Carmel

4 Juin 1894 – Mans

 

Ma Révérende et Très Honorée Mère,

 

Paix et respectueux salut en Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui vient de nous demander un nouveau et douloureux sacrifice, en rappelant à Lui, en quelques heures, notre chère et bien-aimée soeur Marie-Elisée de SAINT-BERNARD, professe de ce Monastère : elle était âgée de 73 ans, 3 mois et quelques jours, et avait passé 47 ans et 11 mois dans la sainte Religion.

Amante Adèle de Jésus Hostie, notre chère soeur a été appelée aujourd'hui 23 Mai, veille de la fête du Saint-Sacrement, à contempler sans voile Celui qui fit le bonheur de sa vie reli­gieuse, et auquel elle tenait si fidèle compagnie lorsqu'il résidait sur son trône d'amour.

Ma Soeur Marie-Elisée de Saint-Bernard, ma Révérende Mère, naquit à Angers, d'une très honorable famille qui avait le bonheur de compter parmi ses membres plusieurs minis­tres du Seigneur. Tout enfant, elle se montra capricieuse, d'une grande indépendance de caractère, cherchant par tous les moyens à se soustraire à l'autorité ; sa bonne Mère ne comprit pas ce caractère ; elle crut pouvoir le dominer par la rigueur : elle ne fit que l'irriter. La pauvre enfant se persuada qu'elle n'était pas aimée, son petit coeur souffrit, et elle devint jalouse et dissimulée.

Madame D..., veuve de bonne heure, confiait ses inquiétudes à sa fille aînée, d'un tout autre caractère ; cet Ange de douceur cherchait, par ses sages conseils, à ramener sa petite Emilie à de meilleurs sentiments, et aussi à calmer les alarmes, un peu exagérées, de sa digne Mère, lui démontrant que la chère enfant était plus espiègle que méchante, et que le temps modifierait cette nature ardente et entreprenante. En effet, ma Révérende Mère, la grâce devait un jour transformer cette nature ; triomphe d'autant plus glorieux, qu'il sem­blait plus difficile.

Emilie grandissait ; en prévision de sa première communion, sa digne Mère prit le parti de la mettre demi-pensionnaire à l'Oratoire, établissement tenu par des Religieuses d'un réel mérite, parfaitement capables de la préparer à ce grand acte.

En conduisant sa fille, Madame D., prévint la digne Supérieure, femme d'un grand jugement, qu'elle aurait à sévir contre ce caractère indompté ; Emilie sentit son orgueil se révolter et se dit : « Ici je serai sage. » En effet, elle fut sage, mais d'une sagesse relative. Malgré ses efforts, sa nature reprenait souvent le dessus ; elle continuait à se montrer paresseuse, légère, dissipée, cherchant l'occasion de faire rire ses compagnes, et même ses Maîtresses, qui, il faut le dire, aimaient cette enfant terrible, ce petit coeur ardent. Cependant, un jour, à bout de patience, sa Maîtresse de classe la conduisit avec ses complices à Madame Cécile, la supérieure, pour recevoir d'elle une sévère réprimande; la petite coupable en était fort humiliée, mais prenant son parti en brave, elle trouve le moyen de se placer derrière le siège de la vénérée Mère et, faisant pantomime elle joint les gestes aux paroles de la bonne Supérieure ; malheureusement, la petite espiègle n'avait pas réfléchi qu'une glace placée devant la Maîtresse, reproduisait ce qui se passait dans l'appartement; quelle ne fût donc pas sa stupéfaction, lorsqu'à la fin de l'admonition, Madame Cécile l'interpelle, et lui fait compliment de ses gestes oratoires.

Cependant, les années s'étaient écoulées, Emilie devenue jeune fille rentra sous le toit maternel; son caractère s'était modifié, mais sa nature n'était pas changée : elle avait soif de liberté, aimait passionnément la toilette et tout ce qui pouvait la distraire. Abusant de la bonté de sa soeur aînée, elle lui faisait mille espiègleries; nous n'en citerons qu'un exemple : ennuyée de la voir si sage, si calme, elle résolut de la faire fâcher ; donc, pendant près d'un mois, elle déploya dans ce but toutes les ressources de son esprit : à l'heure de la prière surtout, lorsque retirée dans sa chambre, Mademoiselle Antonine épanchait son coeur aux pieds de Dieu, la jeune étourdie, qui la savait un peu scrupuleuse, trouvait mille inventions pour la distraire, puis lui disait qu'ayant mal fait sa prière, elle devait la recommencer. Cet ange de paix ne répondait que par un sourire ; enfin, un soir ses yeux se remplirent de larmes, elle les fixa sur sa cadette avec tant d'amour et de douleur, que le coeur d'Emilie eu fut trans­percé ; elle se jeta au cou de sa douce victime et lui demanda pardon. Cette fois, la petite mutine était vaincue ! Désormais, sa vertueuse soeur deviendra l'objet de son respect, de sa vénération, et l'ange tutélaire de sa vie.

