Carmel

Biographie de Soeur Marie de Saint Joseph de l'Immaculée Conception

Marie Campain 1858-1936

La Professe du troisième centenaire

Le 15 octobre 1882, l'Ordre du Carmel célébrait le 3" Centenaire de la mort de sa Réformatrice, Sainte Thérèse d'Avila. Le Carmel de Lisieux où venait tout juste d'entrer Pauline Martin, soeur Agnès de Jésus, n'avait pas ménagé sa peine pour organiser un Triduum solennel, les 15, 16, 17 octobre. Mgr Hugonin en présidait lui-même la clôture; et l'eucharistie de ce mardi 17 voyait la consécration religieuse d'une jeune soeur de vingt-quatre ans : Soeur Marie de Saint- Joseph. C'est l'abbé Lecacheux, son ancien directeur, aumônier des Dames Augustines de Coutances qui donna le sermon de circonstance. Quelle était donc la jeune professe du centenaire qui bénéficiait ainsi de l'éclat des fêtes données à la gloire de la Madre?

Enfance et Jeunesse (1858-1881)

Marie Campain naît à Valognes le 29 janvier 1858. Son père, vingt- huit ans, est avoué, rue de l'Officialité. Sa mère, née Marie Bois, vingt et un ans, originaire de Périers, appartient à une famille aisée. Les témoins choisis pour les déclarations à l'état-civil : avoué: avocat, agent d'affaires, sont un indice du niveau social de la famille. Marie est suivie de deux soeurs et d'un frère. Tout sourit à cette famille très unie quand survient la terrible épreuve : la maman meurt huit jours après la naissance de la petite Hélène. Elle n'avait que 31 ans. Deux jeunes tantes célibataires, les demoiselles Bois, prennent en charge, avec leurs parents, l'éducation des quatre orphelins, l'une et l'autre rivalisant de bonté. M. Campain confie leur instruction à un précepteur qu'il fait venir à son château de Gerville. Les tantes sont de bonnes pianistes, chantent fort bien, brodent à merveille : Marie cultivera ces mêmes talents auprès d'elles.

Au Carmel - avant Thérèse (1881-1888)

C'est donc une grande jeune fille de 23 ans qui franchit le seuil du Carmel de Lisieux le 28 avril 1881, peu après Pâques. Mère Marie de Gonzague a beaucoup favorisé cette entrée. Elle-même fille d'avoué, comme la postulante, Marie Davy de Virville compte nombre d'ancêtres dans la région où s'est épanouie la jeunesse de Marie Campain, elle voit en elle une jeune «payse».

Soeur Marie de Saint-Joseph rejoint au noviciat dirigé par la fondatrice, la Sainte Mère Geneviève de Sainte-Thérèse, une récente professe de 53 ans, Soeur M. Emmanuel, veuve vendéenne au coeur encore jeune. Elle prend l'habit le 15 octobre 1881. C'est également en octobre que la communauté fait la connaissance de la petite Thérèse au parloir. Soeur Marie de Saint-Joseph est séduite d'emblée et aux environs de Noël elle envoie à la petite fille une image avec ces mots : «A ma gentille petite Thérèse! Qu'elle pense près de son petit Jésus à la petite soeur de sa chère petite Pauline! Je lui promets tout spécialement une petite prière afin qu'elle soit toujours bien gentille et bien sage et mérite de porter toujours te nom si doux de Thérèse de l'Enfant-Jésus. » Dans moins de six ans la « gentille petite Thérèse » deviendra sa compagne au Carmel.

Soeur Marie de Saint-Joseph possède un don qui fera la bonne fortune des historiens : une rare mémoire et une rapidité d'écriture qui lui permettent de prendre des notes de plus en plus abondantes au cours des retraites prêchées.

Avec Thérèse (1888-1897)

C'est grâce à ces notes que nous connaissons le texte du sermon du Père Pichon à la prise de voile de Soeur Marie du Sacré-Coeur (23 mai 1888) et celui des instructions pendant les quatre jours suivants. Au terme de cette première retraite, Thérèse, postulante depuis le 9 avril, prend le Père Pichon pour père spirituel. Provisoirement du moins.

