Carmel

Notes préparatoires de Sr Marthe de Jésus

FOI

La servante de Dieu était très fidèle à remplir toutes les observations que faisait la Mère Prieure jusque dans les plus petits détails, parce qu'elle voyait toujours le bon Dieu en celles qui tenaient sa place au milieu de nous. Elle me reprenait souvent de mon manque d'esprit de foi et de soumission : "Si vous voyez bien le bon Dieu dans vos supérieurs, me disait-elle, vous ne feriez jamais de réflexions sur ce qu'ils disent, mais vous obéiriez toujours en aveugle, sans le moindre retour sur vous-même

J'ai toujours été frappée du grand recueillement dans lequel vivait la servante de Dieu, même dans les occupations les plus distrayantes. Par exemple, à la buanderie, on sentait qu'elle était toujours unie au bon Dieu, jamais elle ne montrait de dissipation malgré ce travail fatigant, et quand elle voyait que je me livrais trop au travail, elle me reprenait me disant :"Que faites-vous donc ? agissez en tout pour plaire au bon Dieu, soyez plus intérieure, occupez-vous davantage de Jésus, même au milieu de vos travaux si durs et si pénibles qu'ils
soient. Elevez votre âme plus haut que tout ce qui passe, c'est à dire au-dessus de toutes les choses de la terre

AMOUR DE DIEU

Souvent la servante de Dieu me disait :" Ah ! si vous voulez arriver à la sainteté, il ne faut pas vous contenter d'imiter les Saints, mais il faut que vous soyez parfaite comme votre Père céleste est parfait. Ne croyez pas que pour arriver à la perfection que nous demande Notre Seigneur, il soit nécessaire de faire de grandes choses, oh non ! notre amour seul lui suffit, donnons-lui avec joie tout ce qu'il nous demande sans faire de réserve, il est si doux de se sacrifier pour Celui que l'on aime plus que soi-même, Alors rien ne coûte plus, tout devient facile, surtout quand on est unie à Jésus.

Sr Thérèse de l'E.J. avait une très grande dévotion à la Ste Face de Notre Seigneur, elle m'en parlait souvent, mais ce qui m'a toujours le plus frappé
ce fut son grand amour pour la Sainte Vierge, quand elle était sur ce chapitre elle ne tarissait pas en parlant de cette bonne Mère, je sentais son coeur débordant de tendresse et d'amour pour elle. Aussi me recommandait-elle de me confier tout entière à elle, et d'avoir à son égard la tendresse et la simplicité d'un tout petit enfant pour sa Maman. Quelques semaines avant sa mort, elle me fit appeler et me dit :"je ne serai pas tranquille sur votre compte, il faut que vous me promettiez de réciter tous les jours un Souvenez-vous à la Ste Vierge. Je le lui promis et y fut fidèle.

Comme nous n'avions pas encore fait profession, et qu'il n'y avait personne pour balayer la chapelle, ce fut nous deux qui furent chargées pendant quelques semaines de remplir cet office, ce qui nous était une bien douce consolation.
Mais un jour, la servante de Dieu prise d'un élan d'amour, va s'agenouiller sur l'autel, frappe à la porte du tabernacle : "Es-tu là, Jésus? réponds moi je t'en supplie!" Appuyant sa tête sur la petite porte dorée, y resta quelques instants, puis se relevant, elle me regarda, sa figure était comme transfigurée et toute rayonnante de joie, comme si quelque chose de mystérieux s'était passé entre elle et le divin prisonnier d'amour.

Charité envers le prochain
Quoique n'étant pas toujours fidèle à suivre les recommandations que me faisait la servante de Dieu, jamais elle ne se rebutait ni ne se décourageait de mes résistances à suivre ses bons conseils, restant toujours la même à mon égard, aussi douce, aussi remplie de charité, aussi compatissante.
Quand on avait besoin de la Servante de Dieu pour rendre quelques services et qu'on venait la déranger, quand bien même elle fut très pressée, on était toujours sûres d'être bien reçue, ne montrant jamais le moindre ennui, et si il lui arrivait de ne pouvoir faire plaisir, elle s'en excusait de façon si aimable, que l'on s'en retournait aussi content que si elle avait rendu le service demandé.
Je puis dire en toute vérité que Sr Thérèse de l'E.J. a toujours été pour mon âme
une vraie mère, par le soin qu'elle en prenait, ne me passant rien, ne craignant pas de me dire toutes mes vérités, ce qui n'était pas toujours agréable à entendre.
Je reconnais avoir bien souvent exercé sa vertu et je suis convaincue qu'une autre soeur aurait été à sa place, j'aurai lassé sa patience et qu'elle m'aurait abandonnée, tant j'étais insupportable, mais pour elle il n'en fut pas ainsi, elle me traita toujours avec beaucoup d'amour et de charité, et je dirais même d'affection, ne laissant jamais paraître le moindre ennui

