sera t elle grande : Heureux, est il dit, ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu.

CHAPITRE V : De la considération de soi même

1. Nous ne devons  pas trop compter sur nous mêmes, parce que souvent la grâce et le jugement nous manquent.
Nous n'avons en nous que peu de lumière, et ce peu il est aisé de le perdre par négligence.
Souvent nous ne nous apercevons pas combien nous sommes aveugles au-dedans de nous.
A de mauvaises actions souvent nous donnons de pires excuses.
Quelquefois nous sommes mus par la passion, et nous croyons que c'est par le zèle.
Nous relevons de petites fautes dans les autres, et nous nous en permettons de plus grandes.
Nous sentons bien vite, et nous pesons ce que nous souffrons des autres ; mais tout ce qu'ils ont à souffrir de nous, nous n'y songeons point.
Qui se jugerait équitablement soi même sentirait qu'il n'a le droit de juger personne sévèrement.

2. L'homme intérieur préfère le soin de soi même à tout autre soin ; et lorsqu'on est attentif à soi, on se tait aisément sur les autres.
Vous ne serez jamais un homme intérieur et vraiment pieux, si vous ne gardez le silence sur ce qui vous est étranger, et si vous ne vous occupez principalement de vous même.
Si vous n'avez que Dieu et vous même en vue, vous serez peu touché de ce que vous apercevrez au dehors.
Où êtes vous quand vous n'êtes pas présent à vous même ? Et que vous revient il d'avoir tout parcouru  et de vous être oublié ? Si vous voulez posséder la paix et être véritablement uni à Dieu, il faut laisser là tout le reste, et ne penser qu'à vous seul.
Vous ferez de grands progrès, si vous vous dégagez de tous les soins du temps.
Vous serez, au contraire, fatigué bien vite, si vous comptez pour quelque chose ce qui n'est que de ce monde.
Qu'il n'y ait rien de grand à vos yeux, d'élevé, de doux, d'aimable, que Dieu seul, ou ce qui vient de Dieu.
Regardez comme une pure vanité toute consolation qui repose sur la créature.
L'âme qui aime Dieu méprise tout ce qui est au dessous de Dieu.
Dieu seul, éternel, immense, et remplissant tout, est la consolation de l'âme et la vraie joie du coeur.

RÉFLEXION LIVRE II / CHAPITRE V

Quand vous sauriez ce qu'il y a de bon et de mauvais dans chaque homme, sans en excepter un seul, à quoi cela vous servirait il, si vous vous ignorez vous même ? On ne vous interrogera point, au dernier jour, sur la conscience d'autrui. Laissez donc là une sollicitude dont presque toujours l'orgueil et la malignité sont le principe ; et occupez vous d'un soin plus agréable à Dieu et plus utile pour vous. La grande, la vraie science est de se connaître soi même : ce doit être notre étude de tous les instants. Alors on apprend à se mépriser, à gémir sur la plaie de son coeur, sur l'amour propre effréné qui nous domine, sur les secrètes convoitises qui nous tourmentent, et l'on s'écrie comme l'Apôtre : Qui me délivrera de ce corps de mort ?
Heureuse, heureuse délivrance ! mais que trouverons nous après,  si nous avons été fidèles ? Dieu, uniquement Dieu, et en lui toutes choses, toute consolation, tout bien. O mon âme, puisqu'il en  est ainsi, commence dès ce moment même à te dégager du poids qui t'affaisse, de la terre et des créatures, pour ne t'attacher qu'à Dieu seul.

CHAPITRE VI : De la joie d'une bonne conscience

1. La gloire de l'homme de bien est le témoignage de sa conscience.
Ayez la conscience pure, et vous posséderez toujours la joie.
La bonne conscience peut supporter beaucoup de choses, et elle est pleine de joie dans les adversités.
La mauvaise conscience est toujours inquiète et troublée.
Vous jouirez d'un repos ravissant, si votre coeur ne vous reproche rien.
Ne vous réjouissez que d'avoir fait le bien.
Les méchants n'ont jamais de véritable joie ; ils ne possèdent point la paix intérieure, parce qu'il n'y a point de paix pour l'impie, dit le Seigneur.
Et s'ils disent : Nous sommes dans la paix, les maux ne viendront pas sur nous ; et qui oserait nous nuire ? ne les croyez pas ; car la colère de Dieu se lèvera soudain, et leurs oeuvres seront réduites à rien, et leurs pensées périront.

2. Se faire un sujet de gloire de la tribulation n'est pas difficile à celui qui aime ; car se glorifier ainsi, c'est se glorifier dans la croix de Jésus Christ.
La gloire que les hommes donnent et reçoivent est courte.
La tristesse accompagne toujours la gloire du monde.
La gloire des bons est dans leur conscience, et non dans la bouche des hommes.
L'allégresse des justes est de Dieu et en Dieu, et leur joie vient de la vérité.
Celui qui désire la gloire véritable et éternelle dédaigne la gloire du temps.
Et celui qui recherche la gloire du temps et ne la méprise pas de toute son âme, montre qu'il aime peu la gloire éternelle.
Il jouit d'une grande tranquillité de coeur, celui que n'émeut ni la louange ni le blâme.