La lecture des notes prises ainsi au cours des diverses retraites par Soeur Marie de Saint-Joseph infirme la thèse du «jansénisme» des prédicateurs entendus par Thérèse<, carmélite. En février 1893, à la suite des élections qui ont élevé Mère Agnès au priorat, notre Soeur remplace Thérèse comme seconde sacristine. De cette époque nous reste le riant portrait que trace d'elle soeur Marie des Anges :

«Soeur Marie de Saint-Joseph 36 ans. Deuxième sacristine. Rossignol du Carmel... Pétillante d'esprit et faisant ce qu'elle veut de ses doigts, tirant de tout et ne perdant jamais rien.» Des ombres cependant ont dû se manifester déjà. Très vite elle se révèle « trop nerveuse pour mener avec toute la régularité et le profit désirable une vie de carmélite », selon le jugement de l'abbé Doucet. «Nature extrêmement franche autant qu'ardente» affirme ce prêtre qui la connut bien dans les dernières années de sa vie. Elle domine de moins en moins les impressions d'un tempérament instable, « tour à tour exaltée ou déprimée, sujette à des violentes colères». L'affectueuse indulgence de ses prieures ne parvient pas à l'équilibrer. Quelqu'un toutefois prend sur elle un ascendant croissant : c'est Thérèse. Dès 1894-1895, Soeur Marie de Saint-Joseph obtient de Mère Agnès la permission de lui demander des conseils. Elle n'avait que de bonnes intentions mais avec son pauvre esprit malade elle fit endurer un vrai martyre à son héroïque conseillère. Celle-ci (...) obtenait bien quelque chose mais il fallait lutter, se fatiguer et subir des scènes terribles parfois. Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus savait bien que ses efforts étaient pour ainsi dire stériles, mais pourtant elle ne se lassait pas de consacrer son temps et ses forces à cette pauvre soeur chaque fois qu'elle venait à elle » (NPPA, Force; cf. PA 187 s).

Pour sa fête (19 mars 1896), Thérèse lui compose quelques vers : «Le cantique éternel chanté dès l'exil. » La «grande misère» de sa compagne ne doit pas lui interdire de chanter : « Jésus; je t'aime et ma vie n'est qu'un seul acte d'amour!»

Malgré tout, la «noire mélancolie » de soeur Marie de Saint-Joseph la marginalise de plus en plus. «Avec la connivence de Mère Marie de Gonzague, Thérèse prend l'initiative qui brisera le cercle vicieux : en mars 1896, elle s'offre à seconder cette soeur difficile à l'emploi de la lingerie. » Décision héroïque, que les témoins rapporteront aux Procès en termes souvent durs pour la pauvre soeur neurasthénique. Soeur Marie des Anges a su résumer la situation avec sa délicatesse coutumière : «Elle (Thérèse) demanda d'elle-même à être compagne d'emploi avec une soeur près de laquelle l'attendait un véritable et difficile apostolat. Quelle patience et quelle charité n'eut-elle pas à pratiquer sur ce terrain hérissé de plus d'une épine! Mais elle travailla avec tant de bonté, d'intelligence et de sagesse qu'elle parvint à lui faire beaucoup de bien » (PA 355).

A l'occasion d'une retraite privée, Thérèse écrit de petits billets à soeur Marie de Saint-Joseph. Quatre d'entre eux nous ont été conservés (la destinataire les regardait comme de vraies reliques...) : petites merveilles de tendresse fraternelle. « Partageant son travail, elle veille aussi à son sommeil (LT 199). Elle canalise au profit du combat spirituel son humeur belliqueuse (LT 199 et 200). Elle l'arrache à l'égocentrisme en l'associant à son propre zèle missionnaire » (LT 194 et 195). Sous une écorce puérile, ces billets dispensent bien la même doctrine que les pages les plus sublimes de l'Histoire d'une Ame (Ms B). Thérèse, comme toujours, comprend cette soeur de l'intérieur. Elle dit un jour à Mère Agnès : «Je vous assure qu'elle m'inspire une profonde compassion. Si vous la suiviez comme moi, vous verriez qu'elle n'est pas responsable de tout ce qu'elle dit et fait de répréhensible (...). J'ai pensé que si j'avais une pareille maladie et l'esprit aussi mal fait, je ne ferais pas mieux qu'elle et je me désespérerais car elle souffre beaucoup moralement (NPPA, Force; PA 163).

