Carmel

L'Imitation de Jésus-Christ - Livre I

Livre premier : Avis utiles pour entrer dans la vie intérieure

Chapitre I : Qu'il faut imiter Jésus Christ, et mépriser toutes les vanités du monde

1. Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, dit le Seigneur. Ce sont les paroles de Jésus Christ, par lesquelles il nous exhorte à imiter sa conduite et sa vie, si nous voulons être vraiment éclairés et délivrés de tout aveuglement du coeur.
Que notre principale étude soit donc de méditer la vie de Jésus Christ.
2. La doctrine de Jésus Christ surpasse toute doctrine des Saints ; et qui posséderait son esprit, y trouverait la manne cachée.
Mais il arrive que plusieurs, à force d'entendre l'Évangile, n'en sont que peu touchés, parce qu'ils n'ont point l'esprit de Jésus Christ.
Voulez vous comprendre parfaitement et goûter les paroles de Jésus Christ, appliquez vous à conformer toute votre vie à la sienne.
3. Que vous sert de raisonner profondément sur la Trinité, si vous n'êtes pas humble, et que par là vous déplaisiez à la Trinité ?
Certes, les discours sublimes ne font pas l'homme juste et saint ; mais une vie pure rend cher à Dieu.
J'aime mieux sentir la componction que d'en savoir la définition.
Quand vous sauriez toute la Bible et toutes les sentences des philosophes, que vous servirait tout cela, sans la grâce et la charité ?
Vanité des vanités, tout n'est que vanité, hors aimer Dieu, et le servir lui seul.
La souveraine sagesse est de tendre au royaume du ciel par le mépris du monde.
4. Vanité donc, d'amasser des richesses périssables, et d'espérer en elles.
Vanité d'aspirer aux honneurs, et de s'élever à ce qu'il y a de plus haut.
Vanité, de suivre les désirs de la chair, et de rechercher ce dont il faudra bientôt être rigoureusement puni.
Vanité, de souhaiter une longue  vie, et de ne pas se soucier de bien vivre.
Vanité, de ne penser qu'à la vie présente et de ne pas prévoir ce qui la suivra.
Vanité, de s'attacher à ce qui passe si vite, et de ne pas se hâter vers la joie qui ne finit point.
5. Rappelez vous souvent cette parole du Sage : L'oeil n'est pas rassasié de ce qu'il voit, ni l'oreille remplie de ce qu'elle entend.
Appliquez vous donc à détacher votre coeur des choses visibles, pour le porter tout entier vers les invisibles.
Car ceux qui suivent l'attrait de leurs sens souillent leur âme, et perdent la grâce de Dieu.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE I

Nous n'avons ici bas qu'un intérêt, celui de notre salut, et nul ne peut être sauvé qu'en Jésus Christ et par Jésus Christ ; la foi en sa parole, l'obéissance à ses commandements, l'imitation de ses vertus, voilà la vie, il n'y en a point d'autre : tout le reste est vanité, et j'ai vu, dit le Sage, que l'homme n'a rien de plus de tous les travaux dont il se consume sous le soleil : richesse, plaisirs, grandeurs, qu'est ce que cela, lorsqu'on jette le corps dans la fosse, et que l'âme s'en va dans son éternité ? Pensez y dès aujourd'hui, dès ce moment même ; car demain peut être il ne sera plus temps. Travaillez pendant que le jour luit ; hâtez vous d'amasser un trésor qui ne périsse point : La nuit vient où l'on ne peut rien faire. De stériles désirs ne vous sauveront pas : ce sont des oeuvres que Dieu veut. Or donc, imitez Jésus, si vous voulez vivre éternellement avec Jésus.

CHAPITRE II : Avoir d'humbles sentiments de soi même

1. Tout homme désire naturellement de savoir ; mais la science sans la crainte de Dieu, que vaut elle ?
Un humble paysan qui sert Dieu est certainement fort au dessus du philosophe superbe qui, se négligeant lui même, considère le cours des astres.
Celui qui se connaît bien se méprise, et ne se plaît point aux louanges des hommes.
Quand j'aurais toute la science du monde, si je n'ai pas la charité, à quoi cela me servirait il devant Dieu, qui me jugera sur mes oeuvres ?
2. Modérez le désir trop vif de savoir ; on ne trouvera là qu'une grande dissipation et une grande illusion.
Les savants sont bien aises de paraître et de passer pour habiles.
I1 y a beaucoup de choses qu'il importe peu ou qu'il n'importe point à l'âme de connaître ; et celui là est bien insensé qui s'occupe d'autre chose que de ce qui intéresse son salut.
La multitude des paroles ne rassasie point l'âme ; mais une vie sainte et une conscience pure donnent le repos du coeur et une grande confiance près de Dieu.
3. Plus et mieux vous savez, plus vous serez sévèrement jugé, si vous n'en vivez pas plus saintement.
Quelque art et quelque science que vous possédiez, n'en tirez donc point de vanité : craignez plutôt à cause des lumières qui vous ont été données.
Si vous croyez beaucoup savoir, et savoir bien, souvenez vous que c'est peu de chose près de ce que vous ignorez.
Ne vous élevez point en vous même : avouez plutôt votre ignorance.
Comment pouvez vous songer à vous préférer à quelqu'un, tandis qu'il y en a tant de plus doctes que vous, et de plus instruits de la loi de Dieu ?
Voulez vous apprendre et savoir quelque chose qui vous serve, aimez à vivre inconnu et à n'être compté pour rien.
4. La science la plus haute et la plus utile est la connaissance exacte et le mépris de soi même.
Ne rien s'attribuer et penser favorablement des autres, c'est une grande sagesse et une grande perfection.
Quand vous verriez votre frère commettre ouvertement une faute, même une faute très grave, ne pensez pas cependant être meilleur que lui : car vous ignorez combien de temps vous persévérerez dans le bien.
Nous sommes tous fragiles ; mais croyez que personne n'est plus fragile que vous.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE  II

L'orgueil a perdu l'homme, l'humilité le relève et le rétablit en grâce avec Dieu. Son mérite n'est pas dans ce qu'il sait, mais dans ce qu'il fait. La science sans les oeuvres ne le justifiera point au tribunal suprême ; elle aggravera plutôt son jugement. Ce n'est pas que la science n'ait ses avantages, puisqu'elle vient de Dieu ; mais elle cache un grand piège et une grande tentation. Elle enfle, dit l'Apôtre ; elle nourrit la superbe, elle inspire une secrète préférence de soi, préférence criminelle et folle en même temps ; car la science la plus étendue n'est qu'un autre genre d'ignorance, et la vraie perfection consiste uniquement dans les dispositions du coeur. N'oublions jamais que nous ne sommes rien, que nous ne possédons en propre que le péché, que la justice veut que nous nous abaissions au dessous de toutes les créatures, et que, dans le royaume de Jésus Christ, les premiers seront les derniers, et les derniers seront les premiers.

CHAPITRE III : De la Doctrine de Vérité

1. Heureux celui que la Vérité instruit elle même, non par des figures et des paroles qui passent, mais en se montrant telle qu'elle est.
Notre raison et nos sens voient peu et nous trompent souvent.
A quoi servent ces disputes subtiles sur des choses cachées et obscures, qu'au jugement de Dieu on ne nous reprochera point d'avoir ignorées ?
C'est une grande folie de négliger ce qui est utile et nécessaire, pour s'appliquer curieusement à ce qui nuit. Nous avons des yeux, et nous ne voyons point.
2. Que nous importe ce qu'on dit sur les genres et sur les espèces  ?
Celui à qui parle le Verbe éternel est délivré de bien des opinions.
Tout vient de ce Verbe unique : de lui procède toute parole, il en est le principe et c'est lui qui parle en dedans de nous.
Sans lui nulle intelligence, sans lui nul jugement n'est droit
Celui pour qui une seule chose est tout, qui rappelle tout à cette unique chose, et voit tout en elle, ne sera point ébranlé, et son coeur demeurera dans la paix de Dieu.
O Vérité, qui êtes Dieu, faites que je sois un avec vous dans un amour éternel !
Souvent j'éprouve un grand ennui à force de lire et d'entendre : en vous est tout ce que je désire, tout ce que je veux.
Que tous les docteurs se taisent ; que toutes les créatures soient dans le silence devant vous : parlez moi vous seul.
3. Plus un homme est recueilli en lui même et dégagé des choses extérieures, plus son esprit s'étend et s'élève sans aucun travail, parce qu'il en reçoit d'en haut la lumière de l'intelligence.
Une âme pure, simple, ferme dans le bien, n'est jamais dissipée au milieu même des plus nombreuses occupations, parce qu'elle fait tout pour honorer Dieu, et que, tranquille en elle même, elle tâche de ne se rechercher en rien. Qu'est ce qui vous fatigue et trouble, si ce n'est les affections immortifiées de votre coeur ?
4. L'homme bon et vraiment  pieux dispose d'abord au-dedans de lui tout ce qu'il doit faire au dehors : il ne se laisse point entraîner, dans ses actions, au désir d'une inclination vicieuse ; mais il les soumet à la règle d'une droite raison.
Qui a un plus rude combat à soutenir que celui qui travaille à se vaincre ?
C'est là ce qui devrait nous occuper uniquement : combattre contre nous mêmes, devenir chaque jour plus forts contre nous, chaque jour faire quelque progrès dans le bien.
Toute perfection, dans cette vie, est mêlée de quelque imperfection ; et nous ne voyons rien qu'à travers une certaine obscurité.
L'humble connaissance de vous même est une voie plus sûre pour aller à Dieu, que les recherches profondes de la science.
Ce n'est pas qu'il faille blâmer la science, ni la simple connaissance d'aucune chose : car elle est bonne en soi et dans l'ordre de Dieu ; seulement on doit préférer toujours une conscience pure et une vie sainte.
Mais parce que plusieurs s'occupent davantage de savoir que de bien vivre, ils s'égarent souvent, et ne retirent que peu ou point de fruit de leur travail.
5. Oh ! s'ils avaient autant d'ardeur pour extirper leurs vices et pour cultiver la vertu que pour remuer de vaines questions, on ne verrait pas tant de maux et de scandales dans le peuple, ni tant de relâchement dans les monastères.
Certes, au jour du jugement, on ne nous demandera point ce que nous avons lu, mais ce que nous avons fait ; ni si nous avons bien parlé, mais si nous avons bien vécu.
Dites moi où sont maintenant ces maîtres et ces docteurs que vous avez connus, lorsqu'ils vivaient encore, et qu'ils florissaient dans leur science ?
D'autres occupent à présent leurs places, et je ne sais s'ils pensent seulement à eux.
Ils semblaient pendant leur vie être quelque chose, et maintenant on n'en parle plus.
Oh ! que la gloire du monde passe vite ! Plût à Dieu que leur vie eût répondu à leur science ! ils auraient lu alors et étudié avec fruit.
Qu'il y en a qui se perdent dans le siècle par une vaine science, et par l'oubli du service de Dieu !
Et parce qu'ils aiment mieux être grands que d'être humbles, ils s'évanouissent dans leurs pensées.
Celui là est vraiment grand, qui a une grande charité.
Celui là est vraiment grand, qui est petit à ses propres yeux, et pour qui les honneurs du monde ne sont qu'un pur néant.
Celui là est vraiment sage, qui, pour gagner Jésus Christ, regarde comme de la boue toutes les choses de la terre.
Celui là possède la vraie science, qui fait la volonté de Dieu et renonce à la sienne.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE III

Il y a deux doctrines, mais il n'y a qu'une vérité. Il y a deux doctrines : l'une de Dieu, immuable comme lui ; l'autre de l'homme, changeante comme lui. La Sagesse incréée, le Verbe divin, répand la première dans les âmes préparées à la recevoir ; et la lumière qu'elle leur communique est une partie de lui même, de la vérité substantielle et toujours vivante. Offerte à tous, elle est donnée avec plus d'abondance à l'humble de coeur, et, comme elle ne vient pas de lui, qu'elle peut à chaque instant lui être retirée, qu'elle ne dépend en aucune façon de l'intelligence qu'elle éclaire, il la possède sans être tenté de vaine complaisance dans sa possession. La doctrine de l'homme, au contraire, flatte son orgueil, parce qu'il en est le père. « Cette idée m'appartient ; j'ai dit cela le  premier, on ne savait rien là dessus avant moi. »  Esprit superbe, voilà ton langage. Mais bientôt on conteste à cette puissante raison ce qui fait sa joie ; on rit de ses idées fausses qu'elle a crues vraies, de ses découvertes imaginaires : le lendemain on n'y pense plus, et le temps emporte jusqu'au nom de l'insensé qui ne vécut que pour être immortel sur la terre. O Jésus ! daignez mettre en moi votre vérité sainte, et qu'elle me préserve à jamais des égarements de mon propre esprit.