Lorsque j'étais de cuisine, si je refusais de rendre un service à mes soeurs, ou si je paraissais triste, on allait se plaindre à Sr Thérèse de l'E.J., et un moment après, je la voyais arriver avec son aimable sourire, et me reprenait avec beaucoup de douceur :" Que vous me faites de peine, me disait-elle, de vous voir si peu vertueuse ! Si une soeur vient vous demander un service, faites tout ce qui dépend de vous pour le rendre quand bien même cela dût vous coûter beaucoup, mais ne dites jamais non. Si vous voyez bien le bon Dieu en chacune de vos soeurs, jamais vous ne refuseriez rien, au contraire vous iriez au-devant de ce qu'elle désire, voilà la vraie charité.
Pendant les huit années que j'ai eu le bonheur de passer avec la servante de Dieu, je ne l'ai jamais entendue manquer de charité ; au contraire, elle excusait toujours ses soeurs et ne trouvait que du bien à dire d'elles, faisait toujours ressortir leurs vertus et leurs mérites.  Lorsque je lui disais les combats que quelques-unes me donnaient, elle se gardait bien de me donner raison, mais l'attribuait à mon manque de vertus !
Si je me plaignais à Sr Thérèse de l'E.J. que je ne pouvais supporter telle soeur parce que je sentais bien qu'elle ne m'aimait pas, parce qu'elle trouvait toujours à redire à tout ce que je faisais ! Elle me répondait :"Où est donc votre vertu si vous n'aimez que ceux qui vous aiment, que faites-vous de plus que les pécheurs, eux aussi aiment ceux qui les aiment....
La servante de Dieu était très charitable pour toutes ses soeurs particulièrement pour les anciennes, pour lesquelles elle était pleine d'égards, de respect et de vénération, heureuse de leur rendre service quand elle pouvait en avoir l'occasion ; si elle voyait une religieuse chargée, vite elle allait au-devant pour la débarrasser de son fardeau, et cela indifféremment, le faisant aussi bien pour une pauvre petite soeur converse que pour une soeur de choeur.
Une religieuse d'un caractère difficile, chargée de la lingerie, et dont personne ne désirait être avec elle, Sr Thérèse de l'E.J. demanda qu'on la mît comme aide à cet emploi, et cela parce qu'elle savait y avoir beaucoup à souffrir. Un jour que j'allais en direction chez Sr Thérèse de l'E.J., je l'attendais déjà depuis bien longtemps, enfin fatiguée de voir qu'elle ne venait pas, je me disposais à m'en retourner chez nous, quand je la vis venir avec un visage rayonnant de bonheur. Je lui demandais pourquoi elle paraissait si gaie et d'où elle venait ? –J'étais me répondit-elle avec ma première d'emploi. – Mais que vous a-t-elle dit pour que vous paraissiez si joyeuse ?- Elle m'a dit tout ce qui en moi lui déplaisait ! Peut-être pense-t-elle m'avoir fait de la peine, oh! non, au contraire, c'est du plaisir qu'elle m'a donné. Aussi combien je voudrais la revoir afin de lui sourire.
Un moment après on frappe à sa porte : et c'était cette soeur qu'elle reçut avec un aimable sourire, ce qui m'édifia beaucoup, je restais émerveillée devant une vertu si héroïque.

Une année lui ayant exprimé le désir que j'avais de faire avec elle ma retraite annuelle, pour me faire plaisir, la servante de Dieu voulut bien accéder à mon désir, et pendant trois ans elle me fit cette faveur ; pour cela, elle laissait donc passer l'époque de sa Profession, et m'attendit pour partir en solitude. Mais je sus plus tard que ce lui faisait faire un grand sacrifice, ce dont je ne me serais jamais douté car elle n'en laissait rien paraître. Pendant ces jours de solitude, Notre Mère nous permettait de passer ensemble les heures de récréation, ce qui était pour moi une bien douce consolation ; tout notre temps nous le passions à parler du bon Dieu, de son grand amour, de son immense désir de Le voir bientôt, pas un mot des choses de la terre ne venait se mêler à nos conversations
Je ne saurais dire combien mon bonheur était grand d'entendre sa parole enflammée qui me faisait tant de bien ; je sentais un coeur tout débordant d'amour pour son Jésus. Aussi l'aurais-je écoutée des heures entières sans me fatiguer tant elle m'intéressait, et mon coeur si froid s'embrasait aux ardeurs du sien.
Une année tout particulièrement où elle me paraissait si fervente, inondée de consolations surnaturelles et comme perdue en Dieu, j'enviais son bonheur, parce que je souffrais beaucoup intérieurement, je vais trouver notre maîtresse et lui dit ma détresse:" Que je voudrais être comme ma Sr Thérèse de l'E.J., elle paraît si heureuse, si consolée ! "Elle sourit de ma confidence, et me dit que son âme était comme la mienne dans la plus grande obscurité ! Sa réponse me surprit, persuadée que j'étais du contraire.
Je pouvais aller trouver la servante de Dieu autant que je voulais, j'étais toujours sûre d'être bien reçue, jamais elle ne montrait le moindre ennui, au contraire elle paraissait toujours heureuse de me recevoir et me souriait aimablement ce qu'elle faisait certainement par vertu ; car quel plaisir pouvait-elle trouver à s'entretenir avec une pauvre petite ignorante comme moi, qui naturellement devait plutôt l'ennuyer que l'intéresser.