A soeur Marie du Sacré-Coeur elle dira : «Ah! Si vous saviez comme il faut lui pardonner! Comme elle est digne de pitié! Ce n'est pas sa faute si elle est mal douée. C'est comme une pauvre horloge qu'il faut remonter tous les quart d'heure. Oui, c'est aussi pire que cela (sic)... Eh bien, n'en aurez-vous pas pitié? Oh! comme il faut pratiquer la charité envers le prochain! » (DE, 659.) A la récréation, Thérèse se place souvent auprès de sa protégée.

Maladie de Thérèse

On imagine le désarroi de Soeur Marie de Saint-Joseph quand la maladie terrasse son amie. Les petits billets recommencent la navette. Thérèse compose encore pour elle une berceuse pleine de fraîcheur, à l'approche de Noël 1896. Elle s'efforce d'aider sa «première» jusqu'à la limite de ses forces. Elle ne rend les armes qu'en mai 1897. Thérèse a beaucoup appris pendant ces quatorze mois de difficile service fraternel. A l'heure où s'éclipse pour elle le «lumineux flambeau de la foi» se lève en son coeur l'éclatant «flambeau de la charité».

Cette année, ma Mère chérie, le bon Dieu m'a fait la grâce de comprendre ce que c'est que la charité (fraternelle), »peut-elle écrire trois semaines après avoir rendu son tablier de lingère. Avec quelle compassion parle-t-elle alors des « âmes blessées» et de leurs infirmités morales chroniques ». Comme presque toutes les sœurs, Sœur Marie de Saint-Joseph se voit interdire l'accès de l'infirmerie :« la branche qui soutenait le petit oiseau »lui est donc ôtée! Thérèse la console une fois encore par un billet.

Un jour de septembre, la sœur cueille pour elle une violette. Elle aurait aimé la lui donner elle-même mais doit se contenter «de la glisser simplement sur le bord de la fenêtre en passant parce qu'il était défendu d'entrer à l'infirmerie ». Thérèse remerciera à sa manière, le lendemain de sa mort; le soir du vendredi 1er octobre, sœur Marie de Saint-Joseph trouve sa propre cellule embaumée d'un tel parfum de violettes qu'elle cherche partout le bouquet qui embaume. Rien! A l'instant elle se souvient de la petite violette du 13 septembre, elle comprend, et le parfum s'évanouit (DE, 659).

Après la mort de Thérèse

Sœur Marie de Saint-Joseph doit vivre désormais sans son unique soutien au Carmel. On ignorait alors les thérapies du psychisme. On supportait les malades et on les laissait s'enfoncer jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de remède. Un traitement approprié, appliqué à temps, eût pu aider la «pauvre neurasthénique » à surmonter son infirmité. En juin 1909, la nouvelle Prieure, Mère Marie-Ange de l'Enfant-Jésus, se résout à faire établir par le Docteur La Néele un certificat médical justifiant l'éloignement de la communauté pour «neurasthénie grave, provoquant des troubles nerveux nombreux»... La sœur quitte son carmel le 29 juin 1909, après 28 ans de vie religieuse. Elle a 51 ans et elle rentre dans le monde où elle vivra jusqu'en 1936. Elle connaîtra des années d'errance pénible. Mais elle reste liée avec Mère Agnès de Jésus et lui écrit souvent. A travers ses lettres, nous découvrons combien elle a été aidée et marquée par Thérèse... «Je m'applique donc uniquement à rester un petit enfant bien souple et confiant entre ses bras divins pour être tout ce qu'il veut.. » (...) «Je ne suis rien, mon Jésus, mais ce pauvre petit rien que je suis veut désormais se perdre en vous! ».. Et quelques mois plus tard (30-10-1929) : «L'œuvre de sanctification que ma Thérèse bien aimée avait si fraternellement commencée en moi avant de prendre son essor, elle la continue toujours et il me semble que je puis vous dire en toute sincérité que «ma demeure aussi s'est pacifiée» et je vis maintenant dans un total abandon. Pourvu que j'aime mon Jésus et qu'il soit content de moi ainsi que ma Petite Thérèse, le reste m'importe peu». Toutes sortes d'infirmités assombrissent ses derniers mois. Elle s'alite en novembre 1936 et vit sa mort le 27 novembre à Gavray en toute lucidité ; l'abbé Quesnel dira d'elle : « Elle a fait généreusement à Dieu le sacrifice de sa vie et s'en est remise complètement à sa sainte volonté ».

Sr Cécile ocd