3. Il sera aisément en paix et content, celui dont la conscience est pure.
Vous n'êtes pas plus saint parce qu'on vous loue, ni plus imparfait parce qu'on vous blâme.
Vous êtes ce que vous êtes ; et tout ce qu'on pourra dire ne vous fera pas plus grand que vous ne l'êtes aux yeux de Dieu.
Si vous considérez bien ce que vous êtes en vous même, vous vous embarrasserez peu de ce que les hommes disent de vous.
L'homme voit le visage ; mais Dieu voit le coeur. L'homme regarde les actions ; mais Dieu pèse l'intention.
Faire toujours bien et s'estimer peu, c'est le signe d'une âme humble.
Ne vouloir de consolation d'aucune créature, c'est la marque d'une grande pureté et d'une grande confiance intérieure.

4. Quand on ne cherche au dehors aucun témoignage en sa faveur, il est manifeste qu'on s'est entièrement remis à Dieu
Car ce n'est pas celui qui se recommande lui même qui est approuvé, dit saint Paul, mais  celui que Dieu recommande.
Avoir toujours Dieu présent au de soi et ne tenir à rien au dehors, c'est l'état de
l'homme intérieur.

RÉFLEXION LIVRE II / CHAPITRE VI

Nul repos pour celui qui ne le trouve pas en soi. Le coeur inquiet qui cherche au dehors dans les créatures la paix dont il est privé intérieurement, se fait une grande illusion : elle n'est pas là. Pourquoi vous tromper vous mêmes La mer soulevée par les tempêtes n'est pas plus agitée que le monde, et vous lui dites : Apaise mon trouble ! Il n'y a de calme que dans le sein de Dieu, il n'y a de joie que dans la conscience pure. Les plaisirs distraient, les passions enivrent un moment ; mais, ce moment passé, que reste t il ? Et encore, que d'ennui souvent et que d'amertume pendant sa durée ! Vous représentez vous, au contraire, une félicité comparable à celle qui accompagne l'innocence ; quelque chose qui, dès ici bas, ressemble plus au ciel que l'état d'une âme détachée de la terre et tranquille sous la main de Dieu, qu'elle possède déjà par l'espérance et par l'amour ? Eh bien donc, que cet état devienne le vôtre : venez et goûtez combien le Seigneur est doux ; faites un effort, veuillez seulement : Celui qui donne le bon vouloir vous donnera aussi de l'accomplir.

CHAPITRE VII : Qu'il faut aimer Jésus Christ par dessus toutes choses

1. Heureux celui qui comprend ce que c'est que d'aimer Jésus, et de se mépriser soi même à cause de Jésus.
Il faut que notre amour pour lui nous détache de tout autre amour, parce que Jésus veut être aimé seul par dessus toutes choses. L'Amour de la créature est trompeur et passe bientôt ; l'amour de Jésus est stable et fidèle.
Celui qui s'attache à la créature tombera comme elle et avec elle ; celui qui s'attache à Jésus sera pour jamais affermi.
Aimez et conservez pour ami Celui qui ne vous quittera point alors que tous vous abandonneront, et qui, quand viendra votre fin, ne vous laissera point périr. Que vous le vouliez ou non, il vous faudra un jour être séparé de tout.

2. Vivant et mourant, tenez vous donc près de Jésus, et confiez vous à la fidélité de Celui qui seul peut vous secourir lorsque tout vous manquera.
Tel est votre bien aimé, qu'il  ne veut point de partage ; il veut posséder seul votre coeur et y régner comme un roi sur le trône qui est à lui.
Si vous saviez bannir de votre âme toutes les créatures, Jésus se plairait à demeurer en vous.
Vous trouverez avoir perdu presque tout ce que vous aurez établi sur les hommes et non sur Jésus.
Ne vous appuyez point sur un roseau qu'agite le vent, et n'y mettez pas votre confiance ; car toute chair est comme l'herbe, et sa gloire passe comme la fleur des champs.
Vous serez trompé souvent, si vous jugez des hommes d'après ce qui paraît au dehors ; au lieu des avantages et du soulagement que vous cherchez en eux, vous n'éprouverez presque toujours que du préjudice.
Cherchez Jésus en tout, et en  tout vous trouverez Jésus. Si vous vous cherchez vous même,  vous vous trouverez  aussi, mais pour votre perte. Car l'homme
qui ne cherche pas Jésus se nuit plus à lui-même que tous ses ennemis et que le monde entier.

RÉFLEXION LIVRE II / CHAPITRE VII

Entraînés par le charme de sentir, ainsi que parle Bossuet, nous cherchons notre bien dans les créatures, qui nous échappent et s'évanouissent comme des ombres. Nous voulons aimer et être aimés ; et nous nous éloignons de la source du véritable amour, de l'amour infini. Comprenons enfin combien il est insensé d'attacher notre coeur à ce qui passe et combien sont vaines ces amitiés de la terre, qui s'en vont avec les années et les intérêts.  Aimons Jésus sans partage ; aimons le comme il nous aime et comme il veut être aimé. La mesure de notre amour pour lui, dit saint Bernard, est de l'aimer sans mesure. Malheur à qui lui préfère quelque chose ! ses désirs sont sur la route du néant.

CHAPITRE VIII : De la familiarité que l'amour établit entre Jésus et l'âme fidèle

1. Quand Jésus est présent, tout est doux, et rien ne semble difficile ; mais quand Jésus se retire, tout fatigue.
Quand Jésus ne parle pas au-dedans, nulle consolation n'a de prix ; mais si Jésus dit une seule parole, on est merveilleusement consolé.
Marie Madeleine ne se leva t-elle pas aussitôt du lieu où elle pleurait, lorsque Marthe lui dit : Le Maître est là et il vous appelle ?
Heureux moment, où Jésus appelle des larmes à la joie de l'esprit ! Combien sans Jésus n'êtes vous  pas aride et insensible !
Et quelle vanité, quelle folie, si vous désirez autre chose que Jésus Christ ! Ne serait ce pas une plus grande perte que si vous aviez perdu le monde entier ?

