Carmel

Notes préparatoires de Sœur Marie de l'Eucharistie

Notes que Sr Marie de l'Eucharistie n'a pas prononcées au Procès à cause de son décès en 1906. Copie faite en juin-juillet 1910 (?) d'un carnet original de 1897 disparu. 

« Aucun regard, aucune parole. » (Ms B, 4 r7v°)
Une des grandes recommandations de Sr Thérèse de l'Enfant Jésus était de « ne pas parler sous les cloîtres, dans les lieux réguliers, et surtout, dans les endroits permis, de ne jamais dire la première parole avant que la porte ne soit fermée. » Puis elle me recommandait aussi beaucoup de « ne jamais perdre mon temps, pas une seule minute ». Et au réfectoire, elle me faisait toujours prendre la résolution de « ne pas lever les yeux ». Et comme j'étais presque toujours auprès d'elle, chaque fois qu'elle me voyait regarder autour de moi, j'étais sûre d'être rappelée à l'ordre par une petite chiquenaude habilement et doucement donnée. Elle ne les levait jamais, même lorsque notre Mère parlait de choses intéressantes ou qu'il arrivait quelque incident à une sœur au milieu du réfectoire ; ou, s'il lui arrivait au premier moment de les lever, ce n'était qu'un clin d'œil ; aussitôt elle les baissait. Moi, je profitais de ces occasions pour regarder ce qui se passait ; mais la petite chiquenaude de circonstance arrivait, et j'en recevais ainsi jusqu'à ce que j'aie baissé les yeux. Quand j'étais trop récalcitrante, alors ma petite sœur levait les yeux au Ciel et poussait des soupirs et des ah!... qui me faisaient rentrer en moi-même. « Vous n'y arriverez jamais, me disait-elle, si vous ne marquez pas sur votre chapelet de pratiques chaque fois que vous y manquez. C'est le seul moyen... Par amour pour le bon Dieu, vous ne voulez donc pas baisser les yeux ?... Pensez que vous faites un acte d'amour chaque fois que vous ne les levez pas, que vous sauvez une âme. »

Oubliez-vous !
Et pour mon amour-propre !... Ah ! que de fois elle m'a dit ces mots : « Je vous en prie, occupez-vous un peu moins de vous, occupez-vous à aimer le bon Dieu, et laissez-vous vous-même. Tous vos scrupules, ce sont autant de recherches de vous-même. Vos chagrins, vos peines, tout cela roule sur vous-même, cela tourne toujours autour du même pivot. Ah ! je vous en prie, oubliez-vous, pensez à sauver des âmes. Elle me répétait cela chaque fois que je me trouvais avec elle.

Oui, mais...
Quand il m'arrivait d'avoir des combats contre ma première d'emploi qui me commandait telle chose alors qu'une autre était plus pressée, quand je trouvais que cette sœur n'avait pas d'organisation et qu'elle me faisait faire des choses impossibles, quand j'arrivais ainsi me plaindre, elle me répondait invariablement : « Oh ! oui, mais... » Et alors j'achevais la phrase : je sais bien que c'est là le mérite, mais je n'en peux plus. Alors elle reprenait : « Vous n'avez qu'à faire ce que l'on vous commande ; quand votre première d'emploi vous commanderait de planter des choux la tête en bas, vous n'auriez qu'à obéir... C'est en agissant ainsi que vous aurez la paix. Je sais bien que c'est très agaçant, mais aussi, c'est là que se trouve le mérite.

Demander pardon humblement.
Au sujet de l'humilité, elle me disait toujours : « C'est si joli une petite novice qui est humble, qui respire en tout l'humilité, qui s'humilie toujours au lieu de se révolter, qui convient de ses torts, qui est humble dans ses manières, dans le ton de sa voix. » Un jour que j'avais eu une petite dispute avec Sr xxx, je n'avais eu aucunement tort ; elle en convenait, mais elle me conseillait de demander pardon quand même. Je me révoltais et ne le voulais pas ; alors elle me dit : « Ne demander pardon que lorsqu'on a eu tort, mais ce n'est pas là qu'est le mérite : c'est de le demander quand on n'a vraiment eu aucun tort.    »
Une autre fois, toujours avec Sr xxx, j'avais eu tous les torts, et je lui dis d'un air un peu léger : « Eh ! bien, je vais aller demander pardon ! — Ah ! oui, reprit-elle, vous allez encore aller lui demander pardon en riant. Quand on va demander pardon, il faut toujours le faire humblement, d'une manière sérieuse et non pas en riant. » Et avec une autre sœur avec laquelle je n'avais pas eu de vrais torts, elle me conseilla d'aller m'humilier près d'elle et de répondre « C'est vrai » à toutes les petites remontrances qu'elle me ferait.