HUMILITE

Une soeur du voile blanc, encore novice, l'ayant accusée ainsi que moi d'avoir fait des démarches pour la faire partir du monastère, ce qui était absolument faux.
Quand Sr Thérèse de l'E.J. sut ce dont il s'agissait, elle m'en fit part, alors je la regardais, stupéfaite, me demandant ce que cela voulait dire. Au premier moment je me suis révoltée, mais elle m'en reprit, et me dit avec bonté : "Puisque notre petite soeur pense cela de nous, il faut que nous, nous redoublions de tendresse  pour elle, quand nous la rencontrerons, faisons-lui un aimable sourire, témoignons lui beaucoup d'affection, et rendons lui service jusque dans les plus petites occasions, allons même au-devant ; de cette façon elle n'aura plus de peine à reconnaître qu'elle s'est trompée.
Pendant plusieurs années, pour m'exciter à la pratique de la vertu, nous faisions ensemble de petits sacrifices  que nous marquions chaque jour, et le dimanche, elle en faisait le compte rendu, et ensuite les déposait aux pieds de la Sainte Vierge, lui demandant de bénir nos petits efforts. Sr Thérèse de l'E.J. n'avait pas besoin d'employer pour elle ces petits moyens, elle déjà si élevée en perfection, mais uniquement pour moi qui avais tant besoin de devenir parfaite.
Ayant beaucoup de peine à m'astreindre à baisser les yeux pendant le réfectoire comme le demande nos règlements, pour m'aider dans la pratique de cette petite mortification, Sr Thérèse de l'E.J. composa la prière suivante, qui me fut encore une fois la révélation de son humilité, car elle demandait une grâce dont j'avais seule besoin.
Prière:
Jésus ! vos deux petites épouses prennent la résolution de tenir les yeux baissés pendant le réfectoire, afin d'honorer et d'imiter l'exemple que vous leur avez donné chez Hérode : quand ce prince impie se moquait de vous, ô Beauté infinie, pas une plainte ne sortait de vos lèvres divines. Vous ne daignez pas même fixer sur lui vos yeux adorables... Oh ! sans doute divin Jésus, Hérode ne méritait pas d'être regardé de Vous, mais nous qui sommes vos épouses, nous voulons attirer sur nous vos regards divins. Nous vous demandons de nous récompenser par un regard d'amour, à chaque fois que nous nous priverons de lever les yeux, et même nous vous prions de ne pas refuser ce doux regard quand nous serons tombées, puisque nous comptons nos défaillances.
Nous formerons un bouquet que vous ne rejetterez pas, nous en avons la confiance. Vous verrez dans ces fleurs le désir de vous aimer, de vous ressembler, et vous bénirez vos pauvres enfants. O Jésus ! regardez nous avec amour et donnez nous votre doux baiser.

PRUDENCE et DOUCEUR

La servante de Dieu était d'une très grande discrétion, on pouvait tout lui confier, on était assuré que pas un seul mot n'était répété à personne, pas même à Mère Agnès de Jésus quand elle était prieure, c'est pourquoi j'allais à elle en toute confiance, je pouvais sans crainte lui dire toute mon âme, ce que je n'avais pu faire avec personne, car je lui disais tout comme à un confesseur, et toujours j'étais comprise, et recevais les lumières dont ma pauvre petite âme avait besoin.

Je me rappelle qu'il y avait des soeurs qui étaient très opposées à la servante de Dieu, et elle supportait tout avec une vertu toujours égale. Il y avait aussi une bonne religieuse qui l'épiait continuellement et trouvait mauvais que les novices soient si souvent chez elle. Cette religieuse qui habitait dans le même dortoir venait souvent la trouver sans aucun motif sérieux. Mais comme Sr Thérèse de l'E.J. avait l'oreille très fine, prévoyant qu'elle pourrait venir la surprendre, dès qu'elle l'entendait approcher de sa cellule, elle se levait, et pour se donner une contenance, prenait une de ses alpargates et faisait semblant de donner des explications pour le raccommodage qu'il y avait à faire. On était bien obligé
d'user de ruse pour arriver à quelque chose, et une fois la bonne soeur partie, nous reprenions notre petit entretien.