CHAPITRE IV : De la prévoyance dans les actions

1. Il ne faut pas croire à toute parole, ni obéir à tout mouvement intérieur, mais peser chaque chose selon Dieu, avec prudence et avec une longue attention.
Hélas ! nous croyons et nous disons plus facilement des autres le mal que le bien, tant nous sommes faibles !
Mais les parfaits n'ajoutent pas foi aisément à tout ce qu'ils entendent, parce qu'ils connaissent l'infirmité de l'homme, enclin au mal et léger dans ses paroles.
2. C'est une grande sagesse que de ne point agir avec précipitation et de ne pas s'attacher obstinément à son propre sens.
Il est encore de la sagesse de ne pas croire indistinctement tout ce que les hommes disent ; et ce qu'on a entendu ou cru, de ne point aller aussitôt le rapporter aux autres.
Prenez conseil d'un homme sage et de conscience ; et laissez vous guider par un autre qui vaille mieux que vous, plutôt que de suivre vos propres pensées.
Une bonne vie rend l'homme sage selon Dieu, et lui donne une grande expérience.
Plus on sera humble et soumis à Dieu, plus on aura de sagesse en toutes choses.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE IV

Dieu devant être la dernière fin de nos actions comme de nos désirs, il est nécessaire qu'en agissant nous évitions de nous abandonner aux mouvements précipités de la nature, dont le penchant est de tout rapporter à soi. Et comme nul ne se connaît lui-même, et ne peut dès lors être son propre guide, la sagesse veut que nous ne hasardions aucune démarche de quelque importance avant d'avoir pris conseil, en esprit de soumission et d'humilité. Cette juste défiance de soi prévient les chutes et purifie le coeur. Le conseil vous gardera, dit l'écriture, et vous retirera de la voie mauvaise.

CHAPITRE V : De la lecture de l'Écriture sainte

1. Il faut chercher la vérité dans l'Écriture sainte et non dans l'éloquence.
Toute l'Écriture doit être lue dans le même esprit qui l'a dictée.
Nous devons y chercher l'utilité plutôt que la délicatesse du langage.
Nous devons lire aussi volontiers les livres simples et pieux  que les livres profonds et sublimes.
Ne vous prévenez point contre l'auteur ; mais sans vous inquiéter s'il a peu ou beaucoup de science, que le pur amour de la vérité vous porte à le lire.
Considérez ce qu'on vous dit, sans rechercher qui le dit.
2. Les hommes passent ; mais la vérité du Seigneur demeure éternellement.
Dieu nous parle en diverses manières, et par des personnes très diverses.
Dans la lecture de l'Écriture sainte, souvent notre curiosité nous nuit, voulant examiner et comprendre, lorsqu'il faudrait passer simplement.
Si vous voulez en retirer du fruit, lisez avec humilité, avec simplicité, avec foi, et ne cherchez jamais à passer pour habile.
Aimez à interroger ; écoutez en silence les paroles des saints, et ne méprisez point les sentences des vieillards, car elles ne sont pas proférées en vain.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE V

Qu'est ce que la raison comprend ? Presque rien : mais la foi embrasse l'infini. Celui qui croit est donc bien au dessus de celui qui raisonne, et la simplicité du coeur bien préférable à la science, qui nourrit l'orgueil. C'est le désir de savoir qui perdit le premier homme : il cherchait la science, il trouva la mort. Dieu, qui nous parle dans l'Écriture, n'a pas voulu satisfaire notre vaine curiosité, mais nous éclairer sur nos devoirs, exercer notre foi, purifier et nourrir notre âme par l'amour des vrais biens, qui sont tous renfermés en lui. L'humilité d'esprit est donc la disposition la plus nécessaire pour lire avec fruit les livres saints, et c'est déjà avoir profité beaucoup que de comprendre combien ils sont au dessus de notre raison faible et bornée.

CHAPITRE VI : Des affections déréglées

1. Dès que l'homme commence à désirer quelque chose désordonnément, aussitôt il devient inquiet en lui même.
Le superbe et l'avare n'ont jamais de repos ; mais le pauvre et l'humble d'esprit vivent dans l'abondance de la paix.
L'homme qui n'est pas encore parfaitement mort à lui même est bien vite tenté ; et il succombe dans les plus petites choses.
Celui dont l'esprit est encore infirme, appesanti par la chair et incliné vers les choses sensibles, a grande peine à se détacher entièrement des désirs terrestres.
C'est pourquoi, lorsqu'il se refuse à les satisfaire, souvent il éprouve de la tristesse ; et il est disposé à l'impatience quand on lui résiste.
2. Que s'il a obtenu ce qu'il convoitait, aussitôt le remords de la conscience pèse sur lui, parce qu'il a suivi sa passion, qui ne sert de rien pour la paix qu'il cherchait.
C'est en résistant aux passions, et non en leur cédant, qu'on trouve la véritable paix du coeur.
Point de paix donc dans le coeur de l'homme charnel, de l'homme livré aux choses extérieures ; la paix est le partage de l'homme fervent et spirituel.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE VI

Un joug pesant accable les enfants d'Adam, fatigués sans relâche par les convoitises de la nature corrompue. Succombent-ils, la tristesse, le trouble, l'amertume, le remords, s'emparent aussitôt de leur âme. « Superbe encore au fond de l'ignominie, inquiet et las de moi même, » dit saint Augustin en racontant les désordres de sa jeunesse, « je m'en allais loin de vous, ô mon Dieu ! à travers les voies toutes semées de stériles douleurs. » Il en coûte plus à l'homme de céder à ses penchants que de les vaincre ; et si le combat contre les passions est dur, une paix ineffable en est le fruit. Appelons le Seigneur à notre aide dans ce saint combat, n'en craignons point le travail, il sera court ; aujourd'hui, demain ; et puis le repos éternel !

CHAPITRE VII : Qu'il faut fuir l'orgueil et ses vaines espérances

1. Insensé celui qui met son espérance dans les hommes ou dans quelque créature que ce soit.
N'ayez point de honte de servir les autres, et de paraître pauvre en ce monde, pour l'amour de Jésus Christ.
Ne vous appuyez point sur vous même, et ne vous reposez que sur Dieu seul.
Faites ce qui est en vous, et Dieu secondera votre bonne volonté.
Ne vous confiez point en votre science, ni dans l'habileté d'aucune créature, mais plutôt dans la grâce de Dieu, qui aide les humbles et qui humilie les présomptueux.
2. Ne vous glorifiez point dans les richesses si vous en avez, ni dans vos amis parce qu'ils sont puissants, mais en Dieu, qui donne tout, et qui, par dessus tout, désire encore se donner lui même.
Ne vous élevez point à cause de la force ou de la beauté de votre corps, qu'une légère infirmité abat et flétrit.
N'ayez pas de complaisance en vous même à cause de votre esprit ou de votre habileté, de peur de déplaire à Dieu, de qui vient tout ce que vous avez reçu de bon de la nature.
3. Ne vous estimez pas meilleur que les autres, de crainte que peut être vous ne soyez pire aux yeux de Dieu, qui sait ce qu'il y a dans l'homme.
Ne vous enorgueillissez pas de vos bonnes oeuvres ; car les jugements de Dieu sont autres que ceux des hommes, et ce qui plaît aux hommes, souvent lui déplaît.
S'il y a quelque bien en vous, croyez qu'il y en a plus dans les autres, afin de conserver l'humilité.
Vous ne hasardez rien à vous mettre au dessous de tous : mais il vous serait très nuisible de vous préférer à un seul.
L'homme humble jouit d'une paix inaltérable ; la colère et l'envie troublent le coeur du superbe.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE VII

En considérant la faiblesse de l'homme, la fragilité de sa vie, les souffrances dont il est assailli de toutes parts, les ténèbres de sa raison, les incertitudes de sa volonté, inclinée au mal dès l'enfance, on s'étonne qu'un seul mouvement d'orgueil puisse s'élever dans une créature si misérable, et cependant l'orgueil est le fond même de notre nature dégradée. Selon la pensée d'un Père, « il nous sépare de la sagesse : il fait que nous voulons être nous mêmes notre bien,  comme Dieu lui même est son bien » : tant il y a de folie dans le crime ! C'est alors que l'homme se recherche et s'admire dans tout ce qui le distingue des autres et l'agrandit à ses propres yeux, dans les avantages du corps, de l'esprit, de la naissance, de la fortune, de la grâce même, abusant ainsi à la fois des dons du Créateur et du Rédempteur. Oh ! que ce désordre est effrayant, et combien nous devons trembler lorsque nous découvrons en nous un sentiment de vaine complaisance, ou qu'il nous arrive de nous préférer à l'un de nos frères ! Rappelons nous souvent le pharisien de l'Évangile, sa fausse piété, si contente d'elle même et si coupable devant Dieu, son mépris pour le publicain, qui s'en alla justifié à cause de l'humble aveu de sa misère, et disons au fond du coeur avec celui ci : Mon Dieu, ayez pitié de moi, pauvre pécheur !

CHAPITRE VIII : Éviter la trop grande familiarité

1. N'ouvrez pas votre coeur à tous indistinctement ; mais confiez ce qui vous touche à l'homme sage et craignant Dieu.
Ayez peu de commerce avec les jeunes gens et les personnes du monde
Ne flattez point les riches, et ne désirez point de paraître devant les grands.
Recherchez les humbles, les simples, les personnes de piété et de bonnes moeurs ; et ne vous entretenez que de choses édifiantes.
N'ayez de familiarité avec aucune femme ; mais recommandez à Dieu toutes celles qui sont vertueuses.
Ne souhaitez d'être familier qu'avec Dieu et les anges, et évitez d'être connu des hommes.
2. Il faut avoir de la charité pour tout le monde ; mais la familiarité ne convient point.
Il arrive que, sans la connaître, on estime une personne sur sa bonne réputation, et en se montrant elle détruit l'opinion qu'on avait d'elle.
Nous nous imaginons quelquefois plaire aux autres par nos assiduités ; et c'est plutôt alors que nous commençons à leur déplaire, par les défauts qu'ils découvrent en nous.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE VIII

Il faut se prêter aux hommes et ne se donner qu'à Dieu. Un commerce trop étroit avec la créature partage l'âme et l'affaiblit : elle doit viser plus haut. Notre conversation est dans le ciel, dit l'Apôtre.

CHAPITRE IX : De l'obéissance et du renoncement à son propre sens

1. C'est quelque chose de bien grand que de vivre sous un supérieur dans l'obéissance, et de ne pas dépendre de soi même.
Il est beaucoup plus sûr d'obéir que de commander.
Quelques uns obéissent plutôt par nécessité que par amour, et ceux là, toujours souffrants, sont portés au murmure. Jamais ils ne posséderont la liberté d'esprit, à moins qu'ils ne se soumettent de tout leur coeur, à cause de Dieu.
Allez où vous voudrez, vous ne trouverez de repos que dans une humble soumission à la conduite d'un supérieur. Plusieurs, s'imaginant qu'ils seraient meilleurs en d'autres lieux, ont été trompés par cette idée de changement.
2. Il est vrai que chacun aime à suivre son propre sens, et a plus d'inclination pour ceux qui pensent comme lui.
Mais si Dieu est au milieu de nous, il est quelquefois nécessaire de renoncer à notre sentiment pour le bien de la paix.
Quel est l'homme si éclairé, qu'il sache tout parfaitement ?
Ne vous fiez donc pas trop à votre sentiment ; mais écoutez aussi volontiers celui des autres. Si votre sentiment est bon, et qu'à cause de Dieu vous l'abandonniez pour en suivre un autre, vous en retirerez plus d'avantage.
3. J'ai souvent ouï dire qu'il est plus sûr d'écouter et de recevoir un conseil que de le donner.
Car il peut arriver que le sentiment de chacun soit bon ; mais ne vouloir pas céder aux autres lorsque l'occasion ou la raison le demande, c'est la marque d'un esprit superbe et opiniâtre.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE IX

Le Christ s'est rendu obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix. Qui oserait après cela refuser d'obéir ? Nul ordre dans le monde, nulle vie que par l'obéissance ; elle est le lien des hommes entre eux et avec leur auteur, le fondement de la paix et le principe de l'harmonie universelle. La famille, la cité, l'Église ou la grande société des intelligences, ne subsistent que par elle, et la perfection la plus haute n'est, pour les créatures, qu'une plus parfaite obéissance : elle seule nous garantit de l'erreur et du péché. Qu'est ce que l'erreur ? La pensée d'un esprit faillible, qui ne reconnaît point de maître et n'obéit qu'à soi. Qu'est ce que le péché ? L'acte d'une volonté corrompue, qui ne reconnaît point de maître et n'obéit qu'à soi. Mais à qui devrons nous obéir ? à un homme comme nous ? Non, non, l'homme n'a sur l'homme aucun légitime empire, son pouvoir n'est que la force, et quand il commande en son propre nom, il usurpe insolemment un droit qui ne lui appartient en aucune manière. Dieu est l'unique monarque, et toute autorité légitime est un écoulement, une participation de sa puissance éternelle, infinie. Ainsi, comme l'enseigne l'Apôtre, le pouvoir vient de Dieu, et il est soumis à une règle divine, aussi bien dans l'ordre temporel que dans l'ordre religieux, de sorte qu'en obéissant au pontife, au prince, au père, à quiconque est réellement le ministre de Dieu pour le bien, c'est à Dieu seul qu'on obéit. Heureux celui qui comprend cette céleste doctrine : délivré de la servitude de l'erreur et des passions, de la servitude de l'homme, il jouit de la vraie liberté des enfants de Dieu.

