Carmel

Circulaire de Soeur Marie-Madeleine du Saint Sacrement

Mélanie Lebon 1869-1916, soeur converse

Paix et très humble salut en Notre‑Seigneur, qui vient de rappeler à Lui notre bien chère soeur MELANIE‑FRANCOISE‑MARIE‑MADELEINE DU SAINT‑SACREMENT. Elle était âgée de 46 ans, 4 mois, et avait passé en religion 23 ans, 5 mois et 20 jours.

Notre chère soeur naquit à Plouguenast, petite ville des Côtes‑du‑Nord, d'une famille de onze enfants, dont elle était la huitième. Dans leur enfance, elle et ses frères et soeurs connurent non seulement la pauvreté, mais la misère ; nous en avons su des détails navrants. Cependant, Mélanie avait une âme profonde que ce dénuement incitait à rechercher les biens d'une meilleure Patrie dont lui avait parlé sa mère. Lors que, dès l'âge de cinq ans, elle gardait le bétail d'une ferme, dans la campagne solitaire, l'enfant contemplait le ciel, invoquait la Sainte Vierge, et se disait vaguement que, plus tard, elle irait dans une forêt se cacher toute sa vie pour mieux prier le bon Dieu.

A 14 ans, elle fut placée comme servante à Saint‑Brieuc; là, elle ne manqua plus de pain, mais elle connut des dangers autrement grands que celui de mourir de faim ! Toutefois, la Sainte Vierge qui, deux ans auparavant, l'avait guérie d'une mala­die mortelle, après un voeu de sa mère à "Notre‑Dame de Toutes‑Aides », ne cessa de l'entourer d'une admirable protection. Permettez‑nous, ma Révérende Mère, de vous en citer un éclatant exemple :

Un jour que la jeune servante était dans sa chambrette et se croyait seule à la maison, elle entendit monter l'escalier et reconnut le pas d'un misérable... La pensée lui vint alors de se jeter par la fenêtre, car sa porte n'avait ni verrou, ni serrure, mais impossible, car cette fenêtre n'était qu'une simple ouverture pratiquée dans le toit. Ne trouvant donc aucune issue à sa terrible situation, la vertueuse enfant s'agenouilla et recourut à la Reine des Vierges : « O bonne Mère ! s'écria‑t‑elle, ayez pitié de moi ! sauvez‑moi !

Et, considérant, avec angoisse la clenche de sa porte, elle put la voir se lever et s'abaisser vingt fois, sous l'effort d'une main brutale mais impuissante...

Mélanie commençait sa vingt‑deuxième année, lorsque, se promenant un dimanche avec une de ses amies, elle lui dit, en face du Carmel : « C'est ici la prison, n'est‑ce pas ? »

L'amie, mieux informée, la renseigna sur cette prison et sur la vie des prisonnières qui y étaient renfermées ; alors notre jeune fille sentit aussitôt un vif désir d'aller se cacher dans ses murs austères. Elle s'en ouvrit bientôt à son confesseur, qui fit les démarches nécessaires pour son admission à ce Carmel de Saint‑Brieuc ; mais il n'y avait plus de place, et la Révérende Mère Prieure, sachant le besoin que nous avions d'une soeur du voile blanc, la proposa à notre monastère avec les meilleurs renseignements.

Son entrée eut lieu le 22 juillet 1892, fête de sainte Marie‑Madeleine, dont elle prit le nom. Elle était âgée de 22 ans.

Les qualités, comme aussi les défauts de la nouvelle postulante, parurent dès le début de sa. vie religieuse. Elle était très intelligente, capable et active, mais, nous l'avons toujours attribué aux souffrances morales et physiques qu'elle avait endurées dans le monde, elle se montrait si renfermée et portait sur sa physionomie quelque chose de si inquiet, que cet ensemble fâcheux s'ajoutant aux justes craintes causées par une santé assez précaire, faillit l'éloigner de nous à jamais.

C'est à l'occasion de ses voeux, que Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus composa la poésie de circonstance, chantée à la récréation « Histoire d'une bergère devenue reine. » Mais pas plus que ses Mères Prieures, la Servante de Dieu n'obtint sa confiance absolue : « Je fuyais jusqu'à son regard de peur d'être devinée, » nous disait dernièrement, avec humilité, notre pauvre enfant. Cependant, par les prières de sa sainte maîtresse, à qui elle attribue cette grâce, elle recouvra, après plusieurs années une visible sérénité, bien nécessaire au Carmel, non seulement pour soi, mais encore pour dilater les coeurs autour de soi. Hélas ! quant à ce doux rayonnement d'une âme suave, il faut avouer que notre chère fille, pourtant très bonne, ne l'eut jamais beaucoup, bien qu'elle vécût .heureuse dans sa vocation et obtint même la permission, de faire l'acte d'offrande de Soeur Thérèse à l'amour miséricordieux du bon Dieu.

