Carmel

7 novembre 1895 – Cahors

Ma Révérende et très honorée Mère,     

Paix et très humble salut eu Notre Seigneur, dont la volonté infiniment sainte, vient de briser sensiblement nos coeurs, en nous demandant, en moins de trois mois' un troisième sacrifice, en appelant à Lui, notre très chère soeur Marie-Anastasie- Basiline-Thérèse du Saint-Sacrement. Elle était âgée de 43 ans, 6 mois et avait 21 ans et 9 jours de religion.

Notre chère Soeur Marie du Saint-Sacrement, avait eu le bonheur de naître d'une famille honnête et chrétienne dans une paroisse de notre diocèse, où la foi et la religion sont héréditaires. Le père de notre chère Soeur, fervent chrétien, ne recevait jamais des ouvriers dans sa maison sans leur dire qu'ils fissent attention de ne rien dire, ni rien faire devant ses enfants qui pût les mal édifier, sans quoi il ne pour­rait les garder. Ce bon père, qui affectionnait si tendrement ses enfants, n'allait jamais prendre son repos, sans les avoir bénis ; plus tard, quand ils eurent quitté la maison paternelle, il se tournait du côté de leur habitation et demandait à Dieu, en les bénissant, de les conserver bons chrétiens. D fit la mort d'un Patriarche, après avoir reçu les Sacrements de notre Mère la Sainte Eglise.

La mère, pieuse et fervente chrétienne, ne négligea rien pour élever ses enfants dans l'amour et la crainte du Seigneur. Sa mort fut celle d'une sainte ; un moment avant de rendre son dernier soupir, elle chantait le Magnificat avec une voix si douce et si mélodieuse que sa plus jeune fille, qui la tenait alors dans ses bras, disait, en le racontant à ses soeurs, n'avoir jamais entendu une aussi belle voix, et. après le dernier verset, elle rendit sa belle âme à Dieu.

Les frères et les soeurs de notre chère Soeur, suivent les traces de leurs pieux parents et sont l'édification des paroisses qu'ils habitent, par leur grand esprit de foi, par leur probité et leurs sentiments religieux.

Notre jeune Basiline était la joie et la consolation de la famille ; tous l'aimaient et la chérissaient avec tendresse, à cause de sa prévenance qui la faisait aller au-devant de tout ce qui pouvait leur faire plaisir ; sa modestie ravissait tous les coeurs ; on aimait à se dire : la petite Basiline sera un jour religieuse.

Son éducation fut confiée aux religieuses du Calvaire de Limogne. C'est dans cette sainte maison que, sous la direction de la bonne Mère Vincent, une des pre­mières fondatrices de cette pieuse Congrégation, elle se forma à la piété. Cette digne Maîtresse conçut une sainte affection pour sa jeune élève, prévoyant bien que le bon Dieu avait des desseins tout particuliers sur cette âme d'élite ; aussi mit elle tous ses soins pour seconder les saintes dispositions dont le Seigneur l'avait douée. Basiline était un sujet d'édification pour toutes ses compagnes, par son application, sa docilité, sa soumission et sa piété ; toutes l'aimaient et h chérissaient comme une soeur.

Toujours la première en tout elle faisait la joie et la consolation de ses dignes mai- tresses La jeune élève ne tarda pas à entendre la voix du Seigneur, qui l'appelait à la vie religieuse. Edifiée par les bons exemples qu'elle avait sans cesse sous les yeux, elle ne songea plus qu'à se fixer parmi elles ; un peu plus tard elle prit le saint habit et pendant son noviciat elle fût chargée de faire la classe dans une paroisse, non loin de notre ville, où elle s'attira l'estime de tous les habitants. Malgré tout le bonheur qu'elle éprouvait dans cette Communauté elle sentait un vide au fond j» son âme ; il lui semblait que le bon Dieu, l'appelait à un genre de vie plus solitaire.

Peu après ayant appris qu'une de ses soeurs voulait entrer dans notre Carmel, ce fut pour elle comme un trait de lumière ; elle se dit : puisque ma soeur veut être fille de Sainte Thérèse pourquoi ne le serais-je pas moi-même. Elle fit part de ses dispositions à ses Vénérés Supérieurs, qui, après un sérieux examen, crurent voir la volonté du bon Dieu. Cependant Monseigneur, notre digne Evêque, voulant éprouver l'obéissance de la novice lui dit : Ma chère fille, si je vous disais de rester avec les religieuses du Calvaire ? Monseigneur, répondit-elle sans hésiter, j'y resterais. Alors Sa Grandeur, ajouta : eh bien, j'autorise votre entrée au Carmel, loin de m'y opposer.