Une année où j'étais seule novice avec elle, notre Mère m'envoya comme aide à Sr Thérèse de l'E.J. pour faire un ouvrage fatigant, et cela me dérangeait beaucoup, à cause du travail que j'avais à faire. De son côté, la servante de Dieu se réjouissait de trouver cette occasion de parler ensemble, mais par malice, je m'y rendis le plus doucement possible. Quelle ne fut pas son étonnement de me voir si mécontente, au lieu de lui rendre le sourire aimable qu'elle me fit, je lui dis des paroles très mortifiantes, et je la vis toujours garder la même sérénité, aussi gracieuse aussi aimable que si je ne lui avais rien dit ! Alors, n'y tenant plus, je me suis jetée dans ses bras, lui demandant pardon d'avoir été si vilaine, e qui me fut vite accordé. Je n'ai pu m'empêcher d'admirer sa vertu, car elle ne me fit aucun reproche, elle me parla comme si rien ne m'était arrivé.....
Le jour où Mère Marie de Gonzague donna à Sr Thérèse de l'E.J. son second frère, elle lui défendit d'en parler à Mère Agnès de Jésus, et de ne pas lui dire non plus quand elle lui écrirait : ce qui fut pour la servante de Dieu un grand sacrifice, mais en parfaite obéissante  comme en toutes les autres vertus, jamais elle ne lui en dit un seul mot. Par prudence, craignant que Mère Agnès ne vint la surprendre en train d'écrire, et n'eut de la peine qu'elle se cachât d'elle, elle avait soin par délicatesse de barrer la porte de sa cellule, afin de pouvoir cacher ce qu'elle faisait sans qu'elle s'en aperçut.
Avant même que la servante de Dieu fut nommée Maîtresse des novices, Mère Marie de Gonzague qui était alors Prieure, m'avait donné la permission d'aller avec elle pour m'entretenir du bon Dieu, parce qu'elle me faisait beaucoup de bien ; malgré cette permission, nous étions obligées de nous cacher afin de n'être pas découvertes, ce qui aurait occasionné de grandes scènes. Car cette bonne Mère était prise de jalousie, sitôt qu'elle voyait qu'une soeur donnait sa confiance à une autre qu'à elle.

PAUVRETE

J'ai toujours admiré la constante fidélité de la servante de Dieu jusque dans les plus petits assujettissements, comme de ramasser une allumette, un bout de papier qu'elle trouvait dans les chemins et jusqu'aux débris qui tombaient de son balai
J'ai encore remarqué que la servante de Dieu était très assidue au travail, jamais elle ne perdait une minute de son temps ; lorsque j'étais en direction avec elle, tout en me parlant, je la voyais tirer sa petite aiguille avec beaucoup d'activité. Aussi me recommandait-elle d'être très scrupuleuse sur ce point, et de bien employer tous mes petits moments, parce que disait-elle le temps ne nous appartient pas.
La soeur actuellement chargée de la lingerie, me dit un jour en me parlant de la servante de Dieu, combien elle avait été édifiée de son esprit de pauvreté, lui ayant demandé comme une grande faveur, de lui donner en linge, tout ce qu'elle avait de plus vieux, de plus raccommodé, tout ce que les autres soeurs ne voudraient pas porter. Cette soeur accéda à sa demande, ce qui combla de joie ma Sr Thérèse de l'E.J.
La servante de Dieu prenait grand soin de tout ce qui lui était confié, comme de tout ce qui était à son usage. Par exemple ses alpargates, elle les raccommodait jusqu'à extinction ! Après sa mort, on en a trouvé deux paires tellement usées et raccommodées que je ne connais pas une soeur dans la Cté qui aurait voulu en porter de semblables ! Combien je regrette maintenant de les avoir brûlées !
Celles de nos soeurs qui n'ont pas eu le bonheur de la connaître, en auraient été édifiées, jugeant par elles-mêmes, à quel point elle pratiquait le véritable esprit de pauvreté.

DETACHEMENT

Jamais Sr Thérèse de l'E.J. ne recherchait la compagnie de ses soeurs, pas plus que leur conversation, et cela par pur détachement, car elle les aimait beaucoup,
mais allait avec n'importe quelle religieuse de la Cté. Je dirai même qu'elle allait de préférence avec celles qui étaient les plus délaissées, les moins aimées.
Quand il fut question de chasser les communautés, Sr Thérèse de l'E.J. me dit :
"Vous savez bien que si l'on vient à sortir, je ne vous abandonnerai pas "- Vous viendrez avec moi ? mais que dirons vos soeurs, elles ne voudront pas m'accepter en leur compagnie ? – Si elles ne veulent pas de vous, me répondit-elle, je louerai une petite chambre et nous vivrons ensemble toutes les deux !

