Carmel

31 juin 1897 – Auch

 

Ma Révérende et Très Honorée Mère,

Paix et très humble salut en Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui a demandé à notre fraternelle affection un douloureux sacrifice en appe­lant à Lui notre chère soeur Thérèse des Anges, doyenne de la Com­munauté. Elle était âgée de 76 ans, et en avait passé 55 dans la sainte Religion.

Notre regrettée défunte était née dans une paroisse de notre diocèse, d'une famille chrétienne et estimée de tous. A 21 ans elle renonça aux douceurs qu'elle y goûtait, car elle y était tendrement aimée, et fut reçue dans notre cher Carmel par la vénérée Mère Saint-Jean de la Croix, dont la mémoire nous reste toujours si chère. Nous n'avons pas de détails sur les premières années de notre chère soeur; mais il nous est facile de présumer que sa jeunesse s'est écoulée dans la simplicité des habitudes de la campagne et la pratique constante d'une solide piété. La vie religieuse de notre bonne ancienne s'est presque toute écoulée dans le silence et l'heureuse solitude de la cellule. Jeune reli­gieuse, elle fut employée quelque temps comme seconde à la sacristie. Elle travaillait aussi à l'office des saintes reliques et réussissait très bien dans ces ouvrages délicats. Là, comme ailleurs, notre chère Soeur gardait exactement le silence, car c'est un des points de notre sainte règle qui la caractérisait. Si le soir, dans l'obscurité, on rencontrait ou heurtait une soeur qui ne bougeait et ne donnait aucun signe de pré­sence, on se disait aussitôt : c'est la bonne Soeur des Anges. Elle gar­dait cette attitude religieuse, dans la mesure des convenances, jusque dans ses visites au parloir où cette bonne Soeur observait absolument tous nos saints usages. Elle y parlait bas et d'une manière très édifiante; n'y prolongeait pas les entretiens par de curieuses questions. Savoir que sa chère famille vivait dans l'union et servait le Seigneur la rendait heureuse ; c'était tout ce qu'elle aimait à savoir.

 

Notre regrettée Soeur s'est toujours dépensée pour les besoins de sa chère Communauté dans la pleine mesure de ses forces. Elle eut long­temps l'office des habits. Ce travail devenant trop pénible pour ses forces affaiblies, celui des tuniques lui fut confié, et notre chère Soeur l'a gardé jusqu'à la fin de sa longue et édifiante carrière religieuse. Nous étions profondément touchées de son assiduité au travail, du soin et de la peine qu'elle se donnait aux jours de lavages, ne voulant jamais en être exemptée. Pas un travail commun où elle ne voulût être. Huit jours avant de s'aliter elle était encore à la buanderie avec la Commu­nauté. Nous nous apercevions avec tristesse de son affaissement; cepen­dant nous espérions garder encore quelques années notre chère doyenne parmi nous. Il y a quatre ans nous avions la douce joie de célébrer ses noces d'or. Cette heureuse jubilaire se prêta avec simplicité et amabilité à cette fête de famille à laquelle toutes nos chères Soeurs se prêtèrent avec bonheur, désirant donner à notre bonne doyenne la preuve de leur sincère affection. Nous lui disions quelquefois : « Ma Soeur des Anges, « nous souhaitons et espérons célébrer vos noces de diamant. » Elle acceptait ce voeu avec plaisir; mais tels n'étaient pas les desseins du Divin Maître.

La veille de la fête de la Visitation de la Très Sainte- Vierge notre bonne Soeur fut prise pendant Matines d'une indisposition qui ne nous donna pas tout d'abord de sérieuses inquiétudes. Le lende­main se passa sans qu'elle se sentît mieux. Son âge nous donna alors des craintes : nous fîmes prier notre bon et dévoué docteur M. Serres de venir. Après l'avoir examinée, il nous dit que cet état pouvait devenir très grave. Cette première appréciation ne fut que trop vraie. Le mal, bien loin de céder, augmentait tous les jours. Notre chère Soeur ne se croyait pas aussi malade et n'était pas pressée d'aller à l'infirmerie. Cependant, ne sentant pas ses forces revenir, elle s'y rendit volontiers.