Dès ce moment ne doutant plus de sa vocation elle s'empressa de venir nous demander de vouloir bien l'admettre parmi nous. Croyant reconnaître en elle les marques d'une vraie et solide vocation nous lui fîmes espérer que nous la recevrions après en avoir obtenu la permission de Monsieur notre digne Su­périeur ; le jour de son entrée fut fixé et la jeune postulante au comble de la joie.

Après avoir passé quelques jours dans sa famille, elle fit son entrée parmi nous, le 8 septembre; sa soeur vint la rejoindre deux mois plus tard. Notre chère postulante ne fut pas plutôt dans l'arche sainte que son coeur déborda de bonheur et de reconnaissance, en se voyant au milieu des filles de notre Mère Sainte Thérèse. Elle se mit avec ardeur à la pratique de toutes les vertus religieuses et de toutes nos saintes observances.

La Communauté étant très satisfaite de ses bonnes dispositions l'admit au saint habit et à la grâce de la sainte profession, aux temps ordinaires.

Le billet ci-joint, que nous avons trouvé parmi ses papiers, vous fera connaître, ma Révérende Mère, les sentiments dont elle était animée au début de sa vie reli­gieuse, et elle ne se démentit jamais :

"Je, soeur Marie-Thérèse du Saint Sacrement, sous la protection de la très Sainte Vierge, ma bonne Mère, de notre bon Père Saint Joseph, de notre Mère Sainte Thérèse, au nom de la très sainte et très adorable Trinité, en face de toute la cour céleste, promets à Notre Seigneur Jésus-Christ, mort sur la Croix pour mon amour, je lui promets amour et fidélité jusqu'à la mort, avec l'aide de sa grâce surabondante, qu'il m'a méritée, et le secours des saintes prières de mes bonnes Mères et de toutes mes soeurs ; je promets à mes vénérés et très dignes Supérieurs, et à notre Révérende Mère prieure, je leur promets et à tous ceux et celles qui, plus tard, me tiendront lieu de Supérieur et de Mère, je leur promets amour, respect, obéissance, docilité ; de suivre toujours leurs sages et prudents conseils, de remplir leurs désirs, desquels j'aurai connaissance, par le désir ardent que j'ai d'être leur consolation ; je travaillerai avec la grâce de mon bien aimé Sauveur, à propager et à augmenter dans cette sainte communauté l'esprit de charité, qui y règne, par mes pensées, paroles et actions ; je désire, et veux sincèrement pratiquer toutes les vertus qu'on m'a toujours recommandées ; je serai enfant, tâchant de reproduire les aimables vertus de la Sainte-Enfance : simplicité, candeur, innocence, souplesse, docilité ; je serai comme elle sans nul souci, ni pour le présent, ni pour l'avenir, ni pour le temps, ni pour l'éternité ; je me reposerai comme un enfant, dans les bras de mon père céleste et sur le coeur de mon fidèle époux. J'ajouterai à toutes ces promesses, que je viens de faire, toutes celles que ma bien aimée Mère souhaite que je prenne : l'humilité, je vais dès ce moment m'y exercer, car jusqu'ici je l'ai méconnue ; j'y serai d'autant plus fidèle que c'est la résolution de ma dernière retraite. Ce saint contrat que je viens de passer et que je ratifie de tout mon coeur, fait toute ma joie. Je suis trop heureuse, ô mon Dieu, que vous me l'ayez demandé ; je le place dans votre Sacré Coeur, et je vous prie de l'accepter comme le plus cher gage de mon éternel amour. Il me plaît infiniment, ô mon très doux Jésus, de devenir votre épouse, et de vous avoir pour époux ; je vous jure une éternelle fidélité. Merci mille fois, ô mon Dieu, de m'avoir appelée dans ce bien aimé Carmel, dont je suis la très-indigne novice ; que toutes les créatures vous disent pour moi amour et reconnaissance dans tous les siècles. Comblez de vos plus surabondantes bénédictions tous mes dignes Supérieurs et mes très bonnes mères, pour tous les bienfaits que j'en ai reçus, que j'en reçois et que j'en recevrai. Amen.
Soeur Marie-Thérèse du Saint-Sacrement."

