Carmel

Biographie de Soeur Marguerite-Marie du Sacré Coeur

Léa Nicolle 1850-1926

Il est une église au fond d'un hameau

Vous achevez une halte spirituelle au sanctuaire marial le plus ancien de Normandie, Notre-Dame de la Délivrande. Il vous reste quelques heures de liberté. L'envie vous prend de respirer une fois encore l'air du large. Alors, empruntez la petite route D 35, à bicyclette de préférence.

Mer d'huile jusqu'à Tailleville : terrain plat, cultures maraîchères ou fourragères. Des nuées de mouettes se chamaillent derrière les tracteurs comme, à l'horizon, sur votre droite, derrière les barques de pêche. Trois mâts émergent de l'étendue bleue : les clochers de Langrune, Saint-Aubin, Bernières. Mais commencent les vaguelettes : des côtes en pente douce vers la Mue (affluent de la Seulles). A gauche, au creux d'un vallon, Reviers et sa fière église romane. Maintenant la houle se creuse, comme si la terre se fâchait, à l'égal d'une mer grosse. Une côte raide : un peu de marche auprès de votre « petite reine » prolongera le charme du parcours... La Seulles serpente sans hâte vers son estuaire, Courseulles.

Dans toute cette région, qui tient de la plaine de Caen et du Bessin, les souvenirs gallo-romains abondent.

Et soudain, la surprise : imprévisible, Colombiers-sur-Seulles, au nom de douceur. Blottie au fond de la vallée, littéralement au bord de la rivière, une très belle église : clocher en pur roman, choeur des Xlle-Xllle siècles, nef restaurée en pleine harmonie avec le style primitif. Le moderne Saint Vigor ne la dépare en rien. Bien antérieur au roman, cet antique évêque de Bayeux! Il siégeait au temps de Childebert, fils de Clovis et avait fondé deux abbayes : le Mont-Chrismat (St Vigor-le-Grand) et Cerisy (Manche). Mort avant 538, il continue à terrasser le dragon.

Pour peu qu'on rayonne dans ce secteur, on rencontre de beaux monuments, églises et châteaux, souvent du XIIIe : l'époque de la grande architecture. Les carrières offraient un matériau de qualité. C'est sur les fonts de Saint-Vigor-de-Colombiers que Léa Nicolle devient fille de Dieu, un beau jour de mai 1850. Une trentaine d'années plus tard, le jeune Maurice Barthélemy-Bellière arpentera les mêmes routes : Langrune, Villiers-le-Sec, Sommervieu...

Marguillette du Bon Dieu

En 1893, soeur Marie des Anges présente soeur Marguerite-Marie comme une « marguillette du Bon Dieu, ayant la simplicité de cette fleur » (CG, 1174). « Margueriette » ou pâquerette, si l'on préfère. La jeunesse de Léa se déroule tout entière dans le cadre rustique évoqué à l'instant. On ne sait rien de ses études, sans doute sommaires. L'enfant n'est pas sotte, car le même portrait souligne les « réparties spirituelles » de la carmélite.

Le père, Alexandre Nicolle, est tailleur de pierre. Sans doute travaille-t-il sur Reviers ou mieux sur Amblie, juste de l'autre côté de la Seulles : les carrières d'Orival sont toujours en exploitation en 1983. La maman, née Affable Nicolle (car les Nicolle foisonnent alors à Colombiers) est dentellière. A l'époque, l'industrie dentellière occupe près de 15 000 ouvrières dans l'arrondissement de Bayeux. Nés à Colombiers à quelques jours d'intervalle en octobre 1813, Alexandre et Affable se sont mariés le 31 décembre 1835. Ils ont cinq enfants: Exupère (1836), Antoine (1838), Armandine (1840), Léa (11 mai 1850) et Marie-Léontine (1855). Cette dernière meurt à huit mois (20-5-1856). Cinq mois plus tard disparaît le chef de famille (20-10-1856). Maladie? Accident? Alexandre est enlevé à 43 ans. Léa reste la petite dernière. La pierre tombale de M. Nicolle se dresse juste en face du portail de l'église de Colombiers. Sous son nom, l'espace ménagé pour recevoir celui de son épouse est resté en blanc : Mme Nicolle a dû émigrer dans un village voisin (on ignore lieu et date de sa mort).

En 1872, un nouveau curé arrivé à Crépon, paroisse proche de Colombiers : l'abbé Jules Hodierne. Il a trente-six ans et vient d'en passer une dizaine comme vicaire à Saint-Pierre de Lisieux. En 1869-1872, il a exercé les fonctions de chapelain et confesseur du jeune Carmel de la rue de Livarot. Comment Léa Nicolle fait-elle sa connaissance? Toujours est-il que l'abbé Hodierne croit discerner une vocation contemplative et fait admettre sa pénitente au Carmel le 15 juillet 1873.