CHAPITRE X : Qu'il faut éviter les entretiens inutiles

1. Évitez autant que vous pourrez le tumulte du monde ; car il y a du danger à s'entretenir des choses du siècle, même avec une intention pure.
Bientôt la vanité souille l'âme et la captive.
Je voudrais souvent m'être tu et ne m'être pas trouvé avec les hommes.
D'où vient que nous aimons tant à parler et à converser, lorsque si rarement il arrive que nous rentrions dans le silence avec une conscience qui ne soit pas blessée ?
C'est que nous cherchons dans ces entretiens une consolation mutuelle et un soulagement pour notre coeur fatigué de pensées diverses.
Nous nous plaisons à parler, à occuper notre esprit de ce que nous aimons, de ce que nous souhaitons, de ce qui contrarie nos désirs.
2. Mais souvent, hélas ! bien vainement ; car cette consolation extérieure n'est pas un médiocre obstacle à la consolation que Dieu donne intérieurement.
Il faut donc veiller et prier, afin que le temps ne se passe pas sans fruit.
S'il est permis, s'il convient de parler, parlez de ce qui peut édifier.
La mauvaise habitude et le peu de soin de notre avancement nous empêchent d'observer notre langue.
Cependant de pieuses conférences sur les choses spirituelles, entre les personnes unies selon Dieu et animées d'un même esprit, servent beaucoup au progrès dans la perfection.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE  X

Il est écrit que nous rendrons compte, au jour du jugement, même d'une parole oiseuse. Ne nous étonnons pas de tant de rigueur : tout est sérieux dans la vie humaine, dont chaque moment peut avoir de si formidables conséquences. Ce temps, que vous dissipez en des entretiens inutiles, vous était donné pour gagner le ciel. Comparez la fin pour laquelle vous l'avez reçu avec l'usage que vous en faites ; et cependant que savez vous s'il vous sera seulement accordé une heure de plus ?

CHAPITRE XI : Des moyens d'acquérir la paix intérieure et du soin d'avancer dans la vertu

1. Nous pourrions jouir d'une grande paix, si nous voulions ne nous point occuper de ce que disent et de ce que font les autres, et de ce dont nous ne sommes point chargés.
Comment peut il être longtemps en paix, celui qui s'embarrasse de soins étrangers, qui cherche à se répandre au dehors, et ne se recueille que peu ou rarement en lui même ?
Heureux les simples, parce qu'ils posséderont une grande paix !
2. Comment quelques Saints se sont ils élevés à un si haut degré de vertu et de contemplation ?
C'est qu'ils se sont efforcés de mourir à tous les désirs de la terre, et qu'ils ont pu ainsi s'unir à Dieu par le fond le plus intime de leur coeur, et s'occuper librement d'eux mêmes.
Pour nous, nous sommes trop à nos passions, et trop inquiets de ce qui passe.
Rarement nous surmontons parfaitement un seul vice ; nous n'avons point d'ardeur pour faire chaque jour quelque progrès, et ainsi nous restons tièdes et froids.
3. Si nous étions tout à fait morts à nous mêmes, et moins préoccupés au-dedans de nous, alors nous pourrions aussi goûter les choses de Dieu, et acquérir quelque expérience de la céleste contemplation.
Le plus grand, l'unique obstacle, c'est qu'asservis à nos passions et à nos convoitises, nous ne faisons aucun effort pour entrer dans la voie parfaite des Saints.
Et s'il arrive que nous éprouvions quelque légère adversité, nous nous laissons aussitôt abattre, et nous recourons aux consolations humaines.
4. Si, tels que des soldats généreux, nous demeurions fermes dans le combat, nous verrions certainement le secours de Dieu descendre sur nous du ciel.
Car il est toujours prêt à aider ceux qui résistent et qui espèrent en sa grâce ; et c'est lui qui nous donne des occasions de combattre afin de nous rendre victorieux.
Si nous plaçons uniquement le progrès de la vie chrétienne dans les observances extérieures, notre dévotion sera de peu de durée.
Mettons donc la cognée à la racine de l'arbre, afin que, dégagés des passions, nous possédions notre âme en paix.
5. Si nous déracinions chaque année un seul vice, bientôt nous serions parfaits.
Mais nous sentons souvent, au contraire, que nous étions meilleurs, et que notre vie était plus pure, lorsque nous quittâmes le siècle, qu'après plusieurs années de profession.
Nous devrions croître chaque jour en ferveur et en vertu, et maintenant on compte pour beaucoup d'avoir conservé une partie de sa ferveur.
Si nous nous faisions d'abord un peu de violence, nous pourrions ensuite tout faire aisément et avec joie.
6. Il est dur de renoncer à ses habitudes ; mais il est plus dur encore de courber sa propre volonté.
Cependant, si vous ne savez pas vous vaincre en des choses légères, comment remporterez-vous des victoires plus difficiles ?
Résistez dès le commencement à votre inclination : rompez sans aucun retard toute habitude mauvaise, de peur que peu à peu elle ne vous engage dans de plus grandes difficultés.
Oh ! si vous considériez quelle paix pour vous, quelle joie pour les autres, en vivant comme vous le devez, vous auriez, je crois, plus d'ardeur pour votre avancement spirituel.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE  XI

Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix, non comme le monde la donne. Quelle aimable douceur, quel touchant amour dans ces paroles de Jésus Christ, et en même temps quelle instruction profonde ! Tous les hommes souhaitent la paix ; mais il y a deux paix : la paix de Jésus Christ et la paix du monde. Le monde dit à l'ambitieux : Le désir des grandeurs te trouble et t'agite ; monte, élève toi. I1 dit à l'avare : L'envie des richesses te dévore ; amasse, amasse, sans t'arrêter jamais. I1 dit au mondain, tourmenté de ses convoitises : Enivre toi de tous les plaisirs. I1 dit enfin à chaque passion : Jouis, et tu auras la paix. Promesse menteuse ! les soucis, la tristesse, l'inquiétude, le dégoût, les remords, voilà la paix du monde. Jésus dit : Triomphez de vous même, combattez vos désirs, domptez vos convoitises, brisez vos passions, et l'âme docile à ses commandements repose dans un calme ineffable. Les peines de la vie, les souffrances, les injustices, les persécutions, rien n'altère sa paix, et cette céleste paix, qui surpasse tout sentiment, l'accompagne au dernier passage, et la suit jusqu'au ciel, où se consommera sa félicité.

CHAPITRE XII : De l'avantage de l'adversité

1. Il nous est bon d'avoir quelquefois des peines et des traverses, parce que souvent elles rappellent l'homme à son coeur et lui font sentir qu'il est en exil, et qu'il ne doit mettre son espérance en aucune chose du monde.
Il nous est bon de souffrir quelquefois des contradictions, et qu'on pense du mal ou peu favorablement de nous, quelque bonnes que soient nos actions et nos intentions. Souvent cela sert à nous rendre humbles et à nous prémunir contre la vaine gloire.
Car nous avons plus d'empressement à chercher Dieu, qui voit au fond du coeur, quand les hommes au dehors nous rabaissent et pensent mal de nous.
2. C'est pourquoi l'homme devrait s'affermir tellement en Dieu, qu'il n'eût pas besoin de chercher tant de consolations humaines.
Lorsque avec une volonté droite l'homme est troublé, tenté, affligé de mauvaises pensées, il reconnaît alors combien Dieu lui est nécessaire, et qu'il n'est capable d'aucun bien sans lui.
Alors il s'attriste, il gémit, il prie à cause des maux qu'il souffre.
Alors il s'ennuie de vivre plus longtemps, et il souhaite que la mort arrive, afin que, délivré de ses liens, il soit avec Jésus Christ.
Alors aussi il comprend bien qu'une sécurité parfaite, une pleine paix, ne sont point de ce monde.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE XII

C'est dans l'adversité que chacun de nous apprend à connaître ce qu'il est réellement. Celui qui n'a pas été éprouvé, que sait il ? L'homme à qui tout prospère est exposé à un grand danger ; il est bien à craindre que son âme ne s'assoupisse d'un sommeil pesant, et qu'à l'heure du réveil on lui dise : Souvenez vous que vous avez reçu vos biens sur la terre. Ici bas les souffrances sont une grâce de prédilection ; elles nous exercent à la vertu, elles nous fournissent de nouvelles occasions de mérite, et nous rendent conformes au Fils de Dieu, dont il est écrit : Il a fallu que le Christ souffrît, et qu'il entrât ainsi dans sa gloire.

CHAPITRE XIII : De la résistance aux tentations

1. Tant que nous vivons ici-bas, nous ne pouvons être exempts de tribulations et d'épreuves.
C'est pourquoi il est écrit au livre de Job : La tentation est la vie de l'homme sur la terre.
Chacun devrait donc être toujours en garde contre les tentations qui l'assiègent, et veiller et prier pour ne point laisser lieu aux surprises du démon, qui ne dort jamais, et qui tourne de tous côtés cherchant quelqu'un pour le dévorer.
Il n'est point d'homme si parfait et si saint qui n'ait quelquefois des tentations, et nous ne pouvons entièrement en être affranchis.
2. Mais quoique importunes et pénibles, elles ne laissent pas d'être souvent très utiles à l'homme, parce qu'elles l'humilient, le purifient et l'instruisent.
Tous les Saints ont passé par beaucoup de tentations et de souffrances, et c'est par cette voie qu'ils ont avancé ; mais ceux qui n'ont pu soutenir ces épreuves, Dieu les a réprouvés, et ils ont défailli dans la route du salut.
Il n'y a point d'ordre si saint ni de lieu si secret où l'on ne trouve des peines et des tentations.
3. L'homme, tant qu'il vit, n'est jamais entièrement à l'abri des tentations : car nous en portons le germe en nous, à cause de la concupiscence dans laquelle nous sommes nés.
L'une succède à l'autre ; et nous aurons toujours quelque chose à souffrir, parce que nous avons perdu le bien et la félicité primitive.
Plusieurs cherchent à fuir pour n'être point tentés, et ils tombent dans des tentations plus dangereuses.
Il ne suffit pas de fuir pour vaincre ; mais la patience et la véritable humilité nous rendent plus forts que tous nos ennemis.
4. Celui qui, sans arracher la racine du mal, évite seulement les occasions extérieures, avancera peu ; au contraire, les tentations reviennent à lui plus promptement et plus violentes.
Vous vaincrez plus sûrement peu à peu et par une longue patience, aidé du secours de Dieu, que par une rude et inquiète opiniâtreté.
Prenez souvent conseil dans la tentation, et ne traitez point durement celui qui est tenté ; mais consolez le comme vous voudriez qu'on vous consolât vous même.
5. Le commencement de toutes les tentations est l'inconstance de l'esprit et le peu de confiance en Dieu.
Car, comme un vaisseau sans gouvernail est poussé çà et là par les flots, ainsi l'homme faible et changeant qui abandonne ses résolutions est agité par des tentations diverses.
Le feu éprouve le fer, et la tentation l'homme juste.
Nous ne savons souvent ce que nous pouvons ; mais la tentation montre ce que nous sommes.
Il faut veiller cependant, surtout au commencement de la tentation ; car on triomphe beaucoup plus facilement de l'ennemi, si on ne le laisse point pénétrer dans l'âme, et si on le repousse à l'instant même où il se présente pour entrer.
C'est ce qui a fait dire à un ancien : Arrêtez le mal dès son origine ; le remède vient trop tard quand le mal s'est accru par de longs délais.
D'abord une simple pensée s'offre à l'esprit, puis une vive imagination ; ensuite le plaisir, et le mouvement déréglé, et le consentement. Ainsi peu à peu l'ennemi envahit toute l'âme, lorsqu'on ne lui résiste pas dès le commencement.
Plus on met de retard et de langueur à le repousser, plus on s'affaiblit chaque jour, et plus l'ennemi devient fort contre nous.
6. Plusieurs sont affligés de tentations plus violentes au commencement de leur conversion ; d'autres, à la fin ; il y en a qui souffrent presque toute leur vie.
Quelques uns sont tentés assez légèrement, selon l'ordre de la sagesse et de la justice de Dieu, qui connaît l'état des hommes, pèse leurs mérites, et dispose tout pour le salut de ses élus.
7. C'est pourquoi, quand nous sommes tentés, nous ne devons point perdre l'espérance, mais prier Dieu avec plus de ferveur afin qu'il daigne nous secourir dans toutes nos tribulations ; car, selon la parole de l'Apôtre, il nous fera tirer avantage de la tentation même, de sorte que nous puissions la surmonter.
Humilions donc nos âmes sous la main de Dieu, dans toutes nos tentations, dans toutes nos peines, parce qu'il sauvera et relèvera les humbles d'esprit.
8. Dans les tentations et les traverses, on reconnaît combien l'homme a fait de progrès. Le mérite est plus grand, et la vertu paraît davantage.
Il est peu difficile d'être pieux et fervent lorsque l'on n'éprouve rien de pénible ; mais celui qui se soutient avec patience au temps de l'adversité donne l'espoir d'un grand avancement.
Quelques uns surmontent les grandes tentations, et succombent tous les jours aux petites, afin qu'humiliés d'être si faibles dans les moindres occasions, ils ne présument jamais d'eux mêmes dans les grandes.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE XIII