CHASTETE

Une religieuse étant venue me voir, je demandais la permission de faire venir ma soeur Thérèse de l'E.J., ma petite compagne de noviciat, ce qui me fut accordé. Quand elle fut sortie du parloir, cette respectable religieuse dit à notre Mère qui était présente : "Que cette enfant est donc ravissante !c'est quelque chose de céleste, de délicieux, elle est plutôt du ciel que de la terre ...Que je vous remercie ma mère de me l'avoir amenée, elle repose l'âme, c'est quelque chose de si pur, de si candide, enfin cette religieuse quitta le carmel ne sachant comment remercier du bonheur qu'on lui avait procuré.
La première fois que je vis Sr Thérèse de l'E.J., elle me fit l'impression d'un ange
sa figure avait vraiment un reflet tout céleste, et cette impression resta toujours la même, non seulement pendant son postulat, mais encore tout le temps de sa vie religieuse.

MORTIFICATION

Sr Thérèse de l'E.J. était d'une modestie parfaite, ne courant jamais sous les cloîtres, marchant très religieusement, les yeux baissés, ne cherchant à ne rien voir, à ne rien savoir de tout ce qui se passait autour d'elle, ne s'occupant jamais de ce qui ne la regardait pas, elle ne donnait son avis en rien, à moins qu'on ne le lui demande, encore le faisait-elle avec beaucoup de discrétion et en peu de mots. "Quand vous voyez plusieurs soeurs assemblées à parler, me disait-elle, ne vous arrêtez pas, passez droit votre chemin, ne cherchez même pas à vouloir entendre ce qui se dit, ce n'est pas mortifié.
Du temps où je faisais encore la cuisine, j'ai toujours remarqué en la servante de Dieu une grande mortification ; on pouvait lui donner tout ce que l'on voulait, jamais elle ne se plaignait de rien, on ignorait complètement son goût sur les aliments qu'on lui servait, ce qu'elle aimait ou n'aimait pas, elle prenait tout indifféremment
Dans sa grande charité, elle me recommandait de ne pas aller si souvent  chez notre Mère, "parce que disait-elle, cela fait beaucoup de mal à votre âme, vous n'y allez que pour vous rechercher et satisfaire votre nature, cela fait beaucoup de peine au bon Dieu, il faut vous mortifier et offrir ce sacrifice à Jésus, vous ne devez y aller que pour les choses vraiment utiles et indispensables ".Alors elle me confia les sacrifices qu'elle avait fait au début de sa vie religieuse. Moi, n'étant pas contente de ses réflexions pourtant très justes, je lui répondit avec vivacité:
"Vous y allez bien, vous ! pourquoi ne ferai-je pas comme vous ? – Et voici la sublime réponse que me fit la servante de Dieu :" C'est vrai que je vais chez notre Mère, mais je sens que pour moi, il ne m'est plus nécessaire de me refuser cette consolation, parce que mon coeur est affermi en Dieu
La servante de Dieu était très silencieuse : je ne me rappelle pas l'avoir entendu dire des paroles inutiles surtout pendant les heures de grand silence : elle ne voulait pas qu'on aille lui parler durant ce temps ! Jamais non plus, elle ne parlait dans les endroits réguliers, si elle avait besoin de parler à une soeur, elle avait bien soin de fermer fidèlement la porte avant de dire le premier mot comme cela est bien recommandé.
Elle se faisait remarquer par sa grande ponctualité, quittait tout ce qu'elle faisait dès le premier son de la cloche, même au milieu d'une conversation si intéressante fut-elle. Si elle travaillait, elle n'achevait pas le point commencé, laissant son aiguille telle que la cloche la trouvait. Agissant de la sorte, elle était toujours la première  rendue au choeur, ce qui la rendait bien heureuse parce qu'elle disait avoir la bénédiction de l'ange de la Communauté
La servante de Dieu ne se plaignait jamais quand elle avait froid, quoiqu'elle
en souffrit beaucoup ; quand j'allais chez elle, j'étais très édifiée de sa mortification ; elle ne disait pas qu'elle souffrait car jamais elle  ne se plaignait de rien, mais je m'en apercevais bien, elle avait ses pauvres mains toutes enflées et couvertes d'engelures prêtes à percer, pouvant à peine tenir son aiguille tant elle avait froid, alors pour se réchauffer un peu, elle les passait dans ses manches et disait gaiement : "Voilà mon petit four ! que Jésus est bon de me l'avoir donné, comment ferai-je si je ne l'avais pas !"  Lorsque j'étais de cuisine et qu'elle avait l'occasion d'y venir, ce qui arrivait encore assez souvent car elle était portière, je l'invitais à venir se chauffer un peu, mais elle ne le voulait pas, toutes mes instances étaient inutiles, je ne pouvais arriver à rien. Pourtant, ce n'était pas défendu, mais plus ma Sr Thérèse de l'E.J. avait d'occasions de souffrir et de se mortifier pour faire plaisir au bon Dieu, plus elle était heureuse.
La servante de Dieu était vraiment morte à elle-même, jamais elle n'agissait par nature ni pour satisfaire ses passions, on sentait que tout en elle était surnaturel. Elle supportait toutes les fatigues, mais n'en laissait rien paraître.