Madame D., femme aussi pieuse que sage, sut créer à ses filles une vie fort agréable ; les devoirs religieux tenaient la première place à ce foyer béni, deux cousines et amies (dont l'une est entrée à la Visitation d'Angers, l'autre est restée dans le monde près de ses dignes parents), furent admises dans l'intimité. Autour de ce petit noyau, quelques personnes choisies, de nombreux Ecclésiastiques venaient se grouper et se récréer; soit à la ville, soit à la campagne, ces réunions toute cordiales étaient pleines de charme et d'entrain, le joyeux caractère de la jeune Emilie en faisait souvent les frais.

Mais un douloureux événement vint bientôt troubler le bonheur de la famille : Jésus y planta sa Croix en rappelant à lui, après une longue et cruelle maladie, la chère Antonine. La pauvre Emilie en fut profondément affligée : elle avait perdu la moitié d'elle-même. Ses chères cousines se pressaient près d'elle et lui vouèrent une affection que la mort seule a brisée, mais elle avait au coeur une blessure; blessure par laquelle le Divin Triomphateur devait entrer, afin de s'emparer de cette âme qu'il voulait toute sienne.

La joyeuse jeune fille, en effet, comprit le néant de tout ce qui passe, et sentit s'éveil­ler en elle le désir de monter plus haut; sa nature s'en étonnait, s'en effrayait ; elle avait peur de Dieu, peur d'enchaîner sa chère liberté ; aussi était-elle bien décidée à lutter, si jamais elle se sentait appelée à la vie religieuse.

Plusieurs années se passèrent ainsi ; la lumière brillait à ses yeux ; Jésus, le Tout de son âme, se penchait à l'oreille de son coeur ; mais, bien que vaincue, elle ne voulait pas encore se rendre.

Un Révérend Père de la Compagnie de Jésus donna à Angers une Mission qui électrisa les âmes, et en ramena un grand nombre à Dieu. Mademoiselle Emilie se sentait pressée de s'adresser à lui ; mais, craignant d'entendre sortir de sa bouche l'arrêt si redouté, elle résista; néanmoins, elle ne pouvait retrouver la paix ; poursuivie le jour et la nuit, elle cher­chait à se distraire en s'occupant de sa toilette, en multipliant ses parties de plaisir : tout fut inutile. Qui peut lutter avec le Bien-Aimé !   

Enfin, n'y tenant plus, elle se décida à consulter un directeur, mais elle eut bien soin de choisir celui des Ecclésiastiques qu'elle savait le moins disposé à favoriser les vocations reli­gieuses. Quels ne furent donc pas sa surprise et son trouble, lorsqu'après un court entretien, elle entendit cette sentence :

« Mademoiselle, vous ne vous sauverez pas dans le monde; vous êtes appelée de Dieu, et devez entrer en Religion le plus tôt possible ».     

A ces mots, la jeune mondaine sentit tout en elle se révolter : cette liberté qui lui était si chère, Il fallait donc l'aliéner pour toujours ? Puis sa pauvre Mère allait rester seule, abso­lument seule ?  

Le combat fut terrible ; cette parole : « vous ne vous sauverez pas dans le monde » la poursuivait!... Enfin, Jésus l'emporta, et la courageuse jeune fille ne songea plus qu'au moyen d'exécuter son projet. Le Carmel du Mans, dont elle avait entendu parler, lui apparut comme l'Arche sainte ; y ayant été acceptée, elle disposa tout en secret, sachant que jamais sa digne Mère ne lui donnerait son consentement; elle avait alors 25 ans.

Mademoiselle Emilie confia ses projets à une dame, amie de sa Mère, et la supplia de la conduire au Mans ; le 24 Juin 1846 elles frappaient à la porte du Monastère. La Révérende Mère Emmanuel, alors en charge, charmée de la générosité de cette chère Postulante, la reçut avec grand bonheur, et la fortifia dans les luttes intimes qu'eut à soutenir son coeur de fille : en effet, ma Révérende Mère, bien que très chrétienne, Madame D., regardant comme une ingratitude et un manque d'affection le départ de sa fille, rompit entièrement avec elle, et ce ne fut qu'après de longues années qu'elle consentit à revoir son Emilie, devenue Soeur Marie- Elisée de Saint-Bernard. La réconciliation fut aussi touchante que complète, et jusqu'à la fin de sa vie, cette bonne Dame venait chaque année passer quelques jours près de sa chère fille, lui apportant toujours quelque petit présent.

