Carmel

31 avril 1896 – Marseille

 

Ma Révérende et très honorée Mère, 

Paix et très, respectueux salut en Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Deux mois se sont à peine écoulés depuis le jour où, le coeur brisé de douleur, nous venions vous faire part du sacrifice immense que le bon Dieu venait d'exiger de nous, et réclamer les suffrages de noire saint Ordre, pour notre Très Révérende et bien regrettée Mère Elisabeth-Caroline-Marie-Maximina de Sainte-Thérèse, enlevée, en quelques heures, à notre filiale vénération. Le vide que laisse parmi nous cette bien-aimée Mère est de ceux qui ne peuvent se combler ; et nous garderons impérissable, on nos mémoires, le souve­nir de celle qui, malgré son grand âge, était l'âme de notre petit Carmel, et dont le dé­vouement fut de toutes les heures et de tous les instants.

Sa modestie nous ayant dérobé la plupart des mérites de cotte vie toute consacrée à la prière, à la souffrance et au travail, la meilleure partie d'elle-même demeurera cachée dans le secret du Bien-Aimé de son coeur ; aussi sommes-nous obligée d'avouer notre im­puissance, en présence d'une tâche qu'il nous eût été si doux do remplir.

Notre bien-aimée Mère naquit dans notre ville, au soin d'une famille très respec­table, où la foi est patriarcale et la piété héréditaire. Elle vint au monde la cinquième des nombreux enfants que ses vertueux parents donnèrent plus au Ciel qu'à la terre.

Ils élevèrent dans les sentiments de la piété la plus exemplaire les quatre enfants qu'ils eurent le bonheur de conserver. Notre petite Caroline avait un tempérament si dé­licat, qu'elle subissait toutes les influences des températures et dos saisons ; elle était par là même souvent atteinte des maladies communes aux enfants de son âge. Sa pieuse mère profitait des ces circonstances pour élever sa raison au dessus des vues humaines, et elle se plaisait à lui dire : « Dieu nous aime, ma fille ; puisqu'il nous éprouve, il saura bien nous récompenser. »

Caroline avait à peine sept ans, lorsque la fièvre scarlatine la conduisit aux portes du tombeau. Ses parents se préparaient déjà au dernier sacrifice. Ils firent donner les Saintes Huiles à leur chère enfant, dans la pensée que cet ange visible devait bientôt, avec toute la fraîcheur de son innocence, prendre son essor vers le Ciel, et irait grossir la phalange déjà nombreuse de ses petits frères et de ses petites soeurs qui l'avaient précédée là-haut.

Mais Dieu, qui réservait notre digne Mère à de plus grands travaux, voulait seu­lement, dès son jeune âge. la former à l'école de la souffrance ; et c'est ainsi qu'il lui fit subir et traverser encore, même dans sa plus tendre enfance, plus d'une épreuve de ce genre. La famille B., si honorable et si éminemment chrétienne, avait, à cette époque, pour conseiller et pour ami, un vertueux ecclésiastique dont la mémoire est restée en vénéra­tion dans tout,le diocèse et surtout dans la paroisse de Notre-Dame du Mont.

Le moment était arrivé, pour les pieux parents, de choisir pour leurs deux aînées une maison d'éducation. Ils résolurent d'un commun accord, de les confier aux vertueu­ses filles de Saint-François de Sales et de Sainte-Chantal, et ce fut M. Ghaix qui se réserva le droit de les présenter lui-même, au parloir, à la Vénérée Supérieure de ce Monastère. L'admission des deux jeunes filles fut bientôt conclue, car le saint curé fit en peu de mot l'éloge de tous en disant : « Je conduis le père et la mère par le coeur, et les enfants , par la main. »

Admises au pensionnat, ces jeunes enfants s'habituèrent sans peine à la vie du cou­vent. Caroline s'y distingua bientôt par sa modestie, sa douceur, son esprit sérieux et réfléchi. Elle fit, avec la ferveur d'un ange, sa première communion le 19 mars 1834.

Cette date lui demeura toujours particulièrement chère ; elle aimait, dans ces der­nières années, à rappeler ses premiers souvenirs de la dévotion constante et solide que ses maîtresses lai inspirèrent, dès l'aurore de sa vie, envers notre glorieux Père saint Joseph, et qui ne se démentit pas un seul jour.

Elle fut confirmée le 25 mars de l'année suivante, par Monseigneur Charles-Fortuné de Mazenod, qui donna, en cette circonstance, un pieux souvenir aux chères élèves de la Visitation, en leur disant aimablement : « Vous êtes les dernières. » En effet, cette cérémonie fut la dernière de ce genre que put accomplir ce vénérable prélat, alors octogénaire.

Notre pieuse enfant, eut la grâce d'être préparée à ces actes solennels, par la très- honorée Soeur Rose-Marie (Bodin.) Cette sainte religieuse, qui devint plus tard directrice et supérieure était très dévote à notre sainte Mère Thérèse ; elle parlait aussi souvent à ses élèves de la vénérable Mère Thérèse de St-Augustin, (Madame Louise de France), et savait leur inspirer, avec l'amour de la vertu, une piété profonde, tendre et affectueuse envers la personne adorable de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Caroline goûtait beaucoup ses instructions et les explications qu'elle donnait du saint Évangile et des vé­rités de la Religion.      