2. Que peut vous donner le monde sans Jésus ?
Être sans Jésus, c'est un insupportable enfer ; être avec Jésus, c'est un paradis de délices.
Si Jésus est avec vous, nul ennemi ne pourra vous nuire.
Qui trouve Jésus trouve un     trésor immense, ou plutôt un bien au dessus de tout bien.
Qui perd Jésus perd plus et beaucoup plus que s'il perdait le monde entier.
Vivre sans Jésus, c'est le comble de l'indigence ; être uni à Jésus, c'est posséder des richesses infinies.

3. C'est un grand art que de savoir converser avec Jésus, et une grande prudence que de savoir le retenir près de soi.
Soyez humble et pacifique, et Jésus sera avec vous.
Que votre vie soit pieuse et calme, et Jésus demeurera près de vous.
Vous éloignerez bientôt Jésus, et vous perdrez sa grâce, si vous voulez vous répandre au dehors.
Et si vous l'éloignez et le perdez, qui sera votre refuge, et quel autre ami chercherez vous ?
Vous ne sauriez vivre heureux sans ami ; et si Jésus n'est pas pour vous un ami au dessus de tous les autres, n'attendez que tristesse et désolation.
Qu'insensés vous êtes, si vous mettez en quelque autre votre confiance ou votre joie !
Il vaudrait mieux avoir le monde entier contre vous que d'être dans la disgrâce de Jésus.
Qu'il vous soit donc plus cher que tout ce qui vous est cher.

4. Aimez tous les autres pour Jésus, et Jésus pour lui même.
Lui seul doit être aimé uniquement, parce qu'il est le seul ami bon, fidèle, entre tous les amis.
Aimez en lui et à cause de lui vos amis et vos ennemis, et priez-le pour tous, afin que tous le connaissent et l'aiment.
Ne souhaitez jamais d'obtenir aucune préférence dans l'estime ou l'amour des hommes ; car cela n'appartient qu'à Dieu, qui n'a point d'égal.
Ne désirez point que quelqu'un s'occupe de vous dans son coeur, et ne soyez vous même préoccupé de l'amour de personne ; mais que Jésus soit en vous et en tout homme de bien.

5. Soyez pur et libre au-dedans sans aucune attache à la créature.
Il faut être dépouillé de tout et offrir à Dieu un coeur pur, si vous voulez être libre et goûter combien le Seigneur est doux.
Et certes, jamais vous n'y parviendrez, si sa grâce ne vous prévient et ne vous attire ; de sorte qu'ayant exclu et banni tout le reste, vous soyez seul uni à lui seul.
Car, lorsque la grâce de Dieu visite l'homme, alors il peut tout ; et quand elle se retire, alors il est pauvre et infirme, et ne semble réservé qu'aux châtiments.
En cet état même, il ne doit ni se laisser abattre ni désespérer ; mais il doit se soumettre avec calme à la volonté de Dieu et souffrir, pour l'amour de Jésus Christ, tout ce qui lui arrive : car l'été succède à l'hiver, après la nuit revient le jour, et après la tempête une grande sérénité.

RÉFLEXION  LIVRE II / CHAPITRE VIII

L'amour a fait descendre le Fils de Dieu sur la terre : l'amour nous élève jusqu'à lui. Alors il s'élève entre notre âme et Jésus comme une union ravissante ; alors s'accomplit cette promesse : Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai à vous. Venez donc, ô mon Jésus, venez briser les derniers liens qui m'attachent aux créatures et retardent l'heureux moment où je ne vivrai plus que pour vous. Faites que, m'oubliant moi même, je ne voie, je ne désire que vous seul, et me repose sur votre sein comme le disciple bien aimé, dans cette paix délicieuse que le monde ne donne pas, qu'il ne peut même comprendre, mais que ses orages ne sauraient troubler.

CHAPITRE IX : De la privation de toute consolation

1. Il n'est pas difficile de mépriser les consolations humaines quand on jouit des consolations divines.
Mais il est grand et très grand de consentir à être privé tout à la fois des consolations des hommes et de celles de Dieu, de supporter volontairement pour sa gloire cet exil du coeur, de ne se rechercher en rien, et de ne faire aucun retour sur ses propres mérites.
Qu'y a t il d'étonnant si vous êtes rempli d'allégresse et de ferveur lorsque la grâce descend en vous ? C'est pour tous l'heure désirable.
I1 avance aisément et avec joie, celui que la grâce soulève.
Comment sentirait il son fardeau, quand il est porté par le Tout Puissant, et conduit par le guide suprême ?

2. Toujours nous cherchons quelque soulagement, et difficilement l'homme se dépouille de lui même.
Fidèle à son évêque, le saint martyr Laurent vainquit le siècle, parce qu'il méprisa tout ce que le monde offre de séduisant, et qu'il souffrit en paix pour l'amour de Jésus Christ d'être séparé du souverain prêtre de Dieu, de Sixte, qu'il aimait avec une vive tendresse.
Par l'amour du Créateur surmontant l'amour de l'homme, aux consolations humaines il préféra le bon plaisir divin.
Et vous aussi, apprenez donc à quitter, pour l'amour de Dieu, l'ami le plus cher et le plus intime.
Et ne murmurez point s'il arrive que votre ami vous abandonne, sachant qu'après tout il faut bien un jour se séparer tous.