Notre chère Soeur Marie-Elisée embrassa avec un grand courage tous les usages et obser­vances de la Sainte Religion : dès le début, elle se montra régulière, zélée pour l'Office Divin, amie du silence et de l'Oraison, ardente au travail, et amante de la Sainte Pauvreté. Mais, jouissant alors d'une bonne santé, elle ne comprenait pas les soulagements parfois nécessaires, se montrait d'une grande raideur, d'un jugement sévère ; et souvent une plaisanterie, une parole piquante venaient stigmatiser la personne, ou la chose qu'elle désapprouvait.

Jésus, le Divin Sculpteur se chargea d'ébaucher en cette chère âme les vertus que, plus tard, nous devions y voir briller d'un vif éclat : pour cela il se servit du double ciseau de la souffrance et de l'impuissance : en effet, peu de temps après l'émission de ses saints voeux, elle tomba dans une grave anémie dont elle ne guérit jamais ; cet état de faiblesse devint pour elle la source de continuelles souffrances et aussi de nombreux mérites.

En la marquant ainsi du sceau de sa Croix, Jésus voulait assouplir son caractère, et lui faire comprendre par sa propre expérience jusqu'à quelle délicatesse doit aller la charité frater­nelle. Notre bien-aimée Soeur entra dans les vues de la Providence et, dans les divers emplois de Dépositaire, Provisoire, Robière, etc... qu'elle remplit, elle sut toujours allier les exigences de la sainte pauvreté aux largesses d'une aimable et gracieuse charité; aussi était-elle aimée de toutes ses Mères et Soeurs, qui volontiers s'adressaient à elle dans leurs besoins.

Son esprit d'ordre et de propreté lui suggérait mille inventions précieuses dans les offices dont elle était chargée, particulièrement en celui de première Sacristine, où sa piété trouvant des délices, lui faisait, en partie, oublier les fatigues qu'il impose. Son âme se nourrissait des beautés de la Sainte Liturgie ; passionnée pour l'office Divin, elle s'était, dés son entrée en Religion, mise avec ardeur à l'étude des rubriques, pour lesquelles elle avait une réelle aptitude et qu'elle possédait très bien, ce qui la rendait d'une grande ressource pour nos chères Mères Sous-Prieures ; de plus, son assiduité aux saints exercices, sa voix forte et résis­tante, en faisaient un des meilleurs soutiens du choeur.

Notre chère Soeur Marie Elisée, ma Révérende Mère, avait une tendre et filiale dévotion envers la Sainte Vierge, elle lui confiait toutes ses peines et difficultés : lorsqu'elle entrait dans un Office, elle l'élisait première officière, la chargeant de tout disposer pour que les choses se fissent parfaitement, et au temps voulu, lui promettant en retour, d'éviter toute préoccupation nuisible à ses exercices de piété. A la mort de sa vénérable Mère, elle demande à Monseigneur, notre Supérieur, la permission de faire élever, dans notre enclos, un joli Ermitage en l'honneur de Marie-Immaculée ; cette faveur lui ayant été accordée, elle en fut très heureuse, ainsi que la Communauté, qui lui en demeure fort reconnaissante. Nos Révérendes Mères la chargèrent du soin de cette petite chapelle; il était touchant de voir cette chère Soeur, déjà souffrante, cultiver à grand'peine, des fleurs pour parer l'autel de sa bonne Mère; lorsque ses infirmités s'aggravèrent elle se dirigeait péniblement, appuyée sur un bâton, chargée des objets dont, au prix de tant de fatigues, elle devait orner le pieux sanctuaire; elle ne renonça à ce consolant office que lorsque ses jambes lui refusèrent absolument leur service. Combien alors furent touchants les adieux qu'elle fit à cette tendre Mère!...

Comme la goutte d'eau qui tombe incessamment sur la pierre y creuse sa place; de même la souffrance avait aussi fait son oeuvre en cette chère Soeur ; son heureux caractère, secondé par la grâce l'avait conduite à une voie de confiance et d'abandon envers Notre-Seigneur; cependant, ma Révérende Mère, l'heure allait sonner où la marche de cette chère âme allait devenir plus rapide.