Il est aussi à remarquer, qu'à cette époque, les maîtresses étaient bien secondées par la bienveillance de M. Chaix, l'éminent curé de Notre-Dame du Mont, qui avait alors sur sa paroisse le premier monastère de la Visitation, situé à la rue Reinard, tout près de notre monastère actuel. C'est ainsi que notre digne Mère, encore enfant, pouvait plonger souvent par le regard dans notre maison, sans se douter des labeurs qui l'y attendaient un jour.

M. Chaix se dévouait complètement à la direction de ses enfants privilégiées ; leur donnait même quelquefois des leçons d'astronomie et de physique. Intelligente et appliquée, Caroline eût des succès dans ses études, mais elle ne sut jamais s'en prévaloir; elle demeura toujours simple et modeste, toujours très condescendante envers ses com­pagnes dont elle se concilia l'affection.

Les heureuses élèves de cette époque goûtaient tout particulièrement les instructions religieuses de M. Chaix; mais, pour Caroline et pour sa soeur aînée, l'éducation de la famille ayant préludé à celle du monastère, elles connaissaient à fond la vie des saints, que leur père si chrétien s'était fait un devoir de leur enseigner, et surtout, par ses exemples personnels, de leur apprendre à imiter.

Reçue dans la Congrégation des Enfants de Marie en 1835, Caroline trouva, dans ses pieux exercices, un nouvel aliment à sa piété. Elle commença dès lors à exercer autour d'elle-même, sans s'en douter, une sorte d'apostolat très modeste, mais constant et aimable ; elle fut, en un mot, pendant tout son séjour au pensionnat, une élève mo­dèle, qui eut surtout le talent de ne pas se faire remarquer.

Sortie delà Visitation, notre future aspirante se forma, sous le regard sévère et attentif de sa vertueuse mère, aux devoirs de la vie de la famille. Cette forte chrétienne avait le don d'inspirer à ses filles l'amour du travail, et surtout le bon emploi du temps, leur donnant elle-même l'exemple, et leur disant souvent : « Qu'on ne me dise pas : je ne sais pas faire ceci ou cela ; quand on a, Dieu merci, cinq doigts à chaque main, on doit savoir tout faire. »

Caroline sut faire fructifier les sages leçons de sa mère ; elle devint très adroite en toutes sortes d'ouvrages, ce qui la rendit fort utile à notre Carmel dans l'office du travail de ville, surtout au commencement de notre fondation, où elle donna une libre carrière à son dévouement, prolongeant son travail jusqu'à des heures très avancées dans la nuit, faisant souvent, à cette époque, des journées de douze à quatorze heures, afin de procurer à notre maison naissante les ressources nécessaires à son établissement.

Secondée par une grande droiture d'âme et un heureux caractère, la piété de Caro­line ne subit jamais aucune alternation de haut et de bas ; elle se soutenait d'une manière simple et unie, mais toujours généreuse et fervente, sans jamais se rechercher elle- même. Notre chère jeune fille n'avait (l'autre principe, que celui de se laisser conduire, de moment en moment, par la divine Providence.

Elle ne connut jamais le monde, méprisa ses faux plaisirs, et la vanité, si com­mune même aux natures les plus saintement douées, ne fit qu'effleurer son âme. Bien que l'appel divin ne se fut pas encore manifesté à son coeur, elle avait, même dans sa plus tendre enfance, un amour instinctif pour la solitude et la retraite. Lorsqu'elle ren­contrait, dans ses promenades à la campagne, quelque grotte ou quelque enfoncement dans les rochers, elle se disait a elle-même. « Oh ! qu'il ferait bon habiter là ! »

Ses plus douces joies étaient celles qu'elle goût ai h l'église, en compagnie de ses parents, bien connus parleur assiduité aux exercices de la paroisse que le saint curé savait multiplier, pour alimenter la dévotion de ses ferventes ouailles.

La soeur aînée de Caroline fut favorisée la première de la grâce de la vocation re­ligieuse. Pour elle, qui ne se croyait pas digne d'une si haute faveur, elle ressentit vive­ment la douleur de se voir séparée de sa bien-aimée compagne. En présence de la vive affliction de ses vertueux parents, elle pensait qu'elle n'aurait jamais le courage de leur imposer un si dur sacrifice, si jamais elle était appelée à un état si sublime.

Cependant Notre-Seigneur, qui voulait augmenter les mérites de cette famille d'élite, la marquait, à plusieurs reprises, du sceau de sa divine Croix. Après avoir moissonné, dans toute la fraîcheur de leur innocence, de petits êtres qui, purs comme des anges, de­vaient leur être associés, ce bon Maître, usant de tous ses droits, allait frapper un nou­veau coup, d'autant plus sensible, qu'il allait rouvrir une plaie à peine cicatrisée.

Caroline avait vingt-deux ans, lorsque, favorisée d'une grâce de choix, les élans de son coeur l'attirèrent, d'une manière irrésistible, vers la sainte montagne du Carmel.

Fidèle et généreuse, notre jeune aspirante se décida à sacrifier généreusement au bon Dieu, non seulement les affections si légitimes de la famille, mais aussi le doux plai­sir qu'elle eût éprouvé à vivre en religion avec sa chère soeur qui était entrée depuis deux ans au premier monastère de la Visitation de notre ville.

Elle s'ouvrit de sa vocation à un vertueux ecclésiastique qui dirigeait son âme de­puis plusieurs années. Sa joie fut grande lorsque ce guide sage et éclairé confirma, de son autorité, l'appel divin. Ce ne fut pas toutefois sans une profonde émotion qu'il se chargea d'annoncer à ses parents la détermination de Caroline.

