Carmel

6 octobre 1895 – Chalon-sur-Saône

 

Ma révérende et très honorée mère,

Très humble et très respectueux salut en Notre Seigneur Jésus-christ, qui vient d'affliger sensiblement nos coeurs en appelant hier à lui notre chère Soeur Jeanne Marie des Anges et de l'Immaculée Conception, professe de notre Communauté, âgée de 73 ans, 8 mois, 9 jours, et de religion 45 ans, 1 mois, 11 jours.

Notre bien-aimée Soeur avait demandé souvent avec instances qu'on ne lui fit de circulai­re que pour réclamer les suffrages de notre saint Ordre; en 1892, étant gravement atteinte de l'influenza, elle nous fit promettre d'accéder à son désir; enfin hier, nous trouvions, avec la formule de ses voeux, un billet demandant humblement qu'on ne fit mention d'elle que pour solliciter les prières des soeurs, sans même donner de détails sur sa dernière mala­die. Sur le même billet, après les dates de son baptême, de son entrée en Religion, de sa Vêture, de sa Profession et de sa Prise de Voile, qu'elle conservait si religieusement, on lisait : « O mon Dieu ! que vous rendrai-je pour tous vos bienfaits et pour l'excès de vos miséricordes à mon égard ? Oh ! que j'ai peu répondu aux grâces sans nombre dont j'ai été comblée ; et au revers de la formule de sa Profession : Sacrifice pour sacrifice. Vie pour vie. Mort pour mort. Amour pour amour !

Notre chère Soeur demandait qu'on ne donnât pas de détails sur sa dernière maladie. Hélas! ma Révérende Mère, elle n'a pas été malade. Très affaiblie depuis longtemps et plus affaissée depuis quelques mois, son bon et fort tempérament lui permettait encore d'assister à la plupart des actes de Communauté. Hier, elle vint donc à Vêpres comme à l'ordinaire, et nous dit quelques mots en sortant du Choeur; à 3 heures et demie on nous sonne pré­cipitamment, nous accourons, une de nos soeurs venait de trouver ma soeur Marie des Anges gisant à terre près du réfectoire où elle était allée prendre quelque chose; elle ne répon­dait pas et ne donnait même aucun signe de connaissance. M. notre Aumônier, appelé de suite, s'empressa de lui donner une dernière absolution, l'Extrême Onction et de lui appli­quer l'Indulgence in articulo mortis; nous l'entourions de nos soins et de nos prières, déjà l'agonie commençait; vers 5 heures moins un quart elle rendit son âme à son Créateur, la Communauté et nous présentes. Notre chère soeur Marie des Anges venait de succomber à une congestion cérébrale; le docteur ne put arriver que pour constater le décès.

Nous étions consternées d'une fin si soudaine, mais, si la mort avait été subite, elle n'a­vait pas été imprévue pour notre bonne Soeur qui parlait souvent de son prochain départ pour l'éternité; d'ailleurs elle s'était confessée la veille et avait communié le matin; Notre Seigneur avait donc tout disposé lui-même pour le grand voyage. Nous aimons aussi à nous consoler, eu attribuant à la maternelle protection de la très sainte Vierge son départ de l'exil en un samedi, aux premières Vêpres de la fête du saint Rosaire, et à l'heure mê­me où, dans tout l'Ordre, saluait cette divine Reine Mère de miséricorde, notre Avoca­te, notre Espérance.

Chacune de nous, ma Révérende Mère. se rappellera toujours avec quelle touchante charité notre bonne Soeur partageait ses peines et ses joies de famille. Nous étions assu­rées du concours de ses ferventes prières pour tous ceux qui nous intéressaient, pour les âmes en péril, pour nos parents et amis décédés et pour toutes les personnes que nous lui recommandions. Son dévoilement aux âmes du purgatoire, en faveur desquelles elle avait l'ait le voeu héroïque, la portait à offrir pour elles nombre d'Offices des morts, qu'elle réci­tait avec grande dévotion, comme la prière liturgique de l'Église; elle faisait encore tous les jours le Chemin de la Croix et beaucoup de prières indulgenciées.

Nous avons la confiance que notre chère Soeur Marie des Anges a reçu un favorable ac­cueil du Souverain Juge; mais comme il faut être si pur pour être admis à la Vision béatifique, nous vous prions, ma Révérende Mère, de lui faire appliquer au plus tôt les suf­frages de notre saint Ordre, et, par grâce, une communion ! de votre fervente Communauté, le Via Crucis, les 6 Pater, un Miserere (qu'elle a demandé elle-même), quelques invoca­tions à l'Immaculée Conception, aux Saints Anges, à notre Père saint Joseph, envers lequel elle a toujours eu une dévotion tendre et filiale, et tout ce que votre charité vous suggérera; nous vous en témoignons à l'avance, pour elle et pour nous, notre vive gratitude, ma Révé­rende et très honorée Mère, en vous priant d'agréer l'expression du religieux respect avec lequel nous avons la grâce de nous dire

Votre très humble soeur et servante,

Soeur Madeleine de Jésus,

R. C. ind.

De notre Monastère de l'Incarnation et de notre Père St. Joseph, des Carmélites de Chalon-sur-Saône, ce 6 octobre 1895

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