Carmel

8 décembre 1896 – Chalon-sur-Saône

 

Ma Révérende et très Honorée Mère,

Paix et très humble salut en Notre-Seigneur.

C'est au pied de la Croix de ce Divin Maître, que nous venons recommander à vos prières l'âme de notre chère soeur Annette-Thérèse Vallot, tertiaire de notre saint Ordre et tourière agrégée de notre Communauté.

Elle était âgée de 71 ans 3 mois, dont 33 dépensés au service de sa chère famille religieuse.

Nous eussions voulu, ma Révérende Mère, vous esquisser fidèlement les traits caractéristiques de cette physionomie si bonne et si simple. Nous ne le ferons pas, mais nous croyons du moins pouvoir résumer la vie entière de cette excellente soeur en ces quelques mots : Douceur et cha­rité pour tous, dévouement sans borne pour notre Com­munauté.

Née à Serrigny, petite commune de notre diocèse, notre chère soeur appartenait à une famille honnête et chrétienne, où elle puisa, de bonne heure, cette foi simple et cette tendre piété qui furent le cachet particulier de toute sa vie.

Elle perdit son père étant encore jeune, et sa mère restée veuve avec trois enfants vint se fixer dans notre ville.

Annette était, la plus petite, et une grande différence d'âge existait entre elle et sa soeur ; à peine commençait- elle son apprentissage, que déjà son aînée se plaçait comme domestique chez un prêtre. C'est dans la pratique assidue des plus humbles devoirs de la famille et de la charité à l'égard des pauvres que se passa la jeunesse de notre soeur.

En effet, douée d'un coeur compatissant et tendre, Annette commença de bonne heure cette vie de dévouement qui semblait être le besoin instinctif de son âme. Elle savait l'exercer, non seulement envers les membres de sa famille, mais encore, bien que pauvre elle-même, envers ceux qu'elle voyait plus dénués de ressources et plus malheu­reux.

Restée seule après la mort de sa mère, elle se dévoua tout entière au soulagement d'une famille honorable que des revers de fortune avaient réduite à la misère. Un membre de cette famille, une pauvre enfant se mourait de la poitrine. Annette se fit son ange gardien, elle l'entoura de soins, de prévenances, pourvut à tous ses besoins, et cela pendant des années avec le seul fruit de son travail.

Ignorant le bien qu'elle faisait, notre chère soeur semblait ne pas se douter qu'elle pratiquait ainsi la charité jusqu'à l'héroïsme. Cela n'empêcha pas l'admiration générale de se produire d'une façon providentielle et bien inattendue. Une vénérable dame de notre ville, Mme B*** mère du dé­puté actuel de Chalon-sur-Saône, universellement estimée et regardée comme une sainte, obtint pour elle une pension de 200 fr., qui lui fut payée exactement jusqu'au jour de son entrée en religion.

Cependant, ma Révérende Mère, les années s'écoulaient sans qu'Annette songeât à prendre un autre parti pour son avenir. Heureuse de sa vie si bien remplie par la charité, elle ne cherchait ni ne désirait autre chose.

Mais Notre-Seigneur la voulait toute à lui. Il voulait récom­penser sa fidèle servante par le bienfait de la vie religieuse.

Ce fut notre chère soeur tourière Marie Petit qui fut l'ins­trument dont la Divine Providence se servit pour accomplir ses desseins. Elle connaissait Annette, et elle aimait, dans leurs causeries intimes, à l'entretenir de la joie de se consacrer sans réserve à Notre- Seigneur par la vocation religieuse. L'humble fille pria, consulta et vint s'offrir simplement à nos anciennes Mères. Elle avait 38 ans.

Elle se montra, dès le début de sa vie religieuse, ce qu'elle devait être toujours: pleine d'affection, de respect et de dévouement pour ses Mères Prieures et ses soeurs. Bonne et prévenante pour ses compagnes, elle étudiait tout ce qui pouvait leur faire plaisir ou leur être agréable. Âme de paix, elle ne discutait jamais et acquiesçait facilement aux manières de voir de ceux qui l'entouraient. Indulgente et vraiment charitable, elle ne jugeait mal de personne, savait excuser .les torts de chacun,, et nous croyons pouvoir assurer que jamais on ne lui entendit dire la moindre parole qui pût blesser la charité.

Avec quelle bonté notre bien-aimée soeur n'accueillait- elle pas tous ceux, et ils étaient nombreux, qui venaient lui confier leurs épreuves de toutes sortes, leurs chagrins! A cette bonne âme la compassion était si naturelle et si vraie ! Elle s'ignorait si bien elle -même, qu'elle n'en était que plus simple à dire à chacun le mot qui console, qui encourage, et qui rend l'espoir.

Et cela ne nuisait en rien à son affection pour sa Commu­nauté. Tout ce qui nous touchait lui allait au coeur, et elle ressentait profondément nos peines et nos joies. Elle était surtout heureuse de voir souvent sa Mère Prieure et ne savait comment lui exprimer sa reconnaissance et son dévouement.