Il présenta aussi lui-même à notre vénérée Mère Marie St Hilarion, de sainte et douce mémoire, cette pure colombe, que les eaux fangeuses du monde n'avaient pas souil­lée. Cette digne Mère, dont l'expérience était consommée, découvrit au premier abord les dons renfermés dans l'âme de cette fervente jeune fille, et régla, dès sa première mite, tous les détails relatifs à son entrée en religion.

Caroline, forte de la force même de Dieu, fit ses adieux à sa soeur bien-aimée qui, en fidèle émule de Marguerite-Marie et d'Anne-Madeleine, avait déjà prononcé ses saints voeux. Cette sainte et parfaite religieuse édifia pendant de longues années sa chère Com­munauté dont elle fut une des plus fermes colonnes, laissant, à sa mort, un bien grand vide en cette chère maison.

Les dernières semaines que Caroline passa au sein de sa famille, furent d'autant plus pénibles et plus méritoires, que ses vertueux parents, abîmés de douleur, souffraient en silence : si bien qu'elle n'osait pas même rencontrer leur regard, tant elle souffrait aussi de leurs mortelles angoisses.

Le jour du grand sacrifice étant arrivé, son confesseur, Mr l'abbé R., célébra le Saint Sacrifice de la Messe. Son père la servit, sa pieuse mère y assista aussi, puis se retira chez elle, après avoir participé, avec son héroïque époux, au Saint Sacrement de nos autels et uni leur commun sacrifice à Celui de l'adorable Victime. Après avoir em­ployé quelques instants à l'action de grâces, comme un autre Abraham, le père, digne héritier de la foi de ses aïeux, dans un silence mille fois plus éloquent que les longs dis­cours, se dirigea vers Longchamp où se trouvait notre saint monastère, pressant pour ainsi dire, pendant tout ce trajet, sa fille sur son coeur.« Dieu seul, nous dit plus tard notre bien-aimée Mère, a pu comprendre la solennité de cette heure, et ce qui se passa dans mon âme. »

Le divin Maître ne pouvait que bénir et soutenir de sa grâce un sacrifice si magna­nime et si héroïque de part et d'autre. Après avoir reçu la bénédiction de son saint di­recteur et celle mille fois plus touchante encore de son père vénéré, Caroline franchit le seuil delà clôture par une ouverture qui avait été ménagée, quelques semaines auparavant, pour des réparations urgentes. Aussitôt après son entrée, les ouvriers, qui étaient là présents, murèrent derrière elle ce passage improvisé. Nos vénérées Mères fondatrices virent, dans cet accident imprévu, un présage assuré de la persévérance delà chère prétendante.

Dès qu'elle eut pénétré dans l'Arche sainte, la Soeur Marie-Maximina se distingua parles vertus solides et modestes, qui furent, toute sa vie, son cachet particulier : sa piété était sérieuse et bien entendue, sa simplicité égalait son obéissance. Nos saintes Mères Marie Saint-Hilarion et Victime de Jésus, aimaient, dans la suite, à rendre d'elle cet édi­fiant témoignage : « La vocation et la ferveur de la Soeur Maximina n'ont jamais subi d'altération : elle fut toujours égale à elle-même, humble et modeste; aussi, n'est-ce que par surprise et comme à la dérobée, que nous avons pu, pendant sa longue carrière, ap­prendre d'elle quelques petits traits relatifs à sa jeunesse et à sa pieuse vie de famille.

Elle vivait si heureuse dans ce «entre béni, que lorsqu'elle fut déterminée à em­brasser la vie religieuse, ayant constaté sérieusement que telle était la sainte volonté de Dieu sur elle, sa délibération fut prompte et spontanée. Elle ne pouvait admettre qu'il lui fût possible d'avoir deux paradis, un en ce monde, et l'autre dans l'éternité. Elle entre­voyait alors, avec juste raison, la vie du Carmel, comme une entière séparation du monde, et surtout comme un éloignement complet du maniement des affaires, pour lequel elle se sentait une aversion très prononcée : Dieu ayant ainsi voulu lui rendre plus méritoires les trente-cinq années consécutives où elle dut, par devoir, s'en occuper.

Cette bien-aimée Soeur reçut le saint habit et fit sa profession à la satisfaction géné­rale de la Communauté. Elle eut toujours l'aimable talent de passer inaperçue, excepté cependant lorsqu'il s'agissait d'obéissance et de dévouement, car on la trouvait toujours prête et la première pour l'une comme pour l'autre.

Les premières années de sa vie religieuse furent la jouissance de l'idéal qu'elle s'était fait avant d'entrer au Carmel. Elle y vécut d'union intime avec Dieu, de dévoue­ment, de silence et d'obscurité. Il lui eût été doux de passer sa vie dans ce calme pro­fond, mais Notre-Seigneur, qui l'avait douée pour l'action, la préparait alors par cette phase de sa vie cachée en Dieu, aux nombreux labeurs qui devaient se succéder bientôt.

En 1859, nos vénérées Mères jetèrent les yeux sur cette bien-aimée Soeur, pour en faire l'une des bases fondamentales, ou pour mieux dire la pierre angulaire du nouvel édifice spirituel qu'elles allaient élever dans notre ville.

La digne Mère Victime de Jésus, compagne inséparable delà vénérée Mère Saint- Hilarion, partagea avec elle tous les travaux de la fondation. Dès le début, malgré ses infirmités, elle fut élue dépositaire, et la Soeur Marie-Maximina lui fut donnée comme auxiliaire indispensable, car cette digne Mère ne pouvait prendre aucune part active aux travaux pénibles et laborieux.