HUMILITE

Combien la servante de Dieu aurait voulu par humilité être considérée comme la dernière dans la Cté !Elle me disait bien humblement "Je voudrais être à votre place, que vous devez goûter de bonheur dans votre position de petite soeur du voile blanc, par votre vie humble et cachée  ! Mais sachez bien qu'aux yeux du bon Dieu, il n'y a rien de petit, si tout ce que vous faites, vous le faites par amour.
Ne craignez pas votre peine, ni vos fatigues, soyez toujours bien dévouée, Jésus compte tout, et ne fut-ce qu'au moment de votre mort, il saura bien vous récompenser amplement de tout ce que vous aurez fait pour Lui. Travaillons toujours à augmenter sa gloire, faisons beaucoup de petits sacrifices et ainsi nous gagnerons un grand nombre d'âmes. N'est-ce pas pour cela que nous sommes venues au Carmel ?
Je puis affirmer que pendant le noviciat de la servante de Dieu, je l'ai toujours vu très respectueuse à écouter les observations de notre Maîtresse, montrant en tout la plus grande déférence et soumission à son égard, jamais je ne l'ai entendu s'excuser, même si elle était accusée injustement. Elle était en tout un sujet d'édification et de bon exemple, il n'y avait qu'à la regarder pour savoir ce qu'il fallait faire. Jamais non plus, elle ne mettait de précipitation dans ce qu'elle faisait, gardant son calme parfait et une entière possession d'elle-même.
   Soeur Thérèse de l'E.J. voulait être oubliée et passer toujours la dernière, même au regard de sa famille : elle me citait cet exemple :"Pour la fête de mon oncle, je ne lui avais écrit que deux lignes, exprès afin de passer inaperçue et qu'on ne fit pas attention à moi. Mais quel ne fut pas mon étonnement au parloir suivant de l'entendre me faire des compliments plus qu'à mes soeurs qui lui avaient écrit
également, mais beaucoup plus longuement que moi.

OBEISSANCE

La servante de Dieu a toujours été une religieuse très fervente, jamais je ne l'ai vue faire la plus petite infidélité contre la règle. Elle était aussi d'une obéissance parfaite, jusque dans les plus petits détails. Quand notre Mère faisait quelque recommandation, elle la suivait à la lettre et n'y manquait jamais ce qui m'édifiait beaucoup.

FORCE

La servante de Dieu tout en étant très douce et ferme et sans mollesse, ne revenait jamais sur une chose dite, il fallait toujours lui obéir quoique cela en coûta, et ne pas répliquer un seul mot.
Comme il m'arrivait assez souvent d'avoir des difficultés avec les soeurs de la
servante de Dieu, je ne voulais pas lui dire ce que je souffrais, dans la crainte de lui faire de la peine, et de manquer de délicatesse ; mais elle avec sa perspicacité
qui devinait tout, s'en aperçut et me dit un jour :" je suis sûre que vous avez des combats contre mes soeurs, pourquoi ne pas me dire ce qu'elles vous font souffrir. Ne craignez pas de me faire de la peine, je n'en aurai pas plus que si vous me le disiez d'une autre religieuse. Depuis ce jour, je ne lui dissimulais
plus rien et lui disait tout ce que je ressentais sans me gêner. Je puis dire qu'à ma grande édification, elle ne laissa jamais paraître la moindre émotion, le moindre ennui.

DONS SURNATURELS

La servante de Dieu avait le don de conduire les âmes avec une prudence une maturité au-dessus de son âge. Comme je regrette d'avoir aussi peu profité des bons conseils qu'elle me donnait, car je reconnais maintenant que tout ce qu'elle me disait lui était inspiré par le bon Dieu, et que jamais elle n'agissait suivant ses vues personnelles. Il est vrai aussi que je ne l'ai pas appréciée comme j'aurai dû le faire. Sr Thérèse de l'E.J. était vraiment une petite sainte qui possédait toutes les vertus, à un rare degré de perfection, tout en elle était accompli.