Etre gaie pour les autres.
Pour les récréations, elle m'avait fait un jour cette petite remarque : « Pourquoi donc allez-vous aux récréations pour vous satisfaire et y trouver de l'agrément ?... Il faut y aller comme à un autre exercice de Communauté, par fidélité, sans jamais vous arrêter en y allant. En sortant du réfectoire, vous devez vous rendre immédiatement à la récréation ; vous n'avez pas permission de vous arrêter à autre chose, même pas une seule minute pour parler à une sœur.. . Puis en récréation, pratiquez la vertu, soyez aimable avec toutes, n'importe près de qui vous soyez ; soyez gaie par vertu et non par caprice. Quand vous êtes triste, oubliez-vous vous-même et montrez de la gaieté. Il semblerait qu'aux récréations il faut chercher uniquement du plaisir sans penser à pratiquer la vertu, sans s'occuper du bon Dieu. Mais c'est un exercice de Communauté comme un autre ; prenez du plaisir, mais surtout par charité pour les autres. Ne sortez jamais de vous-même, restez vertueuse au milieu même du plaisir. Vous devriez faire le sacrifice de vous mettre à côté de celles que vous aimez. » — Et comme je lui demandais si c'était à toutes les récréations, elle me répondit : « Oui, toujours vous devriez vous en priver. Puis, c'est bien d'être gaie en récréation, mais il y a une certaine manière religieuse d'être gaie, de distraire les autres. Vous êtes quelquefois d'une gaieté folle, vous croyez que cela plaît aux sœurs ?... Elles rient de vos folies, c'est vrai, mais cela ne les édifie pas. »

1897 - PENDANT  LA  MALADIE  DE  LA  SERVANTE  DE  DIEU

Support mutuel.
11 JUILLET. — « Je vous conseille, quand vous aurez des combats contre la Charité, de lire ce chapitre de l'Imitation : " Qu'il faut supporter les défauts d'autrui.  " Vous verrez que vos combats tomberont ; il m'a toujours fait beaucoup de bien ; il est très bon et très vrai. »
De grandes choses, au ciel.
18 JUILLET. — Je lui demandais de m'obtenir de grandes grâces lorsqu'elle serait au Ciel, et elle me répondit :
« Oh ! quand je serai au Ciel, je ferai beaucoup de choses, de grandes choses. Il est impossible que ce ne soit pas le bon Dieu qui me donne lui-même ce désir, je suis sûre qu'il m'exaucera ! — Et puis encore, quand je serai là-haut, c'est moi qui vous filerai de près !... » — Et comme je lui disais qu'elle me ferait peut-être peur : « Votre Ange gardien vous fait-il peur ?... Il vous file cependant, tout le temps ; eh ! bien, je vous filerai de même, et de près encore ! je ne vous laisserai rien passer... »
Quand on raisonne...
JUILLET. — « Ça fait toujours un tout petit peu de peine au bon Dieu quand on raisonne un tout petit peu sur ce que dit la Mère Prieure ; et ça lui en fait beaucoup quand on raisonne beaucoup, même en son cœur. »

Dès l'âge de trois ans.
Je lui ai demandé si elle refusait quelquefois des sacrifices au bon Dieu. — « Non, jamais ! » m'a-t-elle répondu, « je ne me rappelle pas lui rien avoir refusé de ce qu'il m'a demandé. »
—  Et quand vous étiez petite ?
—   « Oh ! encore moins, je ne lui refusais rien dès l'âge de 3 ans, car je faisais déjà des pratiques.  »