Nous pouvons vous dire, ma Révérende Mère, que notre chère soeur a été fidèle à ses résolutions jusqu'à son dernier soupir. Régulière, silencieuse, pratiquant l'esprit de mort en toute occasion, ne s'occupant que de ses devoirs ; bonne, cha­ritable et dévouée pour toutes ses mères et soeurs ; on ne lui a jamais entendu dire une parole tant soit peu contraire à l'esprit de la plus parfaite charité. Elle mettait l'entrain dans toutes nos fêtes de famille, par son caractère enjoué, compo­sant avec esprit des couplets de circonstance ; laborieuse, toujours des premières aux travaux communs. Douée d'une adresse extraordinaire pour toutes sortes d'ou­vrages, rien ne l'embarrassait ; les plus fines broderies, dont elle a été chargée pen­dant sa trop courte vie, sortaient de ses mains avec une perfection achevée. Il y a 4 ans environ, elle fut élue à la charge de première dépositaire, emploi dont elle s'est acquittée jusqu'à sa mort, avec intelligence et un entier dévouement. Elle avait un attrait tout particulier pour l'office divin : sa voix belle et forte nous était d'un grand secours pour le choeur ; quel sacrifice elle eut à offrir au Seigneur, lorsque sa maladie vint la priver de cette douce consolation. Jésus, dans le très Saint Sacrement, faisait ses délices ; son plus grand bonheur était de lui tenir compagnie tout le temps que ses occupations le permettaient. Mais, ma Révérende Mère, c'est surtout son ardent désir pour la Sainte communion qui était remarqua­ble. La faim insatiable qu'elle avait de ce pain de vie lui aurait fait surmonter toutes les difficultés.

Depuis son entrée parmi nous, quoique d'un tempérament faible, notre chère soeur a pu soutenir nos saintes observances. Au mois de février de cette année, elle fut prise d'un gros rhume ; une toux opiniâtre, que rien ne pouvait calmer la fatiguait beaucoup ; peu après des douleurs et une enflure au pied gauche se déclarèrent, et malgré les soins assidus de Messieurs nos dévoués Docteurs, rien ne put enrayer le mal, qui augmentait de jour en jour. On constata la carie de l'os, et dès lors notre chère soeur dut se résoudre à rester assise sur son lit, tout en s'occupant de son ouvrage, car elle ne voulait pas perdre un seul instant.

Notre chère soeur, n'a cessé de nous édifier par sa patience, sa résignation à la sainte volonté de Dieu, ne se plaignant jamais, accueillant toujours nos soeurs avec un doux sourire.

Malgré ses souffrances, notre chère soeur, a pu se rendre à la grille de l'infirmerie pour y faire la sainte communion et entendre la sainte messe jusqu'à ses derniers jours. Cependant voyant que la faiblesse augmentait de jour en jour, nous lui pro­posâmes de lui faire porter le bon Dieu, dans son infirmerie ; elle nous disait toujours qu'elle pouvait aller à la grille afin de n'être pas privée de recevoir presque tous les jours son divin époux.

Le 13 octobre la voyant plus oppressée et ne pouvant que très difficilement la comprendre nous priâmes Monsieur notre digne et si dévoué confesseur, d'avoir la bonté de venir lui administrer les derniers sacrements ; elle les reçut avec les plus grands sentiments de foi et de piété. La nuit du mercredi elle fut très agitée, et depuis ce moment sa maladie fit de rapides progrès. Le jeudi matin Monsieur notre digne Chapelain lui apporta le Saint Viatique, depuis ce moment elle ne donna plus aucun signe de connaissance ; le samedi vers six heures du soir la voyant à toute extrémité nous priâmes notre dévoué Chapelain de vouloir bien entrer pour lui donner une dernière absolution ce qu'il fit à l'instant, en lui renouve­lant l'indulgence de la bonne mort. Vers sept heures la communauté se rendit à l'infirmerie peur faire de nouveau les prières du manuel ; à ces paroles : que les choeurs resplendissants des anges accourent à sa rencontre, elle leva les yeux au ciel et rendit doucement son âme à Dieu, tenant dans ses mains le Christ et le cierge béni.

Malgré la douce confiance que nous avons, Ma Révérende Mère, qu'après une vie si bien remplie notre chère soeur jouit déjà du bonheur du ciel.

Nous vous prions néanmoins de vouloir bien ajouter aux suffrages déjà demandés une communion de votre Sainte Communauté une journée de bonnes oeuvres, le Via Crucis, l'indulgence des six Pater, une invocation à notre Sainte Mère Thérèse et à tous les Saints Patrons notre bonne soeur du Saint Sacrement vous en sera très reconnaissante ainsi que nous qui avons la grâce de nous dire au pied de la croix, avec le plus profond respect.

Ma Révérende et très honorée Mère,

Votre très humble soeur et servante.

Soeur Marie de Saint Miguel.

De notre Monastère de la Sainte Famille et de notre Sainte Mère Sainte Thérèse des Carmélites de Cahors, ce 7 novembre 1895.

Cahors, imprimerie F. Plantade.

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