Notre très méritante Soeur la seconda avec sa modestie ordinaire, se dépensant toujours très largement et sans réserve. Dieu seul a pu compter ses pas, les sollicitudes dont elle entoura nos Mères fondatrices, et la part active qu'elle prit au travail manuel.

Jamais on ne la vit un moment oisive ; même en parlant, elle avait un ouvrage propre à toutes les heures et à toutes les circonstances ; combien de fois n'avons- nous pas admiré sa modestie, lorsqu'elle était Prieure et que pendant la récréation, se trouvant éloignée de la lampe, elle ne s'en plaignait jamais, mais substituait habilement un travail à un autre, afin d'employer scrupuleusement tout le temps. Elle avait aussi dans sa corbeille non seulement plusieurs ouvrages, mais aussi des bandes de toile et des lisières qu'elle défilait avec soin et en assez grande quantité, afin de pourvoir la Soeur lingère du fil nécessaire au raccommodage fin de son office.

Notre regrettée Mère était si adroite et si habituée au travail, que malgré ses 73 ans, elle se chargeait encore des réparations à faire sur le tulle, aidant souvent la Soeur sacristine dans ses travaux les plus délicats.

Son activité et son dévouement se déployèrent surtout pendant les longues années où cette digue Mère occupa la charge de première Dépositaire. Les soins et la surveillance que réclamait la construction de notre monastère l'obligèrent à devancer souvent l'heure du réveil, allant de grand matin visiter le chantier avant que les ouvriers s'y rendissent, et se rendre compte de tout par elle-même.

Ces travaux si multiples ne l'empêchèrent pas de s'occuper des moindres détails du ménage, réglant tout avec ordre, charité et économie.

Nous la vîmes, dans ces temps si difficiles, également fervente : sa piété, son esprit intérieur n'en souffrirent aucune atteinte. Ses journées du dimanche, elle les passait presque entièrement en prière, au choeur, lorsque les exigences de sa charge ne l'appelaient pas ailleurs.

Elle était très exacte à faire ses retraites annuelles et mensuelles. Sa plus douce joie était de faire l'Heure Sainte, et de se reposer aux pieds de Notre-Seigneur des labeurs de ses journées. Elle paraissait alors d'autant plus abîmée en Dieu qu'elle avait été plus agitée.

Nous aimons à nous rappeler avec édification qu'un soir où nous eûmes, pendant notre jeunesse religieuse, la grâce de veiller avec elle, étant à genoux à ses côtés, nous fûmes obligée de l'appeler plusieurs fois pour la faire revenir à elle-même; son visage nous parut, en cette circonstance, revêtu d'une sorte de majesté, qui nous rappelait les traits augustes de la Sainte Face de Notre-Seigneur.

Sa dévotion envers le Sacré-Coeur de Jésus était le fidèle écho de celle des fer­ventes religieuses de la Visitation qui avaient si bien formé son coeur.

Tout était simple en cette digne Mère ; aussi « le souvenir de sa mâle vertu sera toujours pour nous une lumière brillante qui indiquera la voie à suivre, et comme une « manne abondante où nos âmes pourront trouver un aliment toujours nouveau à la « vraie vie de Carmélite. » Ce sont là les consolantes paroles que nous écrivait, peu de jours après le décès de notre bonne Mère, le R. P. Beauté, Procureur des missions étrangères ; ce digne religieux qui,'depuis de longues années, ne cesse de donner à notre Carmel les preuves les plus constantes de son dévouement, étant alors absent de notre ville.

Les douze années de ses priorats furent le complet épanouissement de sa charité ; aussi, nous édifia-t-elle plus que jamais par la pratique de ses multiples vertus. A l'exemple de notre divin Maître, cette vénérée Mère eût pu nous dire : « Apprenez de moi que je suis douce et humble de coeur. » Mais cette douceur de caractère n'était point chez elle une faiblesse, mais bien un effet de sa sincère humilité.

Sa reconnaissance pour les moindres services qui lui étaient rendus nous témoi­gnait assez les bas sentiments qu'elle avait d'elle-même. Nos modestes fêtes de famille la réjouissaient ; toujours elle trouvait que l'on faisait trop pour elle, et nous exprimait sa gratitude en toute manière ; cette vertu était en notre digne Mère aussi sincère que profonde.

Elle ne se répandait pas en beaucoup de paroles ; lorsqu'elle était en charge, si elle croyait avoir été un sujet de peine pour ses filles, elle se prosternait pour leur baiser les pieds. Elle s'humiliait aussi quelquefois dans ses paroles jusqu'à leur demander pardon.

Sa patience était inaltérable ; toujours à la disposition de toute ses Soeurs, elle quit­tait, sans témoigner le moindre déplaisir, ses écrits ou son ouvrage ; en un mot, elle était toute à chacune de nous. Son jugement, son goût, ses aptitudes, la rendaient propre à donner conseil et lumière en toutes circonstances ; aussi l'avis de la digne Mère Maximina tranchait-il toutes les difficultés.

C'est surtout dans la conduite des âmes que se révélaient ses précieuses qualités. Esprit conciliant, elle savait attendre et seconder la grâce ; que de fois, ses paroles, et surtout sa patience, n'ont-elles pas fait entrer en elles-mêmes les âmes agitées par le flot de la tentation! Cette même vertu lui faisait agréer, sans se plaindre, les diverses dispositions de la Providence : elle voyait Dieu en tout, et se liait à sa volonté sainte, malgré les difficultés les répugnances de la nature.

