Carmel

Circulaire de Soeur St Pierre de Ste Thérèse

Louise-Adélaïde Lejemble   1830-1895

Paix et très humble salut en Notre Seigneur, qui vient de retirer des misères de ce triste exil notre bien chère Sœur Louise Adélaïde SAINT‑PIERRE DE SAINTE-THÉRÈSE, sœur du voile blanc et professe de notre Communauté. Elle était âgée de 65 ans 10 mois, dont 29 ans passés dans la sainte religion du Carmel.

Notre bonne soeur, ma Révérende Mère, appartenait à une famille honorable et chré­tienne du département de la Manche. Dès sa plus tendre enfance, elle se plaça comme servante, condition qu'elle exerça jusqu'à l'âge de 36 ans. C'est à cette époque que la divine Providence, qui l'avait déjà préservée des plus grands dangers, guida ses pas vers notre Carmel. Elle y reçut le saint habit et prononça ses voeux aux temps ordinaires.

Dès lors sa forte constitution lui permit de remplir seule, pendant 15 ans, l'office des pains d'autel ; elle y travaillait pour ainsi dire jour et nuit avec un dévouement infatigable. C'est après ces 15 années, ma Révérende Mère, que notre chère Soeur fut atteinte subitement de violentes douleurs de goutte ou rhumatismes chroniques, qui la forcèrent de cesser tout travail fatigant.

Cependant, elle ne demeura pas oisive, s'occupant à la lingerie et à l'office des chausses avec une promptitude et une adresse d'autant plus remarquables que ses pauvres mains déformées semblaient lui refuser tout service. Et pendant ce travail assidu elle selivrait à la prière. Notre pieuse et chère soeur ne quitta que peu de temps avant sa mort, l'obligation qu'elle s'était imposée de réciter chaque jour, en plus de son office, les sept psaumes de la pénitence, les prières de la réparation propres à tous les jours de la semaine, un office des morts, un chemin de croix, son rosaire, les litanies de la Sainte Face, du Saint Sacrement, etc....

Le dimanche elle ne sortait pas du choeur et nous l'avons vue plus d'une fois, alors que l'enflure de ses pieds l'obligeait à prendre des béquilles, se rendre dès le matin et par les plus grands froids à son poste d'honneur.

Depuis trois ans, ma Révérende Mère, la cruelle infirmité de notre bonne soeur Saint-Pierre augmentant de jour en jour, elle fut réduite à ne plus quitter sa pauvre cellule. Sa vie devint un martyr de chaque instant et c'est alors que peu à peu toute consolation lui fut enlevée, même la possibilité de se faire transporter à la grille des malades pour y entendre la sainte messe et recevoir la sainte communion.

Enfin, au mois d'avril dernier, son état nous paraissant plus grave, nous crûmes prudent de la faire administrer ; grâce qu'elle réclamait d'ailleurs avec les plus vives instances, se croyant à la veille de paraître devant Dieu ; mais de longs mois de souffrances lui étaient encore réservés, comme un véritable purgatoire sans doute, durant lesquels les peines d'esprit, qui l'affligeaient depuis longtemps déjà, augmentèrent au point d'affaiblir sensiblement ses facultés. Cette pauvre chère Soeur nous faisait grande compassion, en voyant que rien ne pouvait la distraire et chasser ses tristes pensées.

Cependant, ma Révérende Mère, nous avons pu constater avec consolation que le sentiment de la reconnaissance n'était pas éteint dans son coeur. Vendredi dernier son état d'infirmité se compliquant d'une crise d'asthme qui nous parut dangereuse dès le début, elle dit à sa première infirmière : « O ma bonne soeur! ne me quittez plus maintenant, je vous en prie... ne m'abandonnez pas ! .... Tenez, si j'étais le bon Dieu, ,je vous enverrais tout droit au ciel après votre mort pour tous les soins que vous m'avez donnés » Et samedi soir pendant le silence, elle nous dit : «  Ma bonne Mère, je vous remercie de votre immense charité.. »

Ce furent ses dernières paroles intelligibles. Après Matines, nous retournâmes auprès de notre chère soeur et la voyant baisser tout à coup, nous fîmes appeler en toute hâte notre si dévoué et si pieux Aumônier qui lui donna l'Extrême‑Onction, la sainte absolution et lui appliqua l'indulgence in articulo mortis.

À certains signes, nous reconnûmes que notre chère mourante avait sa connaissance. Elle demeura toute la nuit dans un grand calme, malgré ses cruelles souffrances, et dimanche matin, fête de la Dédicace des Eglises, quelques instants après l'Office de None où nous venions de chanter que le Seigneur essuierait pour toujours les larmes de ses serviteurs dans la cité bienheureuse, elle expira doucement entre nos bras, en présence d'une grande partie de la Communauté. Notre messe conventuelle allait sonner et le saint Sacrifice fut immédiatement offert pour le repos de son âme.

Bien que nous ayons la confiance intime que les longues souffrances de notre chère soeur, sa vive piété et particulièrement sa tendre dévotion à la Face adorable de Notre Seigneur, lui auront fait rencontrer au sortir de la vie, le doux regard d'un juge miséricordieux, nous vous supplions, ma Révérende Mère, de lui faire rendre au plus tôt les suffrages de notre saint Ordre. Accordez‑lui par grâce, une communion de votre fervente communauté, une journée de bonnes oeuvres, l'indulgence du chemin de la croix et quelques invocations à la sainte Face. Elle vous en sera très reconnaissante ainsi que nous, qui avons la grâce de nous dire, ma Révérende Mère, avec un religieux respect,

 Votre humble soeur et servante,
Soeur Agnès de Jésus,
R. C. I.
De notre Monastère du Sacré‑Coeur de Jésus et de l'Immaculée‑Conception des Carmélites de Lisieux, le 10 novembre 1895.