Nul homme n'est exempt de tentations. Elles nous purifient, nous éprouvent, nous instruisent, nous humilient ; ce n'est pas seulement par la fuite ou par une résistance violente que l'on en triomphe, mais par une patience tranquille et un confiant abandon entre les mains de Dieu. Veillons cependant, selon le précepte de Jésus Christ. Veillons et prions. On surmonte aisément la tentation naissante ; mais si on la laisse croître et se fortifier, on porte, en succombant, la peine de sa négligence et de sa présomption. Voulez vous réellement vaincre, repoussez l'ennemi dès sa première attaque. Voulez vous retirer du combat l'avantage en vue duquel Dieu permet que nous soyons tentés, reconnaissez votre misère, votre faiblesse, votre impuissance, et humiliez vous de plus en plus. L'humilité est le fondement de notre sûreté, de notre paix et de toute perfection.

CHAPITRE XIV : Éviter les jugements téméraires et ne se point rechercher soi même

1. Tournez les yeux sur vous-même, et gardez vous de juger les actions des autres.
En jugeant les autres, l'homme se fatigue vainement : il se trompe le plus souvent et commet beaucoup de fautes ; mais en s'examinant et se jugeant lui même, il travaille toujours avec fruit.
D'ordinaire nous jugeons des choses selon l'inclination de notre coeur ; car l'amour propre altère aisément en nous la droiture du jugement.
Si nous n'avions jamais en vue que Dieu seul, nous serions moins troublés quand on résiste à notre sentiment.
2. Mais souvent il y a quelque chose hors de nous, ou de caché en nous qui nous entraîne.
Plusieurs se recherchent secrètement eux mêmes dans ce qu'ils font, et ils l'ignorent.
Ils semblent affermis dans la paix lorsque tout va selon leurs désirs ; mais éprouvent ils des contradictions, aussitôt ils s'émeuvent et tombent dans la tristesse.
La diversité des opinions produit souvent des dissensions entre les amis, entre les citoyens, et même entre les religieux et les personnes dévotes.
3. On quitte difficilement une vieille habitude, et nul ne se laisse volontiers conduire au-delà de ce qu'il voit.
Si vous vous appuyez sur votre esprit et sur votre pénétration plus que sur la soumission dont Jésus Christ nous a donné l'exemple, vous serez très peu et très tard éclairé dans la vie spirituelle ; car Dieu veut que nous lui soyons parfaitement soumis, et que nous nous élevions au dessus de toute raison par un ardent amour.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE XIV

Il y a en nous une secrète malice qui se complaît à découvrir les imperfections de nos frères : et voilà pourquoi nous sommes si prompts à les juger, oubliant qu'à Dieu seul appartient le jugement des coeurs. Au lieu de scruter si curieusement la conscience d'autrui, descendons dans la nôtre ; nous y trouverons assez de motifs d'être indulgents envers le prochain et de trembler pour nous mêmes. Vous n'êtes chargé que de vous, vous ne répondrez que de vous : Ne jugez donc point, afin que vous ne soyez point jugé.

CHAPITRE XV : Des oeuvres de charité

1. Pour nulle chose au monde, ni pour l'amour d'aucun homme, on ne doit faire le moindre mal ; on peut quelquefois cependant, pour rendre un service dans le besoin, différer une bonne oeuvre ou lui en substituer une meilleure ; car alors le bien n'est pas détruit, mais il se change en un plus grand.
Aucune oeuvre extérieure ne sert sans la charité ; mais tout ce qui se fait par la charité, quelque vil qu'il soit, produit des fruits abondants.
Car Dieu regarde moins à l'action qu'au motif qui fait agir.
2. Celui là fait beaucoup, qui aime beaucoup.
Celui là fait beaucoup, qui fait bien ce qu'il fait ; et il fait bien lorsqu'il subordonne sa volonté à l'utilité publique.
Ce qu'on prend pour la charité, souvent n'est que la convoitise ; car il est rare que l'inclination, la volonté propre, l'espoir de la récompense ou la vue de quelque avantage particulier n'influe pas sur nos actions.
3. Celui qui possède la charité véritable et parfaite ne se recherche en rien ; mais son unique désir est que la gloire de Dieu s'opère en toute chose.
Il ne porte envie à personne, parce qu'il ne souhaite aucune faveur particulière, ne met point sa joie en lui même, et que, dédaignant tous les autres biens, il ne cherche qu'en Dieu son bonheur.
Il n'attribue jamais aucun bien à la créature ; il les rapporte tous à Dieu, de qui ils découlent comme de leur source, et dans la jouissance duquel tous les saints se reposent à jamais comme dans leur fin dernière.
Oh ! qui aurait une étincelle de la vraie charité, que toutes les choses de la terre lui paraîtraient vaines !

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE XV

Presque toutes les actions des hommes partent d'un principe vicié, de cette triple concupiscence dont parle saint Jean, et contre laquelle la vie chrétienne n'est qu'un perpétuel combat. L'amour déréglé de soi, si difficile à vaincre entièrement, corrompt trop souvent les oeuvres même en apparence les plus pures. Que de travaux, que d'aumônes, que de pénitences, dans lesquels on se confie peut être, seront stériles pour le ciel ! Dieu ne se donne qu'à ceux qui l'aiment ; il est le prix de la charité, de cet amour inénarrable, sans bornes et sans mesure, qui, tandis que tout le reste passe, demeure éternellement, dit saint Paul. Amour, qui seul faites les Saints, amour qui êtes Dieu même, pénétrez, possédez, transformez en vous toutes les puissances de mon âme ; soyez ma vie, mon unique vie, et maintenant et à jamais dans les siècles des siècles. Ainsi soit il.

CHAPITRE XVI : Qu'il faut supporter les défauts d'autrui

1. Ce que l'homme ne peut corriger en soi ou dans les autres, il doit le supporter avec patience jusqu'à ce que Dieu en ordonne autrement.
Songez qu'il est peut être mieux qu'il en soit ainsi, pour vous éprouver par la patience, sans laquelle nos mérites sont peu de chose. Vous devez cependant prier Dieu de vous aider à vaincre ces obstacles ou à les supporter avec douceur.
2. Si quelqu'un, averti une ou deux fois, ne se rend point, ne contestez point avec lui ; mais confiez tout à Dieu, qui sait tirer le bien du mal, afin que sa volonté s'accomplisse, et qu'il soit glorifié dans tous ses serviteurs.
Appliquez vous à supporter patiemment les défauts et les infirmités des autres, quelles qu'elles soient, parce qu'il y a aussi bien des choses en vous que les autres ont à supporter.
Si vous ne pouvez vous rendre tel que vous voudriez, comment pourrez vous faire que les autres soient selon votre gré ?
Nous aimons que les autres soient exempts de défauts, et nous ne corrigeons point les nôtres.
3. Nous voulons qu'on reprenne les autres sévèrement, et nous ne voulons pas être repris nous-mêmes.
Nous sommes choqués qu'on leur laisse une trop grande liberté, et nous ne voulons pas qu'on nous refuse rien.
Nous voulons qu'on les retienne par des règlements, et nous ne souffrons pas qu'on nous contraigne en la moindre chose.
Par là on voit clairement comment il est rare que nous usions de la même mesure pour nous et pour les autres.
Si tous étaient parfaits, qu'aurions nous de leur part à souffrir pour Dieu ?
4. Or Dieu l'a ainsi ordonné, afin que nous apprenions à porter le fardeau les uns des autres
car chacun a son fardeau : personne n'est sans défauts ; nul ne se suffit à soi même, nul n'est assez sage pour se conduire seul, mais il faut nous supporter, nous consoler, nous aider, nous instruire, nous avertir mutuellement.
C'est dans l'adversité qu'on voit le mieux ce que chacun a de vertus.
Car les occasions ne rendent pas l'homme fragile ; mais elles montrent ce qu'il est.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE XVI

Vous ne sauriez, dites vous, supporter tels et tels défauts : puissant motif de vous humilier ! car Dieu, qui est la perfection même, les supporte, et de beaucoup plus grands. Ce qui vous rend si susceptible, ce n'est pas le zèle du prochain, mais un amour propre difficile, irritable, ombrageux. Tournez vos regards sur vous même, et voyez si vos frères n'ont rien à souffrir de vous. La vraie piété est douce et patiente, parce qu'elle éclaire sur ce que l'on est. Celui qui se sent faible, et qui en gémit, ne se choque pas aisément des faiblesses des autres ; il sait que nous avons tous besoin de support, d'indulgence et de miséricorde : il excuse, il compatit, il pardonne, il conserve ainsi la paix au-dedans de soi, et au dehors la charité.

CHAPITRE XVII : De la vie religieuse

1. Il faut que vous appreniez à vous briser en beaucoup de choses, si vous voulez conserver la paix et la concorde avec les autres.
Ce n'est pas peu de chose de vivre dans un monastère ou dans une congrégation, de n'y être jamais une occasion de plainte, et d'y persévérer fidèlement jusqu'à la mort.
Heureux celui qui, après une vie sainte, y a heureusement consommé sa course !
Si vous voulez être affermi et croître dans la vertu, regardez-vous comme exilé et comme étranger sur la terre.
Il faut, pour l'amour de Jésus Christ, devenir insensé selon le monde, si vous voulez vivre en religieux.
2. L'habit et la tonsure servent peu ; c'est le changement des moeurs et la mortification entière des passions qui font le vrai religieux.
Celui qui cherche autre chose que Dieu seul et le salut de son âme ne trouvera que tribulation et douleur.
Celui là ne saurait non plus demeurer longtemps en paix, qui ne s'efforce point d'être le dernier de tous et soumis à tous.
3. Vous êtes venu pour servir, et non pour dominer : sachez que vous êtes appelé pour souffrir et pour travailler, et non pour discourir dans une vaine oisiveté.
Ici donc les hommes sont éprouvés comme l'or dans la fournaise.
Ici nul ne peut vivre, s'il ne veut s'humilier de tout son coeur à cause de Dieu.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE XVII

Qu'est ce qu'un bon religieux ? C'est un chrétien toujours occupé de tendre à la perfection. La vie religieuse n'est donc qu'une vie pour ainsi dire plus chrétienne, et l'abnégation de soi même est l'abrégé de tous les devoirs qu'elle impose. Or ces devoirs sont aussi les nôtres, puisque ce n'est pas seulement à quelques uns, mais à tous que Jésus Christ a dit : Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. Pour remplir cette grande vocation, renonçons à nous mêmes, unissons nous pleinement au sacrifice de notre divin chef ; aimons surtout la dépendance, les humiliations, le mépris. Le salut est un édifice qui ne s'élève que sur les ruines de l'orgueil.

