Carmel

Jeux d'amour de Marie de la Trinité

Programme des jeux d'amour de l'Enfant‑Jésus avec sa petite soeur Marie de la Trinité

La composition de ces « jeux » peut remonter à l'année 1897, en tout cas à une période très proche de la mort de Thérèse, car soeur Marie de l'Eucharistie communique à ses parents, en 1897‑1900, un petit carnet au texte identique.  

En Promenade.

Le Lundi nous allons en Promenade. Là nous trouvons un champ (mon âme) dont les fleurs excitent l'envie du petit Jésus. Il les réclame avec instance mais n'ose les cueillir car elles appartiennent à une propriétaire (ma nature) méchante, rude et avare qui le reçoit très mal et ne veut rien lui donner. Alors, sans se déconcerter, il implore d'un regard suppliant sa petite soeur qui, ne pouvant résister à son désir si grand, use de toute sa finesse pour voler le plus de fleurs possible à cette méchante propriétaire et, malgré les injures et souvent les coups qu'elle en reçoit, les apporte triomphante à son cher petit Jésus qui, tout joyeux, en fait une belle gerbe qu'il offrira à son Père, au retour de la promenade, pour le rachat des âmes.

La Toupie.

Le Mardi nous jouons à la Toupie. C'est très amusant. La pauvre toupie (ma nature) veut bien se laisser faire, aussi nous ne la ménageons pas. Le petit Jésus surtout s'entend très bien à lui donner adroitement les coups de fouet sans manquer la partie. Quelquefois il y a de petits monticules de sable ou de pierre à lui faire escalader. Holà!... ce n'est pas toujours facile de le faire sans manquer... Mais si ce petit déboire nous arrive, il est de règle dans tous nos jeux d'avoir beaucoup de joie quand nous gagnons mais il est défendu de s'attrister quand nous perdons. Dans ce dernier cas nous recommençons la partie avec un nouvel entrain, et chaque coup de fouet bien supporté reçoit une âme pour récompense. Plus la toupie tourne, plus mon âme s'enivre d'amour et devient insensible à tout ce qui est terrestre... C'est ainsi qu'elle s'achemine par monts et par vaux vers le bon Dieu, lieu de son repos à jamais.

Les Quilles.

Le Mercredi nous jouons aux Quilles ! Oh ! qu'il y en a ! Les parties sont si intéressantes que le soir, avant de m'endormir, j'entends mon petit Jésus s'écrier: « Encore ! encore !... » Et le coeur plein de joie et d'amour je m'endors en lui promettant de l'amuser encore le len­demain par des jeux nouveaux... Les quilles sont les âmes; voilà pour­quoi il les aime tant! Dans la règle de ce jeu toutes les quilles sont abattues pour lui. Il y en a de toutes grandeurs et de toutes couleurs pour personnifier les différentes âmes que nous voulons atteindre: grands pécheurs, prêtres, religieux, enfants, etc... Pour contenter plei­nement le petit Jésus il faudrait que la boule de mon amour soit cons­tamment en mouvement. Quelquefois je fais la moue, lui disant que je suis fatiguée de jouer, mais il en a tant de chagrin que je suis bien obligée de continuer coûte que coûte et le bonheur que je lui procure me fait oublier mes fatigues.

La Pêche.

Le Jeudi nous allons à la Pêche. C'est le petit Jésus qui jette la ligne et c'est moi qui la lui prépare chaque fois en mettant l'appât (mes petits sacrifices) à l'hameçon, auquel les poissons (les âmes) vien­nent mordre. Ce jeu est très intéressant car nous prenons un poisson à chaque appât. Quelquefois le poisson pris est très gros et nous sommes obligés de tirer avec effort la ligne tous les deux pour le faire venir. Alors, nos cris de joie se font entendre de toute la cour céleste ! Et le soir nous apportons triomphants notre pêche à la Vierge Marie pour qu'elle prépare un plat délicieux qui est servi avec délices au festin éternel du Ciel !...

Sauter des pierres.

Le Vendredi, je m'amuse à sauter à pieds joints par‑dessus de petites pierres, sans les toucher. C'est parfois bien difficile! Le rôle du petit Jésus est de bien guetter de coin pour s'assurer si la pierre n'a pas été touchée. Sauter une pierre sans la toucher c'est, par exemple, me priver d'une parole inutile, alors j'ai sauté ma petite pierre qui est le silence sans la toucher. De même pour la charité, la régu­larité, etc. La partie est manquée lorsque la pierre a été touchée. Parfois la pierre est plus grosse et par conséquent le saut plus périlleux. Dans ce dernier cas j'appuie ma main sur l'épaule de mon bien‑aimé petit Jésus qui s'y prête avec amour et je gagne la partie ! Comme toujours, le prix de chaque saut de pierre est une âme.