3. Ce n'est pas sans combattre beaucoup et longtemps en lui-même, que l'homme apprend à se vaincre pleinement et à reporter en Dieu toutes ses affections.
Lorsqu'il s'appuie sur lui-même, i1 se laisse aisément aller aux consolations humaines.
Mais celui qui a vraiment l'amour de Jésus Christ et le zèle de la vertu ne cède point à l'attrait des consolations, et ne cherche point les douceurs sensibles : il désire plutôt de fortes épreuves et de souffrir de durs travaux pour Jésus Christ.

4. Quand donc Dieu vous accorde quelque consolation spirituelle, recevez la avec actions de grâce ; mais reconnaissez y le don de Dieu, et non votre propre mérite.
Ne vous en élevez pas, n'en ayez point trop de joie, n'en concevez point une vaine présomption. Que cette grâce, au contraire, vous rende plus humble, plus vigilant, plus timide dans toutes vos actions : car ce moment passera, et sera suivi de la tentation.
Quand la consolation vous est ôtée, ne vous découragez pas aussitôt, mais attendez avec humilité et avec patience que Dieu vous visite de nouveau : car il est tout puissant pour vous consoler encore plus.
Cela n'est ni nouveau ni étranger pour ceux qui ont l'expérience des voies de Dieu : les grands Saints et les anciens Prophètes ont souvent éprouvé ces vicissitudes.

5. L'un d'eux, sentant la présence de la grâce, s'écriait : J'ai dit dans mon abondance : Je ne serai jamais ébranlé ! Mais la grâce s'étant retirée, il ajoutait : Vous avez détourné de moi votre face, et j'ai été rempli de trouble.
Dans ce trouble cependant il ne désespère point ; mais il prie le Seigneur avec plus d'instance, disant : Seigneur, je crierai vers vous, et j'implorerai mon Dieu.
Enfin il recueille le fruit de sa prière et il témoigne qu'il a été exaucé : Le Seigneur m'a écouté, il a eu pitié de moi : le Seigneur s'est fait mon appui.
Mais comment ? Vous avez, dit il, changé mes gémissements en chants d'allégresse, et vous m'avez environné de joie.
Or, puisque Dieu en use ainsi avec les plus grands Saints, nous ne devons pas perdre courage, pauvres infirmes que nous sommes, si quelquefois nous éprouvons de la ferveur, et quelquefois du refroidissement : car l'esprit de Dieu vient et se retire comme il lui plaît. Ce qui faisait dire au bienheureux Job : Vous visitez l'homme dès le matin, et aussitôt vous 1'éprouvez.

6. En quoi donc espérer et en quoi mettre ma confiance, si ce n'est uniquement dans la grande miséricorde de mon Dieu et dans l'attente de la grâce céleste ?
Car, soit que j'aie près de moi des hommes vertueux, des religieux fervents, des amis fidèles ; soit que je lise de saints livres et d'éloquents traités ; soit que j'entende le doux chant des hymnes ; tout cela aide peu et ne touche guère quand la grâce se retire, et que je suis délaissé dans ma propre indigence.
Alors il n'est point de meilleur remède qu'une humble patience et l'abandon de soi même à la volonté de Dieu.

7. Je n'ai jamais rencontré d'homme si pieux et si parfait, qui n'ait éprouvé quelquefois cette privation de la grâce et une diminution de ferveur.
Nul saint n'a été ravi si haut ni si rempli de lumière, qu'il n'ait été tenté avant ou après.
Car il n'est pas digne d'être élevé jusqu'à la contemplation de Dieu, celui qui n'a pas souffert pour Dieu quelque tribulation.
La tentation annonce d'ordinaire la consolation qui doit suivre.
Car la consolation céleste est promise à ceux qu'a éprouvés la tentation. Celui qui vaincra, dit le Seigneur, je lui donnerai à manger du fruit de l'arbre de la vie.

8. La consolation divine est donnée afin que l'homme ait plus de force pour soutenir l'adversité.
La tentation vient après, afin qu'il ne s'enorgueillisse pas du bien.
Car Satan ne dort point, et la chair n'est point encore morte : c'est pourquoi ne cessez de vous préparer au combat, parce qu'à droite et à gauche sont des ennemis qui ne se reposent jamais.

RÉFLEXION  LIVRE II / CHAPITRE IX

Bien que l'humanité du Sauveur ne cessât de jouir, par son intime union avec le Verbe divin, d'une paix et d'une joie inaltérables, il ne laissait pas de ressentir souvent, dans la partie inférieure de l'âme, les afflictions et la douleur devenues l'apanage de notre nature depuis le péché. Qui n'a présentes à l'esprit ces grandes paroles : Mon âme est triste jusqu'à la mort ? Mon Père ! mon Père ! pourquoi m'avez vous délaissé ? Ainsi l'âme chrétienne, sans perdre sa paix, est éprouvée aussi par la tristesse et les tribulations intérieures. Si elle goûtait toujours la consolation, il serait à craindre qu'elle ne tombât peu à peu dans le relâchement : et qu'aurait elle d'ailleurs à offrir à son bien-aimé ? La vertu se perfectionne dans l'infirmité. C'est l'Apôtre qui nous l'apprend, et il ajoute aussitôt : Je me glorifierai donc dans mes infirmités, afin que la vertu de Jésus Christ  habite en moi. Cette espèce d'abandon, cet exil du coeur nous rappelle vivement notre misère, que nous oublions trop facilement, exerce notre foi, notre amour, et nous maintient dans l'humilité.
Gardez vous donc, en ces moments où Jésus paraît se retirer de vous, de fléchir sous le poids de l'épreuve et de vous laisser aller au découragement. “Un des grands secours, dit un pieux auteur, pour bien porter sa croix, est d'en ôter l'inquiétude,  et de rendre cette peine tranquille par une totale conformité à la divine volonté.”  Au lieu de gémir et de vous troubler, réjouissez vous plutôt, car il est écrit : Ceux qui sèment dans les larmes moissonneront dans l'allégresse. Ils allaient et pleuraient en répandant des semences ; ils reviendront pleins de joie, portant des gerbes dans leurs mains.