A l'amour de sa Communauté et des malheureux notre bonne soeur joignit toujours une grande dévotion aux âmes du Purgatoire. Pour les soulager, rien ne lui coûtait, et sa plus douce satisfaction était de pouvoir leur procurer le bienfait du Saint Sacrifice. Que de prières, de chemins de croix, de pratiques ne fit-elle pas pour la délivrance de ces saintes âmes ! Aussi, aimons-nous à penser qu'à leur tour elles lui auront ouvert les portes du Paradis, et que tout ce qu'elle a fait pour les vivants et pour les morts notre Divin Maître, aujourd'hui, le lui rend au centuple.

Depuis longtemps déjà, ma Révérende Mère, ma soeur Thérèse était assez souvent fatiguée. Elle se soutenait cependant, entourée de beaucoup de prévenances et de soins par ses compagnes. Mais la mort de notre chère soeur Marie Petit, arrivée au mois de janvier 1891, fut pour elle un coup terrible. Dès lors, ses forces physiques et morales baissèrent sensiblement. De légères, mais fréquentes con­gestions au cerveau nous alarmaient, non sans raison. Néanmoins, elle pouvait encore s'occuper de la chapelle ; elle initia même ses jeunes et nouvelles compagnes aux différents travaux qui occupent nos soeurs tourières.

A partir de ce moment toutefois, il fallut la surveiller, la suivre de près : une congestion plus grave était à craindre et pouvait se produire à chaque instant. Au mois d'avril dernier, l'affaiblissement cérébral s'ac­centua de plus en plus chez notre pauvre soeur. Ses jeunes compagnes devinrent pour elle de vraies mères ; c'est le nom que la vénérable doyenne redevenue enfant aimait à leur donner, et certainement elles le méritèrent par. leur dévouement et leur patience.

Les nuits de ma soeur Thérèse devinrent de plus en plus pénibles et nous dûmes faire appel à la charité des Reli­gieuses de Bon-Secours. Malgré leur petit nombre, et sans tenir compte de fatigues déjà trop grandes, elles voulurent bien partager avec, nos soeurs tourières le soin de veiller notre chère infirme. De nouveau nous voulons leur exprimer ici toute notre reconnaissance. Cependant, ma Révérende Mère, le mal suivait son cours. Au commencement de novembre, la faiblesse de la pauvre malade devint de plus en plus grande. Ses cris presque continuels faisaient deviner de grandes souffrances, aux­quelles, hélas! nous ne pouvions apporter aucun remède.

Enfin, la délivrance approchait pour notre bien-aimée soeur. Elle avait toujours craint la mort et surtout les jugements de Dieu. Cette crainte avait été la peine de toute sa vie, et si nous y joignons les souffrances que lui firent éprouver son coeur aimant et sa nature très impressionnable nous aurons fait connaître le fond sur lequel la Divine Pro­vidence exerça constamment ses miséricordieuses rigueurs. Mais à cette heure suprême, notre bon Maître voulut épar­gner à sa servante les dernières angoisses, et il permit que le samedi 21 novembre au matin elle reçût, dans une grande paix et avec une connaissance suffisante le Saint Viatique et l'Extrême-Onction.

Peu d'heures après, le calme parut se faire aussi dans son pauvre corps usé : elle ne criait plus, mais sa poitrine hale­tante disait assez qu'elle était toujours en proie à de grandes souffrances. Ainsi se passa la journée du samedi et une partie de la nuit du dimanche.

Vers trois heures du matin, la religieuse qui la veillait constata qu'elle baissait visiblement. Mais cet état semblait vouloir se prolonger, car quand nous nous rendîmes au tour à 5 heures 1/2, rien ne faisait encore prévoir un dénouement prochain. Nous allâmes donc au choeur pour réciter, avec celles de nos soeurs qui s'y trouvaient déjà, les prières des agonisants. Nous n'eûmes pas le temps de les achever, bientôt un coup de cloche nous annonçait que tout était fini. Notre bonne et chère soeur Thérèse était dans son Éternité, Il était 6 heures.

Ses funérailles eurent lieu le lendemain et notre chapelle pouvait à peine contenir la foule venue pour rendre les der­niers devoirs à celle qui avait été si bonne pour tous. Nous avons la douce confiance que les grandes souffrances de ma soeur Thérèse auront plaidé sa cause auprès du souverain Juge, cependant comme le Dieu jaloux découvre des taches même dans ses Anges, nous vous prions, ma Révérende Mère, de vouloir bien faire offrir pour elle le Saint Sacrifice.

Nous vous en serons profondément reconnaissante ainsi que de tout ce que votre charité vous suggérera d'ajouter pour le repos de son âme.

C'est dans l'amour de Notre-Seigneur et de Marie Immaculée, notre divine Mère, que nous avons la grâce de nous dire avec un religieux respect.

Ma Révérende et très honorée Mère, Votre très humble servante.

Soeur Louise de Jésus.

R. C. Ind.

De notre monastère de l'Incarnation et de notre Père saint Joseph, des Carmélites de Chalon-sur-Saône; ce 8 décembre 1896.

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