De la joie d'être humiliée.
2 AOUT. — « Je ne trouve aucun plaisir naturel à être aimée, choyée, mais j'en trouve un très grand à être humiliée. Quand j'ai fait une bêtise qui m'humilie et me fait voir ce que je suis, oh ! alors, c'est là que j'éprouve un plaisir naturel ; j'éprouve une véritable joie comme vous en éprouveriez à être aimée. »

Toujours douce.
11 SEPTEMBRE. — « Il faudrait que vous deveniez bien douce; jamais de paroles dures, de ton dur ; ne prenez jamais un air dur, soyez  toujours douce.
« Ainsi, hier, vous avez fait de la peine à Sr xx ; quelques instants après, une sœur lui en a fait aussi. Qu'est-il arrivé?... Elle a pleuré!... Eh ! bien, si vous ne l'aviez pas traitée durement, elle aurait mieux accepté la seconde peine, laquelle aurait passé inaperçue. Mais deux peines si rapprochées l'ont mise dans un état de tristesse bien grande ; tandis que si vous aviez été douce, rien ne serait arrivé. »

Sainte dès maintenant.
Un jour, elle me faisait promettre d'être une sainte ; elle me demandait si je faisais des progrès ; alors je lui répondis : « Je vous promets d'être sainte quand vous vous serez partie au Ciel ; à ce moment-là, je m'y mettrai de tout mon cœur. »
— « Oh ! n'attendez pas cela, me répondit-elle. Commencez dès maintenant. Le mois qui précéda mon entrée au Carmel est resté pour moi comme un doux souvenir. Au commencement, je me disais comme vous : " Je serai sainte quand je serai au Carmel ; en attendant, je ne vais pas me gêner... " Mais le bon Dieu m'a montré le prix du temps ; j'ai fait tout le contraire de ce que je pensais ; j'ai voulu me préparer à mon entrée en étant très fidèle ; et c'est un des plus beaux mois de ma vie.
« Croyez-moi, n'attendez jamais au lendemain pour commencer à devenir sainte. »

En faire trop.
« Soyez charitable, prévenante... Aux récréations, obligez les anciennes en allant leur chercher des chaises ; puis, en toute occasion, soyez obligeante : une PETITE NOVICE DEVRAIT TOUJOURS EN FAIRE TROP. CE SERAIT SI JOLI !... »

Octobre 1897. - APRÈS LA MORT DE LA SERVANTE  DE  DIEU

Quelque temps après la mort de Sr. Thérèse de l'Enfant Jésus, pour la première fois depuis son départ pour le Ciel, je fus troublée, je n'osais faire la Sainte Communion.  Je la priai donc de venir me consoler, et je tirai dans l'Evangile ces paroles : « Dites aux conviés : Voilà que j'ai préparé mon festin ; tout est prêt ; venez aux noces.  »
Ces quelques paroles mirent la paix dans mon âme. Je ne pus douter que ce ne fût un conseil vraiment céleste, et je fis une Communion fervente et paisible.
Une autre fois, j'éprouvais le même trouble que le précédent ; je n'osais encore faire la Sainte Communion, et je tirai ces paroles : « Celui-ci jetant son manteau s'élança et vint à Jésus.   »
Je compris. — Je jetai loin de moi le manteau des scrupules, et avec bonheur je « vins à Jésus ».
Dans toutes ces circonstances, c'est surtout au sentiment de paix et à la lumière qui inonde mon âme que je crois ces réponses célestes.
Une autre fois encore, j'étais prise de désespoir, me disant : Maintenant je n'ai plus personne pour me dire si je suis en bonne voie, si le bon Dieu est content de moi ; je ne serai peut-être pas sauvée. — Dans cet état désespéré où je souffrais beaucoup, je priai ma petite sœur chérie, je lui demandai si j'étais agréable au bon Dieu ; elle me répondit (par le St Evangile) :
« Et une voix vint des Cieux : Vous êtes mon Fils bien-aimé, c'est en vous que j'ai mis mes complaisances.  »
Je me demandais s'il fallait dire un scrupule à notre Mère, je ne savais comment m'en accuser en confession. Après une prière faite à mon petit Ange, je tirai dans le St Evangile :
« II leur commanda fortement que personne ne le sût.»