CHAPITRE X : De la reconnaissance pour la grâce de Dieu

1. Pourquoi cherchez vous le repos, lorsque vous êtes nés pour le travail ?
Disposez vous à la patience plutôt qu'aux consolations, et à porter la Croix plutôt qu'à goûter la joie.
Quel est l'homme du siècle qui ne reçût volontiers les joies et les consolations spirituelles, s'il pouvait en jouir toujours ?
Car les consolations spirituelles surpassent toutes les délices du monde et toutes les voluptés de la chair.
Toutes les délices du monde sont ou honteuses ou vaines, les délices spirituelles sont seules douces et chastes, nées des vertus et répandues par Dieu dans les coeurs purs.
Mais nul ne peut jouir toujours à son gré des consolations divines, parce que la tentation ne cesse jamais longtemps.

2. Une fausse liberté d'esprit et une grande confiance en soi-même forment un grand obstacle aux visites d'en haut.
Dieu accorde à l'homme un grand bien en lui donnant la grâce de la consolation ; mais l'homme fait un grand mal quand il ne remercie pas Dieu de ce don et ne le lui rapporte pas tout entier.
Si la grâce ne coule point abondamment sur nous, c'est que nous sommes ingrats envers son auteur, et que nous ne remontons point à sa source première.
Car la grâce n'est jamais refusée à celui qui la reçoit avec gratitude, et Dieu ordinairement donne à l'humble ce qu'il ôte au superbe.

3. Je ne veux point de la consolation qui m'ôte la componction, je n'aspire point à la contemplation qui conduit à l'orgueil.
Car tout ce qui est élevé n'est pas saint ; tout ce qui est doux n'est pas bon ; tout désir n'est pas pur ; tout ce qui est cher à l'homme n'est pas agréable à Dieu.
J'aime une grâce qui me rend plus humble, plus vigilant, plus prêt à me renoncer moi-même.
L'homme instruit par le don de la grâce et par sa privation, n'osera s'attribuer aucun bien ; mais plutôt il confessera son indigence et sa nudité.
Donnez à Dieu ce qui est à Dieu ; et ce qui est de vous, ne l'imputez qu'à vous. Rendez gloire à Dieu de ses grâces, et reconnaissez que, n'ayant rien à vous que le péché, rien ne vous est dû que la peine du péché.

4. Mettez vous toujours à la dernière place, et la première vous sera donnée ; car ce qui est le plus élevé s'appuie sur ce qui est le plus bas.
Les plus grands saints aux yeux de Dieu sont les plus petits à leurs propres yeux ; et plus leur vocation est sublime, plus ils sont humbles dans leur coeur.
Pleins de la vérité et de la gloire céleste, ils ne sont pas avides d'une gloire vaine.
Fondés et affermis en Dieu, ils ne sauraient s'élever en eux-mêmes.
Rapportant à Dieu tout ce qu'ils ont reçu de bien, ils ne recherchent point la gloire que donnent les hommes, et ne veulent que celle qui vient de Dieu seul ; leur unique but, leur désir unique, est qu'il soit glorifié en lui même et dans tous les Saints, par dessus toutes choses.

5. Soyez donc reconnaissants des moindres grâces, et vous mériterez d'en recevoir de plus grandes.
Que le plus léger don, la plus petite faveur, aient pour vous autant de prix que le don le plus excellent et la faveur la plus singulière.
Si vous considérez la grandeur de Celui qui donne, rien de ce qu'il donne ne vous paraîtra petit ni méprisable ; car peut il être quelque chose de tel dans ce qui vient d'un Dieu infini ?
Vous envoie t il des peines et des châtiments, recevez les encore avec joie ; car c'est toujours pour votre salut qu'il fait ou qu'il permet tout ce qui nous arrive.
Voulez vous conserver la grâce de Dieu, soyez reconnaissant lorsqu'il vous la donne, patient lorsqu'il vous l'ôte. Priez pour qu'elle vous soit rendue, et soyez humble et vigilant pour ne pas la perdre.

RÉFLEXION  LIVRE II / CHAPITRE X

L'homme est si pauvre qu'il n'a pas même une bonne pensée, un bon désir qui ne lui vienne d'en haut. De lui même il ne peut rien, pas même souhaiter d'être affranchi de sa misère, qu'il ne connaît que par une lumière surnaturelle... Si la divine miséricorde ne le prévenait, il languirait dans une éternelle impuissance de tout bien. Plus la grâce donc lui est donnée avec abondance, plus il a raison de s'humilier, en voyant ce qu'il serait sans elle, ce qu'il est par son propre fonds. Créature insensée, qui t'enorgueillis des dons de Dieu, qu'as tu que tu n'aies reçu ? et si tu l'as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne l'avais pas reçu ? I1 faut que l'orgueil plie sous cette parole, et que l'homme tout entier s'anéantisse en présence de Celui qui seul le retire de l'abîme où le péché l'avait précipité. I1 ne se relève qu'en s'abaissant ; ce qui faisait dire à saint Paul : Quand je me sens faible, c'est alors que je suis fort. Je vous comprends, ô grand Apôtre ! ce sentiment qui vous humilie appelle la grâce promise aux humbles, et par elle vous êtes revêtu de la force de Dieu même. Que ne devons nous point à ce Dieu de bonté, et que lui rendons-nous pour tant de bienfaits ? Hélas ! dans notre indigence nous n'avons à lui offrir que notre coeur ; et c'est aussi tout ce qu'il demande de sa pauvre créature. Que ce coeur au moins lui appartienne sans réserve ; que rien ne le partage ; qu'il ne veuille, qu'il ne goûte que Dieu, ne vive que de son amour ; et qu'ainsi commence sur la terre cette union ravissante qui sera plus tard notre éternelle félicité !