Cette fois encore, comme par le passé, quand elle a dû porter la croix de la maladie, notre bonne doyenne nous a donné les sujets d'édification que notre séraphique Mère Sainte-Thérèse demande de ses filles : « Faire paraître en maladie les vertus acquises en santé ». Jamais une plainte, jamais un mécontentement. Nos chères Soeurs infirmières, toujours si dévouées auprès de leurs Soeurs malades, ne cessaient de nous dire com­bien il était facile et agréable de la servir. Elle ne manquait jamais de les remercier de leurs bons soins et leur parlait toujours avec ce respect religieux qui fait tant de bien à l'âme et rend la vie de Communauté si douce ! Que vous dire encore, Ma Révérende Mère, de notre bien-aimée et regrettée doyenne ? Dans les quelques lignes qui précèdent vous com­prenez ce qu'a été la vie de notre chère Soeur Thérèse des Anges. Vie cachée, vie pleine devant Dieu, nous en avons la douce confiance. Sa constante régularité, sa charité envers toutes ses Mères et ses Soeurs nous ont toujours profondément touchées. La veille de sa mort elle disait à l'une de ses infirmières : « Aujourd'hui je sens que je ne pourrais « pas travailler : mais la semaine prochaine je m'occuperai des tuniques « car il sera temps de les donner. » Pauvre Soeur ! — Les besoins de la Communauté l'occupaient plus que sa souffrance... et cependant elle était aux portes du tombeau ! — Dans s« visite du vendredi matin, le Docteur nous dit que nous pouvions la faire administrer. La veille, notre chère mourante s'était confessée à notre vénéré Père Supérieur, qui était venu lui donner sa paternelle bénédiction et ses saints encouragements. Dès le vendredi matin, nous fîmes prévenir notre bon Père aumônier et confesseur ordinaire de la Communauté, qui vint aussitôt lui adminis­trer le Sacrement d'Extrême-Onction. Il eut aussi la bonté de faire avec la Communauté les prières du manuel. Notre chère Soeur ne put pas recevoir le saint Viatique, son état d'étouffement ne le permettant pas. Quelques instants avant sa mort notre bonne ancienne reçut une dernière absolution que vint lui donner M. le Supérieur du Grand Séminaire et confesseur extraordinaire de la Communauté. Il semble que notre chère mourante n'attendait que cette grâce pour nous quitter, car un instant après elle rendit doucement son âme à Dieu, nos Soeurs infirmières, nos Soeurs du voile blanc et nous présentes. La Commu­nauté se rendit en toute hâte à l'infirmerie après avoir dit les vêpres, mais elle ne put assister qu'aux dernières prières.

Aidez-nous, ma Révérende Mère, par l'union de vos prières aux nôtres, à acquitter notre dette de reconnaissance envers le Clergé de notre ville, qui dans ces douloureuses circonstances ne cesse de nous donner des preuves de son dévouement pour le Carmel. Priez aussi avec nous, Ma Révérende Mère, pour notre sympathique et si désin­téressé docteur, M. Serres, qui entoure toujours nos chères Soeurs malades de soins si assidus. Veuillez ne pas oublier non plus sa chère famille.

Nous avons la douce confiance que notre bien regrettée Soeur Thérèse des Anges aura été reçue favorablement par Celui qu'elle a uniquement aimé sur la terre; mais comme il faut être si pur pour paraître devant le Dieu trois fois Saint, veuillez ajouter aux suffrages déjà demandés ce que votre charité vous suggérera. Elle vous en sera très reconnaissante, ainsi que nous, qui aimons à nous dire, au pied de la Croix,

Ma Révérende et Très Honorée Mère,

Votre humble Soeur et servante,

SOEUR BÉATRIX DE JÉSUS,

R.C.I.

De notre Monastère de la Sainte Trinité, de N.-D. des Victoires et de N. P. saint Joseph des Carmélites d'Auch, le 31 juin 1897.

Retour à la liste