Carmel

Biographie de Sœur Marie-Madeleine du Saint Sacrement

Mélanie Le Bon 1869-1916, sœur converse

Mélanie - Marie - Françoise Le Bon est née à Plouguenast, petite localité des Côtes-du-Nord, la huitième de onze enfants. La pauvreté de sa famille est telle qu'elle atteint les limites de l'extrême misère. Dès cinq ans la fillette gardait le bétail de la ferme en priant. Et elle rêvait de solitude et de paix, s'imaginant retirée un jour au cœur d'une forêt profonde pour y demeurer cachée et prier tout à loisir.

Affaiblie par la malnutrition, à douze ans elle tombe malade, ses jours semblent comptés et sa mère fait un vœu à Notre-Dame de Toute-Aide [dont le sanctuaire est situé à Querrien, dans la commune de Prenessaye]. L'enfant guérit.

A 14 ans, elle est placée comme servante à Saint-Brieuc et doit se défendre contre les importunités d'un séducteur. Elle se confie à Marie en une prière instante.

Elle a 22 ans quand, se promenant avec une amie, dans les rues de Saint-Brieuc, elle passe devant le Carmel de cette ville. « C'est la prison, demande-t-elle? » Elle apprend alors ce que sont le Carmel et la vie des Carmélites, et sa destinée lui semble toute tracée : elle sera carmélite.

Mais le Carmel de Saint-Brieuc est comble alors que celui de Lisieux aurait bien besoin d'une sœur converse. Elle arrive donc à Lisieux avec son très pauvre bagage le 22 juillet 1892. Elle y rejoint un groupe de trois sœurs converses : Sœur Marie de l'Incarnation (64 ans), Sœur Saint-Vincent-de-Paul (51 ans) et Sœur Marthe de Jésus (27 ans). Elle a 23 ans.

Les sœurs converses se consacraient en priorité au service domestique du monastère (cuisine, ménage, lessive, etc.). Elles vivaient en clôture, assistaient à une partie de l'office choral, mais le bréviaire était commué pour elles en un certain nombre de Pater à réciter. Au Chapitre, elles n'avaient pas part aux votes.

Comme elle était sans famille à Lisieux, M. Guérin accepta de la parrainer, c'est lui qui la conduisit à l'autel le jour de sa prise d'habit le 7 juillet 1893. Sœur Marie-Madeleine l'appelle «parrain» et se dit sa «filleule», c'est ainsi qu'elle signe les lettres communautaires du 13 juin 1894 et du 20 décembre 1895. Sa marraine fut Mme de Virville, la belle-sœur de Mère Marie de Gonzague.

Elle eut comme Maîtresse de noviciat Sœur Marie des Anges (juillet 1892-février 1893) puis Mère Marie de Gonzague assistée de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus (de 1893 à 1897) enfin, à nouveau Sœur Marie des Anges qui la présente ainsi en 1893 : « Sœur Marie-Madeleine, postulante qui va prendre tout prochainement l'habit; excellente fille bretonne, aimant le Bon Dieu et le travail de tout son cœur. »

Elle apparaît à ses sœurs comme étant intelligente, active, capable, mais renfermée, d'un caractère inquiet et d'une santé précaire. Elle fit profession le 20 novembre 1894.

Sœur Marie-Madeleine et Thérèse

Thérèse est au Carmel depuis plus de quatre ans quand Sœur Marie-Madeleine franchit la clôture. Peu de points communs entre la jeune fille des Buissonnets, élevée dans un certain confort, entourée depuis toujours d'une chaude affection, et la jeune bretonne élevée à la dure, soumise toute jeune à la dure loi du travail mercenaire. La vertu même de Thérèse crée une gêne supplémentaire chez cette femme malmenée par la vie : « Je fuyais jusqu'à son regard de peur d'être devinée », elle dira encore : « Je la fuyais, ce n'était pas manque d'estime, au contraire, c'est que je la trouvais trop parfaite ; si elle l'avait été moins, cela m'aurait encouragée. Elle devinait tout ce qui se passait dans mon âme. »

Au Procès Ordinaire elle portera ce témoignage : « Il me semble qu'elle avait tout ce qu'il fallait pour diriger et nous faire devenir des saints. On voyait qu'elle faisait tout ce qu'elle disait, aussi cela inspirait de l'imiter. »

Et cependant Sœur Marie-Madeleine avoue être déçue par la communauté qu'elle découvre. Après avoir tant souffert dans le monde, elle s'imaginait trouver au Carmel le paradis, elle découvre des religieuses « très imparfaites » qui ne sont pas toujours fidèles au silence ni à la régularité ni surtout à la charité fraternelle. Elle souffre des « divisions lamentables », et elle constate que Thérèse ne commet jamais le moindre manquement. Cela lui semble trop beau pour être vrai, elle cherche à la prendre en faute, au lavage, à la vaisselle, en récréation, dans les travaux communs, partout... «jamais je n'ai pu réussir à la trouver en défaut».

