Carmel

Biographie de Soeur Thérèse de Jésus

Léonie Jezenska   1839-1918

Fille de prince

sign Therese de Jesus

Une autre Sainte Thérèse 

Après Dieu, c'est pour une part à Sœur Thérèse de Jésus que l'univers chrétien doit d'invoquer aujourd'hui « Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus ». Car Thérèse nous a raconté elle-même, dans son Histoire d'une Âme, comment un matin d'octobre 1882, peu après l'entrée de Pauline au Carmel, elle pensait à son futur nom de carmélite. « Je savais qu'il y avait une Sœur Thérèse de Jésus, cependant mon beau nom de Thérèse ne pouvait m'être enlevé (Ms A, 31 r°). » Elle n'a pas dix ans mais déjà tout son coeur appartient au « Petit Jésus ». Alors le désir l'envahit de s'appeler « Thérèse de l'Enfant-Jésus ». Et c'est juste le nom que propose Mère Marie de Gonzague à la communauté, au parloir suivant; ce nom qu'elle recevra effectivement à son entrée le 9 avril 1888, le nom sous lequel l'Église choisira de l'invoquer. Sans la « contemporaine » que nous rencontrons aujourd'hui, peut-être aurions-nous eu une seconde « grande et Sainte Thérèse de Jésus» (CG II, 1097), comme l'écrivait Mère Marie de Gonzague. Mais pas de confusion possible maintenant. Le peuple chrétien continuera longtemps à distinguer « la grande Thérèse », celle d'Avila, et « la petite Thérèse», celle de Lisieux.

Mais revenons à la carmélite de Lisieux, âgée de 43 ans en 1 881, qui se nommait Thérèse de Jésus.

Fille de prince

Il était une fois une candide petite bretonne de dix-huit ans, Julienne-Marie Chevrier. Née à Laillé, llle-et-Vilaine (20 avril 1821), elle vivait à Rennes avec sa mère veuve. Un prince charmant s'en vint lui conter fleurette. Ils s'aimèrent, ils se marièrent le 6 juin 1839. Deux mois plus tard, le 6 août 1839, naissait notre héroïne, Léonie-Anastasie.

Quel était ce beau prince? Erasme, 25 ans, de belle prestance sans doute, était étudiant en médecine. Né d'un père polonais (Adam Jezewski) et d'une mère d'ascendance allemande (Anastasie Herman), à Bratalow, en Volhinie dit l'acte de mariage: province alors annexée par la Russie. Il se disait fils de princes, ou du moins de nobles. Il a environ quinze ans quand sa famille se réfugie en France. Elle y vit assez pauvrement, certains de ses membres se faisant marchands forains.

Erasme et Julienne ont pour témoins à leur mariage : d'une part, deux étudiants en médecine, d'autre part Joseph Piel, boulanger, oncle maternel de Julienne, et un serrurier. Les jeunes époux furent-ils heureux? L'histoire n'en dit rien. Eurent-ils beaucoup d'enfants? On n'a pas trouvé trace jusqu'ici de frères ou sœurs de Léonie. Mme Jezewska meurt à vingt-cinq ans. La petite, qui n'en a que sept, est recueillie par sa grand- mère Chevrier (née Anne-Marie Baussant). L'orpheline s'attache si fortement à son aïeule qu'elle ne la quitte qu'après sa mort. Léonie compte alors 33 ans. On ne sait rien de sa jeunesse.

Au Carmel

Mlle Jezewska, restée seule, se présente au Carmel de Rennes. Depuis l'exode de septembre 1870, ce monastère garde des liens étroits avec celui de Lisieux (dont il a accueilli pendant plusieurs mois la soeur Fébronie). Il oriente la prétendante vers le carmel lexovien. Le supérieur et la prieure, M. Delatroëtte et Mère Marie de Gonzague, sont nouveaux dans leurs charges respectives. Ils admettent sans difficulté la postulante qui a bonne carrure, à défaut de beauté physique (les photos révèlent des traits hommasses et sans doute un strabisme divergent). Elle entre donc le 6 mai 1873, deux jours avant la profession des sœurs Saint-Jean-Baptiste et Aimée de Jésus. Une postulante la rejoint au noviciat deux mois plus tard, sœur Marguerite-Marie. En ce printemps 1873, un bébé de quatre ou cinq mois est en train de reprendre goût à la vie, à Semallé, à la ferme de la « Petite Rose »...