Sa pénitence a été héroïque et sans interruption ; mais elle fut toujours modeste et constante comme toute sa vie. D'une humeur toujours égale, nous n'avons jamais entendu notre Mère se plaindre ni des événements, ni des personnes, ni d'aucune des souffrances du corps et de l'esprit, qui cependant ne lui firent pas défaut. Au début de la fondation, elle tomba si dangereusement malade que, sans un secours divin, elle se­rait allée recevoir prématurément la récompense due à ses mérites. Elle fit, en cette oc­casion, un sacrifice si parfait d'elle-même, que Notre-Seigneur, touché de l'amour héroï­que de cette fidèle amante de la Croix, lui substitua une innocente victime en la personne de notre bien-aimée Soeur Philomène de Jésus Crucifié, de douce et sainte mé­moire. C'est ce que le divin Maître lui fit entendre par une parole intérieure. « Un jour que notre vénérée Mère Marie Saint Hilarion conduisait la Communauté à l'infirme­rie, pour y visiter la chère malade, alors très souffrante, en voyant entrer dans sa cellule cette jeune Soeur, la Soeur Maximina entendit, en elle-même, une voix qui lui disait : Voilà celle qui te remplacera. » En effet, cette pure colombe ne tarda pas à se réunir à son Bien-Aimé, laissant notre nouveau Carmel tout embaumé des suaves parfums de ses aimables et angéliques vertus.

La bonne Soeur Maximina se remit peu à peu, et comprit, en vraie fille de notre sainte Mère Thérèse, que la palme de la victoire devait être achetée plus chèrement. Aussi, les souffrances de tous genres ne lui manquèrent pas pendant sa longue et sainte vie qui, malgré sa simplicité, peut être appelée un martyre d'un demi-siècle. Nonobs­tant sa santé délicate, ses nombreuses infirmités et ses travaux incessants, notre véné­rée Mère ne se contentait pas des croix de Providence, si souvent semées sur ses pas ; elle faisait encore usage de nombreux instruments de pénitence, même pendant le temps, où sa sollicitude lui faisait employer de longues heures au travail. Se considérant comme une victime vouée à la pénitence par le fait même de sa vocation au Carmel, elle ne se prévalut jamais de ses pratiques austères, qu'elle accomplissait avec une entière simplicité et qu'elle regardait comme une obligation à son état.

Très compatissante pour les autres, cette digne Mère était très dure pour elle-même. Elle ne consentit jamais à quitter ses tuniques de serge, pendant l'été, malgré une éruption douloureuse que lui occasionnait l'usage de la laine pendant les grandes chaleurs.

En dépit de son grand âge et de ses infirmités, elle ne voulut jamais rien accepter de particulier au réfectoire, désirant être servie comme toutes les autres, disant qu'elle devait ce bon exemple à la Communauté. Ayant perdu presque toutes ses dents, elle n'acceptait de soulagement que dans les cas d'impossibilité absolue. Elle était cependant si délicate pour les autres, qu'elle n'aurait voulu gêner personne, donnant largement aux infirmes tout ce que réclamait leur état.

Malgré ses nombreux soucis et toutes les préoccupations de ses charges, notre bien- aimée Mère se possédait toujours, remettant' tous les embarras qui résultaient d'une fondation entre les mains de notre glorieux Père, saint Joseph.

Quoique très occupée parle soin des affaires, elle n'en fut jamais absorbée ni décou­ragée ; sa confiance en la Providence fut plusieurs fois récompensée d'une manière presque miraculeuse, recevant, à la veille des échéances, des sommes importantes qu'elle ne pou­vait pas humainement espérer.

Religieuse dans toute l'acception du mot, notre vertueuse Mère respectait les heures de silence, usant de très peu de paroles et ne parlant qu'à voix basse, lorsque l'urgence le demandait.

Son esprit de pauvreté était remarquable : elle ne gardait rien pour elle-même ; aussi, après sa mort, aurions-nous eu grand peine à trouver quelques images à donner en souvenir à nos Soeurs et aux membres de sa respectable famille, qui la vénéraient comme une sainte, si elle n'eût, à cet effet, mis en réserve celles qui lui furent données pour ses noces d'or. Ses vêtements, ses bréviaires, tous les objets qui étaient à son usage,-portaient à la fois le noble cachet de cette vertu, tandis que par un esprit d'ordre, qui lui était habituel, elle les conservait dans un état de netteté parfaite.

Son respect pour les choses saintes lui faisait envisager, à juste titre, la récitation du saint Office comme la première et la plus chère de ses obligations ; elle ne s'en

dispensa jamais malgré ses fatigues et la multiplicité de ses labeurs, le récitant toujours avec un très profond respect, et nous laissa à sa dernière heure ce touchant exemple de sa fidélité, mourant, pour ainsi dire, les armes saintes à la main : la récitation des Matines et des Laudes du lendemain, fut le dernier acte de sa vie. O vénérée Mère, que votre première entrevue avec le Bien-Aimé de votre coeur a dû être douce et conso­lante, puisque les derniers efforts de votre longue et pieuse vie ont été ceux de la prière et de la louange divine !

Nous ne pourrions tarir, ma bien digne Mère, si nous voulions vous faire un récit complet des luttes, des travaux soutenus, et des mérites amassés avec tant de vigilance par notre si regrettée Mère. Cette faible esquisse suffira pour vous remémorer ce que vous en connaissiez déjà, ses nombreuses années de charges lui ayant donné souvent l'occasion de communiquer avec un très grand nombre de nos chers monastères. Vous nous pardonnerez cependant de vous signaler encore la parfaite obéissance, qui caracté­risa cette fidèle servante de Dieu, dans ses rapports avec nos vénérés et bien dignes Supérieurs, qui eurent toujours pour elle la plus profonde estime.