Son Divin Epoux se présenta de nouveau avec sa croix ; cette fois il la plaça sur son épaule ; elle fut si pesante, que notre chère Soeur dût quitter sa cellule pour se rendre à l'Infirmerie et y subir de douloureuses opérations. La pensée d'être sous la dépendance des Soeurs Infirmières ne fut pas le moindre de ses sacrifices ; mais elle fut à la hauteur de l'épreuve et se montra parfaitement religieuse, toujours satisfaite de tout ce que l'on faisait, et joyeuse s'il se glissait quelque oubli.

Disons-le en passant, ma Révérende Mère, tout en restant dans l'obéissance, ma soeur Marié Elisée avait le secret de faire souvent tourner les choses selon son désir; il semblait vraiment que Notre-Seigneur se mettait de la partie; parfois, nous nous en amusions en récréation, disant que le bon Dieu avait peur de la contrarier; elle en riait, et répondait très aimablement : « Que voulez-vous, je confie à Notre-Seigneur et à sa sainte Mère tous mes désirs, puis je m'abandonne, et ils font ce qu'ils veulent ».

Aussitôt guérie, elle revint avec bonheur dans sa chère cellule, centre de la Carmélite, reprit sa place au choeur, mais cette trêve dans la souffrance ne fut pas de longue durée : malgré tous les soulagements prodigués à notre chère Soeur, l'hypertrophie était devenue générale, ses pauvres jambes lui refusèrent tout à coup leur service, et, pendant plusieurs mois, elle fut étendue sur son lit, bénissant Dieu, comme le saint homme Job, de tout ce qu'il lui envoyait!... Notre bon Docteur, toujours si dévoué, en était fort édifié.

Cette maladie fut pour notre bien-aimée Soeur, l'heure de la grâce par excellence : aidée du Révérend Père de Gouttepagnon, Jésuite, et alors notre confesseur, elle renouvela et compléta son acte d'Abandon au bon Plaisir Divin, se démettant entièrement de sa volonté propre, pour la remettre entre les mains de son Jésus et accepter, comme le meilleur, tout ce que sa paternelle Justice lui enverrait, afin de la purifier. A partir de ce jour, toute sa direction se résumera dans cette parole : « Acquiescement joyeux à la volonté de Dieu ».

Notre chère Soeur reprit encore, en partie, la vie de Communauté, mais chaque jour ses infirmités lui imposaient de nouveaux sacrifices : pendant plusieurs années, nous la verrons, appuyée sur un petit bâton, devancer l'heure, pour arriver la première au choeur, au réfec­toire, à la récréation ; malgré ses souffrances, la douce paix du Seigneur se reflétait dans toute sa personne. Le Bon Dieu récompensa dès ici-bas son grand attrait pour la vie de Communauté en lui permettant d'y venir jusqu'à la veille de sa mort.

Cependant, les sacrifices se multipliaient : atteinte de l'influenza il y a quatre ans, notre bien-aimée Soeur se rendit à l'infirmerie, et dût, pour toujours dire adieu à sa tant aimée cellule. Sa grande faiblesse la privait souvent de la sainte Communion; sa vue fatiguée ne lui permettait plus la récitation du Bréviaire ; elle se dédommageait autant que possible en passant de longues heures au pied du Tabernacle, en priant constamment pour ses chères âmes du Purgatoire, pour la Sainte Église, la France, pour sa bien-aimée Communauté, enfin pour nos bienfaiteurs, auxquels, en digne fille de Sainte Thérèse, elle avait voué une profonde reconnaissance.

Le Révérend Père Fessard étant venu nous donner successivement deux retraites, notre chère Soeur Elisée lui ouvrit complètement son âme; ce saint et habile directeur la rassura pleinement sur ses dispositions, et lui fit vraiment don de la sainte joie des enfants de Dieu. Désormais, plaire à Dieu, accomplir le plus parfaitement possible son Bon Plaisir, furent ses seules préoccupations. Le fruit était mûr pour le Ciel, le Divin jardinier vint bientôt le cueillir.

Dans la semaine de Pâques, la Communauté ayant été envahie par une épidémie de grippe, notre bonne Soeur fut fortement prise; cependant, elle s'en remit assez pour revenir en Communauté. Toutefois en causant avec elle, il était facile de comprendre que plus que jamais, elle ne tenait plus à rien de la terre, ses pensées étaient plus haut !... Elle sentait du reste que le temps de l'exil touchait à sa fin.

