Carmel

Biographie de Soeur Marthe de Jésus

Désirée Cauvin 1865-1916)
Soeur converse et compagne de noviciat de Sainte Thérèse

Enfance et jeunesse

Désirée-Florence Marthe CAUVIN est née à Giverville, petit village du département de l'Eure, le 16 juillet 1865. A six ans elle perd sa mère et tandis que sa soeur unique, de huit ans plus âgée, reste auprès de son père elle est admise à l'orphelinat des soeurs de Saint-Vincent-de- Paul de Paris où l'une de ses cousines est religieuse. Plus tard elle est envoyée à l'orphelinat de Bernay. Son père, hélas!, meurt deux ans plus tard. A huit ans elle se retrouve orpheline. Le couvent des Soeurs de Saint-Vincent-de-Paul constitue donc sa seule famille et le cadre dans lequel elle vivra toute son enfance et sa jeunesse. Elle devait en rester profondément marquée et certains de ses comportements ultérieurs trouvent là leur explication : son attachement excessif à sa Prieure, son agressivité envers ses soeurs, par exemple.

A Paris comme à Bernay, elle reçoit une éducation religieuse sérieuse, mais sa formation scolaire laisse à désirer d'autant plus que ses facultés intellectuelles semblent limitées. Mère Agnès écrit d'elle, à sa mort : « La jeune soeur était d'une intelligence médiocre. Elle souffrit beaucoup et elle-même, sans le vouloir, fit beaucoup souffrir les autres par son esprit de contradiction qu'elle n'arriva jamais à corriger malgré tous ses efforts. Cependant il faut noter sa franchise, son bon coeur, son dévouement qui ne comptait jamais avec la fatigue... »

Au Carmel

La jeune Florence Cauvin entre donc au Carmel le 23 décembre 1887. Elle a vingt-deux ans et demi. Les débuts de sa vie religieuse sont difficiles et Mère Marie de Gonzague lui permet d'avoir avec Soeur Thérèse, entrée trois mois après elle, en avril, « de petits entretiens spirituels » pensant que l'influence de Thérèse serait bénéfique à Soeur Marthe.

Certes on reconnaît au Carmel sa droiture, sa piété solide et son dévouement, mais elle reste peu sociable par une certaine étroitesse d'esprit, une franchise brutale et sans nuances, une agressivité permanente jointe à un complexe de frustration qui s'explique par son enfance sevrée de tendresse maternelle. Elle s'attache à Mère Marie de Gonzague dont elle se fait la servante et la suivante et à Soeur Thérèse elle-même, quitte à s'enfermer parfois dans de longs silences boudeurs ou à chercher à blesser son amie par des sarcasmes mordants. C'est elle qui, faute de jugement, servait à Soeur Thérèse des restes desséchés, elle aussi qui l'invitait charitablement, et sans succès, à venir se chauffer à la cuisine.

Malgré son caractère, elle était très attachée à Soeur Thérèse au point de demander — et d'obtenir — de rester au noviciat comme elle longtemps après sa profession prononcée le 23 septembre 1890. Elle resta ainsi sous la direction de sa jeune soeur au même titre que les autres novices, tant elle avait besoin d'être soutenue dans sa vocation. C'est encore elle qui demanda que Thérèse fasse, pendant trois ans, sa retraite annuelle privée avec elle et l'on voit alors Thérèse s'appliquer à marquer chaque jour sacrifices et pratiques de vertus à la manière compliquée de Soeur Marthe qui dira plus tard : « Malgré qu'elle fût de huit ans plus jeune que moi, Soeur Thérèse de l'Enfant- Jésus fut toujours mon soutien, mon ange consolateur et mon guide dans mes tentations et dans les difficultés que j'ai eu à traverser. Voyant que les avis qu'elle me donnait me faisaient tant de bien, notre Mère Prieure me permettait, pendant le temps de ma retraite, de passer avec elle les récréations.»

Thérèse de son côté écrit à Céline : «... Je suis même obligée d'avoir un chapelet de pratiques, je l'ai fait par charité pour une de mes compagnes... » Et Soeur Marthe ajoute au sujet des retraites : « Une année, je lui exprimai le désir que j'avais de faire avec elle ma retraite annuelle. Elle accéda à ma demande et pendant trois années elle me fit cette faveur. Pour cela, elle laissait passer l'époque de sa profession et m'attendait pour partir en solitude. J'ai su plus tard que je lui faisais faire en cela un très grand sacrifice, mais je ne m'en serais jamais doutée, car elle n'en laissait rien paraître». Ceci se passait, sans doute, en 1891, 1892, 1893.

Elle affirme encore : « Je puis dire en toute vérité que Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus a toujours été pour mon âme une vraie mère par le soin qu'elle prenait de me former. Je reconnais avoir bien souvent exercé sa vertu et je suis convaincue qu'une autre soeur, à sa place, m'aurait abandonnée tant j'étais insupportable; mais elle me traita toujours avec beaucoup d'amour et de charité, sans jamais laisser paraître le moindre ennui. »