Les vertus de notre humble Mère, n'étaient pas des actes passagers ; elles étaient en elle à l'état permanent comme le témoignent les lettres que lui écrivait du monastère de la Belle-de-Mai, la vénérée Mère St-Hilarion. Elle lui disait un jour : « Vous, ma chère Soeur, m'avoir fait de la peine ?... Jamais ! »

Le Révérend Père Jean du Sacré-Coeur, que nous eûmes la grâce d'avoir pour confesseur dès le début de noire fondation jusqu'au moment où ses infirmités le forcè­rent à ne plus exercer ce saint ministère, avait en haute estime la vertu et la sagesse de notre très méritante Mère.

Au commencement du mois d'octobre de l'année dernière, nous eûmes la consola­tion de célébrer les Noces d'or de son entrée en religion. Cette bien-aimée Mère s'y prépara avec beaucoup de ferveur, par sa retraite de dix jours. Pénétrée de reconnais­sance pour tous les bienfaits reçus pendant sa longue carrière, elle semblait avoir repris le zèle et l'activité de sa jeunesse, voulant réparer, nous disait-elle, tout le passé. Elle reçut, a cette époque, de nombreuses félicitations ; plusieurs de nos chers Carmels lui envoyèrent de précieux et de bien fraternels souvenirs. Grâce à l'obligeance de nos vé­nérées Mères du Carmel de la rue d'Enfer, nous reçûmes une copie du Cérémonial des Carmes propre à la circonstance ; ce qui nous procura le bonheur de pouvoir nous conformer, de point en point, aux observances de la solennité de ce jour.

La chère famille de notre vénérable Mère s'unit à notre fête, nous donnant mille témoignages de son affection et de son dévouement ; les amis de notre Carmel et plusieurs Communautés de notre ville y prirent aussi part, lui envoyant de gracieux emblèmes, de magnifiques bouquets et des dons en nature. Elle fut très émue de toutes ces marques , d'estime et d'affection et ne cessait d'en rendre grâces à Dieu ; mais rien ne peut rendre l'indicible émotion qu'elle éprouva, au moment de la messe solennelle, lorsqu'elle enten­dit les accords de la musique instrumentale de l'Oratoire St-Léon. Les dignes fils de Don Bosco, toujours si sympathiquement unis à notre famille religieuse, rehaussèrent par les chants angéliques de leur maîtrise, et par toute la symphonie de leurs instruments, l'éclat de cette fête. Notre vénérée Mère- versa de bien douces larmes pendant la pater­nelle allocution que lui adressa, d'une manière très touchante, notre vénéré Père Su­périeur, à la remise du bâton traditionnel et k l'imposition de la couronne. Nous eûmes aussi la grâce d'entendre un magnifique sermon de circonstance, plein de délicatesse et d'à-propos, donné par un zélé curé de notre ville, ami tout dévoué de notre Carmel.

Les joyeux vivats, les poésies, les chants, hommages respectueux de la fête de fa­mille, succédèrent aux émouvantes solennités du matin. Notre digne Mère était ra­dieuse : ce fut un jour de bonheur, d'action de grâces pour elle et pour nous. De nom­breuses oriflammes, des pavillons variés, pavoisaient les escaliers et le préau, tandis que des banderoles aux mille couleurs, mêlées à de petites bannières et à des lanternes vénitiennes décoraient le dortoir et les quatre ailes du cloître. La salle de récréation était toute tendue de rideaux et parée de guirlandes ; une chaise fort gracieusement ornée de fleurs et surmontée d'une sorte de diadème, portant à son sommet une inscription des plus affectueuses et des plus fraternelles, nous avait été envoyée, dès la veille, par nos bien- aimées Mères du boulevard Guigou, qui, par bien d'autres dons encore, étaient venues prendre part à nos joyeuses licences. De gracieux écussons, placés à la récréation et au réfectoire, rappelaient des dates mémorables et bien chères à nos coeurs. L'ermitage du Saint-Coeur de Marie, objet des soins et de la tendre dévotion de notre pieuse Mère, était décoré d'une parure nouvelle. Enfin, rien ne manquait à l'expression de notre filiale jubilation. Les illuminations du soir en furent le complément; nos cloîtres, éclairés par la mystérieuse clarté des lanternes vénitiennes, faisaient un effet si religieusement pieux, qu'ils portaient à la prière et à la contemplation.

Le 30 du même mois, nos élections replacèrent à notre tête, en qualité de Prieure, notre vénérée jubilaire. La joie fut universelle ; elle seule versait des larmes, se voyant, au déclin des ans, chargée d'un aussi lourd fardeau.

Ce dernier témoignage de notre confiance et de notre vénération lui fut cependant très sensible et lui procura dans ses derniers mois de bien douces consolations. Malgré son grand âge, notre si bonne Mère, animée par le sentiment du devoir qui lui incombait, avait repris une vigueur et une activité toutes nouvelles, se dépensant sans compter avec ses forces et ses infirmités. Aussi est-elle tombée glorieusement sur la brèche les armes à la main.

