Carmel

Circulaire de Soeur St Raphaël du Coeur de Jésus

Stéphanie Gayat   1840-1918

Sans doute à sa demande, Sr St Raphaël n'a pas de circulaire.

Voici quelques notes d'après le livre de nos chroniques :  

Le 27 août 1918 à 11 heures du soir s'endormait doucement dans le Seigneur, notre chère soeur saint Raphaël du Coeur de Marie, âgée de 78 ans et 6 mois, dont 49 passés en religion.

Soeur St Raphaël étaitoriginaire de Honfleur ; son père était tonnelier et sa mère rempailleuse de chaises. On ne sait pas grand-chose de sa jeunesse. Elle fit son entrée au carmel le 24 février 1868, à l'âge de 28 an. Elle prit l'habit le 26 juin ; ce fut Mgr l'Évêque de Bayeux qui le lui donna et le rév. P. Bénigne prêcha. La profession suivit le 6 juillet 1869, et Sr St-Raphaël reçut le voile le jour de la fête de Notre Dame du Mont Carmel.

En 1870, Sr St Raphaël vécut la guerre à sa façon. Mgr de Bayeux, en envoyant la nomination à Mr Delatroëtte, notre supérieur, lui donnait le pouvoir de dispenser de la clôture ses nouvelles filles dès qu'il verrait la nécessité de les faire sortir pour cause de guerre. A peine était-il entré en charge que les bruits les plus sinistres l'obligèrent à donner à ma Sr. St. Raphaël la permission de sortir, son père qui demeurait au Havre avait envoyé sa fille aînée chercher sa jeune soeur. Notre Soeur, de retour chez nous, fut très souvent dans les charges, sous-prieure et dépositaire.

Sage et charitable, elle est aussi bonne et douce – et sera pleine d'attentions pour Thérèse. Trois hivers de suite, elle s'occupera des engelures de Thérèse, jusqu'à y passer des heures. Elle se plaindra aussi qu'on ne sert pas assez cette jeune soeur au réfectoire.

Depuis plusieurs années réduite à un état pénible d'infirmité, elle avait perdu progressivement l'usage de ses facultés et se trouvait presque complètement en enfance. Mais ce ne fut que le 16 août dernier que notre bonne ancienne s'alita pour ne plus se lever. Frappée d'une crise de gravelle, maladie dont elle avait souffert autrefois, elle nous donna dès ce jour de si vives inquiétudes, qu'on lui administra en hâte l'Extrême-Onction, en ce lendemain de la fête de l'Assomption, avant la messe conventuelle. Mais le Seigneur si compatissant et si bon pour ses épouses voulut bien à cette heure suprême rendre à notre chère mourante toute son intelligence, en sorte qu'elle se prépara à la messe d'une façon des plus édifiantes, offrant sa grande souffrance et surtout le tourment affreux de la soif qu'elle endurait, pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. « Mon Dieu, disait-elle avec une conviction profonde, vous me ferez miséricorde, car j'ai toujours eu confiance en vous ! » Ou d'autres élans semblables. Cependant la crise aiguë passa, et l'âme de notre chère soeur dut encore se purifier au creuset de la douleur, et mériter pour elle et les pécheurs, pendant près d'une quinzaine de jours.

Petit à petit, elle s'affaiblit, tomba dans un sommeil presque continuel, tout en gardant sa connaissance jusqu'à la fin, puisque à 8 heures du soir, le 27, elle baisa encore pieusement son crucifix que lui présentait notre bien-aimée Mère, et elle essaya même de faire le signe de la croix. Puis sans secousse, comme une lampe qui s'éteint, notre bonne soeur saint Raphaël entra dans son éternité, sans qu'il fut presque possible de remarquer son dernier soupir. Il était 11heures du soir, ses infirmières seules présentes, car ne prévoyant pas un dénouement si prompt, nous avions contraint notre Mère à prendre quelque repos, en vue des fatigues du lendemain. Nous faisions à la même heure au choeur, la veille «d'armes »d'une jeune professe, soeur Marie de l'Incarnation, du voile blanc, et la fête devant être tout intérieure, nous ne crûmes pas devoir la remettre. Il ne manquait pas d'analogie d'ailleurs entre cet adieu définitif à la vie et cet adieu au monde au seuil du carmel, vrai vestibule du ciel. C'est bien par cette première mort ou séparation austère d'avec les bonheurs passagers qu'offre le monde, que s'achète notre privilège insigne de former au Paradis le cortège immaculé de l'Agneau, Epoux des Vierges.

Nous avons la douce confiance que notre bonne soeur Saint Raphaël reçut un jugement favorable du Père des miséricordes, ainsi qu'elle l'espérait: « Seigneur, disait-elle en ses derniers jours d'exil, Père, rappelez-vous que vous avez promis de nous accorder tout ce que nous vous demanderions par la Face de Jésus » Et toute sa vie elle avait eu une si grande dévotion pour la Face Adorable du Sauveur. Elle comptait aussi sur notre «petite Thérèse » pour lui faire bon accueil, et le bon Dieu qui l'avait soumise ces dernières années à un état bien humiliant d'infirmités et d'affaissement moral, se sera souvenu de sa profonde piété alors qu'elle jouissait de toutes ses facultés, et des messes si nombreuses auxquelles elle se faisait un pieux devoir d'assister, passant au choeur dans ce but des matinées entières. Nous fûmes nous-mêmes bien consolées par les dispositions très édifiantes de cette chère Soeur, et de ce retour inattendu de son intelligence auquel on ne pouvait s'attendre sans une grâce toute spéciale.

Les obsèques eurent lieu le vendredi 30 août et les trois absoutes données par M. l'abbé Dufrenoy, curé de Haugest (diocèse d'Amiens) et réfugié à Lisieux, par M. le chanoine Pitrou, notre digne Aumônier et enfin notre Père Supérieur, curé de Saint Jacques. Dissimulé dans l'assistance, Monseigneur Bonnefoy, Archevêque d'Aix, pour la quatrième fois au moins pèlerin de Lisieux, assistait à la messe d'inhumation. Il avait célébré le matin la messe de communauté.