Carmel

Circulaire de Soeur Marie-Antoinette

Soeur tourière
Antoinette Blanc 1863-1896  

Dans l'octave de la belle fête de tous les Saints, le Divin Maître vient de cueillir dans notre humble parterre, une petite fleur délicate et privilégiée : notre chère sœur Marie-Antoinette, tourière agrégée de notre communauté, âgée de 33 ans, 8 mois.

Née à Granville dans le dép. de la Manche, elle perdit dès l'âge de 2 ans sa bonne Mère, et fut confiée quelques mois après par son père à la sollicitude de Mademoiselle de Valroger, fondatrice de l'important ouvroir de Caen. Elle retrouva dans cet asile béni, une tante et une cousine, cœurs amis et dévoués qui lui témoignent encore aujourd'hui leur tendresse par des regrets bien profonds. Notre chère enfant n'était donc pas abandonnée, et le Seigneur la prévint toujours ainsi des marques particulières de sa Providence pendant le cours de sa rapide carrière.

Le moindre des bienfaits de Dieu ne fut pas, sans doute, son admission parmi nous. Son insigne bienfaitrice nous l'ayant proposée comme possédant toutes les qualités requises pour une bonne tourière : piété, douceur, amabilité, parfaite discrétion, nous n'hésitâmes point à la recevoir malgré sa très faible santé. Aujourd'hui, pouvons-nous nous en repentir ? Non, car le passage d'un ange est toujours précieux et secourable. Sa chère compagne du tour, qui lui fut si dévouée, et qu'elle payait par tant de reconnaissance et d'affection, n'eut jamais d'autre reproche à lui faire que celui d'être un peu enfant... ce à quoi elle répondit un jour : - « Mais, ma sœur, je n'ai pas envie de me corriger de ce défaut- là, puisqu'il faut l'avoir pour entrer dans le Ciel.... rappelez-vous la parole de Jésus : Si vous ne devenez comme de petits enfants vous n'entrerez pas dans le royaume des Cieux... »

Nous pouvons bien ajouter à sa louange, ma RM, ces deux autres paroles du Divin Maître : Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre... Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ! » Cette promesse de la vue de Dieu, ne tarda pas à se réaliser pour notre pieuse enfant...

Il y a 18 mois, la maladie de poitrine dont elle était atteinte fit de tels progrès, que notre dévoué docteur ne nous laissa plus aucun espoir. Nous l'envoyâmes alors au pèlerinage du Salut, pour solliciter sa guérison à la grotte miraculeuse ; mais la Vierge bénie ne voulut point lui donner les années de la terre, si pleines de douleurs et d'angoisses !... Elle augmenta seulement sa paix et sa résignation, lui réservant dans les Cieux les années éternelles...

A partir de ce voyage de Lourdes, il fallut donc songer bien vite au grand voyage de l'éternité !... Notre pauvre enfant s'affaiblissait, et le mal prenant chaque jour des proportions alarmantes, notre dévoué et si pieux aumônier crut prudent de lui donner l'Extrême-Onction, et, quelque temps après, l'indulgence de la bonne mort. Chaque semaine, il lui apportait aussi le Saint Viatique. Hélas ! le 4 novembre, c'était son jour de communion, et dès le matin, son oppression toujours croissante lui fit dire à sa chère compagne : « Oh ! ne me quittez pas ! ... J'étouffe... Je ne vais pas pouvoir aujourd'hui recevoir mon Jésus !... Je crois bien que je vais mourir... »

Chère enfant ! l'aurore des communions de la terre n'allait plus en effet se lever pour elle ici-bas... Mais Jésus s'avançait pour recevoir son âme innocente et l'introduire dans les Tabernacles éternels...

Il était 8 heures et ½ quand eut lieu cette ineffable et douce rencontre... pendant laquelle la communauté réunie au chœur récita pour notre heureuse enfant les prières du manuel.

Nous avons l'intime confiance, ma RM, que notre petite Sœur Marie-Antoinette a reçu du Bien-Aimé un accueil favorable. Elle n'a pas eu peut-être à offrir à Dieu une abondante moisson, fruit de longs et pénibles combats, mais nous nous rappelons avec une grande consolation cette parole de saint Paul qui semble lui convenir si bien : « Heureux ceux que Dieu tient pour justes sans les œuvres ! »

Néanmoins, ma RM, nous venons solliciter pour notre bien-aimée fille l'offrande du Saint Sacrifice de la Messe et tout ce que votre charité vous inspirera. Elle vous en sera très reconnaissante, ainsi que nous, qui avons la grâce de nous dire avec un religieux et profond respect, ma Révérende et très honorée Mère,
votre humble sœur et servante,
Sœur Marie de Gonzague, rci
De notre Monastère du SC de Jésus et de l'Immaculée-Conception des Carmélites de Lisieux, le 4 novembre 1896.