Carmel

Biographie Mère Hermance du Coeur de Jésus

Madelaine Hermance Pichery 1834-1898

Enfance et jeunesse

Madelaine Hermance Pichery est née le 12 février 1834 à six heures du matin. Son père, Pierre Pichery, époux de Rose Jacquette, était commer­çant à Honfleur, rue des Capucins, tout près de l'église Sainte-Catherine. Une seconde fille vint peu après enrichir ce foyer bien considéré. Toutes deux reçurent une éducation soignée et firent, dit- on, des études assez brillantes pour l'époque. Her­mance exerça le métier d'institutrice pendant quelques années avant d'entrer au Carmel de Lisieux.

Entrée au Carmel de Lisieux

Elle a vingt-quatre ans lorsqu'elle franchit la porte du Carmel le 14 mai 1858. La Prieure, Mère Aimée de Jésus, « remplit alors la promesse qu'elle avait faite à Notre-Seigneur de donner à la pre­mière postulante le nom de son Divin Coeur, ainsi elle la nomma Soeur Coeur de Jésus du Mont- Carmel » (cf. Livre des Fondations III). Dans quelques années, étant à Coutances, elle signera «Soeur Coeur de Jésus de l'Immaculée» et à son retour à Lisieux nous nous apercevons en Corres­pondance Générale II, p. 764, qu'elle a ajouté le nom de Saint Joseph.

Elle prend l'habit le 24 novembre 1858. Ce fut le supérieur du Carmel, M. Cagniard qui présida la cérémonie et donna le sermon. Une dame de Paris « offrit la somme que la communauté exigeait des postulantes admises à la Prise d'Habit», et ceci à cause du mécontentement de Mme Pichery de voir sa fille entrer au Carmel. Non seulement le prédicateur prononça quelques propos véhéments, mais il les fit imprimer. Il s'en justifie : « Pourquoi donc en ce moment me vient-il le désir de livrer à l'impression cette apologie de l'Ordre du Carmel? C'est que, dans le monde, à l'occasion de l'entrée en religion de Mlle Deschamps et de Mlle Pichery, on a dit des choses si étranges sur le couvent des Carmélites, on s'est livré à des déclamations si ridicules, qu'il m'a paru bon de répondre à ces assertions si ridicules, peu conformes aux ensei­gnements de la foi. » En même temps, dans cette apologie de la vie du Carmel, il défendait la jeune fille qui était accusée d'ingratitude envers sa mère. Soeur Coeur de Jésus fit profession le 2 décembre 1859 et prit le voile deux jours plus tard au cours d'une cérémonie que présida encore M. Cagniard. Le jour de sa profession, elle demanda dans sa prière la grâce de suivre entièrement la Règle pen­dant quinze années. « Que je regrette, disait-elle plus tard, de n'avoir pas étendu ma demande pour toute ma vie!» Quoi qu'il en soit, sa prière fut exaucée à la lettre : les 15 ans expirés, elle tomba dans une sorte d'anémie des plus pénibles (pour elle et pour les autres) qu'elle dut supporter jusqu'à sa mort.

Pendant quelques mois, de février à juillet 1866, elle exerce la charge de maîtresse des novices. Mais le 10 juillet, à la suite d'une demande ins­tante de Mgr Bravard, évêque de Coutances, elle part fonder un nouveau Carmel dans cette ville.