Lucide elle ajoute : « Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus s'occupait de préférence à faire du bien à celles de qui elle n'attendait ni joies ni consolation, ni tendresse. J'étais de celles-là ! Depuis les premiers jours jusqu'à sa mort je ne me sentis jamais attirée vers elle d'une manière sensible... // ... Pourtant elle ne m'abandonna pas pour cela au contraire, elle me témoignait beaucoup de bonté... // ... de la confiance afin de m'en donner aussi pour elle... // ... Jamais, je ne l'ai vue de mauvaise humeur ; jamais je n'ai pu deviner en elle un sentiment de colère contre moi, quoique jamais ses avances charitables n'aient été par moi payées de retour, par suite de la timidité. »

Ainsi Thérèse ne parvint pas à capter la confiance de Sœur Marie-Madeleine qui en convient simplement tout en affirmant son admiration. Non, décidément, le courant ne passait pas...

Et pourtant Thérèse s'efforçait d'aider cette sœur difficile. Elle lui avait composé un « Petit Recueil d'Aspirations » pour la préparer à sa profession. Ce recueil recouvre quinze jours et s'intitule « Fleurs Mystiques destinées à former ma corbeille de noces ». Elle y reprend la méthode suivie par elle en 1884 pour se préparer à sa Première Communion, on y trouve entre autres cette invocation à Sainte Thérèse d'Avila « Sainte Thérèse, ma Mère, apprenez-moi à sauver les âmes afin que je devienne une vraie carmélite ». Toute la vocation missionnaire de Thérèse se retrouve dans cette simple invocation.

À l'occasion de sa Profession, Thérèse lui dédie une poésie « Histoire d'une bergère devenue Reine » (PN 10) dont voici quelques passages : 

En ce beau jour, ô Madeleine !
Nous venons chanter près de vous
La merveilleuse et douce chaîne
Qui vous unit à votre Époux
Écoutez la charmante histoire
D'une bergère qu'un grand roi
Voulut un jour combler de gloire
Et qui répondit à sa voix

Et pourtant le 6 décembre 1896, Mère Agnès pouvait relater aux Guérin les échos d'une conversation entre Sœur Marie de l'Eucharistie et Sœur Marie-Madeleine au cours de laquelle celle-ci avouait « ses répugnances invincibles » à s'ouvrir à Thérèse et Mère Agnès ajoute « je ne pourrais même pas vous faire comprendre à quel point Sœur Marie-Madeleine est éloignée de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, se sentant devinée jusqu'au fond de l'âme et obligée par suite de faire bonne guerre à la nature... » La nuit porte conseil, et parfois mauvais conseil ! Le lendemain la promesse qu'elle avait faite à sa compagne d'aller se confier à Thérèse était annulée avec obstination.

Après la mort de Thérèse

Après la mort de Thérèse, Sœur Marie-Madeleine s'ouvre peu à peu à son message. Elle trouve une certaine sérénité et elle attribue ce changement aux prières de Thérèse qui avait dit à Mère Agnès, peu avant d'« entrer dans la vie » : « Vous lui direz qu'au ciel je prierai pour elle et que je l'aimerai autant que les autres novices. »

En 1907 elle est atteinte d'un furoncle à une jambe, suivi d'une série d'abcès, elle doit bientôt s'appuyer sur des béquilles. Mère Marie-Ange lui conseille de commencer une neuvaine à la petite sœur, elle ne donne aucun résultat, mais la seconde neuvaine amène la guérison complète. Mère Agnès ajoute qu'on fit toucher la jambe malade à un voile de Thérèse et que la guérison fut immédiate. Sœur Marie-Madeleine reprit son travail à la cuisine jusqu'à ce que, en 1915, elle soit victime de l'influenza. Elle ne devait plus sortir de l'infirmerie, elle gardait près d'elle une image de Thérèse et disait : « Je n'étais pas en état autrefois de profiter de ses avis, mais depuis son entrée au ciel, je lui ai abandonné le soin de mon âme et comme elle m'a changée ! C'est incroyable, je suis toute paisible et confiante : je ne me reconnais plus ! »

Elle apparut à toutes patiente et résignée à la volonté de Dieu et mourut le 11 janvier 1916, à 46 ans. Ayant posé son crucifix droit sur le lit elle s'y appuya jusqu'à la fin en disant : « Je m'appuie sur Jésus ».

La patience fraternelle de Thérèse avait porté ses fruits.

P. Gires