Carmel

30 Mars 1895 – Jérusalem

 

Ma Très Révérende Mère,

Paix et très humble salut en Notre Seigneur, qui vient d'affliger sensiblement nos coeurs, en enlevant à notre religieuse affection notre bien chère Soeur Constance Marie Régis, professe du voile blanc de notre monastère, à l'âge de 50 ans 9 mois et de religion 11 ans.

Née à la Beaume (Ardèche) : notre chère "Soeur appartenait à une famille patriar­cale et très chrétienne; où les principes religieux tenaient le premier rang, et dans laquelle les ministres des Saints autels étaient en vénération. Sa mère qui unissait à le fermeté une grande bonté pour ses enfants avait une tendresse toute particulière pour Constance, dont le caractère était si timide, qu'elle osait à peine, prendre à la table de famille la nourriture qui lui était nécessaire; c'est avec attendrissement que notre chère Soeur nous, disait, tout ce que sa bonne mère faisait pour lui faire sur­monter sa timidité, sans y avoir réussi complètement.

- Constance jeune encore fut confiée pour'son éducation aux religieuses de Saint -Joseph des Vans, dont elle conservait le meilleur souvenir. C'est dans cette maison tfae se développèrent ses dispositions à la piété, dont sa bonne mère avait jeté les germes dans ce jeune coeur. Son séjour au pensionnat ne fut pas long, vu son défaut d'aptitude pour l'étude, nous, disait-elle avec humilité: à sa sortie, elle fut appliquée aux travaux du ménage, auxquels elle se livra avec le plus entier dévouement, pour soulager sa bonne mère. Constance grandissait sous l'oeil maternel, heureuse de vivre de sa vie et de se dévouer pour les siens; quand le bon Dieu lui imposa le plus douloureux des sacrifices, en appelant à Lui sa bonne mère; nous ignorons si ce fut immédiatement après cette perte cruelle, ou plus tard, que Constance fut inspirée de se mettre (à titre de dévouement) au service d'un digne prêtre, son parent; son offre fut acceptée, pendant un laps de temps. Notre soeur vivait heureuse, au service de Notre Seigneur.

Son zèle s'étendait aux soins de la maison du bon Dieu, et à parer ses autels. Com­bien de temps dura ce bonheur? Nous l'ignorons!... Mais une grave maladie de sa belle-soeur, vient lui donner une nouvelle occasion d'exercer sa charité envers les en­fants de son frère, qui lui vouèrent en retour une affection toute filiale, affection qui leur était rendue, et qui fut pour notre chère Soeur, l'occasion d'un grand sacrifice, au mo­ment de son départ pour Jérusalem; alors que neveux et nièces suspendus à son cou la suppliaient avec larmes de ne pas les quitter. Mais il lui semblait que Dieu deman­dait d'elle autre chose; cette vie était trop douce, son âme aspirait à la vie de péni­tence et de sacrifices; il lui fallait renoncer à ces créatures trop chères à son coeur, pour pouvoir donner sans partage ce coeur à son Dieu, qui le lui demandait; mais quelles luttes ne dut-elle pas supporter ? Elle tentait bien quelquefois de fermer l'oreille à l'appel du bon Maître, il lui en coûtait tant de sacrifier des affections si douces. La grâce triomphe enfin de ses résistances, son âme a des aspirations plus élevées, il faut qu'elle se détache de ce qui la retient trop à la terre; déjà sur sa demande elle est acceptée dans notre monastère, il n'est plus temps de reculer : elle n'en a pas même l'idée; un pèlerinage de pénitence vient à Jérusalem, elle en fera partie et en profitera pour accomplir son sacrifice. Quelques jours après, elle nous arrivait avec le plus grand désir de se dévouer à notre petit Carmel, qui n'était encore qu'au début de sa fondation.

Douée d'une bonne santé, notre chère Soeur en a toujours usé sans ménagement en toutes circonstances, aimant à faire des surprises, dans le but de soulager ses soeurs, employant la nuit quand le jour ne suffisait pas à accomplir les actes de charité, que lui imposait son dévouement. Que de veilles passées, cette année, à préparer des alpargates neuves pour toute la communauté à l'occasion du Jeudi Saint ! Il semblait que notre chère Soeur prévoyait sa mort prochaine en faisant ce travail; cependant, il n'en était rien. Son temps, se passait dans ses occupations de Soeur du voile blanc, qu'elle accompagnait de prières soit mentales ou vocales presque continuelles, telles que la récitation du Rosaire ou la méditation de la passion, qui étaient ses dévotions préférées, et dont elle ne manquait pas un seul jour de s'acquitter en faisant son tra­vail. Ses instants libres étaient mis à profit, pour faire chaque jour le chemin de la Croix pour soulager les âmes du purgatoire, objet de sa tendre dévotion.