Carmélite

La postulante Marguerite-Marie du Sacré-Coeur de Jésus inaugure sa nouvelle vie par une cérémonie émouvante : la prise de voile des soeurs Saint-Jean-Baptiste et Aimée de Jésus, le 16 juillet, fête de Notre-Dame du Mont-Carmel. Le supérieur, M. Delatroëtte, préside la cérémonie. L'ancien chapelain est sûrement de la fête. Il prêchera pour la vêture de « sa fille » le 8 décembre suivant.

Le 18 mars 1875, jeudi avant les Rameaux, soeur Marguerite-Marie fait profession, en même temps que soeur Thérèse de Jésus [Annales, novembre 1983), entre les mains de Mère Marie de Gonzague. Les deux « jumelles » reçoivent le voile noir le 6 avril suivant. C'est à nouveau l'abbé Hodierne, curé de Crépon, qui prend la parole. Précisons, et c'est une référence, que la nouvelle professe a fait son noviciat sous la direction de Mère Geneviève de Sainte-Thérèse, la fondatrice.

De cette petite campagnarde douce et bonne, on ne sait pas grand-chose sinon qu'elle « vole toujours au travail, à la fatigue, au dévouement » (CG, 1174). Dans quelques années, elle formera avec soeur Marie-Philomène (Annales janvier 1982) et soeur Marie de Jésus « le trio que l'on voit toujours à la tête de la Communauté pour tous les pénibles travaux et aimant à se nommer les Michel-Morin du Carmel. » (CG, 1174.)

Une croix lumineuse

« Elle aurait été de celles qui rendent la vie commune douce et agréable » : cet éloge tombe de la plume de soeur Geneviève (note de 1947-1948). Recueillons-le précieusement: l'auteur n'en est pas prodigue. Dès 1908 pourtant, la même plume notait déjà, à propos de Marguerite-Marie : « une religieuse édifiante sous tous rapports » (NPPO).

« Cette chère soeur, très édifiante »... « C'était une très bonne religieuse » : ces deux verdicts sont de Mère Agnès. « Une des perles de notre Carmel », renchérit soeur Marie des Anges (NPPA).

Mais la croix est très tôt plantée dans l'existence de soeur Marguerite-Marie. Vers 1886-1890 (sous un priorat de Mère Marie de Gonzague), elle présente des troubles mentaux inquiétants. On temporise. « Toute la Communauté en était malade. » On finit par l'hospitaliser au Bon Sauveur de Caen, vers 1890 semble-t-il. Elle revient « assez rétablie » (Marie des Anges) et se stabilise pendant près de six ans. N'oublions pas que Thérèse, entrée en 1888, est témoin de ces faits, tandis que M. Martin est lui-même hospitalisé à Caen en 1889-1892.

Fin 1895, début 1896, rechute. On demande à soeur Geneviève de prier pour la guérison de soeur Marguerite-Marie, le 24 février 1896, jour de sa profession. Mais Thérèse assure que le miracle n'aura pas lieu car, à la même époque, elle l'a vue en songe, qui entrait à la salle de communauté avec une croix lumineuse sur les épaules; toutes les soeurs la regardaient émerveillées tant la lumière qu'elle projetait était éblouissante, tout paraissait ténèbres à côté d'elle (Soeur Geneviève, NPPO, 1908). Soeur Marie des Anges atteste le même songe (NPPA) : « croix très longue et très lumineuse », dit-elle.

Le 14 mars 1896, une semaine avant les élections priorales, Mère Agnès de Jésus se décide à faire hospitaliser à nouveau soeur Marguerite-Marie. L'oncle Guérin se charge de « la corvée » (VT, n° 63, juillet 1976, p. 233, note 40), accompagné d'Armandine, la soeur de la malade. Le 9 juin suivant, la sortie est « accordée à titre d'essai » : amélioration, mais pas de guérison. Le Carmel ne peut envisager de la reprendre dans ces conditions. Après vingt-trois ans de vie religieuse, la soeur est rendue à sa famille. Un de ses frères l'accueille chez lui, à Colombiers. « Plusieurs fois par an, à époques déterminées, elle n'est plus à elle » (Mère Agnès), mais les inconvénients ne sont plus les mêmes que dans une communauté cloîtrée. Vers 1970, une paroissienne de Colombiers se souvenait encore avoir été dans sa jeunesse, faire de la couture chez Mlle Nicolle : elle vivait seule alors.

Elle est admise en 1922 chez les Petites Soeurs des Pauvres à Caen. Elle y meurt pieusement le 12 juin 1926. « Sa lourde croix lui vaudra certainement une grande gloire au Ciel », assurait soeur Marie des Anges (1915), se référant au songe de Thérèse.

Sr Cécile ocd