CHAPITRE XVIII : De l'exemple des saints

1. Contemplez les exemples des saints Pères, en qui reluisait la vraie perfection de la vie religieuse, et vous verrez combien peu est ce que nous faisons, et presque rien.
Hélas ! qu'est ce que notre vie comparée à la leur ?
Les Saints et les amis de Jésus Christ ont servi Dieu dans la faim et dans la soif, dans le froid et dans la nudité, dans le travail et dans la fatigue, dans les veilles et dans les jeûnes, dans les prières et dans les saintes méditations, dans une infinité de persécutions et d'opprobres.
2. Oh ! que de pesantes tribulations ont souffertes les Apôtres, les Martyrs, les Confesseurs, les Vierges et tous ceux qui ont voulu suivre les traces de Jésus Christ ! Ils ont haï leur âme en ce monde pour la posséder dans l'éternité.
Oh ! quelle vie de renoncement et d'austérités que celle des saints dans le désert ! quelles longues et dures tentations ils ont essuyées ! que de fois ils ont été tourmentés par l'ennemi ! que de fréquentes et ferventes prières ils ont offertes à Dieu ! quelles rigoureuses abstinences ils ont pratiquées ! quel zèle, quelle ardeur pour leur avancement spirituel ! quelle forte guerre contre leurs passions ! quelle intention pure et droite toujours dirigée vers Dieu !
Ils travaillaient pendant le jour, et passaient la nuit en prière ; et même durant le travail ils ne cessaient point de prier en esprit.
3. Tout leur temps avait un emploi utile. Les heures qu'ils donnaient à Dieu leur semblaient courtes, et ils trouvaient tant de douceur dans la contemplation, qu'ils en oubliaient les besoins du corps.
Ils renonçaient aux richesses, aux dignités, aux honneurs, à leurs amis, à leurs parents : ils ne voulaient rien du monde ; ils prenaient à peine ce qui était nécessaire pour la vie ; s'occuper du corps, même dans la nécessité, leur était une affliction.
Ils étaient pauvres des choses de la terre ; mais ils étaient riches en grâces et en vertus.
Au dehors tout leur manquait ; mais Dieu les fortifiait au-dedans par sa grâce et par ses consolations.
4. Ils étaient étrangers au monde, mais unis à Dieu et ses amis familiers.
Ils se regardaient comme un pur néant, et le monde les méprisait ; mais ils étaient chéris de Dieu, et précieux devant lui.
Ils vivaient dans une sincère humilité, dans une obéissance simple, dans la charité, dans la patience, et devenaient ainsi chaque jour plus parfaits et plus agréables à Dieu.
Ils ont été donnés en exemple à tous ceux qui professent la vraie religion, et ils doivent nous exciter plus à avancer dans la perfection que la multitude des tièdes ne nous porte au relâchement.
5. Oh ! quelle ferveur en tous les religieux au commencement de leur sainte institution ! quelle ardeur pour la prière ! quelle émulation de vertu ! quelle sévère discipline ! que de soumission, que de respect ils montraient tous pour la règle de leur fondateur !
Ce qui nous reste d'eux atteste encore la sainteté et la perfection de ces hommes qui, en combattant généreusement, foulèrent aux pieds le monde.
Aujourd'hui on compte pour beaucoup qu'un religieux ne viole point sa règle, et qu'il porte patiemment le joug dont il s'est chargé.
O tiédeur ! ô négligence de notre état qui a si vite éteint parmi nous l'ancienne ferveur ! Maintenant tout fatigue notre lâcheté, jusqu'à nous rendre la vie ennuyeuse.
Plût à Dieu qu'après avoir vu tant d'exemples d'hommes vraiment pieux, vous ne laissiez pas entièrement s'assoupir en vous le désir d'avancer dans la vertu.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE XVIII

A la vue des exemples admirables que nous ont laissés tant de disciples fervents de Jésus Christ, rougissons de notre lâcheté, et animons nous à marcher courageusement sur leurs traces. Répétons souvent ces paroles d'un saint : Quoi ! je ne pourrais pas ce qu'ont pu tels et tels ! Et ajoutons avec l'Apôtre : De moi même je ne puis rien, mais je puis tout en Celui qui me fortifie. Toute notre force consiste à sentir notre faiblesse et à en connaître le remède, qui est la grâce du divin médiateur.

CHAPITRE XIX : Des exercices d'un bon religieux

1. La vie d'un vrai religieux doit être pleine de toutes les vertus, de sorte qu'il soit tel intérieurement qu'il paraît devant les hommes.
Et certes il doit être encore bien plus parfait au-dedans qu'il ne le semble au dehors, parce que Dieu nous regarde, et que nous devons, partout où nous sommes, le révérer profondément, et marcher en sa présence purs comme des anges.
Nous devons chaque jour renouveler notre résolution, nous exciter à la ferveur, comme si notre conversion commençait aujourd'hui seulement, et dire :
Aidez moi, Seigneur, dans mes saintes résolutions et dans votre service ; donnez moi de bien commencer maintenant, car ce que j'ai fait jusqu'ici n'est rien.
2. La fermeté de notre résolution est la mesure de notre progrès, et une grande diligence est nécessaire à celui qui veut avancer. Si celui qui forme les résolutions les plus fortes se relâche souvent, que sera ce de celui qui n'en prend que rarement, ou qui n'en prend que de faibles ?
Toutefois nous abandonnons nos résolutions de diverses manières, et la moindre omission dans nos exercices a presque toujours quelque suite fâcheuse.
Les justes, dans leurs résolutions, comptent bien plus sur la grâce de Dieu que sur leur propre sagesse ; et quelque chose qu'ils entreprennent, c'est en lui seul qu'ils mettent leur confiance.
Car l'homme propose, mais Dieu dispose, et la voie de l'homme n'est pas en lui.
3. Si nous omettons quelquefois nos exercices ordinaires pour quelque motif pieux ou pour l'utilité de nos frères, il nous sera facile ensuite de réparer cette omission.
Mais si nous les abandonnons sans sujet, par ennui ou par négligence, c'est une faute grave et qui nous sera funeste.
Faisons tous nos efforts, et nous tomberons encore aisément en beaucoup de fautes.
On doit cependant toujours se proposer quelque chose de fixe, surtout à l'égard de ce qui forme le plus grand obstacle à notre avancement.
Il faut examiner et régler également notre intérieur et notre extérieur, parce que l'un et l'autre sert à nos progrès.
4. Ne pouvez vous continuellement vous recueillir, recueillez-vous au moins de temps en temps, au moins une fois le jour, le matin ou le soir.
Le matin, formez vos résolutions ; le soir, examinez votre conduite, ce que vous avez été dans vos paroles, vos actions, vos pensées : car peut être en cela avez-vous souvent offensé Dieu et le prochain.
Tel qu'un soldat plein de courage, armez vous contre les attaques du démon.
Réprimez l'intempérance, et vous réprimerez plus aisément tous les autres désirs de la chair.
Ne soyez jamais tout à fait oisif ; mais lisez, ou écrivez, ou priez, ou méditez, ou travaillez à  quelque chose d'utile à la communauté.
Il ne faut cependant s'appliquer qu'avec discrétion aux exercices du corps, et ils ne conviennent pas également à tous.
5. Ce qui sort des pratiques communes ne doit point paraître au dehors : il est plus sûr de remplir en secret ses exercices particuliers.
Prenez garde cependant de négliger les exercices communs pour ceux de votre choix. Mais, après avoir accompli fidèlement et pleinement les devoirs prescrits, s'il vous reste du temps, rendez vous à vous même, selon le mouvement de votre dévotion. Tous ne sauraient suivre les mêmes exercices ; l'un convient mieux à celui ci, l'autre à celui là. On aime même à les diversifier selon les temps ; il y en a qu'on goûte plus aux jours de fêtes, et d'autres aux jours ordinaires. Les uns nous sont nécessaires au temps de la tentation, les autres au temps de la paix et du repos. Autres sont des pensées qui nous plaisent dans la tristesse, ou quand nous éprouvons de la joie en Dieu.
6. Il faut, vers l'époque des grandes fêtes, renouveler nos pieux exercices, et implorer avec plus de ferveur les suffrages des Saints. Proposons nous de vivre d'une fête à l'autre comme si nous devions alors sortir de ce monde et entrer dans l'éternelle fête.
Et pour cela préparons nous avec soin dans ces saints temps par une vie plus fervente, par une plus sévère observance des règles, comme devant bientôt recevoir de Dieu le prix de notre travail.
7. Et si ce moment est différé, croyons que nous ne sommes pas encore bien préparés, ni dignes de cette gloire immense qui nous sera découverte en son temps, et redoublons d'efforts pour nous mieux disposer à ce passage. Heureux le serviteur, dit saint Luc, que le Seigneur, quand il viendra, trouvera veillant. Je vous dis, en vérité, qu'il l'établira sur tous ses biens.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE XIX

La vie de l'homme sur la terre est un combat perpétuel contre le démon, contre le monde et contre lui même. Les uns se retirent dans le cloître pour résister plus aisément, les autres demeurent au milieu du siècle ; mais tous ne peuvent vaincre que par l'exercice d'une continuelle vigilance. L'habitude du recueillement, l'amour de la retraite, une attention constante sur ses paroles, ses pensées, ses sentiments, la fidélité aux plus légers devoirs et aux plus humbles pratiques, préservent de grandes tentations et attirent les grâces du ciel. Celui qui néglige les petites choses tombera peu à peu, dit l'Esprit-Saint.

CHAPITRE XX : De l'amour de la solitude et du silence

1. Cherchez un temps propre à vous occuper de vous même, et pensez souvent aux bienfaits de Dieu.
Laissez là ce qui ne sert qu'à nourrir la curiosité. Lisez plutôt ce qui touche le coeur que ce qui amuse l'esprit.
Retranchez les discours superflus, les courses inutiles ; fermez l'oreille aux vains bruits du monde, et vous trouverez assez de loisirs pour les saintes méditations.
Les plus grands saints évitaient autant qu'il leur était possible le commerce des hommes, et préféraient vivre en secret avec Dieu.

2. Un ancien a dit : « Toutes les fois que j'ai été dans la compagnie des hommes, j'en suis revenu moins homme que je n'étais. »
C'est ce que nous éprouvons souvent lorsque nous nous livrons à de longs entretiens.
Il est plus aisé de se taire que de ne point excéder dans ses paroles.
Il est plus aisé de se tenir chez soi que de se garder de soi même suffisamment au dehors.
Celui donc qui aspire à la vie intérieure et spirituelle doit se retirer de la foule avec Jésus.
Nul ne se montre sans péril, s'il n'aime à demeurer caché.
Nul ne parle avec mesure, s'il ne se tait volontiers.
Nul n'est en sûreté dans les premières places, s'il n'aime les dernières.
Nul ne commande sans danger, s'il n'a pas appris à bien obéir.

3. Nul ne se réjouit avec sécurité, s'il ne possède en lui même le témoignage d'une bonne conscience.
Cependant la confiance des Saints a toujours été pleine de la crainte de Dieu : quel que fût l'éclat de leurs vertus, quelque abondantes que fussent leurs grâces, ils n'en étaient ni moins humbles ni moins vigilants.
L'assurance des méchants naît, au contraire, de l'orgueil et de la présomption, et finit par l'aveuglement.
Ne vous promettez point de sûreté en cette vie, quoique vous paraissiez être un saint religieux ou un pieux solitaire.

4. Souvent les meilleurs dans l'estime des hommes ont couru les plus grands dangers, à cause de leur trop de confiance.
Il est donc utile à plusieurs de n'être pas entièrement délivrés des tentations et de souffrir des attaques fréquentes, de peur que, tranquilles sur eux mêmes, ils ne s'élèvent avec orgueil, ou qu'ils ne se livrent trop aux consolations du dehors.
Oh ! si l'on ne recherchait jamais les joies qui passent, si jamais l'on ne s'occupait du monde, qu'on posséderait une conscience pure !
Oh ! qui retrancherait toute sollicitude vaine, ne pensant qu'au salut et à Dieu, et plaçant en lui toute son espérance, de quelle paix et de quel repos il jouirait !

5. Nul n'est digne des consolations célestes, s'il ne s'est exercé longtemps dans la sainte componction.
Si vous désirez la vraie componction du coeur, entrez dans votre cellule, et bannissez en le bruit du monde, selon qu'il est écrit : Même sur votre couche, que votre coeur soit plein de componction.
Vous trouverez dans votre cellule ce que souvent vous perdez au dehors.
La cellule qu'on quitte peu devient douce ; fréquemment délaissée, elle engendre l'ennui.
Si, dès le premier moment où vous sortez du siècle, vous êtes fidèle à la garder, elle vous deviendra comme une amie chère, et sera votre consolation la plus douce.