Au Carmel de Coutances

Mgr Bravard désirait ardemment, en effet, qu'un Carmel s'implante dans sa ville épiscopale. Or, à cette époque, Mlle Marie Dupont d'Aisy, apparte­nant à l'une des familles chrétiennes les plus en vue de la ville était entrée au Carmel de Lisieux. L'évêque pensait en lui-même que cette jeune moniale pourrait être l'un des piliers de la fonda­tion dont il rêvait. Mais le Carmel de Lisieux restait perplexe. Certes, il disposait d'un recrutement suffisant pour pouvoir essaimer, mais les moyens matériels faisaient cruellement défaut. Mme Dupont d'Aisy fit jouer ses relations et bientôt une somme suffisante fut rassemblée, permettant d'envisager l'installation du monastère projeté. Le 10 juillet 1866, M. Cagniard signait l'acte officiel : «... nous nommons Prieure de ce nouveau monas­tère la Mère Marie Aimée de Jésus, Sous-Prieure la Mère Coeur de Jésus...» Une grande épreuve allait frapper cette fondation puisque le 17 décembre 1867, la Mère Aimée de Jésus décédait à 49 ans. Mère Coeur de Jésus était nommée Prieure par intérim. La relève vint du Carmel de Poitiers qui, en décembre 1869, lui envoya trois de ses soeurs dont Mère Émilie de Saint-Ange en qualité de Prieure. Il semble bien d'ailleurs que Mère Coeur de Jésus ait rencontré de nombreuses difficultés durant son Priorat. Elle demeura à Coutances jusqu'en juillet 1882, époque à laquelle elle revint au Carmel de Lisieux.

Retour à Lisieux

Sa santé était déjà gravement ébranlée; en proie à la neurasthénie, elle devait rendre le service des infirmières parfois pénible. Parmi celles-ci Soeur Geneviève qui cherchait à éviter de passer devant la fenêtre de la malade ! Il semble cependant que la maladie était seule responsable de ces « mille bizarreries», car la circulaire nécrologique montre une Mère Hermance du Coeur de Jésus «d'une charité poussée jusqu'à la plus exquise délica­tesse », parlant « fort aimablement, avec cet esprit fin et délicat qui la caractérisait». Le Père Godefroid Madelaine écrira à Mère Marie de Gonzague en évoquant Mère Coeur de Jésus : « A travers [elle] brillait un coeur excellent et une intelligence très fine. Dieu lui fera miséricorde, espérons-le en toute confiance. Elle souffrit beau­coup : sans nul doute, ce fut son purgatoire anti­cipé. »

La feuille de présence des Carmélites de Lisieux évoque (CG II, pp. 1 172-1 173) Mère Coeur de Jésus, « religieusement abandonnée au bon plaisir de son divin Époux sur l'autel de la Croix où la cloue un état incessant de souffrance et de fai­blesse en la laissant toujours paisible et souriante. Modèle parfait de l'esprit religieux, de l'amabilité et de la bonté personnifiée ». Le dictionnaire des noms propres (CG II, p. 1203) résume, avec moins de charitable enthousiasme : « souffre jusqu'à sa mort d'une anémie cérébrale chronique qui éprouve la patience des infirmières. Elle manifeste une grande estime pour Thérèse. »

Avec Thérèse

Mère Coeur de Jésus connaissait déjà Thérèse avant que celle-ci ne rentre au Carmel en 1888 et malgré son handicap qui n'atténuait pas la finesse de son intelligence elle l'admirait beaucoup, nous en avons quelques témoignages. Le premier se rapporte à la dévotion, peu com­mune au Carmel de cette époque, de Thérèse pour Saint Jean de la Croix. Les soeurs s'en étonnaient qui étaient beaucoup plus attachées à leur Mère Sainte Thérèse. Mère Coeur de Jésus confia à Mère Agnès : « Est-ce possible qu'une enfant de 17 ans comprenne ces choses et en discoure d'une telle façon! C'est admirable, je n'en reviens pas! »