CHAPITRE XI : Du petit nombre de ceux qui aiment la Croix de Jésus Christ

1. I1 y en a beaucoup qui désirent le céleste royaume de Jésus ! mais peu consentent à porter sa Croix.
Beaucoup souhaitent ses consolations ; mais peu désirent ses souffrances.
Il trouve beaucoup de compagnons de sa table, mais peu de son abstinence.
Tous veulent partager sa joie ; mais peu veulent souffrir quelque chose pour lui.
Plusieurs suivent Jésus jusqu'à la fraction du pain, mais peu jusqu'à boire le calice de sa Passion.
Plusieurs admirent ses miracles ; mais peu goûtent l'ignominie de sa Croix.
Plusieurs aiment Jésus pendant qu'il ne leur arrive aucune adversité.
Plusieurs le louent et le bénissent tandis qu'ils reçoivent ses consolations.
Mais si Jésus se cache et les délaisse un moment, ils tombent dans le murmure ou dans un excessif abattement.

2. Mais ceux qui aiment Jésus pour Jésus, et non pour eux-mêmes, le bénissent dans toutes les tribulations et dans l'angoisse du coeur, comme dans les consolations les plus douces.
Et quand il ne voudrait jamais les consoler, toujours cependant ils le loueraient, toujours ils lui rendraient grâces.

3. Oh ! que ne peut l'amour de Jésus, quand il est pur et sans mélange d'amour ni d'intérêt propre !
Ne sont ce pas des mercenaires ceux qui cherchent toujours des consolations ?
Ne prouvent ils pas qu'ils s'aiment eux mêmes plus que Jésus Christ, ceux qui pensent toujours à leur gain et à leurs avantages ?
Où trouvera t on quelqu'un qui veuille servir Dieu pour Dieu seul ?

4. Rarement on rencontre un homme assez avancé dans les voies spirituelles pour être dépouillé de tout.
Car le véritable pauvre d'esprit, détaché de toute créature, qui le trouvera ? Il faut le chercher bien loin et jusqu'aux extrémités de la terre.
Si l'homme donne tout ce qu'il possède, ce n'est encore rien.
S'il fait une grande pénitence, c'est peu encore.
Et s'il embrasse toutes les sciences, il est encore loin.
Et s'il a une grande vertu et une piété fervente, il lui manque encore beaucoup, il lui manque une chose souverainement nécessaire.
Qu'est ce donc ? C'est qu'après avoir tout quitté, il se quitte aussi lui même, et se dépouille
entièrement de l'amour de soi.
C'est, enfin, qu'après avoir fait tout ce qu'il sait devoir faire, il pense encore n'avoir rien fait.

5. Qu'il estime peu ce qu'on pourrait regarder comme quelque chose de grand, et qu'en toute sincérité il confesse qu'il est un serviteur inutile, selon la parole de la Vérité : Quand vous aurez fait tout ce qui vous est commandé, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles.
Alors il sera vraiment pauvre et séparé de tout en esprit, et il pourra dire avec le Prophète : Oui, je suis pauvre et seul dans le monde.
Nul cependant n'est plus riche, plus puissant, plus libre que celui qui sait quitter tout et soi-même, et se mettre au dernier rang.

RÉFLEXION  LIVRE II / CHAPITRE XI

Il faut aimer Dieu pour Dieu même, et non pas à cause de la joie que l'on goûte à le servir : car, s'il nous retirait ses consolations, que deviendrait cet amour mercenaire ? Celui qui se cherche encore en quelque chose ne sait point aimer. Regardez votre modèle, contemplez Jésus, il ne s'est recherché en rien : le Christ n'a pas recherché ce qui lui plaisait. I1 a tout sacrifié pour vous, son repos, sa vie, sa volonté même : Non pas ce que je veux, disait il, mais ce que vous voulez. I1 a tout souffert jusqu'à la Croix, jusqu'au délaissement de son Père : Mon Dieu, pourquoi m'avez vous abandonné ?
Entrons, à son exemple, dans cet esprit de sacrifice ; et, détachés désormais de tout intérêt propre, acceptons avec une égale sérénité les biens et les maux, les peines et les joies, en sorte que, n'ayant de pensées, de désirs que ceux de Jésus, nous soyons consommés avec lui dans cette unité parfaite que, près de quitter ce monde, il demandait pour nous à son Père comme le dernier et le plus grand de ses dons.

CHAPITRE XII : De la sainte voie de la Croix

1. Cette parole semble dure à plusieurs : Renoncez à vous-même, prenez votre Croix, et suivez Jésus. Mais il sera bien plus dur, au dernier jour, de s'entendre dire : Retirez-vous de moi, maudits ; allez au feu éternel !
Ceux qui écoutent maintenant volontiers la parole qui commande de porter la Croix, et qui y  obéissent, ne craindront point alors d'entendre l'arrêt d'une éternelle condamnation.
Ce signe de la Croix sera dans le Ciel, lorsque le Seigneur viendra pour juger.
Alors tous les disciples de la Croix qui auront imité, pendant leur vie, Jésus crucifié, s'approcheront avec une grande confiance de Jésus Christ juge.

