Carmel

Biographie de Soeur Marie de Jésus

Eugénie Courceaux 1862-1938

Une enfant sage

La petite Eugénie naît à Rouen (5, rue Lamotte) le 13 septembre 1862. Quatrième enfant d'Hippolyte Courceaux, commis-greffier à la Maison d'Arrêt, 41 ans, et d'Adélaïde Bisson, 25 ans, elle a été précédée d'une soeur, Adélaïde (1857) et de deux frères, Hippolyte (1858) et Alexandre (1859). L'un d'eux mourut en bas-âge. Elle a juste trois ans à la mort de son père (27 octobre 1865). Avec des ressources modestes, Mme Courceaux se consacre courageusement à l'éducation de ses quatre jeunes enfants.

Eugénie est une enfant calme, docile. Elle reçoit son instruction primaire chez les Religieuses du Sacré-Coeur d'Ernemont. Elle s'en tient avec une fidélité scrupuleuse aux leçons de ses maîtresses aussi bien qu'aux conseils de son curé, au catéchisme. Témoin ces deux anecdotes. Elle a environ dix ans. Son frère l'aide à faire ses devoirs de vacances. « Un jour, raconte- t-elle, il lui prit l'idée de me faire changer d'écriture, je lui répliquai que mes maîtresses m'avaient appris ainsi, donc je ne devais pas changer ma manière d'écrire. » Hippolyte se fâche, Eugénie résiste, le cahier en fait les frais, déchiré par moitié; et la maman survient, qui gronde... la fillette! Injuste correction, peut-être, mais l'écolière gardera son écriture primaire toute sa vie : au Carmel, elle en couvrira des centaines de pages, comme copiste au service de ses prieures et, un jour, de la Cause de soeur Thérèse. Le second trait souligne la même crainte d'une transgression : « J'avais entendu dire au Catéchisme qu'il ne fallait pas lire de romans. Un jour maman voulut m'apprendre une chansonnette et me la mit entre les mains. Je l'examinai et lus avec terreur sous le titre principal : romance Et je pensai aussitôt : « romance » c'est le féminin de « roman », donc c'est mal, je ne vais pas l'apprendre. » Plusieurs mois après, voilà qu'au pensionnat on chante ladite « romance ». Eugénie comprend son erreur et apprend la chanson sans contester.

Sa vocation naît très tôt. Pendant les leçons de travail manuel, la maîtresse raconte des anecdotes, tirées de la vie des Saints. Il est un jour question de sainte Thérèse d'Avila, de la vie austère du Carmel. La fillette est conquise : « Je serai Carmélite. » Mais elle garde son secret pendant des années.

Les études ne sont guère longues. Mme Courceaux est dans la gêne. Eugénie doit l'aider en faisant des journées de couture dans un atelier de Rouen. Chaque soir, avant de rentrer à la maison, elle s'arrête dans une église. Sa prédilection est pour Notre-Dame de Bon-Secours. Par la suite, l'abbé Groult, vicaire à Saint-Sever, qu'elle a pris pour confesseur, la met en relation avec le Carmel de Lisieux.

Une carmélite fidèle

C'est toujours à une enfant sage - désormais soeur Marie de Jésus - que le monastère ouvre sa porte le 26 avril 1883, peu après la vêture de soeur Agnès de Jésus (6 avril). Celle-ci se voit confier le rôle « d'ange » de la postulante. Sa tâche dut être facile. La nouvelle venue est silencieuse, régulière, cherchant à passer inaperçue, en un mot « religieuse fidèle », nous dit sa circulaire. Elle reçoit l'habit le 15 octobre 1883. La prieure, Mère Geneviève, invite chaleureusement les familles Martin-Guérin à la cérémo­nie (LD 468 et 469). Dans l'intervalle, soeur Agnès a sûrement présenté la petite Thérèse à son « Tobie ». Celle-ci a-t-elle participé au parloir (fin mai, début juin 1883) où les carmélites ont troublé par leurs questions indiscrètes la petite « miraculée » du 13 mai (Ms A, 31 r°)?

C'est à l'Oratoire intérieur que Mère Geneviève, trop infirme pour monter au Chapitre, reçoit les voeux de soeur Marie de Jésus, le 5 décembre 1884. Dans son exhortation, elle l'engage déjà sur cette voie d'abandon qui sera la grâce propre de cette soeur : « Mon enfant, si vous voulez vivre très unie à Notre-Seigneur et toujours en paix, n'ayez ni désir ni crainte. »

Petite, d'un physique plutôt ingrat, avec une voix plus forte que belle, sans talents artistiques ni intellectuels, soeur Marie de Jésus se contente hum­blement de sa part : « Le bon Dieu m'a toujours fait la grâce de trouver bien tout ce qu'il fait. Ce qui me manque comme talents, beauté physique et morale, a été pour moi une source de paix, acquiesçant à son bon plaisir et ne jalousant pas les autres mieux doués. » Dans son humilité, elle adoptera pour emblème la fleur du mouron rouge...