6. Dans le silence et le repos l'âme pieuse fait de grands progrès, et pénètre ce qu'il y a de caché dans l'Écriture.
Là elle trouve la source des larmes dont elle se lave et se purifie toutes les nuits, et elle s'unit d'autant plus familièrement à son Créateur, qu'elle vit plus éloignée du tumulte du monde.
Celui donc qui se sépare de ses connaissances et de ses amis, Dieu s'approchera de lui avec ses saints anges.
Il vaut mieux être caché et prendre soin de son âme, que de faire des miracles et de s'oublier soi même.
Il est louable pour un religieux de sortir rarement, et de n'aimer ni à voir les hommes ni à être vu d'eux.

7. Pourquoi voulez vous voir ce qu'il ne vous est point permis d'avoir ?
Le monde passe, et sa concupiscence.
Les désirs des sens entraînent çà et là ; mais, l'heure passée, que rapportez vous, qu'une conscience pesante et un coeur dissipé ?
Parce qu'on est sorti dans la joie, souvent on revient dans la tristesse ; et la veille joyeuse du soir attriste le matin.
Ainsi toute joie des sens s'insinue avec douceur ; mais à la fin elle blesse et tue.

8. Que pouvez vous voir ailleurs que vous ne voyiez où vous êtes ? Voilà le ciel, la terre, les éléments ; or c'est d'eux que tout est fait.
Où que vous alliez, que verrez vous qui soit stable sous le soleil ?
Vous croyez peut être vous rassasier ; mais vous n'y parviendrez jamais.
Quand vous verriez toutes choses à la fois, que serait ce qu'une vision vaine ?
Levez les yeux en haut vers Dieu, et priez pour vos péchés et vos négligences.
Laissez aux hommes vains les choses vaines ; pour vous, ne vous occupez que de ce que Dieu vous commande.
Fermez sur vous votre porte, et appelez à vous Jésus votre bien aimé.
Demeurez avec lui dans votre cellule : car vous ne trouverez nulle part autant de paix.
Si vous n'étiez pas sorti et que vous n'eussiez pas entendu quelque bruit du monde, vous seriez demeuré dans cette douce paix mais parce que vous aimez à entendre des choses nouvelles, il vous faut supporter ensuite le trouble du coeur.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE XX

Que cherchez vous dans le monde ? le bonheur ? Il n'y est pas. Écoutez ce cri de détresse, cette plainte lamentable qui s'élève de tous les points de la terre, et se prolonge de siècle en siècle. C'est la voix du monde. Qu'y cherchez vous encore ? Des lumières, des secours, des consolations, pour accomplir en paix votre pèlerinage ? Le monde est livré à l'esprit des ténèbres, à toutes les convoitises qu'il inspire, à tous les crimes et à tous les maux dont il est le principe ; et c'est pourquoi le prophète s'écriait : Je me suis éloigné, j'ai fui, et j'ai demeuré dans la solitude. Là, dans le silence des créatures, Dieu parle au coeur, et sa parole est si merveilleuse, si douce et si ravissante, que l'âme ne veut plus entendre que lui, jusqu'au jour où, tous les voiles étant déchirés, elle le contemplera face à face. Le christianisme a peuplé le désert de ces âmes choisies, qui, se dérobant au monde et foulant aux pieds ses plaisirs, ses honneurs, ses trésors, et la chair et le sang, nous offrent dans la pureté de leur vie une image de la vie des Anges. Cependant les chrétiens ne sont pas tous appelés à ce sublime état de perfection ; mais, au milieu du bruit et du tumulte de la société, tous doivent se créer au fond de leur coeur une solitude où ils puissent se retirer pour converser avec Jésus Christ, et se recueillir en sa présence. C'est ainsi que, ramenés des pensées du temps à la pensée des choses éternelles, ils auront à dégoût celles qui passent, et seront dans le monde comme n'en étant pas. Heureux état, où s'accomplit pour le fidèle ce que dit l'Apôtre : Notre vie est cachée avec Jésus Christ en Dieu.

CHAPITRE XXI : De la componction du coeur

1. Si vous voulez faire quelque progrès, conservez vous dans la crainte de Dieu, et ne soyez point trop libre ; mais soumettez vos sens à une sévère discipline, et ne vous livrez pas aux joies insensées.
Disposez votre coeur à la componction, et vous trouverez la vraie piété.
La componction produit beaucoup de biens, qu'on perd bientôt en s'abandonnant aux vains mouvements de son coeur.
Chose étrange, qu'un homme en cette vie puisse se reposer pleinement dans la joie, lorsqu'il considère son exil, et à combien de périls est exposée son âme !

2. A cause de la légèreté de notre coeur et de l'oubli de nos défauts, nous ne sentons pas les maux de notre âme, et souvent nous rions vainement quand nous devrions bien plutôt pleurer.
Il n'y a de vraie liberté et de joie solide que dans la crainte de Dieu et la bonne conscience.
Heureux qui peut éloigner tout ce qui le distrait et l'arrête, pour se recueillir tout entier dans une sainte componction.
Heureux qui rejette tout ce qui peut souiller sa conscience ou l'appesantir.
Combattez généreusement : on triomphe d'une habitude par une autre habitude.
Si vous savez laisser là les hommes, ils vous laisseront bientôt faire ce que vous voudrez.

3. N'attirez pas à vous les affaires d'autrui, et ne vous embarrassez pas dans celles des grands.
Que votre oeil soit ouvert sur vous d'abord ; et avant de reprendre vos amis ayez soin de vous reprendre vous même.
Si vous n'avez point la faveur des hommes, ne vous en attristez point ; mais que votre peine soit de ne point vivre aussi bien et avec autant de vigilance que le devrait un serviteur de Dieu et un bon religieux.
Il est souvent plus utile et plus sûr de n'avoir pas beaucoup de consolations en cette vie, et surtout des consolations sensibles.
Cependant, si nous sommes privés de consolations divines, ou si nous ne les éprouvons que rarement, la faute en est à nous, parce que nous ne cherchons point la componction du coeur, et que nous ne rejetons pas entièrement les vaines consolations du dehors.

4. Reconnaissez que vous êtes indigne des consolations célestes, et que vous méritez plutôt de grandes tribulations.
Quand l'homme est pénétré d'une parfaite componction, le monde entier lui est alors amer et insupportable.
Le juste trouve toujours assez de sujet de s'affliger et de pleurer.
Car en considérant, soit lui-même, soit les autres, il sait que nul ici bas n'est sans tribulation ; plus il regarde attentivement, plus profonde est sa douleur.
Le sujet d'une juste affliction et d'une grande tristesse intérieure, ce sont nos péchés et nos vices, dans lesquels nous sommes tellement ensevelis, que rarement pouvons nous contempler les choses du ciel.

5. Si vous pensiez plus souvent à votre mort qu'à la longueur de la vie, nul doute que vous auriez plus d'ardeur pour vous corriger.
Et si vous réfléchissiez sérieusement aux peines de l'enfer ou du purgatoire, je crois que vous supporteriez volontiers le travail et la douleur et que vous ne redouteriez aucune austérité.
Mais parce que ces vérités ne pénètrent point jusqu'au coeur, et que nous aimons encore ce qui nous flatte, nous demeurons froids et négligents.

6. Souvent c'est langueur de l'âme, si notre chair misérable se plaint si aisément.
Priez donc humblement le Seigneur qu'il vous donne l'esprit de componction, et dites avec le Prophète : Nourrissez-moi, Seigneur, du pain des larmes ; abreuvez moi du calice des pleurs.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE XXI

La douleur est le fond de la vie humaine. Souffrances du corps, maladies de l'âme, inquiétudes, afflictions, péché, tel est l'accablant fardeau qu'il nous faut porter depuis notre naissance jusqu'à la tombe ; et cependant, à force de travail, l'homme parvient à découvrir, au milieu de ses misères, je ne sais quelles joies insensées dont il s'enivre avidement. Fuyons ces folles joies du monde ; arrêtons notre pensée sur le châtiment qui les doit suivre, sur nos fautes si multipliées ; et demandons à Dieu, avec la componction du coeur, ce repentir plein d'amour, ces heureuses larmes que Jésus a bénies par ces consolantes paroles : Beaucoup de péchés vous seront remis, parce que vous avez beaucoup aimé.

CHAPITRE XXII : De la considération de la misère humaine

1. En quelque lieu que vous soyez, de quelque côté que vous vous tourniez, vous serez misérable si vous ne revenez vers Dieu.
Pourquoi vous troubler de ce que rien n'arrive comme vous le désirez et comme vous le voulez ? A qui est ce que tout succède selon sa volonté ? Ni à vous, ni à moi, ni à aucun homme sur la terre.
Nul en ce monde, fut-il roi ou pape, n'est exempt d'angoisses ou de tribulations.
Qui donc a le meilleur sort ? Celui, certes, qui sait souffrir quelque chose pour Dieu.

2. Dans leur faiblesse et leur peu de lumières, plusieurs disent : Que cet homme a une heureuse vie ! qu'il est riche, grand, puissant, élevé !
Mais considérez les biens du ciel, et vous verrez que tous ces biens du temps ne sont rien ; que, toujours très incertains, ils sont plutôt un poids qui fatigue, parce qu'on ne les possède jamais sans défiance et sans crainte.
Avoir en abondance les biens du temps, ce n'est pas là le bonheur de l'homme ; la médiocrité lui suffit.
C'est vraiment une grande misère de vivre sur la terre.
Plus un homme veut avancer dans les voies spirituelles, plus la vie présente lui devient amère, parce qu'il sent mieux et voit plus clairement l'infirmité de la nature humaine et sa corruption.
Manger, boire, veiller, dormir, se reposer, travailler, être assujetti à toutes les nécessités de la nature, c'est vraiment une grande misère et une grande affliction pour l'homme pieux qui voudrait être dégagé de ses liens terrestres, et délivré de tout péché.

3. Car l'homme intérieur est, en ce monde, étrangement appesanti par les nécessités du corps.
Et c'est pourquoi le Prophète demandait, avec d'ardentes prières, d'en être affranchi, disant : Seigneur, délivrez moi de mes nécessités.
Malheur donc à ceux qui ne connaissent point leur misère ! et malheur encore plus à ceux qui aiment cette misère et cette vie périssable !
Car il y en a qui l'embrassent si avidement, qu'ayant à peine le nécessaire en travaillant ou en mendiant, ils n'éprouveraient aucun souci du royaume de Dieu s'ils pouvaient toujours vivre ici-bas.

4. O coeurs insensés et infidèles, si profondément enfoncés dans les choses de la terre, qu'ils ne goûtent rien que ce qui est charnel !
Les malheureux ! ils sentiront douloureusement à la fin combien était vil, combien n'était rien ce qu'ils ont aimé.
Mais les Saints de Dieu, tous les fidèles amis de Jésus Christ ont méprisé ce qui flatte la chair et ce qui brille dans le temps ; toute leur espérance, tous leurs désirs aspiraient aux biens éternels.
Tout leur coeur s'élevait vers les biens invisibles et impérissables, de peur que l'amour des choses visibles ne les abaissât vers la terre.

5. Ne perdez pas, mon frère, l'espérance d'avancer dans la vie spirituelle : vous en avez encore le temps.
Pourquoi remettez vous toujours au lendemain l'accomplissement de vos résolutions ? Levez vous, et commencez à l'instant, et dites : Voici le temps d'agir, voici le temps de combattre, voici le temps de me corriger.
Quand la vie vous est pesante et amère, c'est alors le temps de mériter.
Il faut passer par le fer et par l'eau, avant d'entrer dans le lieu de rafraîchissement.
Si vous ne vous faites violence, vous ne vaincrez pas le vice.
Tant que nous portons ce corps fragile, nous ne pouvons être sans péché ni sans ennui et sans douleur.
Il nous serait doux de jouir d'un repos exempt de toute misère ; mais en perdant l'innocence par le péché, nous avons aussi perdu la vraie félicité.
Il faut donc persévérer dans la patience, et attendre la miséricorde de Dieu, jusqu'à ce que l'iniquité passe, et que ce qui est mortel en vous soit absorbé par la vie.

6. Oh ! qu'elle est grande la fragilité qui toujours incline l'homme au mal !
Vous confessez aujourd'hui vos péchés, et vous y retombez le lendemain.
Vous vous proposez d'être sur vos gardes, et une heure après vous agissez comme si vous ne vous étiez rien proposé.
Nous avons donc grand sujet de nous humilier, et de ne nous jamais élever en nous-mêmes, étant si fragiles et si inconstants.
Nous pouvons perdre en ce moment, par notre négligence, ce qu'à peine avons nous acquis par la grâce, avec un long travail.