Quand je suis entrée au carmel, Mère Marie de Gonzague en était Prieure.
Alors je m'attachais à elle et l'aimais comme une Mère ; l'affection que je lui portais, je la croyais vraie, et la lui prouvais par de nombreux petits services que je lui rendais. Mais Sr Thérèse de l'E.J. qui était une petite sainte, s'aperçut bien que mon affection était toute humaine et nuisait beaucoup à mon âme, elle aurait voulu me dire tout ce qu'elle pensait à ce sujet, mais elle sentait que le moment n'était pas arrivé. Elle pria beaucoup pour connaître la volonté du bon Dieu, et dès qu'elle lui fut manifestée, elle n'hésita plus à me dire toute la vérité
C'était le 8 décembre 1892, jour pour moi inoubliable. La servante de Dieu vint me chercher pour aller avec elle, ce qui me surpris car ce n'était pas son habitude d'agir ainsi avec moi. Mais je m'aperçus dès le début, qu'elle n'était plus la même, et je me demandais pourquoi ce changement si subit. Je m'assis
donc timidement à ses côtés, prenant ma tête dans ses mains, elle la posa doucement sur son coeur et me tint ainsi tout le temps qu'elle me parla.
" Ma petite soeur, le bon Dieu veut qu'aujourd'hui je vous dise toute la vérité, tout ce que je pense de votre conduite, et la manière de vous conduire envers notre Mère. Vous faites beaucoup de peine au bon Dieu parce que vous vous recherchez trop avec elle, votre affection est toute naturelle, ce qui est un grand obstacle non seulement à votre perfection, mais aussi met votre âme dans un grand danger. Si vous devez toujours vous conduire ainsi, vous auriez mieux fait de rester dans le monde que de venir au carmel pour vous perdre, ce n'est pas ainsi que doit agir une bonne religieuse. Elle me dit encore plusieurs choses qui étaient bien dures à entendre, m'humilièrent, et me firent beaucoup de peine.
Intérieurement, je reconnus qu'elle disait la vérité, et au milieu de mes larmes, je la remerciais de m'avoir ouvert les yeux, je lui promis de me corriger, lui demandant comme une grâce de me reprendre de mes défauts, ce qu'elle fit sans aucun ménagement malgré les nombreux obstacles qu'elle y rencontra.
Mais la servante de Dieu, prévoyant qu'il pourrait y avoir des suites fâcheuses me dit :" Si notre Mère s'aperçoit que vous avez de la peine, vous pouvez très bien lui raconter tout ce que je viens de vous dire. J'aime mieux qu'elle me renvoie du monastère si elle le veut, que de manquer à mon devoir ". Mais je me gardais bien d'aller de son côté afin d'éviter sa rencontre, si bien que du vivant de Sr Thérèse de l'E.J., notre Mère n'en eut jamais connaissance. Je regarde comme une grâce insigne de n'avoir jamais trahi la servante de Dieu auprès de notre Mère, ayant toutes les occasions de le faire. J'avoue que par instant, j'étais violemment tentée d'aller me plaindre, mais lorsque je voulais le faire, je me sentais arrêtée par une main invisible qui me retenait, et m'empêchait d'avancer.

Parfois j'avais peine à soutenir son regard, tant il était profond et pénétrant, je sentais qu'elle lisait tout ce qui se passait dans mon âme. Une fois que j'avais de grandes peines, je venais de passer une nuit d'angoisse, mais je ne versais pas une seule larme dans la crainte que mes yeux rouges ne me trahissent, et que Sr Thérèse de l'E.J. ne s'en aperçut ; et voilà que je la rencontre sur mon passage.
Elle m'arrête : alors je lui parle le plus aimablement possible afin de lui dissimuler ma souffrance, mais quelle ne fut pas mon étonnement de l'entendre me dire :"Vous avez de la peine, j'en suis sûre." Je restais stupéfaite de me voir ainsi devinée ! alors je lui dis ce qui me faisait souffrir, et par ses bons conseils, elle me consola et me redonna la paix de l'âme

REPUTATION DE SAINTETE

Il y a quelques semaines, une personne vint me voir en revenant du cimetière où elle avait été faire un pèlerinage, elle me dit avoir été émerveillée de ce qu'elle avait vu :"Quand je suis arrivée sur la tombe de Sr Thérèse de l'E.J., il y avait une dizaine d'hommes ; parmi eux, il y avait quatre soldats, tous priaient avec beaucoup de dévotion, je me croyais à Lourdes, tant ces hommes paraissaient fervents et sans respect humain, mais il y en avait un surtout qui m'édifiait plus que les autres, il disait son chapelet avec beaucoup de piété, c'était vraiment touchant de le voir. Quelques instants après je le vois se baisser, prendre de la terre et la manger devant tous ses compagnons ! " Oh ma soeur, me dit-elle vous ne pouvez vous figurer cette foi et cette confiance avec lesquelles on prie sur le tombeau de votre petite sainte.
Presque tous les jours à la récréation, Notre Mère nous lit des lettres venant des soldats qui sont à combattre sur le front, des traits de protection de la servante de Dieu vraiment remarquables  