Elle passe son existence dans des emplois modestes : « infirmière de soeur Saint-Pierre, seconde pannetière et robière » en 1893 (CG II, p. 1175), toujours volontaire pour les travaux pénibles. Elle s'occupe très longtemps des « chausses » (gros bas de toile), ce qui lui fait dire : « Je suis toujours aux pieds de nos Soeurs. C'est ma place et je m'y trouve si bien. » Nommée première portière en 1900, et, à ce titre, chargée de la direction des soeurs tourières, elle le demeure presque jusqu'à la fin de sa vie. Et à l'époque du Procès, elle copie, copie-

Peu apte à rendre compte de ses « états d'âme », néanmoins en 1901, elle fait voeu d'abandon. « Je vois de plus en plus ma nullité, mais je ne m'en fais aucune peine. Ne suis-je pas à Jésus, et n'est-ce pas Lui qui travaille ma toute petite âme? » (1936). Le secret de ce « travail » reste à jamais celui de l'Artiste divin.

De pénibles infirmités, en particulier des plaies variqueuses aux jambes, viennent avec l'âge, obligeant soeur Marie de Jésus à une vie plus solitaire. On donne tout l'éclat possible à son jubilé d'or, le 5 décembre 1934. En novembre 1938, peu après les fêtes du centenaire de la fondation de Lisieux, elle est prise d'une enflure au visage, avec fièvre intense : érésipèle avec complications graves. A l'aumônier qui la visite, elle ne réclame même pas une dernière communion, mais répète seulement : « Abandon! Abandon! » Elle s'éteint doucement le soir du 25 novembre 1938.

Une âme cachée

« Ame cachée », écrivait à son sujet soeur Marie des Anges (1901). « C'était une âme cachée, toute sa conduite était de passer inaperçue, charitable envers ses soeurs jusqu'aux moindres détails » : cette fois-ci, c'est Marie de Jésus qui parle de Thérèse (1905-1907). Quand Mère Agnès lui a demandé de « mettre par écrit le doux souvenir que Soeur Thérèse de l'Enfant Jésus lui a laissé de son passage au Carmel », à peine a-t-elle pu tracer une vingtaine de lignes. « Que vous dire? je me trouve embarrassée... Son souvenir est resté bien gravé dans mon coeur et tout mon désir est de chercher à lui ressembler. » Et quand Mgr Lemonnier demande aux carmélites, le 15 oc­tobre 1907, de consigner leurs souvenirs sur Thérèse, soeur Marie de Jésus arrive, avec bien du mal sans doute, à remplir 8 pages. Inutile de lui en demander plus : elle ne sait pas dire... On ne l'appellera pas comme témoin au Procès.

En mai-juin 1897, le Dr de Cornière prescrit à deux reprises des pointes de feu pour Thérèse. Pendant les séances, soeur Marie de Jésus soutient la malade dans ses bras : celle-ci « fut héroïque, surtout à la 2e fois, pas une plainte, rien qui pouvait faire comprendre la souffrance éprouvée, et aussitôt après reprenant son gracieux sourire, ce qui m'édifia beaucoup, ayant senti lorsque je la soutenais pendant ces séances combien sa pauvre nature souffrait ». (Billet du 28/9/1935.) Une autre fois, on prescrit un bain de pied à la farine de moutarde. C'est l'heure de l'oraison du soir, soeur Marie de Jésus s'en inquiète : « Cela va vous empêcher de faire oraison! » « Oh, mais non, je ferai mon oraison comme d'habitude, rien ne peut empêcher de faire oraison ».

Et puis, un post-scriptum arraché à son humilité. Thérèse a remarqué qu'un livre d'Office (Diurnal) de Marie de Jésus était très ancien, très lourd. Elle demande qu'après sa mort on lui donne le sien. Marie de Jésus s'en sert pendant près de deux ans. « Assez souvent, lorsque je m'en servais, je sentais comme un doux parfum, plutôt de violettes. » Se jugeant indigne d'une telle faveur, elle rend le livre à la Prieure. « Et depuis, je n'éprouve plus cette senteur, ce qui me confirme dans la certitude du fait surnaturel. » On le sait depuis longtemps, Thérèse connaît mieux que personne le « langage des fleurs » et le secret de leurs parfums...

Huit jours seulement avant sa mort, soeur Marie de Jésus confiait ce qui l'avait « embaumée » pour la vie, lorsqu'elle se souvenait de sa jeune compagne : « Ah! c'est son sourire! »                                         

Sr Cécile ocd