Chaque matin elle faisait sa préparation à la mort, en récitant une touchante prière, dan» laquelle elle offrait à Dieu toutes les souffrances de la dernière heure, lui demandant de les accepter comme l'acte de Pur Amour, dans lequel elle désirait expirer.

Il y a peu de temps, elle disait, d'un air pénétré, à l'une de nos chères Soeurs : « Je ne puis exprimer la douceur que Dieu a fait sentir à mon âme, dans la solitude où mes infir­mités m'ont réduite; plus nous approchons de l'Eternité, plus le créé s'éloigne, Dieu nous prépare, Dieu est tout près, tout près; Il nous attire !... »

Dieu l'attirait en effet, ma Révérende Mère, nous le sentions chaque jour, lorsque nous allions lui faire notre petite visite dans son Infirmerie : à l'approche du Bien-aimé, son amour et sa reconnaissance envers Dieu, sa Communauté, chacune de ses Mères et Soeurs sem­blaient se dilater.

Le 23 Mai, jour de sa mort, notre bien aimée Soeur nous reçut avec son affection ordinaire, elle était un peu oppressée et somnolente, mais ne se trouvait pas plus souffrante ; elle travaillait avec ardeur, disant que son officière, souffrante elle-même, était pressée : toute la journée fut fort calme. Vers cinq heures, elle sembla s'affaisser, prit cependant, mais avec peine, un peu de nourriture; inquiète, notre dévouée et vigilante infirmière nous prévint; de suite nous fîmes demander notre Docteur, qui, étant absent, tarda à venir ; à son arrivée, il trouva l'état très grave et nous engagea à faire administrer de suite notre chère Soeur : la congestion pulmonaire se formait : Notre bon Aumônier, prévenu de suite, arriva en toute hâte ; mais la chère mourante avait déjà perdu l'usage de la parole ; il lui donna la sainte abso­lution, l'Extrême-Onction, et lui conféra l'Indulgence In articulo mortis ; nous récitâmes les prières des Agonisants, lui suggérâmes quelques invocations; mais elle ne donnait aucun signe de connaissance. Après Matines, nous réitérâmes les prières du Manuel et à onze heures un quart, lorsque nous terminions les Oraisons, la respiration cessa tout à coup...

Notre chère et bien-aimée Soeur, s'était littéralement endormie dans le baiser du Seigneur, en nous laissant consternées d'un dénouement si rapide. La Mère Sous-Prieure, nos dévouées infirmières, quelques Soeurs et nous, étions seules présentes ; ne prévoyant pas sa fin si prochaine, nous avions engagé la Communauté, alors très fatiguée, à aller prendre un peu de repos.

Les Funérailles eurent lieu le Vendredi 25; Monsieur l'Archiprêtre de Notre-Dame de la Couture, notre vénéré Pasteur, daigna les présider, accompagné de tout son Clergé. Monsieur le chanoine Albin, doyen du Chapitre et Vicaire Général, malgré ses nombreuses occupations, et plusieurs Ecclésiastiques de la ville, nous firent l'honneur d'y assister et de se joindre à MM. nos Aumôniers pour conduire le corps de cette chère Soeur à sa dernière demeure.

Ce départ si prompt et si inattendu a été pour la Communauté, vous le comprenez, ma Révérende Mère, un véritable coup de foudre, un grand et douloureux sacrifice pour nos coeurs; cependant nous nous consolons dans la pensée que, toujours dans l'attente de son Époux, la chère Épouse tenait sa lampe bien pleine d'huile, et que la rencontre, au seuil de l'Eternité, lui a été bien douce ; après sa mort, le visage de notre regrettée défunte reflétait une suave paix, mêlée de surprise !...

Toutefois comme il faut être si pur pour être admis aux Noces de l'Agneau, nous vous prions, ma Révérende Mère, de lui faire rendre au plus tôt, les suffrages de notre saint Ordre. Par grâce une communion de votre sainte Communauté, une journée de bonnes oeuvres, l'indulgence du chemin de la Croix, et des six Pater, une invocation au Sacré-Coeur de Jésus, à Marie Immaculée, à saint Joseph et à saint Elisée son Patron : elle vous en sera très reconnaissante, ainsi que nous, qui avons la grâce de nous dire au pied de la croix, avec un religieux respect.

Ma Révérende et très honorée Mère,

Votre humble Soeur et Servante,

SŒUR MARIE-ALPHONSINE

R. C. Ind.

De notre Monastère de Jésus Médiateur et de l'Immaculée-Conception des Carmélites du Mans, ce 4 Juin 1894.

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