Il y a sept ans et demi, elle fut atteinte de la furonculose à une jambe, maladie longue qui exerça de profonds ravages sur son organisme déjà très déprimé. Elle en vint à ne plus marcher qu'à l'aide de béquilles et nous la croyions infirme pour le reste de sa vie.

Mère Marie-Ange, prieure à ce moment, eut alors la pensée, de demander sa guérison à Ste Thérèse de l'Enfant‑Jésus, de la manière suivante : Il nous semblait, sans en avoir la certitude que la Servante de Dieu avait porté un certain voile, qu'il nous coûtait de mettre au commun. Or, comme preuve de l'au­thenticité de cette relique, la Mère Prieure sollicita avec foi la guérison immédiate du membre malade et l'obtint entièrement au contact de ce voile.

Soeur Marie‑Madeleine, l'un des témoins de la Cause, il y a cinq ans, raconta le fait au tribunal diocésain qui l'inséra au procès.

Une fois guérie, elle retourna courageusement à la cuisine dont elle remplit sans arrêt, l'office si fatigant jusqu'en juillet de l'année dernière. A cette époque, elle fut prise très violemment. de l'influenza, qui ne lui permit plus de sortir de l'infirmerie et la conduisit lentement au tombeau.

C'est elle qui, aussitôt après la mort de notre très honorée Mère Thérèse de l'Eucharistie, fut favorisée du parfum de laurier dont il est question dans sa circulaire.

Pendant tout le cours de sa maladie, ma Révérende Mère, notre chère fille se montra constamment patiente, résignée à la volonté de Dieu, reconnaissante envers la Communauté et très affectueuse envers nous dont elle est la première professe.

Elle voulait avoir constamment devant les yeux l'image de Sr Thérèse de l'Enfant‑Jésus et nous disait : « Je n'étais pas en état autrefois de profiter de ses avis, mais depuis son entrée au ciel, je lui ai abandonné le soin de mon âme, et comme elle m'a changée ! C'est incroyable ! Je suis toute paisible et confiante ; je ne me reconnais plus. »

C'est le 11 janvier, à 8 heures du soir, que notre pieuse enfant rendit son âme à Dieu. Elle avait reçu l'Extrême‑Onction trois semaines auparavant; le saint Viatique, le matin même, et, dans les sentiments de la plus vive piété et humilité, la grâce d'une dernière absolution, une heure avant sa mort.

Pendant son agonie, qui commença dès 4 heures de l'après‑midi et fut très pénible par instants, elle ne cessa de faire des actes d'amour de Dieu, baisa tendrement son crucifix, et, le posant droit sur le lit, elle s'y appuya jusqu'à la fin, disant : « Je m'appuie sur Jésus. »

Elle perdit connaissance, apparemment, quelques minutes avant d'expirer, mais elle avait eu, jusque-là, le sourire sur les lèvres et nous donna, malgré ses souffrances des marques touchantes d'oubli d'elle‑même, se préoccupant des fatigues de l'infirmière, des nôtres, et nous promettant de nous rendre tout au ciel. Enfin, sa mort nous sembla réaliser pleinement cette parole, d'une âme privilégiée : « Les petites victimes d'amour seront toutes saintes à la mort ; le bon Dieu les fera saintes à ce moment‑là.

Nous vous prions humblement, ma Révérende Mère, de faire rendre au plus tôt les suffrages de notre saint Ordre à notre bien chère Sr Marie‑Madeleine du Saint‑Sacrement, y ajoutant, par grâce, une communion de votre fervente Communauté, l'indulgence du Chemin de la croix et des six Pater, quelques invocations à la Très Sainte Vierge et à sainte Madeleine, sa patronne. Elle vous en sera très reconnaissante ainsi que nous qui avons la grâce de nous dire, en Notre‑Seigneur, Votre humble soeur et servante,

Sr AGNÈS DE JÉSUS
r.c.i.
De notre Monastère du Sacré‑Coeur de Jésus et de l'Immaculée‑Conception,
des Carmélites de Lisieux, le 14 janvier 1916.