Notre chère Soeur, venait de faire sa retraite de dix jours, dans les meilleures dispositions, et, comme si elle eût été la dernière de sa vie; ses résolutions étaient sérieuses et précises, jamais nous ne l'avions vue si bien disposée pour pratiquer certaines vertus sur lesquelles elle se trouvait en défaut, et qu'elle voulait sérieusement acquérir. En sortant des Saints exercices de la retraite, notre chère Soeur allait faire son mois de cuisine, sa santé ne laissait rien à désirer. Quand soudain elle est prise de fortes douleurs à l'estomac; supposant que c'était un accès de fièvre du pays, nous nous empressons de lui prodiguer les soins ordinaires, ce fut sans succès, et nous fîmes appeler notre dévoué docteur, qui à sa première visite, nous déclara que notre chère Soeur était gravement malade; il craignait que le foie fut atteint, la fièvre étant très forte; mais tout espoir n'était pas perdu, l'on espérait enrayer le mal, la constitution de notre chère Soeur était forte et pouvait la conduire à un âge avancé: mais ses jours étaient comptés, le traitement qui paraissait d'abord arrêter les progrès du mal, fut bientôt impuissant, et le délire menaçant nous préparâmes notre malade à recevoir le St Viatique, ce qui fut pour elle d'une grande consolation.

Cependant chaque jour amenait pour elle de nouvelles souffrances, elles étaient intolérables, et notre chère Soeur pressait son crucifix sur ses lèvres en Je priant de lui donner la patience et le courage du divin Crucifié. Nous avions le coeur navré de ne pouvoir calmer ses dou­leurs; sa prière était incessante pour obtenir la force de souffrir; rien, néanmoins, ne nous faisait présumer un dénouement prochain, nous pensions que son martyre se pro­longerait, mais bientôt les signes avant-coureurs de la mort se montrèrent, nous nous hâtâmes de lui faire donner l'extrême-onction, le moment de la délivrance n'était pas arrivé, ce n' était qu' une crise qui paralysa tout le côté gauche ; ses souffrances de­vinrent plus intenses, cet état comateux dura plusieurs jours, par moments, il semblait que notre chère Soeur agonissait, nous lui renouvelions les prières du Manuel; mais la crise passée, elle se rattachait à la vie et nous remerciait avec effusion des prières que nous faisions pour elle, nous promettant de nous les rendre quand elle serait au ciel ; elle renouvelait alors le sacrifice de sa vie, se laissant aller à l'impulsion de son coeur, demandant pardon avec des sentiments de profonde humilité, des peines qu'elle avait pu causer depuis qu'elle était dans la vie religieuse. Puis s'adressant avec esprit de foi aux novices et aux postulantes, elle les engageait à l'ouverture du coeur et à une filiale affection envers celles qui leur tenaient ici-bas la place de Dieu, qui lui procurait à elle-même, disait-elle, aux approches de la mort la plus grande quié­tude et la plus douce consolation. Dans ces moments, notre chère malade semblait revenir à la vie, puis elle retombait dans un état de prostration qui paraissait devoir se prolonger.

Notre chère Soeur était entourée de soins spirituels; notre dévoué père Confesseur venait tous les jours la confesser, nous ne pouvions lui renouveler la grâce de la Ste Communion, vu la difficulté qu'elle avait à prendre même les liquides.

Le Samedi 23 Mars, pendant Matines, une des Soeurs qui la veillaient, vint en toute hâte au Choeur, nous appeler. Dès que notre chère Soeur nous aperçut, elle nous jeta un regard qui semblait être le suprême adieu en nous disant : ma Mère!... Ce furent ses dernières paroles prononcées intelligiblement; mais elle conserva toute sa lucidité, s'unissant encore aux prières de la recommandation de l'âme.

Aussitôt l'office terminé, nous fîmes appeler la communauté, les prières ne cessèrent pas, jusqu'à ce que notre chère Soeur eût rendu le dernier soupir, il était 11 heures 50 minutes, lorsqu'elle s'endormit dans le Seigneur, ayant conservé sa connaissance jusqu' au dernier instant.      ;

Nous aimons à espérer que vu ses cruelles souffrances supportées avec tant de résignation, et le généreux Sacrifice de sa vie à plusieurs fois renouvelé, notre chère Soeur aura eu le bonheur d'être reçue dans le sein de Dieu, qu'elle a tant aimé. Mais il faut être si pur pour paraître devant la Majesté infinie, que nous vous prions, ma Révérende Mère, de lui accorder au plus tôt les suffrages de notre Saint Ordre. Par grâce une communion de votre Saint Communauté, une journée de bonnes oeuvres, le chemin de la Croix et l'indulgence de six Pater. Cette chère âme, vous en sera très reconnaissante, ainsi que nous qui avons l'honneur de nous dire au pied de la Croix avec un humble respect

Ma Très Révérende Mère
De votre Révérence La très humble Soeur et Servante
Sr MARIE ALOYSIA
(r. c. ind.)
De notre monastère du Coeur de Jésus au Pater Noster Jérusalem le 30 Mars 1895.
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