Le 25 février notre vénérée Mère se livra toute la journée, avec sa simplicité et sa fidélité habituelles, à tous les devoirs de sa charge; elle se rendit très exactement à l'oraison du soir, prit part à la collation, qu'elle fit selon toute la rigueur des lois de la Sainte Église, ne voulant pas user des dispenses dues à son âge et bien légitimées par ses in­firmités. Pendant les heures de l'après-midi, elle donna de la consolation à toutes celles qui eurent la grâce de l'approcher, Visita longuement les Soeurs infirmes, prodigua à tou­tes ses soins et ses avis maternels. Malgré la rigueur de la saison (car il était tombé de la neige ce jour-là) elle ne voulut point accepter de feu, disant qu'elle était très bien et qu'elle n'avait besoin, de rien. Sujette, depuis de longues années, à l'asthme et, par suite, à une toux opiniâtre, elle sentit augmenter sa suffocation habituelle, mais en revanche elle toussait beaucoup moins. Elle était si mortifiée, si habituée à souffrir, qu'elle ne s'en plaignit pas, et se rendit à la récréation du soir, où elle nous entretint et nous récréa comme de coutume, et même plus qu'à l'ordinaire, paraissant très gaie tout le temps. Aussi étions-nous bien loin de nous douter que nous jouissions pour la dernière fois du bonheur de la posséder, et de la douceur de ses entretiens.

Qui nous eût dit, ô bien-aimée Mère, que la bénédiction que vous alliez nous donner, au moment où l'on allait sonner les Complies, serait le dernier effort de votre tendresse et de votre affection pour nous !

Retirée à Nazareth, elle mit ordre aux affaires de la journée et récita son office du lendemain, selon qu'elle en avait pris l'habitude, depuis que ses infirmités la privaient d'as­sister à Matines. Nous allâmes la trouver un peu avant neuf heures ; nous la trouvâmes en prière ; elle nous répondit avec sa bonté ordinaire, sans que rien nous révélât le triste événement qui nous attendait. Vers les dix heures, elle se rendit à sa cellule pour y prendre son repos ; à peine était-elle couchée, qu'une de nos Soeurs, infirme, dont la cel­lule était proche de la sienne, l'entendit parler. Elle pensa que quelqu'une d'entre nous était chez elle : ce. qui la surprit, à cause du temps du grand silence ; puis craignant que notre Mère ne fût indisposée, elle se leva. Quelle ne fut pas alors sa peine de la trouver dans l'obscurité, et d'apprendre d'elle qu'elle était bien souffrante. On vint nous appeler en toute hâte; mais, hélas ! notre digne Mère était déjà sans parole ! Nous nous empressâ­mes de la réchauffer' ; tous nos soins les plus prompts ne purent obtenir aucun résultat : son état était des plus graves. Nos Soeurs, qui sortaient en ce moment de l'office des Mati­nes, furent en un instant réunies auprès de son lit de douleur, inutile d'essayer de vous décrire, ma digne Mère, la désolation générale de la Communauté : nous étions toutes abîmées dans une peine d'autant plus grande, qu'elle était plus subite et plus imprévue.

Tandis que toutes nos Soeurs priaient et fondaient en larmes, nous nous empressâ­mes de faire appeler M. notre digne Aumônier, qui lui donna aussitôt la sainte absolution, lui conféra le sacrement des mourants et lui appliqua l'indulgence in articulo mortis. En vain il essaya d'obtenir de notre vénérée malade quelques signes de connaissance, la paralysie était complète.

Nous unissions, en ce moment suprême, nos larmes et nos supplications aux prières du Manuel que récitait avec nous ce pieux ecclésiastique.

M. le docteur de L., neveu de notre vénérée Mère, appelée en toute hâte, arriva vers minuit. Malgré sa science, son dévouement et son affection, il ne put que constater la gravité du mal. En vain essaya-t-il quelques-unes des ressources de son art pour pro­longer la vie de sa vénérée tante et lui donner, à ses derniers moments, quelques lueurs d'intelligence : tout fut inutile. Notre digne Mère demeura dans un état de prostration complète, Aussi, ce bon docteur se retira-t-il très affligé, sans nous laisser aucune espé­rance. Il nous dit en nous quittant : « C'est une affaire de temps, le mal est sans remède. »

Bien que notre vénérée Mère soit demeurée jusqu'à la fin dans ce triste état, nous ne doutons pas qu'elle n'ait compris tout ce qui se passait autour d'elle, que son âme vail­lante et forte ne se soit soumise à la volonté divine, et qu'elle n'ait fait, avec sa généro­sité ordinaire, son dernier sacrifice.

Lorsque le calme se fut fait auprès d'elle, après le départ du bon docteur et de Mr notre aumônier, une sorte d'amélioration parut se produire dans l'état de notre chère malade ; sa respiration devint plus régulière, on eût dit qu'elle allait se reposer un peu. Nous engageâmes alors plusieurs de nos bonnes Soeurs à aller prendre un peu de repos, leur promettant de les faire appeler à la moindre alerte. Pour nous, nous demeu­râmes en prière avec une de nos Mères et quelques autres de nos Soeurs, dans la cellule de notre vénérée Mère, ne détachant pas un instant nos yeux de ce lit de douleur.

Vers les deux heures, un léger mouvement convulsif nous indiqua que l'heure su­prême allait bientôt sonner. La Communauté fut aussitôt réunie de nouveau ; nous entou­rions, les yeux baignés de larmes, notre si digne Mère, essayant de lui faire entendre quelques aspirations propres à la préparer au dernier passage. Quelques minutes plus tard, sans aucun effort, après avoir exhalé de légers soupirs, sa sainte âme prit douce­ment son essor vers un monde meilleur, nous demeurions orphelines...