2. Pourquoi donc craignez vous de porter la Croix, par laquelle on arrive au royaume du ciel ?
Dans la Croix est le salut, dans la Croix la vie, dans la Croix la Protection contre nos
ennemis.
C'est de la Croix que découlent les suavités célestes.
Dans la Croix est la force de l'âme, dans la Croix la joie de l'esprit, la consommation de la
vertu, la perfection de la sainteté.
I1 n'y a point de salut pour l'âme, ni d'espérance pour la vie éternelle, que dans la Croix.
Prenez donc votre Croix, et suivez Jésus, et vous parviendrez à l'éternelle vie.
I1 vous a précédé portant sa Croix, et il est mort pour vous sur la Croix, afin que vous aussi vous portiez votre Croix, et que vous aspiriez à mourir sur la Croix.
Car si vous mourez avec lui, vous vivrez aussi avec lui ; et si vous partagez ses souffrances, vous partagerez sa gloire.

3. Ainsi tout est dans sa Croix, et tout consiste à mourir. I1 n'est point d'autre voie qui conduise à la vie et à la véritable paix du coeur que la voie de la Croix et d'une mortification continuelle.
Allez où vous voudrez, cherchez tout ce vous voudrez, et vous ne trouverez pas au dessus une voie plus élevée, au dessous une voie plus sûre que la voie de la sainte Croix.
Disposez de tout selon vos vues, réglez tout selon vos désirs, et toujours vous trouverez qu'il vous faut souffrir quelque chose, que vous le vouliez ou non ; et ainsi vous trouverez toujours la Croix.
Car, ou vous sentirez de la douleur dans le corps, ou vous trouverez de l'amertume dans l'âme.

4. Tantôt vous serez délaissé de Dieu, tantôt exercé par le prochain, et, ce qui est plus encore, vous serez souvent à charge à vous même. Vous ne trouverez à vos peines aucun remède, aucun soulagement ; mais i1 vous faudra souffrir aussi longtemps que Dieu le voudra.
Car Dieu veut que vous appreniez à souffrir sans consolation, que vous vous soumettiez à lui sans réserve, et que vous deveniez plus humble par la tribulation.
Nul n'a si avant dans son coeur la Passion de Jésus Christ que celui qui a souffert quelque chose de semblable.
La Croix est donc toujours préparée ; elle vous attend partout.
Vous ne pouvez la fuir, quelque part que vous alliez, puisque partout où vous irez vous vous porterez et vous trouverez toujours vous même.
Élevez-vous, abaissez vous, sortez de vous même, rentrez y : toujours vous trouverez la Croix, et il faut que partout vous preniez patience, si vous voulez posséder la paix intérieure et mériter la couronne immortelle.

5. Si vous portez de bon coeur la Croix, elle même vous portera et vous conduira au terme désiré, où vous cesserez de souffrir ; mais ce ne sera pas en ce monde.
Si vous la portez à regret, vous en augmentez le poids, vous rendez votre fardeau plus dur, et cependant il vous faut la porter.
Si vous rejetez une Croix, vous en trouverez certainement une autre, et peut être plus pesante.

6. Croyez vous échapper à ce que nul homme n'a pu éviter ? Quel saint a été dans ce monde sans Croix et sans tribulation ?
Jésus Christ lui même, Notre Seigneur, n'a pas été une seule heure, dans toute sa vie, sans éprouver quelque souffrance. Il fallait, dit il, que le Christ souffrit, et qu'il ressuscitât d'entre les morts, et qu'il entrât ainsi dans sa gloire.
Comment donc cherchez vous  une autre voie que la voie royale de la sainte Croix ?

7. Toute la vie de Jésus Christ n'a été qu'une Croix et un long martyre : et vous cherchez le repos et la joie !
Vous vous trompez, n'en doutez pas ; vous vous trompez lamentablement, si vous cherchez autre chose que des afflictions à souffrir ; car toute cette vie mortelle est pleine de misères et environnée de Croix.
Et plus un homme aura fait de progrès dans les voies spirituelles, plus ses Croix souvent seront pesantes, parce que l'amour lui rend son exil plus douloureux.

8. Cependant celui que Dieu éprouve par tant de peines n'est pas sans consolations qui les adoucissent, parce qu'il sent s'accroître les fruits de sa patience à porter sa Croix.
Car lorsqu'il s'incline volontairement sous elle, l'affliction qui l'accablait se change tout entière en une douce confiance qui le console.
Et plus la chair est affligée, brisée, plus l'esprit est fortifié intérieurement par la grâce.
Quelquefois même le désir de souffrir, pour être conforme à Jésus crucifié, lui inspire tant de force, qu'il ne voudrait pas être exempt de tribulations et de douleur, parce qu'il se croit d'autant plus agréable à Dieu qu'il souffre pour lui davantage.
Ce n'est point là la vertu de l'homme, mais la grâce de Jésus Christ, qui opère si puissamment dans une chair infirme, que tout ce qu'elle abhorre et fuit naturellement, elle l'embrasse et l'aime par la ferveur de l'esprit.