7. Que sera ce de nous à la fin du jour, si nous sommes si lâches dès le matin ?
Malheur à nous, si nous voulons goûter le repos, comme si déjà nous étions en paix et en assurance, tandis qu'on ne découvre pas dans notre vie une seule trace de vraie sainteté !
Nous aurions bien besoin d'être instruits encore, et formés à de nouvelles moeurs comme des novices dociles, pour essayer du moins s'il y aurait en nous quelque espérance de changement, et d'un plus grand progrès dans la vertu.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE XXII

L'homme, né de la femme, vit peu de jours, et il est rassasié d'angoisses. Voilà notre destinée telle que le péché l'a faite. Écoutez les gémissements de l'humanité entière, dont Job était la figure : « Périsse le jour où je suis né, et la nuit où il fut dit :  Un homme a été conçu ! Pourquoi ne suis je pas mort dans le sein de ma mère, ou n'ai je  pas péri en en sortant ? Pourquoi m'a t elle reçu sur ses genoux, et allaité de ses mamelles ? Maintenant je dormirais en silence, et je reposerais dans mon sommeil. »  Mais déjà sur cette grande misère se levait l'aurore d'une grande espérance : « Je sais que mon Rédempteur est vivant, et que  je serai de nouveau revêtu de  ma chair, et dans ma chair je  verrai mon Dieu ; je le verrai  et mes yeux le contempleront. » Dès lors tout change : ces douleurs, auparavant sans consolation, unies à celles du Rédempteur, ne sont plus qu'une expiation nécessaire, une épreuve de justice et de miséricorde, une semence d'éternelles joies. Le Christ, en mourant, a ouvert le ciel à l'homme déchu, qui pour unique grâce demandait à la terre un tombeau. Et nous nous plaindrions des souffrances auxquelles Dieu réserve un tel prix ! Et le murmure serait sur nos lèvres lorsque, par les tribulations, Jésus Christ daigne nous associer aux mérites de son sacrifice ! C'en est fait, Seigneur, je reconnais mon aveuglement, mon ingratitude, et je ne veux plus désirer ici bas que d'avoir part à votre passion, afin de participer un jour à votre gloire.

CHAPITRE XXIII : De la méditation de la mort

1. C'en sera fait de vous bien vite ici bas : voyez donc en quel état vous êtes.
L'homme est aujourd'hui, et demain il a disparu ; et quand il n'est plus sous les yeux, il passe bien vite de l'esprit.
O stupidité et dureté du coeur humain, qui ne pense qu'au présent et ne voit pas l'avenir !
Dans toutes vos actions, dans toutes vos pensées, vous devriez être tel que vous seriez s'il vous fallait mourir aujourd'hui.
Si vous aviez une bonne conscience, vous craindriez peu la mort.
Il vaudrait mieux éviter le péché que fuir la mort.
Si aujourd'hui vous n'êtes pas prêt, comment le serez vous demain ?
Demain est un jour incertain : et que savez vous si vous aurez un lendemain ?

2. Que sert de vivre longtemps, puisque nous nous corrigeons si peu ?
Ah ! une longue vie ne corrige pas toujours ; souvent plutôt elle augmente nos crimes.
Plût à Dieu que nous eussions bien vécu dans ce monde un seul jour !
Plusieurs comptent les années de leur conversion ; mais souvent qu'ils sont peu changés, et que ces années ont été stériles !
S'il est terrible de mourir, peut être est il plus dangereux de vivre plus longtemps.
Heureux celui à qui l'heure de sa mort est toujours présente, et qui se prépare chaque jour à mourir !
Si vous avez vu jamais un homme mourir, songez que vous aussi vous passerez par cette voie.

3. Le matin, pensez que vous n'atteindrez pas le soir ; le soir, n'osez pas vous promettre de voir le matin.
Soyez donc toujours prêt, et vivez de telle sorte que la mort ne vous surprenne jamais.
Plusieurs sont enlevés par une mort soudaine et imprévue : car le Fils de l'homme viendra à l'heure qu'on n'y pense pas.
Quand viendra cette dernière heure, vous commencerez à juger tout autrement de votre vie passée, et vous gémirez amèrement d'avoir été si négligent et si lâche.

4. Qu'heureux et sage est celui qui s'efforce d'être tel dans la vie qu'il souhaite d'être trouvé à la mort !
Car rien ne donnera une si grande confiance de mourir heureusement que le parfait mépris du monde, le désir ardent d'avancer dans la vertu, l'amour de la régularité, le travail de la pénitence, l'abnégation de soi même et la constance à souffrir toutes sortes d'adversités pour l'amour de Jésus Christ.
Vous pouvez faire beaucoup de  bien tandis que vous êtes en santé ;  mais malade, je ne sais ce que vous  pourrez.
Il en est peu que la maladie rende  meilleurs, comme il en est peu qui  se sanctifient par de fréquents  pèlerinages.

5. Ne comptez point sur vos amis  ni sur vos proches, et ne différez  point votre salut dans l'avenir ; car  les hommes vous oublieront plus vite que vous ne pensez.
Il vaut mieux y pourvoir de bonne  heure et envoyer devant soi un peu  de bien que d'espérer dans le  secours des autres.
Si vous n'avez maintenant aucun  souci de vous même, qui  s'inquiétera de vous dans l'avenir ?
Maintenant le temps est d'un  grand prix. Voici maintenant le  temps propice, voici le jour du  salut.
Mais, ô douleur, que vous fassiez  un si vain usage de ce qui pourrait  vous servir à mériter de vivre  éternellement !

6. Viendra le temps où vous  désirerez un seul jour, une seule  heure, pour purifier votre âme, et je  ne sais si vous l'obtiendrez.
Ah ! mon frère, de quel péril, de quelle crainte terrible vous pourriez  vous délivrer, si vous étiez à présent  toujours en crainte et en défiance de  la mort !
Étudiez vous maintenant à vivre de telle sorte qu'à l'heure de la  mort vous ayez plus de sujet de vous réjouir que de craindre.
Apprenez maintenant à mourir au  monde, afin de commencer  alors à vivre avec Jésus Christ.
Apprenez maintenant à tout  mépriser, afin de pouvoir alors aller  librement à Jésus Christ.
Châtiez maintenant votre corps par la pénitence, afin que vous puissiez alors avoir une solide confiance.

7. Insensés, sur quoi vous promettez vous de vivre longtemps lorsque vous n'avez pas un seul jour d'assuré ?
Combien ont été trompés et arrachés subitement de leurs corps !
Combien de fois avez vous ouï dire : Cet homme a été tué d'un coup d'épée, celui ci s'est noyé, celui là s'est brisé en tombant d'un lieu élevé ; l'un a expiré en mangeant, l'autre en jouant, l'un a péri par le feu, un autre par le fer, un autre par la peste, un autre par la main des voleurs !
Et ainsi la fin de tous est la mort, et la vie des hommes passe comme l'ombre.

8. Qui se souviendra de vous après votre mort, et qui priera pour vous ?
Faites, faites maintenant, mon cher frère, tout ce que vous pouvez ; car vous ne savez pas quand vous mourrez, ni ce qui suivra pour vous la mort.
Tandis que vous en avez le temps, amassez des richesses immortelles.
Ne pensez qu'à votre salut, ne vous occupez que des choses de Dieu.
Faites vous maintenant des amis, en honorant les Saints, en imitant leurs  oeuvres, afin qu'arrivés au terme de cette vie, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels.

9. Vivez sur la terre comme un voyageur et un étranger à qui les choses du monde ne sont rien.
Conservez votre coeur libre et toujours élevé vers Dieu, parce que vous n'avez point ici bas de demeure permanente.
Que vos gémissements, vos larmes, vos prières montent tous les jours vers le ciel, afin que votre âme, après la mort, mérite de passer heureusement à Dieu.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE XXIII

Approchez de cette fosse, regardez ces ossements blanchis et déjoints : voilà tout ce qui reste ici bas d'un homme que vous avez connu peut être, et qui ne pensait pas plus à la mort, il y a peu d'années, que vous n'y pensez aujourd'hui. Ne fallait il pas, en effet, qu'il songeât d'abord à sa fortune, à celle des siens, à l'établissement de sa famille ? aussi s'en est il occupé jusqu'au dernier moment. Eh bien, maintenant, allez, entrez dans sa maison. Des héritiers indifférents y jouissent des biens qu'il avait amassés, et travaillent eux mêmes à en amasser de nouveaux : du reste, nul souvenir du mort. Quelque chose  de lui subsiste cependant, et la tombe ne le renferme pas tout entier. Il avait une âme, une âme rachetée du sang de Jésus Christ : où est elle ? A l'instant où elle quitta le corps, sa demeure fut fixée, ou dans le ciel sans crainte désormais, ou dans l'enfer sans espérance. Terrible, terrible alternative ! Et à présent, plongez vous dans les soins de la terre, différez votre conversion, dites encore : Il sera temps demain. Insensé ! ce temps, dont tu abuses, creuse ta fosse, et demain ce sera l'éternité.

CHAPITRE XXIV : Du jugement et des peines des pécheurs

1. En toutes choses regardez la fin, et reportez vous au jour où vous serez là, debout devant le Juge sévère, à qui rien n'est caché, qu'on n'apaise point par des présents, qui ne reçoit point d'excuse, mais qui jugera selon la justice.
Pécheur misérable et insensé ! que répondrez vous à Dieu, qui sait tous vos crimes, vous qui tremblez quelquefois à l'aspect d'un homme irrité ?
Par quel étrange oubli de vous même vous en allez vous, sans rien prévoir, vers ce jour où nul ne pourra être excusé ni défendu par un autre, mais où chacun sera pour soi un fardeau assez pesant ?
Maintenant votre travail produit son fruit ; vos larmes sont agréées, vos gémissements écoutés ; votre douleur satisfait à Dieu, et purifie votre âme.

2. Il a ici bas un grand et salutaire purgatoire l'homme patient qui, en butte aux outrages, s'afflige plus de la malice d'autrui que de sa propre injure ; qui prie sincèrement pour ceux qui le contristent, et leur pardonne du fond du coeur ; qui, s'il a peiné les autres, est toujours prêt à demander pardon ; qui incline plus à la compassion qu'à la colère ; qui se fait violence à lui même, et s'efforce d'assujettir entièrement la chair à l'esprit.
Il vaut mieux se purifier maintenant de ses péchés et retrancher ses vices, que d'attendre à les expier dans l'autre vie.
Oh ! combien nous nous trompons nous mêmes par l'amour désordonné que nous avons pour notre chair !

3. Que dévorera ce feu, sinon vos péchés ?
Plus vous vous épargnez vous même à présent, et plus vous flattez votre chair, plus ensuite votre châtiment sera terrible, et plus vous amassez pour le feu éternel.
L'homme sera puni plus rigoureusement dans les choses où il a le plus péché.
Là  les paresseux seront percés par des aiguillons ardents, et les intempérants tourmentés par une faim et par une soif extrêmes.
Là  les voluptueux et les impudiques seront plongés dans une poix brûlante et dans un soufre fétide ; comme des chiens furieux, les envieux hurleront dans leur douleur.

4. Chaque vice aura son tourment propre.
Là les superbes seront remplis de confusion, et les avares réduits à la plus misérable indigence.
Là une heure sera plus terrible dans le supplice que cent années ici dans la plus dure pénitence.
Ici quelquefois le travail cesse, on se console avec ses amis : là nul repos, nulle consolation pour les damnés.
Soyez donc maintenant plein d'appréhension et de douleur pour vos péchés, afin de partager, au jour du jugement, la sécurité des bienheureux.
Car les justes alors s'élèveront avec une grande assurance contre ceux qui les auront opprimés et méprisés.
Alors se lèvera pour juger celui qui se soumet aujourd'hui humblement aux jugements des hommes.
Alors l'humble et le pauvre auront une grande confiance ; et de tous côtés l'épouvante environnera le superbe.

5. Alors on verra qu'il fut sage en ce monde, celui qui apprit à être insensé et méprisable pour Jésus Christ.
Alors on s'applaudira des tribulations souffertes avec patience et toute iniquité sera muette.
Alors tous les justes seront transportés d'allégresse, et tous les impies consternés de douleur.
Alors la chair affligée se réjouira plus que si elle avait toujours été nourrie dans les délices.
Alors les vêtements pauvres resplendiront, et les habits somptueux perdront tout leur éclat.
Alors la pauvre petite demeure sera jugée au dessus du palais tout brillant d'or.
Alors une patience constamment soutenue sera de plus de secours que toute la puissance du monde ; et une obéissance simple, élevée plus haut que toute la prudence du siècle.