Soeur Thérèse de Jésus du Coeur de Marie (Léonie Jezewska) reçoit l'habit du Carmel le 1 5 octobre 1873, des mains du Supérieur. Le sermon est donné par l'abbé Rohée, alors curé de Vaucelles, à Caen. Moyennant une légère prolongation du noviciat de l'aînée, les deux postulantes de 1873 se retrouvent jumelles de profession, le 18 mars 1875. Thérèse de Jésus et Marguerite-Marie reçoivent le voile noir le 6 avril. Le chanoine Delatroëtte préside la cérémonie, le mardi de Quasimodo. L'abbé Hodierne, curé de Crépon, et directeur spirituel de Marguerite-Marie, prononce l'homélie. 1875 est une Année sainte. L'aumônier, l'abbé Youf, donne à la Communauté « de très bons sermons pendant le mois de Marie pour lui faire gagner la précieuse indulgence (du grand jubilé) ».

Avec l'entrée de Sœur Thérèse de Saint-Augustin le 1er mai 1875, ce sont donc cinq postulantes en trois ans et demi, qui viennent renforcer les effectifs.

On sait fort peu de choses des emplois de Sœur Thérèse de Jésus. En 1893, elle seconde Sœur Saint- Jean-Baptiste à la lingerie. Sœur Marie des Anges la décrit alors comme « clouée sur la croix par ses pauvres yeux qui lui refusent souvent leur service, matière de grand sacrifice pour cette âme chérissant le travail, la confection des scapulaires du Sacré-Cœur». Néanmoins, elle présente « un caractère gai et aimable » (CG II, 1174). Mais pas pour toutes, ainsi Sœur Marie du Sacré-Cœur, bon cœur s'il en fut, note tristement, en mai 1903 : «J'ai un peu de peine en pensant à ce que Mgr [Amette] m'a dit : que les Sœurs qui me déplaisent sont peut-être plus agréables au bon Dieu que moi. Ainsi je me figure une Sœur Thérèse de Jésus et autres plus aimées que moi du bon Dieu et cette pensée me rend si triste qu'elle m'enlève tout élan et tout courage.» (Billet à Mère Agnès de Jésus.) Ah! ce démon de la comparaison!...

Avec Thérèse

Après une enfance si peu gâtée, sans vraie vie de famille, avec aussi des traits plutôt disgraciés, que pouvait éprouver Sœur Thérèse de Jésus face à une petite Thérèse Martin choyée, jolie comme un ange? « Jalousie », répondent Mère Agnès et Marie du Sacré-Cœur. La beauté de Thérèse? « Elle n'a rien de rare», déclare l'ancienne. Ses talents pour la peinture? Elle les met à contribution dès 1890, choisissant parfois des sujets « vraiment bizarres et de mauvais goût... par exemple un lion entouré de fleurs et d'oiseaux» (NPPA/AJ). «Faut-il lui faire tout cela?», s'enquiert Thérèse, alors en retraite de profession (LT 114). « En 1897, la dernière année de sa vie, la petite Thérèse peignit encore de petits ouvrages pour cette sœur. C'est la dernière fois qu'elle se servit de ses pinceaux. » (PA, 1 77). On est en juin (selon NPPA) : Thérèse commence à écrire son manuscrit C et ses pages inoubliables sur la charité fraternelle. Une fois de plus, elle vit ce qu'elle écrit.

Les documents sont muets sur les dernières années de Sœur Thérèse de Jésus au monastère, depuis son départ en 1909, sous le priorat de Mère Marie-Ange. Où fut-elle accueillie, à soixante-dix ans? Même laconisme du Livre des Professions sur sa mort : « Décédée hors du monastère, le 31 octobre 1918», sans précision de lieu. Il nous en reste donc beaucoup à apprendre en paradis sur cette sœur.

Sr Cécile ocd