Carmel

Notes préparatoires de Sr Marie de Jésus

J.M.J.T.     1907

Je suis heureuse d'écrire ici devant Dieu, mes souvenirs au sujet de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Ste Face et de rendre témoignage des vertus héroïques qu'elle a pratiquées.
J'étais religieuse au carmel depuis plusieurs années, lorsque je vis entrer cette enfant de quinze ans. Dès le début de sa vie religieuse, malgré son jeune âge, elle se montra religieuse parfaite, son maintien était grave, religieux et néanmoins très aimable. Je puis affirmer que je ne l'ai jamais vue commettre la plus petite faute, la moindre infidélité ; sa vie a été et est encore pour moi, un stimulant pour ma perfection.

Ce qui m'a le plus frappée dans sa vie, c'est son humilité, jamais elle ne donnait son avis, à moins qu'on ne le lui demande, ne se mêlant aucunement à des conversations si elle n'était pas interrogée, s'effaçant toujours, se faisant petite à l'égard de ses soeurs, aimant à rendre service. Mais ce qui la caractérisait davantage, c'est son égalité de caractère, n'importe à quel moment ou par quelle soeur elle était dérangée, on était surpris de voir que c'était toujours avec cet aimable sourire qui lui était habituel, ce qui rendait sa compagnie très agréable. Aussi, lorsque les jours permis pour parler ensemble arrivaient, c'était à qui pouvait l'avoir pour causer de Dieu, des choses du ciel, car avec cette âme qui reflétait tant la pureté, on n'aurait osé aborder d'autres sujets

Je ne puis rendre le parfum d'édification que Sr Thérèse de l'E.J. a laissé dans mes souvenirs, il n'est pas possible de se rendre compte de sa fidélité, à moins d'en avoir été témoin. A l'appui de ce que je dis, voici quelques petits traits qui montreront  comment elle savait profiter des moindres occasions pour pratiquer la vertu. Nous avions une Soeur infirme, qui en plus qu'elle ne pouvait marcher sans aide, avaient les mains déformées. Un jour, cette soeur à la récréation demanda qu'on veuille bien lui donner une boite d'allumettes, aussitôt Sr Thérèse de l'E.J. se lève, et toujours avec son air gracieux, se rend à l'endroit où elle savait en trouver, prend une boite, essaie si elle s'ouvre facilement, car dit-elle à notre bonne soeur, il ne faut pas qu'elle soit trop difficile à ouvrir avec vos pauvres mains ! " J'étais témoin de cette scène, notre pauvre infirme ne put taire son admiration et m'en fit part, elle répondait parfaitement à mes sentiments, car j'en étais émue moi-même.

Plusieurs fois je fus témoin que lorsque Soeur Thérèse de l'E.J. était en direction chez notre Révérende Mère prieure, si une Soeur entrait et manifestait le désir d'entretenir notre Mère, aussitôt, sans témoigner ni ennui ni contrariété, avec son aimable sourire, elle disait :"Ma Mère, si vous le permettez, je reviendrais une autre fois " et recevant la bénédiction maternelle s'en allait sans même achever ce qu'elle avait commencé.

J'ai encore remarqué son exactitude, son obéissance aux observations générales faites par notre révérende Mère, en voici un exemple : un jour que nous avions eu beaucoup de fatigue à laver nos cloîtres, notre Mère dit en communauté "-Voyez mes chères filles, quelle fatigue pour laver les cloîtres, je demande que lorsque vous revenez du jardin, vous laissiez vos socques ou vos sabots avant d'entrer sous les cloîtres." Je ne sais comment s'y prit notre chère Sr Thérèse de l'E.J., mais plusieurs années après, lorsque personne ne pensait plus à cette observation, je m'aperçus que notre chère soeur y était encore fidèle. J'avoue que cette découverte m'édifia tellement que je n'en perdis jamais le souvenir.

J'ai vu en plusieurs circonstances, qu'on lui faisait quitter son travail sans lui en dire le motif, ou bien qu'on l'humiliait, jamais sa sérénité n'en était altérée, et même dans ces circonstances, je ne l'ai jamais entendue s'excuser.
Jamais elle ne se plaignait. Un jour, on lui demanda si les chausses qu'elle portait n'étaient pas trop courtes, elle répondit simplement" je crois que oui." Effectivement, on s'aperçut qu'elles étaient pour un tout petit pied, elle avait dû en souffrir et cependant elle n'en avait rien fait paraître.
Son union avec Dieu était continuelle. Je me rappelle qu'au commencement de sa maladie, étant infirmière, je lui donnais un remède qui demandait un peu de temps et cela se trouvait pendant l'oraison, je lui en fis la remarque et lui demandai si cela n'allait pas la distraire ? "Non, me dit-elle je vais faire mon oraison, ce remède ne peut pas m'en empêcher." Je compris comment cette âme tout livrée à Dieu savait se servir de tout pour ne pas perdre sa présence.
Sa confiance en Dieu était sans limites. Dans un entretien que j'eus avec elle sur les dispositions de mon âme, je fus émerveillée que cette soeur si jeune, sût si bien me montrer la miséricorde de Dieu, me citant des passages des psaumes aussi facilement qu'elle les eût lus dans un livre, voulant me persuader que j'avais tort d'être dans la crainte, insistant sur la miséricorde du bon Dieu. Je ne voulus pas me rendre, cependant cet entretien me fit un bien extrême, et je ne puis y penser sans reconnaître que sa voie était la meilleure, et que sa confiance ne pouvait que gagner les âmes.
J'ai remarqué que lorsqu'elle était obligée de dire quelques mots, elle parlait bas, comme nos règlements nous l'ordonnent pour ne pas troubler le silence du monastère, et cette remarque  j'aime à la citer à nos jeunes soeurs, leur montrant la fidélité de cette chère soeur dans les plus petites choses.
Sr Thérèse de l'E.J. avait trois de ses soeurs au carmel, elle n'eut jamais de préférences pour elles, même en récréation, elle ne recherchait pas leur compagnie, sans cependant affecter de les fuir, elle allait indistinctement avec n'importe quelle soeur, très souvent en récréation, la soeur avec laquelle elle s'entretenait plus volontiers, était celle qui était seule, délaissée.
Voilà en toute sincérité ce que j'ai remarqué de Sr Thérèse de l'E.J. Puisse-t-elle être mise bientôt sur les autels, afin que sa vie toute sainte, mais en même temps si simple, soit un modèle pour toutes les petites âmes de bonne volonté et d'abandon, car elle a pratiqué cette vertu d'abandon dans le plus haut degré.
En attendant ce jour qui procurera tant de gloire à Dieu et de bien aux âmes, qu'elle m'obtienne le même amour dont elle brûla pour Dieu et que ma vie soit semblable à la sienne.
Sr Marie de Jésus r.c.i.
J'ajoute à ce que j'ai écrit, que quelque temps avant sa mort, Sr Thérèse de l'E.J. désira que l'on me donnât son livre d'Office, son Diurnal, pour des motifs d'exquise charité à mon égard. Je le possédai donc pendant près de deux ans ; assez souvent, lorsque je m'en servais, je sentais comme un doux parfum, plutôt de violettes, et depuis que j'ai rendu ce livre, je n'éprouve plus cette senteur ce qui me confirme dans la certitude du fait surnaturel.
La petite voie de confiance et d'amour de Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus m'attirant, et voulant marcher sur ses traces, je fis l'acte d'offrande qu'elle composa elle-même à l'Amour miséricordieux.