Carmel

Circulaire Soeur Madeleine du Saint Sacrement

Désirée Toutain 1817-1892

Paix et salut en Notre‑Seigneur‑Jésus‑Christ.

Un troisième sacrifice nous est demandé !... La volonté toujours adorable du Bon Maître ne cesse de nous accabler!...

Notre bonne Mère sous‑prieure en bière, cette volonté divine enlève à notre maternelle affection notre bien‑aimée Sr Marie‑Victoire‑Désirée MADELEINE du SAINT‑SACREMENT, doyenne de nos chères Soeurs du voile blanc, âgée de 74 ans 8 mois et 10 jours, de religion 49 ans.

Ame de foi et de dévouement Nous nous arrêtons, ma Révérende Mère Nous sommes tellement brisée qu'il nous serait impossible d'écrire l'infatigable dévouement de ce coeur, aussi grand qu'il était généreux au service de Dieu et de ses mères et soeurs.

Notre bien‑aimée fille demande à n'avoir de circulaire que pour réclamer les suffrages de notre Saint Ordre. Voici un papier trouvé avec ses voeux qui vous dira un peu son humilité et sa charité.

«Je prie notre Révérende Mère qui sera en charge quand je mourrai, de ne me faire de circulaire que pour demander les suffrages de notre Saint Ordre, n'ayant rien de bon à dire de moi ; je désire que toutes les prières et suffrages soient appliqués aux âmes du purgatoire en général, selon le désir de la Très Sainte Vierge à qui j'ai tout donné m'abandonnant entièrement à la miséricorde du Bon Dieu et comptant sur la charité de mes mères et soeurs.

Dans l'impossibilité où je pourrai me trouver de parler au moment de la mort, je supplie mes bien‑aimées mères et soeurs, de bien vouloir me pardonner tous les sujets de peine que je leur ai donnés par mon mauvais caractère, mon orgueil, par mes manques de douceur, de charité, de régularité et de silence. Je vous supplie de prier pour moi, et je vous promets si le bon Dieu me fait miséricorde comme je l'espère, de prier pour vous, et je vous dédommagerai au ciel de toutes les peines que je vous ai faites. »

Notre vénérée Mère Geneviève semble avoir voulu appeler avec elle les trois plus anciennes de ses filles! S'il y a réjouissance au Ciel, il y a tristesse au Carmel !...

Quel déchirement pour nos coeurs de voir ce matin sortir de notre chère clôture, ces deux cercueils que nous‑même nous ne pouvions entourer, retenue à l'infirmerie.

Veuillez, ma digne Révérende Mère, entrer dans les intentions de notre chère fille et appliquer les suffrages de l'Ordre selon ses désirs. Par grâce une communion de votre fervente Communauté une journée de bonnes oeuvres, les indulgences des six Pater et du Chemin de la Groix, des invocations à Marie Immaculée, à Sainte Madeleine, à Sainte Philomène objet de sa tendre dévotion, elle vous en sera très reconnaissante ainsi, que nous. qui avons l'honneur de nous dire au jardin de l'agonie Votre respectueuse Soeur et servante,

Soeur Marie de Gonzague
R. C. I.
De notre Monastère du Sacré-Coeur de Jésus, et de l'Immaculée Conception, des Carmélites de Lisieux,
le 2 janvier 1892.

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Extrait des Fondations III sur soeur Marie‑Victoire, Madeleine du St Sacrement

(à la suite de la copie de sa circulaire)

"Ma Soeur Madeleine était d'une très honorable famille très estimée de Beuvilliers, près Lisieux. Sa mère, pendant la révolution, sauva la vie d'un prêtre, c'est une grâce pour une famille lorsqu'on peut dire que jamais on ne faillit à sa foi, surtout en temps de persécution, et ma soeur Madeleine pouvait le dire bien haut de sa famille. Cette chère soeur vivait heureuse parmi les siens, au milieu des travaux des champs, quand des revers de fortune l'obligèrent à s'éloigner de la maison paternelle . Ses frères établis à Paris l'appelèrent près d'eux, lui faisant espérer de la placer convenablement. Là, elle courut les plus grands dangers, mais Dieu la préserva d'une façon toute particulière et admirable . Etant revenue chez ses parents, elle s'adressa à M. l'abbé Sauvage, notre digne Fondateur, qui voyant dans sa pénitente toutes les marques d'une bonne vocation , fut heureux de donner cette jeune plante à son Carmel naissant. Entrée dans notre Monastère, ma Soeur Madeleine avec son caractère un peu vif, rachetait ce petit défaut par un coeur d'or et une humilité profonde. Elle était si charitable, si bonne aux malades, ne se ménageant pas lorsqu'il fallait passer les nuits près d'elles, son excellent jugement portait même ses Mères Prieures à lui demander certains avis et la faisait souvent dépositaire de leurs peines. On peut comprendre par ce petit aperçu la tristesse de nos coeurs, en la voyant partir sans pouvoir l'entourer ne nos prières, puisque toutes nos Soeurs étaient alitées; notre bonne Mère ne pouvait croire à ce nouveau deuil , notre bonne soeur Madeleine lui était si chère! ... et ne pouvoir l'assister au dernier moment, quel déchirement! quel sacrifice !