A cache-cache.

Le Samedi nous jouons à cache‑cache. C'est le petit Jésus qui se cache et moi qui le cherche. Je le trouve à chaque petit acte de vertu et de renoncement; alors ce sont des cris de joie de part et d'autre, rien n'égale notre bonheur ! Pourtant il est quelquefois très difficile à trouver et pour y parvenir il faut que je ne laisse échapper à ma sur­veillance aucun endroit de la maison, c'est‑à‑dire aucun acte de fidélité si petit qu'il me paraisse parce que si j'en passe, je passerai sans doute aussi la demeure où il se cache et, l'ayant passée, je ne pourrai le trouver ailleurs et toutes mes peines deviendront inutiles.

La cachette privilégiée du petit Jésus est au milieu des épines. C'est là surtout que je le trouve... Aussi, lorsque les difficultés viennent entraver mon chemin, quand je me blesse aux épines de la route j'entends la voix de mon Ange Thérèse me criant: « Attention ! tu brûles !... » Alors, au lieu de m'attrister de la souffrance, je sens mon courage renaître et j'avance coûte que coûte au milieu des épines où j'ai l'espérance d'embrasser bientôt mon Bien‑Aimé. Ma faiblesse ne me décourage plus. Si je ne sentais pas les épines, je ne me sentirais pas brûler et je perdrais l'espérance de trouver Celui que mon coeur aime. Oui, je puis bien dire l'avoir trouvé quand je me réjouis de ma misère et des humiliations que m'attirent ma faiblesse car Jésus est lui‑même la joie intime et toute surnaturelle que mon âme éprouve alors.

Le Damier.

Le Dimanche nous jouons au Damier. Jésus fait jouer les pions blancs qui représentent la grâce et moi les pions noirs qui représentent ma nature. Chaque échec que je fais subir à ma nature rend Jésus vainqueur de moi‑même, c'est autant de pions noirs conquis par la grâce. A l'examen du soir nous constatons ensemble les victoires et les défaites. Si Jésus a tout gagné, notre bonheur n'a pas son pareil ! Si je me réjouis avec lui c'est que mon gain consiste à être gagnée par lui. Il faut savoir se perdre pour être gagnée, Jésus n'a‑t‑il pas dit: « Celui qui voudra sauver son âme la perdra et celui qui l'aura perdue pour moi la retrouvera.

Mais hélas ! lorsque j'ai gagné, nous sommes tristes tous les deux, parce que la grâce captive de ma nature a été perdue en vain !...

Le mât de Cocagne.

Il est un autre jeu auquel nous nous livrons souvent, il est diffi­cile à exécuter mais il fait les délices de mon bien‑aimé petit Roi. C'est le jeu du mât de cocagne. Vaincre l'amour‑propre, mon défaut dominant, c'est escalader ce mât ardu pour emporter d'assaut Jésus le trésor incomparable qui se trouve au sommet. L'ascension est pénible, la pente est si glissante!... A ce moment critique ce qui m'excite et m'encourage, c'est la pensée que je suis en spectacle à toute la cour céleste qui attend anxieuse le résultat pour m'applaudir et rendre gloire à Dieu avec allégresse si j'atteins le but, mais surtout c'est la vue de mon Jésus qui me tend d'en‑haut ses petits bras avec amour... J'avoue que je ne réussis pas toujours à l'atteindre mais quand enfin, épuisée, ensanglantée je puis arriver jusqu'à lui, quel triomphe ! quel repos enivrant sur son coeur !... Aussi, lorsque je redescends dans la plaine du combat, je suis toute renouvelée, toute fortifiée, rien ne me coûte plus et c'est en me jouant que je terrasse mes autres ennemis...

La Conversation.

Par intervalles, Jésus et moi, nous nous reposons de nos jeux en faisant conversation. Nous nous entretenons des parties faites et nous projetons de nouveaux plaisirs. En retour de tant l'amuser ici‑bas, le petit Jésus me promet de m'emmener bientôt dans notre belle Patrie où nous pourrons jouer toute l'Eternité sans fatigues et sans souffrances dans des délices d'amour inénarrables... Cette promesse dilate mon coeur d'espérance et d'amour et me donne un nouveau courage pour consoler et faire plaisir à mon bien‑aimé petit Jésus, le doux Compagnon de mon exil......