Carmel

Biographie de Soeur Marie-Philomène

Noémie Colombe Alexandrine Jaquemin (1839-1924) 1839-1924
Compagne de noviciat de Sainte Thérèse

Enfance et Jeunesse

Noémie - Colombe - Alexandrine Jacquemin est née le 28 octobre 1839 à Langrune-sur-Mer, dans le Calvados. Son père étant entrepreneur en menuiserie, elle considérait comme un privilège le fait d'avoir passé son enfance dans un atelier qui rappelait celui de Nazareth. Elle était la troisième d'une famille de six enfants. Un de ses frères cadets sera prêtre et deviendra curé de Saint-Michel de Vaucelles à Caen. C'est lui qui prêchera sa Prise d'habit avant de mourir prématurément. Un de ses neveux, l'abbé Troude, prêtre à son tour, portera la communion à Thérèse le 16 juillet 1897 et deux de ses nièces deviendront religieuses de la «Vierge Fidèle» (maintenant Notre-Dame de Fidélité) à la Délivrande. Il semble que son instruction ait été quelque peu négligée. Ses capacités intellectuelles paraissent d'ailleurs avoir été assez modestes et elle n'avait aucun sens de l'organisation, mais tous les témoignages louent sa grande humilité, sa bonté, sa serviabilité, son courage et son sens pratique. Elle consacra sa jeunesse au service de sa famille et de ses nombreux neveux et nièces qui l'appelaient « tante maman » avant de répondre à l'appel de Dieu. Elle se croyait indigne d'être Carmélite, il fallut qu'un Père de la Délivrande la conseille fermement et la présente au Carmel comme « un trésor de vertus et l'humilité personnifiée» pour qu'elle ose en franchir le seuil en octobre 1876. Son postulat allait s'achever quand elle apprit que sa mère venait de tomber très gravement malade. Elle estima que son devoir était de rentrer à la maison pour la soigner malgré une lettre très pressante de son frère prêtre. Sa mère ne fut pas enchantée de cette décision puisqu'elle la reçut par ces mots: «C'est vous, ma fille! Comment!

Vous avez donc quitté votre couvent! Vous m'étiez cependant d'un bien plus grand secours dans le cloître qu'à mes côtés... »

Après le décès de Mme Jacquemin, elle demanda à rentrer au Carmel. Mère Geneviève, la fondatrice, lui opposa un refus catégorique jusqu'à ce que la diplomatie de Mère Marie de Gonzague parvienne à obtenir un accord réticent. Elle rentre donc à nouveau au Carmel le 7 novembre 1884, après neuf ans d'attente. Elle a 45 ans. Thérèse la rejoignit bientôt au noviciat. « Que pensez-vous de nos deux vocations si différentes? lui demanda un jour Soeur Marie-Philomène. Vous qui vous donnez si généreusement au Bon Dieu à quinze ans et moi seulement à quarante-cinq ans!» «Je pense, répondit Thérèse, que le Bon Dieu choisit des fruits de toute saison. N'est-ce pas l'agrément d'un jardin que la diversité des fleurs et des fruits? »

On lui confia l'office des Pains d'autel, sa haute taille s'y courba prématurément sous l'excès d'une besogne accablante qui l'amenait à se priver très souvent des récréations pour rester à tourner et retourner le fer sur son fourneau. Puis elle se dévoua à la roberie où elle rendit de grands services, sans se prendre au sérieux pour autant. Quand on la félicitait, elle répondait : «Vous faites cela par charité, je vous bien reconnaissante de me supporter et de me trouver du travail. » Vers 1914, elle perdit l'usage de son oeil gauche mais n'en continua pas moins à remplir son office. C'est le 21 août 1921 qu'il fallut la descendre à l'infirmerie, elle était atteinte de myocardie et le moindre mouvement la faisait suffoquer. Elle se remit et pendant plus de deux ans édifia toute la communauté par sa profonde sérénité, sa bonté et sa reconnaissance. En décembre 1923, son état s'aggrava, une légère hémorragie cérébrale provo qua une paralysie du côté gauche et elle souffrait de douleurs très aiguës. Elle s'endormit paisiblement le 5 janvier 1924 en répétant « Thérèse! Mon Dieu je vous aime».

Physiquement, Soeur Marie-Philomène est grande, d'une réelle dignité de maintien, elle n'est pas particulièrement belle, mais son visage exprime tellement la bonté et la paix qu'il en devient agréable à regarder.