6. Alors on trouvera plus de joie dans la pureté d'une bonne conscience que dans une docte philosophie.
Alors le mépris des richesses aura plus de poids dans la balance que tous les trésors de la terre.
Alors le souvenir d'une pieuse prière vous sera de plus de consolation que celui d'un repas splendide.
Alors vous vous réjouirez plus du silence gardé que des longs entretiens.
Alors les oeuvres saintes l'emporteront sur les beaux discours.
Alors vous préférerez une vie de peine et de travail à tous les plaisirs de la terre.
Apprenez donc maintenant à supporter quelques légères souffrances, afin d'être alors délivré de souffrances plus grandes.
Éprouvez ici d'abord ce que vous pourrez dans la suite.
Si vous ne pouvez maintenant souffrir si peu de chose, comment supporterez vous les tourments éternels ?
Si maintenant la moindre douleur vous cause tant d'impatience, que sera ce donc alors des tortures de l'enfer ?
Il y a, n'en doutez point, deux joies qu'on ne peut réunir : vous ne pouvez goûter ici bas les délices du monde, et régner ensuite avec Jésus Christ.

7. Si vous avez vécu jusqu'à ce jour dans les honneurs et les voluptés, de quoi cela vous servirait il, s'il vous fallait mourir à l'instant ?
Donc tout est vanité, hors aimer Dieu et le servir lui seul.
Car celui qui aime Dieu de tout son coeur ne craint ni la mort, ni le supplice, ni le jugement, ni l'enfer ; parce que l'amour parfait nous donne un sûr accès près de Dieu.
Mais celui qui aime encore le péché, il n'est pas surprenant qu'il redoute la mort et le jugement.
Cependant, si l'amour ne vous éloigne pas encore du mal, il est bon qu'au moins la crainte vous retienne.
Celui qui est peu touché de la crainte de Dieu ne saurait persévérer dans le bien ; mais il tombera bientôt dans les pièges du démon.

RÉFLEXION LIVRE PREMIER / CHAPITRE XXIV

Dieu est patient, dit saint Augustin, parce qu'il est éternel. Mais après les jours de patience viendra le jour de la justice : jour d'effroi, jour inévitable, où toute chair comparaîtra devant le Roi de l'éternité, pour rendre compte de ses oeuvres et de ses pensées mêmes. Transportez vous en esprit à ce moment formidable : voilà que la poussière des tombeaux s'émeut, et de toutes parts la foule des morts accourt aux pieds du souverain Juge. Là tous les secrets sont dévoilés, la conscience n'a plus de ténèbres, et chacun attend en silence le sort qui lui est destiné pour toujours Les deux cités se séparent ; la grande sentence est prononcée ; elle ouvre le paradis aux justes, et tombe sur les pécheurs avec tout le poids d'une éternelle réprobation.  Environné des anges fidèles et de la troupe resplendissante des élus, Jésus Christ remonte dans sa gloire : Satan saisit sa proie et l'entraîne dans l'abîme ; tout est consommé à jamais, il ne reste plus que les joies du ciel et le désespoir de l'enfer. Pendant que vous êtes encore sur la terre, le choix entre ces demeures vous est laissé : choisissez donc ; mais n'oubliez pas qu'il n'y a point de repentir de l'autre côté de la tombe.

CHAPITRE XXV : Qu'il faut travailler avec ferveur à l'amendement de sa vie

1. Soyez vigilant et fervent dans le service de Dieu, et faites vous souvent cette demande : Pourquoi es tu venu ici, et pourquoi as tu quitté le siècle ?
N'était ce pas afin de vivre pour Dieu, et devenir un homme spirituel ?
Embrasez vous donc du désir d'avancer, parce que vous recevrez bientôt la récompense de vos travaux, et qu'alors il n'y aura plus ni crainte ni douleur.
Maintenant un peu de travail, et puis un grand repos : que dis je ? une joie éternelle.
Si vous agissez constamment avec ardeur et fidélité, Dieu aussi sera sans doute fidèle et magnifique dans ses récompenses.
Vous devez conserver une ferme espérance de parvenir à la gloire ; mais il ne faut pas vous livrer à une sécurité trop profonde, de peur de tomber dans le relâchement ou dans la présomption.

2. Un homme qui flottait souvent, plein d'anxiété, entre la crainte et l'espérance, étant un jour accablé de tristesse, entra dans une église ; et, se prosternant devant un autel pour prier, il disait et redisait en lui même : Oh ! si je savais que je dusse persévérer ! Aussitôt il entendit intérieurement cette divine réponse : Si vous le saviez, que voudriez vous faire ? Faites maintenant ce que vous feriez alors, et vous jouirez de la paix.
Consolé à l'instant même et fortifié, il s'abandonna sans réserve à la volonté de Dieu, et ses agitations cessèrent.
Il ne voulut plus rechercher avec curiosité ce qui lui arriverait dans l'avenir : mais il s'appliqua uniquement à connaître la volonté de Dieu et ce qui lui plaît davantage, afin de commencer et d'achever ce qui est bien.

3. Espérez en Dieu, dit le Prophète, et faites le bien : habitez en paix la terre, et vous serez nourri de ses richesses.
Une chose refroidit en quelques uns l'ardeur d'avancer et de se corriger : la crainte des difficultés et le travail du combat.
En effet, ceux là devancent les autres dans la vertu, qui s'efforcent avec plus de courage de se vaincre eux mêmes dans ce qui leur est le plus pénible et qui contrarie le plus leurs penchants.
Car l'homme fait d'autant plus de progrès et mérite d'autant plus de grâces, qu'il se surmonte lui même et se mortifie davantage.

4. Il est vrai que tous n'ont pas également à combattre pour se vaincre et mourir à eux mêmes.
Cependant un homme animé d'un zèle ardent avancera bien plus, même avec de nombreuses passions, qu'un autre à cet égard mieux disposé, mais tiède pour la vertu.
Deux choses aident surtout à opérer un grand amendement : s'arracher avec violence à ce que la nature dégradée convoite, et travailler ardemment à acquérir la vertu dont on a le plus grand besoin.
Attachez vous aussi particulièrement à éviter et à vaincre les défauts qui vous déplaisent le plus dans les autres.

5. Profitez de tout pour votre avancement. Si vous voyez de bons exemples, ou si vous les entendez raconter, animez vous à les imiter.
Que si vous apercevez quelque chose de répréhensible, prenez garde de commettre la même faute ; ou, si vous l'avez quelquefois commise, tâchez de vous corriger promptement.
Comme votre  oeil observe les autres, les autres vous observent aussi.
Qu'il est consolant et doux de voir des religieux zélés, pieux, fervents, fidèles observateurs de la règle !
Qu'il est triste, au contraire, et pénible d'en voir qui ne vivent pas dans l'ordre, et qui ne remplissent pas les engagements auxquels ils ont été appelés !
Qu'on se nuit à soi même en négligeant les devoirs de sa vocation, et en détournant son coeur à des choses dont on n'est point chargé !

6. Souvenez vous de ce que vous avez promis, et que Jésus crucifié vous soit toujours présent.
Vous avez bien sujet de rougir, en considérant la vie de Jésus Christ, d'avoir jusqu'ici fait si peu d'efforts pour y conformer la vôtre, quoique vous soyez depuis si longtemps entré dans la voie de Dieu.
Un religieux qui s'exerce à méditer sérieusement, et avec piété la vie très sainte et la Passion du Sauveur, y trouvera en abondance tout ce qui lui est utile et nécessaire : et il n'a pas besoin de chercher hors de Jésus quelque chose de meilleur.
Ah ! si Jésus crucifié entrait dans notre coeur, que nous serions bientôt suffisamment instruits !

7. Un religieux fervent reçoit bien ce qu'on lui commande et s'y soumet sans peine.
Un religieux tiède et relâché souffre tribulation sur tribulation, et ne trouve de tous côtés que la gêne, parce qu'il est privé des consolations intérieures, et qu'il lui est interdit d'en chercher au dehors.
Un religieux qui s'affranchit de sa règle est exposé à des chutes terribles.
Celui qui cherche une vie moins contrainte et moins austère sera toujours dans l'angoisse ; car toujours quelque chose lui déplaira.

8. Comment font tant d'autres religieux qui observent dans les cloîtres une si étroite discipline ?
Ils sortent rarement, ils vivent retirés, ils sont nourris très pauvrement et grossièrement vêtus ; ils travaillent beaucoup, parlent peu, veillent longtemps, se lèvent matin, font de longues prières, de fréquentes lectures, et observent en tout une exacte discipline.
Considérez les Chartreux, les religieux de Cîteaux, et les autres religieux et religieuses de différents ordres, qui se lèvent toutes les nuits pour chanter les louanges de Dieu.
Il serait donc bien honteux que la paresse vous tînt encore éloigné d'un si saint exercice, lorsque déjà tant de religieux commencent à célébrer le Seigneur.

9. Oh ! si vous n'aviez autre chose à faire qu'à louer de coeur et de bouche, perpétuellement, le Seigneur notre Dieu ! si jamais vous n'aviez besoin de manger, de boire, de dormir et que vous puissiez ne pas interrompre un seul moment ses louanges ni les autres exercices spirituels ! vous seriez alors beaucoup plus heureux qu'à présent, assujetti comme vous l'êtes au corps et à toutes ses nécessités.
Plût à Dieu que nous fussions affranchis de ces nécessités, et que nous n'eussions à songer qu'à la nourriture de notre âme, que nous goûtons, hélas ! si rarement !

10. Quand un homme en est venu à ne chercher sa consolation dans aucune créature, c'est alors qu'il commence à goûter Dieu parfaitement, et qu'il est, quoi qu'il arrive, toujours satisfait.
Alors il ne se réjouit d'aucune prospérité, et aucun revers ne le contriste ; mais il s'abandonne tout entier, avec une pleine confiance, à Dieu, qui lui est tout en toutes choses, pour qui rien ne périt, rien ne meurt ; pour qui, au contraire, tout vit, et à qui tout obéit sans délai.

11. Souvenez vous toujours que votre fin approche, et que le temps perdu ne revient point.
Les vertus ne s'acquièrent qu'avec beaucoup de soins et des efforts constants.
Dès que vous commencerez à tomber dans la tiédeur, vous tomberez dans le trouble.
Mais si vous persévérez dans la ferveur, vous trouverez une grande paix, et vous sentirez votre travail plus léger, à cause de la grâce de Dieu et de l'amour de la vertu.
L'homme fervent et zélé est prêt à tout.
Il est plus pénible de résister aux vices et aux passions que de supporter les fatigues du corps.
Celui qui n'évite pas les petites fautes tombera peu à peu dans les grandes.
Vous vous réjouirez toujours le soir, quand vous aurez employé le jour avec fruit.
Veillez sur vous, excitez vous, avertissez vous ; et, quoi qu'il en soit des autres, ne vous négligez pas vous même.
Vous ne ferez de progrès qu'autant que vous vous ferez violence.

RÉFLEXION LIVRE I / CHAPITRE XXV

Êtes vous sincèrement résolu à vous sauver ? en avez vous la volonté ferme ? Alors préparez vous au travail, au combat ; car le salut est à ce prix. La voie qui conduit a la perte est large ; mais qu'étroite, dit l'Évangile, est celle qui conduit à la vie ! Sans doute l'onction de la grâce adoucit pour le fidèle ce travail, ce combat ; au milieu des fatigues et des souffrances, il jouit d'une paix céleste que le pécheur ne connaît point. Cependant il a besoin de continuels efforts pour triompher de lui même, pour vaincre ses désirs, ses passions, et le monde, et le prince de ce monde. Qui a fait les saints, sinon cette lutte courageuse et persévérante ? Les uns ont été tourmentés, ne voulant pas racheter leur vie afin d'en trouver une meilleure dans la résurrection ; les autres ont souffert les moqueries, les fouets, les chaînes et les prisons ; ils ont été lapidés, sciés, éprouvés en toute manière ; ils sont morts par le tranchant du glaive ; vagabonds, couverts de peaux de brebis et de peaux de chèvres, oppressés par le besoin, l'affliction, l'angoisse, ils ont erré dans les déserts, et dans les montagnes, et dans les antres, et dans les cavernes de la terre, eux dont le monde n'était pas digne. Enveloppés donc d'une si grande nuée de témoins, dégageons-nous de tout ce qui nous appesantit et du péché qui nous environne, et courons par la patience au combat qui nous est proposé, les regards fixés sur Jésus, l'auteur et le consommateur de la foi, qui, en vue de la joie qui lui était préparée, a souffert la croix, en méprisant l'ignominie ; et maintenant il est assis à la droite du trône de Dieu.