Soeur Marthe avoue tout à la fois son admiration pour Thérèse, une certaine crainte d'être découverte : « Bien souvent, si j'avais suivi ma nature, j'aurais évité d'aller en direction avec la Servante de Dieu, sachant bien que mes défauts me seraient découverts», mais surtout une grande et fidèle affection. Elle reconnaît sa patience et sa bonté : « Elle fut pour moi d'une bonté et d'une charité qui ne peuvent se dire. Cependant je la faisais beaucoup souffrir à cause de mon caractère difficile; mais je puis dire en toute vérité qu'elle conserva toujours la même douceur, la même égalité de caractère... elle ne me repoussa jamais malgré la fréquence de mes visites... je n'en revenais pas de voir avec quelle charité elle me traitait. » Soeur Marthe est consciente de sa pauvreté et souffre de sa condition de soeur converse, qui pourrait-elle intéresser? Là-dessus Thérèse veut la mettre en confiance et lui montrer que sa condition n'est en rien humiliante : « Ne croyez pas que pour arriver à la perfection il soit nécessaire de faire de grandes choses... combien je voudrais être à votre place, dans votre position de petite soeur du voile blanc! Votre vie est humble et cachée, mais sachez bien qu'aux yeux du Bon Dieu il n'y a rien de petit si tout ce que vous faites, vous le faites par amour. » A cette âme angoissée, Soeur Thérèse a compris qu'il faut donner confiance.

Après la mort de Thérèse

Nous ne pouvons dans le cadre restreint de cet article faire état comme il se devrait de l'importante déposition que fit Soeur Marthe aux Procès de Béatification et de Canonisation. Son témoignage est très important, il met en valeur les qualités pédagogiques de Thérèse et chacune de ses vertus. Sa foi : « elle voyait le Bon Dieu en toutes choses et en toutes personnes». Son amour de Dieu : «tout lui était indifférent, excepté ce qui intéressait la gloire de Dieu et les âmes... ». Sa charité envers le prochain: «jamais Soeur Thérèse de l'Enfant- Jésus ne témoignait d'ennui d'être dérangée. Elle était toujours prête à faire plaisir, parfois au prix de bien grands sacrifices». Sa prudence : « elle reprenait avec beaucoup de douceur, mais aussi avec une grande fermeté; jamais elle ne cédait à nos défauts, ni ne revenait sur une chose dite ». Sa force : « elle avait toujours la même égalité d'âme; son caractère resta toujours calme et bienveillant ». Sa tempérance : « elle nous aimait toutes beaucoup, mais avec désintéressement... (elle) recherchait plutôt les religieuses dont le caractère pouvait la faire souffrir ». Son obéissance : « la Servante de Dieu accomplissait exactement ce que demandaient les supérieures, sans jamais se permettre aucune réflexion et sans juger leur conduite ni leur façon d'agir». Sa pauvreté : « jamais je ne vis Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus perdre un instant... Les alpargates trouvées après la mort de la Servante de Dieu montrent combien elle aimait la pauvreté. Elles étaient tellement usées et raccommodées que pas une soeur dans la communauté n'aurait voulu les porter. Aussi combien je regrette de les avoir brûlées!... Je puis dire que je n'ai jamais vu une religieuse pratiquer la pauvreté à un tel degré de perfection... » Son humilité : « tout ce que la Servante de Dieu désirait, c'était de rester dans l'obscurité et l'oubli, que personne ne fît attention à elle et qu'on la considérât comme la dernière de la communauté... »

Thérèse se manifesta à Soeur Marthe à plusieurs reprises. Quelques mois après sa mort elle lui apparaît dans la cuisine du Carmel pour lui dire : « Soeur Marthe, soyez plus aimable avec les soeurs si vous voulez être heureuse». Vers 1908, par deux fois, le lieu où passe la soeur converse embaume l'héliotrope et la violette. Mais surtout elle aide Soeur Marthe à se corriger de son caractère difficile et à entrer dans la voie de l'humilité, au point qu'un jour Soeur Marthe pouvait dire à sa Prieure: «... vous ménagez toujours mon vilain caractère. Oh! ne le faites plus désormais, je suis à la fin de ma vie et je veux mériter, comme mes compagnes, les grâces de l'humiliation ».

En février 1916 Soeur Marthe descend à l'infirmerie à la suite d'une grippe infectieuse. En juillet, elle s'alite pour ne plus se relever. Pendant les dernières semaines de sa vie elle « se montra toujours oublieuse d'elle-même, douce, patiente, et exclusivement occupée de se préparer à la mort».

Après avoir reçu l'Extrême-Onction le 28 août 1916 elle dit: «Pendant la cérémonie j'ai senti la présence de notre petite sainte. C'était comme une voix céleste qui me disait à l'oreille : «Toi aussi si tu voulais, malgré ta pauvre vie, tu pourrais aller droit au ciel» et j'ai compris que les plus grands pécheurs pouvaient obtenir cette grâce par la confiance et par l'humilité. »

Au terme de sa vie, elle confie : « c'est incroyable le calme que j'éprouve. Je n'en reviens pas! Le Bon Dieu n'est que douceur. Jamais je ne me serais attendue à le trouver si doux; ma confiance en lui est illimitée » et encore, alors qu'on lui citait un passage de l'Écriture : « Il est facile au Seigneur d'enrichir tout à coup le pauvre», elle répondait : « ce pauvre, n'est-ce pas moi, ma Mère? Mais plus on est misérable, plus il est miséricordieux».

Elle mourut le 4 septembre 1916 en murmurant comme Thérèse naguère: «Mon Dieu, je vous aime... de tout mon coeur». Elle était âgée de 51 ans et avait passé 29 ans au Carmel. A sa mort elle était la doyenne des soeurs du voile blanc.

P. Gires