Dominant un instant notre immense douleur, nous récitâmes immédiatement, pour notre vénérée défunte, toutes les prières du Manuel ; nos âmes étaient brisées et plongées, comme elles le sont encore aujourd'hui, dans une indicible affliction.

Nous avons cependant rendu grâces, en ce triste événement, à la disposition pater­nelle de la divine Providence, qui tout en étant bien rude pour nous, a épargné en grande partie à notre si regrettée Mère, l'amertume du sacrifice. Malgré sa force d'âme et sa générosité, elle eût ressenti bien plus vivement la douleur de la séparation, si elle eût été, à cette heure dernière, en pleine possession de ses sens, elle, qui nous avait toutes reçues en religion, aidées de ses conseils et soutenues dans nos luttes.

Dès que la triste nouvelle de la mort de notre vénérée Mère fut connue dans la ville, les témoignages de sympathie et de vénération affluèrent à notre Carmel.

Prévenus dès les premières heures du jour, tes parents de notre chère défunte, et particulièrement son frère bien-aimé, qui à toute heure et en toute occasion, ne cessèrent de nous prodiguer les marques de leur sympathie et de leur dévouement, vinrent unir leurs larmes aux nôtres. Un des membres de celle pieuse famille est encore parmi nous, le bon Dieu ayant ménagé à notre si regrettée Mère la consolation d'ouvrir les portes de l'Arche sainte à une de ses nièces, qui depuis de longues années aspirait à ce bonheur. Puisse cette bien-aimée Soeur, en véritable héritière de l'esprit et du courage de sa vénérable Tante, faire revivre longtemps au milieu de nous le souvenir de ses vertus.

Monseigneur notre saint Evêque, qui depuis de longues années appréciait les vertus et la vie vraiment carmélite de notre digne Mère, nous exprimait, au lendemain de sa mort, en termes émus et très touchants, la part immense que sa Grandeur prenait à notre deuil. M. le chanoine Arlhac, promoteur du diocèse, notre ancien supérieur, venait aussi, à la première nouvelle de ce décès, apporter à nos âmes ses paternelles consolations et nous assurer une fois de plus de son entier attachement k notre petite famille reli­gieuse. Veuillez, ma bien digne Mère, nous aider par vos saintes prières à acquitter en­vers ce bon Père notre dette de religieuse et filiale gratitude.

C'est par centaines que nous sont arrivés, de toutes parts, les témoignages les plus touchants. Nos bienfaiteurs, nos parents et les nombreux amis de notre Carmel se sont associés à nos légitimes regrets, et nous ont exprimé toute leur sympathie. La majeure partie des Communautés de notre Ville s'empressèrent d'unir leurs prières et leurs regrets au nôtres. Les deux Monastères de la Visitation, que les liens les plus fraternels et les plus intimes unissent à notre Carmel, furent des premiers à s'associer à notre deuil. Une dernière consolation nous fut accordée dans l'amer sacrifice que venait de nous imposer le divin Maître : celle de conserver, jusqu'au surlendemain, la dépouille mor­telle de notre vénérée Mère, exposée devant la grande grille du choeur. Une foule nom­breuse, mais silencieuse et recueillie, s'y succédait à toute heure, afin de contempler ces restes vénérés et de rendre un dernier hommage aux vertus de notre bien-aimée dé­funte. .

Plusieurs prêtres vinrent célébrer le saint sacrifice de la Messe dans notre chapelle, et unir leurs prières au nôtres. Le clergé nous donna, en cette triste circonstance, les té­moignages les plus consolants de sa haute estime et de sa vénération pour notre regrettée Mère ; plus de quarante prêtres ainsi que plusieurs délégations des ordres religieux as­sistèrent, dans le sanctuaire de notre chapelle, à la grand'messe des funérailles. Les obsèques de notre digne Mère furent un véritable triomphe. L'élite du clergé, conduite

par notre vénéré Père Supérieur, M. le chanoine Blancard, prévôt de la cathédrale, entra à sa suite dans le choeur, pour y faire, selon l'usage de notre saint Ordre, les ab­soutes solennelles, auxquelles assistèrent aussi nos vénérés Frères les pénitents Carmelins.   

Profondément émues et touchées des témoignages multiples de vénération dont notre humble Mère a été l'objet, nous ne pouvons nous lasser, malgré noire affliction, d'admirer le soin que notre divin Maître a pris d'exalter celle qui, pendant sa vie, n'a cherché que la croix et la plus complète abnégation d'elle-même.

Puissent tant de vertus héroïques et cachées faire participer bientôt notre regret­tée Mère à la claire vision de Dieu. Mais, comme il faut être si pur pour contempler l'ineffable beauté du Saint des Saints, et que les charges, longtemps supportées, sont un poids redoutable devant le Seigneur, nous vous supplions, ma Révérende Mère, d'ajou­ter aux suffrages déjà demandés par grâce une journée de bonnes oeuvres, une commu­nion de votre sainte Communauté, l'indulgence du Via Crucis et des six Pater, ainsi que tout ce que votre charité vous inspirera d'y joindre. Elle vous sera très reconnais­sante, ainsi que nous, qui nous disons bien humblement, avec un religieux respect au pied de la croix de Jésus,

Ma très Révérende Mère.

Votre bien humble Soeur et Servante,

Soeur MARIE-THÉRÈSE de l'Enfant-Jésus,

B. C. I. Sous-Prieure.

De notre Monastère des Carmélites du Très-Saint-Coeur de Marie, rue Reinard, 72, à Marseille, le 31 avril 1896.

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