Soeur Geneviève dans sa déposition au Procès Apostolique témoigne dans le même sens : « Mère Hermance du Coeur de Jésus avait pour elle une grande estime et pendant la maladie de Soeur Thé­rèse, comme je l'approchais à tout moment en ma qualité d'infirmière, elle me passait sans cesse ses commissions orales où je pouvais juger de la haute opinion qu'elle avait de sa vertu. » On comprendra peut-être mieux cet attachement de la soeur quand on entend Soeur Geneviève déclarer : « Ses préférences étaient pour les soeurs les moins sympathiques; je la voyais toujours se placer auprès d'elle en récréation (...). Une malade nerveuse, d'ailleurs instruite et intelligente, avait mille bizarreries qui étaient l'épouvantail des infir­mières. C'est à son propos que Thérèse me dit : «L'emploi d'infirmière est celui qui me plairait le mieux; je ne voudrais pas le solliciter, j'aurais peur que ce ne soit présomption, mais si on me le don­nait je me croirais bien privilégiée. » Et parlant de Mère Coeur de Jésus à Soeur Marie du Sacré Coeur, Thérèse confie : « Que j'aurais été heureuse d'être son infirmière. Cela m'aurait peut- être coûté selon la nature mais il me semble que je l'aurais soignée avec tant d'amour, parce que je pense à ce qu'a dit Notre Seigneur: «j'étais malade et vous m'avez soulagé. »

C'est avec Mère Coeur de Jésus qu'est arrivé l'épi­sode bien connu de la vie de Thérèse. Celle-ci avait plaisir à déposer devant la statue de l'Enfant Jésus du cloître des fleurs odorantes. Or Mère Coeur de Jésus était incommodée par les parfums. Celle-ci l'ayant vue placer une belle rose au pied de la statue l'appela dans l'intention évidente de la lui faire retirer. «A ce moment, dit Thérèse, devinant sa méprise, j'éprouvai un vif désir de lui faire constater son erreur; car la rose était artificielle. Mais Jésus m'avait demandé le sacrifice de ce petit triomphe. Prévenant toute réflexion je pris la fleur et je lui dis : « Voyez, ma Mère, comme on imite bien la nature, aujourd'hui ne dirait-on pas que cette fleur vient d'être cueillie dans le jardin ? » Vous ne pouvez vous imaginer, ajoutait-elle, ce que cet acte de charité m'a été doux et ce qu'il m'a donné de force. »

Pendant la dernière maladie de Thérèse, on lisait au réfectoire la vie de Saint Louis de Gonzague, Mère Coeur de Jésus fut frappée de l'amitié qui unissait le jeune saint à un père âgé de sa commu­nauté, le Père Corbinelli : « C'est vous le petit Louis, dit-elle à Thérèse, et moi je suis le vieux Père Corbinelli; quand vous serez au ciel, souvenez-vous de moi!»

« Voulez-vous, ma Mère, que je vienne bientôt vous chercher?

— Non, pas encore, je n'ai pas assez souffert.

— O ma Mère, moi je vous dis que vous avez bien assez souffert! ... »

Et Mère Coeur de Jésus, en bonne carmélite, répondit: «Je n'ose encore vous dire oui... Pour une chose aussi grave, il nous faut la sanction de l'autorité. » La Prieure ne vit qu'une boutade dans ces propos que la religieuse avait pris très au sé­rieux et donna une réponse affirmative. Or, dans les derniers jours de la vie terrestre de Thérèse, Mère Coeur de Jésus lui envoya par l'infir­mière un bouquet de fleurs et Thérèse lui fit dire en remerciement : « Dites à Mère Coeur de Jésus que, ce matin, pendant la messe, j'ai vu la tombe du Père Corbinelli tout près de celle du petit Louis ». « C'est bien, répondit l'ancienne, dites à Soeur Thé­rèse que j'ai compris!»

Après la mort de Thérèse

A partir de ce moment, Mère Hermance du Coeur de Jésus resta persuadée de sa mort prochaine. Le 17 octobre 1898 elle fut prise d'un rhume qui dégénéra en bronchite, elle ne cessait alors de rap­peler la prophétie de Thérèse et ne paraissait pas craindre la mort.

Malgré une légère amélioration de son état, elle mourut dans la nuit du 30 octobre, un an après sa jeune soeur qu'elle admirait et aimait tant, sans connaître les angoisses des derniers instants, mais très paisiblement et à l'étonnement de toutes les soeurs et du médecin qui ne prévoyaient pas une issue si rapide.

Sa notice nécrologique conclut : « De si longues années de souffrances supportées avec amour, ne sont-elles pas un véritable purgatoire ? »

P. Gires