9. Il n'est pas selon l'homme de porter la Croix, d'aimer la Croix, de châtier le corps, de le réduire en servitude, de fuir les honneurs, de souffrir volontiers les outrages, de se mépriser soi-même et de souhaiter d'être méprisé, de supporter les afflictions et les pertes, et de ne désirer aucune prospérité dans ce monde.
Si vous ne regardez que vous, vous ne pouvez rien de tout cela.
Mais si vous vous confiez dans le Seigneur, la force vous sera donnée d'en haut ; et vous aurez pouvoir sur la chair et le monde.
Vous ne craindrez pas même le démon, votre ennemi, si vous êtes armé de la foi et marqué de la Croix de Jésus Christ.

10. Disposez vous donc, comme un bon et fidèle serviteur de Jésus Christ, à porter courageusement la Croix de votre Maître crucifié par amour pour vous.
Préparez vous à souffrir mille adversités, mille traverses dans cette misérable vie ; car voilà partout ce qui vous attend, ce que vous trouverez partout, en quelque lieu que vous vous cachiez.
Il faut qu'il en soit ainsi : et à cette foule de maux et de douleurs il n'y a d'autre remède que de vous supporter vous même.
Buvez avec joie le calice du Sauveur, si son amour vous est cher, et si vous désirez avoir part à sa gloire.
Laissez Dieu disposer de ses consolations : qu'il les répande comme il lui plaira.
Pour vous, choisissez les souffrances, et regardez les comme des consolations d'un grand prix ; car toutes les souffrances du temps n'ont aucune proportion avec la gloire future, et ne sauraient vous la mériter, quand seul vous les supporteriez toutes.
Lorsque vous en serez venu à trouver la souffrance douce, et à l'aimer pour Jésus Christ, alors estimez vous heureux, parce que vous avez trouvé le paradis sur la terre.
Mais tandis que la souffrance vous sera amère et que vous la fuirez, vous vivrez dans le trouble ; et la tribulation que vous fuirez vous suivra partout.

12. Si vous vous appliquez à ce que vous devez être, à souffrir et à mourir, bientôt vos peines s'adouciront, et vous aurez la paix.
Quand vous auriez été ravi, avec Paul, jusqu'au troisième ciel, vous ne seriez pas pour cela assuré de ne rien souffrir. Je lui montrerai, dit Jésus, combien il faut qu'il souffre pour mon nom.
Il ne vous reste donc qu'à souffrir, si vous voulez aimer Jésus et le servir constamment.

13. Plût à Dieu que vous fussiez digne de souffrir quelque chose pour le nom de Jésus ! Quelle gloire vous serait réservée ! Quelle joie parmi tous les saints ! Quelle édification pour le prochain !
Car tous recommandent la patience, quoique peu cependant veuillent souffrir.
Avec quelle joie vous devriez souffrir quelque chose pour Jésus, lorsque tant d'autres  souffrent beaucoup plus pour le monde !

14. Sachez et croyez fermement que votre vie doit être une mort continuelle, et que plus on meurt à soi même, plus on commence à vivre pour Dieu.
Nul n'est propre à comprendre les choses du Ciel, s'il ne se soumet à supporter les adversités pour Jésus Christ.
Rien n'est plus agréable  à Dieu, rien ne vous est plus salutaire en ce monde, que de souffrir avec joie pour Jésus Christ ; et si vous aviez à choisir, vous devriez plutôt souhaiter d'être affligé pour lui que d'être comblé de consolations, parce que vous seriez alors plus semblable à Jésus Christ et plus conforme tous les Saints.
Car notre mérite et notre progrès dans la perfection ne consistent point dans la douceur et l'abondance des consolations mais plutôt dans la force de supporter de grandes tribulations et de pesantes épreuves.

15. S'il y avait eu pour l'homme quelque chose de meilleur et de plus utile que de souffrir, Jésus Christ nous l'aurait appris par ses paroles et par son exemple.
Or manifestement il exhorte à porter la Croix et les disciples qui le suivaient, et tous ceux qui voudraient le suivre, disant : Si quelqu'un veut marcher sur mes pas, qu'il renonce à soi-même, qu'il porte sa Croix et qu'il me suive.
Après donc avoir tout lu et tout examiné, concluons enfin qu'il nous faut passer par beaucoup de tribulations pour entrer dans le royaume de Dieu.

RÉFLEXION  LIVRE II / CHAPITRE XII

La doctrine de la Croix, scandale pour les Juifs et folie pour les Gentils, est ce que les hommes comprennent le moins. Qu'un Dieu soit mort pour les sauver, leur raison s'abaissera devant ce mystère ; mais qu'ils doivent s'associer à cet étonnant sacrifice en mourant à eux-mêmes, à leurs passions, à leurs volontés, à leurs désirs, voilà ce qui les révolte et leur fait dire comme les Capharnaïtes : Cette parole est dure ; et qui peut l'entendre ? Il faut bien pourtant que nous l'entendions ; car notre salut dépend de là. Le ciel était séparé de la terre. La Croix les a réunis ; et c'est du pied de la Croix que part tout ce qui va jusqu'au ciel. Pressons nous donc contre la Croix ; qu'elle soit ici bas notre consolation, comme elle est notre force. Lorsque dans sa bonté, Dieu nous envoie quelque épreuve, disons avec saint André : O douce Croix si longtemps désirée et préparée maintenant pour cette âme qui la souhaitait ardemment ! Tous les Saints ont senti ce désir, tous ont tenu ce langage. Souffrir ou mourir, répétait souvent sainte Thérèse, et dans la souffrance elle trouvait plus de paix et de bonheur que n'en goûteront jamais ceux que le monde appelle heureux. Une seule larme versée aux pieds de Jésus est plus délicieuse mille fois que tous les plaisirs du siècle.