MALADIE

Je ne sais rien au sujet de la maladie de la servante de Dieu, si ce n'est qu'elle a souffert un véritable martyre ; la communauté n'allait pas la voir à cause de sa grande faiblesse, et qu'elle ne pouvait entendre le moindre bruit ; mais comme j'étais sa petite novice, j'avais encore cette joie mais très rarement.
Les dernières semaines de sa vie, étant de cuisine, la consolation m'était donnée d'y aller un peu plus souvent, ce qui me permettait de m'édifier encore auprès de ma sainte Maîtresse.
Quoiqu'étant bien malade, elle n'oublia pas ma fête, le 29 juillet, veille du jour où elle reçut l'Extrême Onction, elle me fit remettre une petite image avec un petit mot.
Je n'ai pas non plus assisté à l'agonie de la servante de Dieu, mais j'étais présente lorsqu'au moment de rendre le dernier soupir, elle ouvrit les yeux, et les fixa pendant quelques instants sur quelque chose d'invisible .....

PARFUMS

Un soir, au mois d'octobre, je fus durant Complies porter un panier à la lingerie ;
en passant devant son petit Jésus, près de l'Oratoire, je fus suffoquée par un parfum d'héliotrope très fort, je n'y pris pas garde d'abord, mais en repassant peu après par le même chemin, le suave parfum durait toujours, avec une telle force que je me mis à chercher d'où pouvait me venir cette douce odeur, on aurait dit que le bout du cloître depuis le petit Jésus jusqu'à la Ste Vierge en était semé !
Je regarde partout, d'abord au petit Jésus puis à l'Oratoire, je n'y vois rien ! ne pouvant comprendre d'où me venait cette délicieuse odeur qui dura tout le temps des Complies, je m'en fus chercher notre Mère, qui était alors Mère Marie-Ange, et je lui dis de venir se rendre compte par elle-même du parfum que je sentais depuis plus d'un quart d'heure. Elle y vint, et sentit la même odeur que moi, elle pensa aussitôt à Sr Thérèse de l'E.J., et le parfum s'évanouit immédiatement. Mais le lendemain, je sus par Mère Agnès de Jésus qu'elle en avait été très impressionnée : c'était la première fois que notre petite sainte se manifestait ainsi à nous.

Une autre fois, on vint me chercher pour aller chez une soeur infirme et cela me coûtait beaucoup, mais malgré la répugnance que j'éprouvais, je m'y rendis joyeusement, et le souvenir de ma petite Thérèse conduisant ma Sr St Pierre me revint à la pensée ; en arrivant à la porte de la cellule de la Sr infirme, je fus saisie par un parfum de violette très doux et très accentué, sa cellule même en était toute embaumée. J'ai pensé que c'était notre petite sainte qui me faisait cette faveur pour me montrer combien Jésus est content des petits sacrifices que l'on fait pour son amour.

Pendant une retraite, elle m'adressa ce délicieux billet :
Ma petite soeur chérie, ne craignez pas de dire à Jésus que vous l'aimez, même sans le sentir, c'est le moyen de le forcer à vous secourir, à vous porter comme un petit enfant trop faible pour marcher. C'est une grande épreuve de voir tout en noir, mais cela ne dépend pas de vous complètement, faites tout ce que vous pouvez pour détacher votre coeur des soucis de la terre et surtout des créatures, puis soyez sûre que Jésus fera le reste, il ne permettra pas que vous retombiez dans l'abîme tant redouté. Consolez-vous, petite soeur chérie au ciel vous ne verrez plus tout en noir, mais tout en blanc.  Oui, tout sera revêtu de la blancheur divine de notre Epoux, le lys des vallées. Ensemble nous le suivrons partout où Il ira.... Ah ! profitons du court instant de la vie ....Ensemble faisons plaisir à Jésus, sauvons lui beaucoup d'âmes par nos petits sacrifices ...surtout soyons petites si petites que tout le monde puisse nous fouler aux pieds, sans même que nous ayons l'air de le sentir et d'en souffrir. Je ne m'étonne pas des défaites du petit enfant, mais que c'est vilain de passer son temps à se morfondre au lieu de s'endormir sur le coeur de Jésus !

Les novices considéraient la servante de Dieu comme une sainte. Sr Marie-Madeleine, elle-même, qui refusait d'aller avec elle, disait qu'elle était trop sainte et qu'elle devinait tout ce qui se passait dans son âme. Elle la fuyait pour ne pas aller chez elle. Cependant la servante de Dieu faisait tout ce qu'elle pouvait pour lui faire du bien, elle allait la chercher lorsqu'elle se cachait jusqu'à ce qu'elle l'eût trouvée. Elle dit même à son lit de mort à notre Mère, que lorsqu'elle serait au ciel, elle la protégerait et l'aimerait comme les autres novices

Ecrit sous ma dictée
Sr Marthe de Jésus r.c.i.