Soeur Marie-Philomène et Thérèse

Soeur Marie-Philomène de Jésus éprouvait une vive sympathie pour Thérèse qui, de son côté, appréciait cette aînée dont les idées cependant ne cadraient pas avec les siennes. Toute jeune postulante, elle n'hésitera pas — au risque de la scandaliser quelque peu — à lui reprocher sa crainte excessive du purgatoire : «Vous n'êtes pas assez confiante, vous avez trop peur du Bon Dieu; je vous assure qu'il en est affligé. Ne craignez point le Purgatoire à cause de la peine qu'on y souffre mais désirez ne pas y aller pour faire plaisir au Bon Dieu qui impose avec tant de regret cette expiation. Dès lors que vous cherchez à lui plaire en tout, si vous avez la confiance inébranlable qu'il vous purifie à chaque instant dans son amour et ne laisse en vous aucune trace de péché, soyez bien sûre que vous n'irez pas en purgatoire. » Soeur Marie-Philomène aimait se trouver près de Thérèse en récréation : « Nous ne parlions que du Bon Dieu » et très souvent Thérèse lui confiait son espérance de mourir jeune, ce qui choquait le réalisme de cette bonne Normande. Enfin, on ne demande pas de repos avant d'avoir travaillé et achevé tout son ouvrage! Un jour, Thérèse lui répondit : « Saint Louis de Gonzague, il n'y avait pas deux ans qu'il était mort qu'il avait déjà fait des merveilles pour la gloire du Bon Dieu et le bien des âmes. S'il fût mort âgé, il eût été un grand saint mais il n'aurait pas fait le bien qu'il a fait. » (D.E. pp. 426-427).

Elle aimait raconter aux postulantes qu'habitant la cellule voisine de celle de Thérèse, chaque soir après Matines, celle-ci l'attendait au passage, pour lui adresser un gracieux sourire avant de fermer sa porte. «Oh! le doux sourire! il me dédommageait de toutes les fatigues de la journée!» Afin de donner toute sa dimension spirituelle à son travail de panetière, Soeur Marie-Philomène demande à Thérèse de lui composer quelques couplets, ce sera « les sacristines du Carmel » (novembre 1896) :
« Ici-bas notre doux office Est de préparer pour l'autel, Le pain, le vin du sacrifice Qui donne à la terre : «le Ciel»!
Notre bonheur et notre gloire C'est de travailler pour Jésus. Son beau ciel voilà le ciboire Que nous voulons combler d'élus... »

En janvier 1897, Thérèse écrit « A mon Ange Gardien », à l'intention et peut-être à la demande de Soeur Marie-Philomène. Il convient bien à cette religieuse dont nous avons évoqué la simplicité et l'humilité, «Que d'intelligence dans cette innocente! Et que d'amour s'ignorant du Bon Dieu», dira d'elle son confesseur.

... Toujours ta douce voix m'invite A ne De ton aile sèche leurs larmes Chante combien Jésus est bon... Quand on connaît l'attachement de «Tante Maman » pour sa famille, ces vers devaient lui être très doux à chanter.

Après « l'entrée dans la vie » de Thérèse

La mission de Thérèse auprès de Soeur Marie- Philomène ne devait pas s'arrêter au 30 septembre 1897, elle continuera à réconforter son ancienne compagne de noviciat. Une nuit, elle fut réveillée par « une douceur inexprimable » et elle sentit, comme si elle l'avait vu, la présence de Dieu et de Thérèse. Sa cellule lui parut tout illuminée et elle eut la révélation de la tendresse et de la miséricorde de Dieu. Plusieurs fois, elle dit avoir respiré un parfum mystérieux dans un moment d'épreuve. Aussi elle s'engagea résolument dans la vie de l'abandon, de la confiance filiale, en un mot de l'enfance spirituelle. Elle prononça l'offrande à l'Amour miséricordieux qu'elle récitera désormais chaque jour.

Le 14 août 1921, elle eut la joie d'apprendre que Benoît XV déclarait Thérèse Vénérable. Elle répétait : « C'est trop de bonheur sur la terre ! savoir par le vicaire de Jésus-Christ que la voie d'enfance spirituelle est le secret de la sainteté! Maintenant, je puis partir pour le Ciel ! » Notons qu'elle ne parle plus du Purgatoire!

Sur son lit de malade, elle priait sa petite soeur : « Ma petite soeur bien-aimée, obtenez-moi de vous aider à sauver des âmes » et elle répétait avec une véhémence incroyable pour une nature aussi paisible que la sienne : « Mon Dieu, faites-vous connaître! Faites-vous aimer.»

La future patronne des Missions avait en elle une bonne disciple.

L'une de ses dernières paroles est bien dans l'esprit thérésien : «J'en suis venue à croire que le Bon Dieu est non seulement bon comme un Père, mais comme un Grand-Père; on dirait que plus il vieillit, plus il est bon ! » Thérèse n'avait plus de raison de la reprendre comme autrefois : « Ça me fait de la peine que vous ayez trop peur du Bon Dieu. »

P. Gires