Carmel

30 mai 1890 – Limoges

 

MA RÉVÉRENDE ET TRÈS HONORÉE MÈRE,

Paix et très humble salut en N. S. J. C., et que sa très sainte volonté soit toujours notre force et notre consolation !

Pendant les jours bénis qui séparent la fête de l'Ascension de celle de la Pentecôte, nous nous préparions dans la retraite et le silence à la venue de l'Esprit Saint, lorsque tout à coup un grand cri s'est fait entendre: Voici l'Époux qui vient!... Il venait, en effet, le divin Maître, nous visiter par la Croix, en retirant de l'exil pour la faire entrer dans le Cénacle éternel, notre bien chère soeur Marie-Thérèse-Madeleine du Crucifix, et la mettre en possession, nous en avons la douce confiance, du trône que sa main divine lui avait préparé, au jour de son triomphe glorieux.

Notre chère soeur était âgée de 74 ans, 6 mois, 7 jours et de Religion, 56 ans et quelques jours.

 

L'arrivée de l'Époux, quoique prompte, n'a pas été pour elle imprévue et au milieu de notre juste douleur, nous éprouvons une grande consolation en pensant qu'en Vierge prudente et sage, elle se préparait depuis longtemps à ce dernier passage et que, soupi­rant sans cesse après la Patrie, elle a répondu au premier appel, par un tressaillement de bonheur.

La vie de notre chère fille peut se résumer en trois mots : prière, travail et souf­france. Au printemps de son âge, elle s'arracha à la tendresse d'une famille aussi hono­rable que chrétienne (du département du Lot). Deux de ses soeurs l'avaient précédée dans la vie religieuse et avaient été les pierres fondamentales d'une Congrégation, qui fait un grand bien dans la Sainte Église. L'une est morte, laissant après elle des oeuvres pleines devant Dieu, et l'autre fait encore la joie et la consolation de sa communauté. Deux autres soeurs et un frère restèrent dans le monde pour être le modèle des familles chrétiennes. Nous les recommandons tous à vos saintes prières, car la mort de notre chère fille les plonge dans une profonde douleur.

Notre chère Soeur s'élança dans la carrière de la perfection avec un grand courage et pendant plus d'un demi-siècle, elle a vaillamment combattu les combats du Seigneur. D'une nature ardente, pour elle plus que pour tout autre, le chemin de la sainteté devait être le rude sentier du Calvaire, car pour arriver à faire produire au champ de son âme une moisson pour l'éternité, il fallut qu'elle y creusât de nombreux sillons et qu'elle l'ar­rosât de bien des sueurs.

Grâce à Dieu, ce travail elle l'a fait! et vraiment, dès ici-bas, elle en a reçu la récom­pense par l'apaisement qui s'était produit dans tout son être ; ses dernières années, elle nous paraissait transfigurée; aussi sa mort ne nous a point surprise; elle était arrivée, il nous semble, au point que Dieu lui avait marqué, et comme Saint Paul, elle aurait pu dire: J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé ma course, il ne me reste plus qu'à rece­voir la couronne de justice, qui m'est préparée.

 

Nous avons dit que la vie de notre chère fille peut se résumer en trois mots : prière, travail et souffrance.

 

Prière. — Cette chère âme était avant tout une âme d'oraison, la solitude était son élément, le silence, sa vie. Se nourrissant avec bonheur des écrits de notre Père Saint Jean delà Croix, elle aspirait sans cesse à s'établir dans ces régions célestes, où l'âme est seule avec le seul Bien-Aimé. L'Office divin faisait ses délices et jusqu'à la veille de sa mort, elle en a réjoui saintement son âme.

Pleine de zèle pour le soulagement des âmes du Purgatoire, elle gagnait beaucoup d'Indulgences. Tout était si bien réglé, que chaque jour, chaque semaine, chaque mois avait ses pratiques particulières et jusque dans ses derniers temps, ou, courbée par ses nombreuses infirmités, elle marchait avec peine on la voyait, non sans émotion, parcourir les bras en croix, les stations de la voie douloureuse. C'était, en effet, dans la méditation des souffrances de N. S. J. C., qu'elle retrempait son courage et enflammait son âme, car disait-elle, l'amour vit d'excès.

Le Rosaire était aussi une de ses prières favorites et il fallait qu'elle fût bien malade pour qu'une journée se passât sans qu'elle offrît à sa divine Mère ce tribut de sa recon­naissance. Elle avait aussi une grande dévotion à tous les saints, et avait choisi parmi eux un protecteur pour chaque jour, afin d'obtenir telle ou telle vertu. Les Dimanches, les jours de fête, et surtout quand nous avions la grâce d'avoir le Très Saint-Sacrement exposé, nous la voyons rester à genoux au pied du Tabernacle jusqu'à extinction de for­ces, réalisant ainsi sa chère devise.

 

Le travail fut aussi le cachet de sa vie. Travail intérieur! Dieu seul a pu en mesu­rer l'étendue et se contente de répéter : elle a combattu le bon combat. Nous dirons seulement que la lutte fut acharnée et violente, et si parfois la nature parut l'emporter par quelques saillies qui montraient au dehors ce qui se passait au-dedans, elle ne posa jamais les armes et ne fit jamais pacte avec son ennemi.

Quant au travail extérieur, notre chère fille, douée d'une grande capacité et d'une adresse peu commune jointe à une vaillance extraordinaire, se faisait tour à tour maçon, menuisier, relieur, etc. Son ardeur au travail prenait un grand accroissement dans l'es­prit de pauvreté qu'elle possédait à un haut degré; elle utilisait tout, et n'épargnait ni sa peine ni son temps pour mettre son cher voeu en pratique. Tout ce qui était à son usage portait l'empreinte de cette aimable vertu, et il eut fallu lui arracher l'ouvrage des mains, alors qu'exténuée de fatigue, elle travaillait encore. Aussi nous ne nous trompons pas en disant que sa vie a été une vie de souffrances et de grandes souf­frances.

 

Souffrance intérieure, car N. S. l'a menée plus souvent au Jardin des Olives et au Calvaire qu'au Thabor, et en lui faisant boire largement au calice de ses douleurs, ce divin Maître lui en a laissé savourer toute l'amertume. O profondeur des jugements de Dieu, que vos voies sont incompréhensibles sur certaines âmes... Ici, il faut nous taire et adorer.

Les souffrances du corps furent aussi excessives, sans compter celles que lui impo­sait l'observance de notre sainte règle qu'elle aima passionnément et qu'elle observa tou­jours avec un courage héroïque. Le divin Crucifié l'étreignit de sa croix par des infirmités habituelles et de longues et douloureuses maladies, qui mirent bien souvent ses jours en danger. Mais Dieu prolongea sa vie pour augmenter ses mérites.

L'hiver dernier, une forte bronchite l'arrêta pendant des mois entiers et nous crai­gnions qu'elle ne s'en relevât pas. Néanmoins, le bon Dieu, bénissant les soins qui lui furent donnés, permit qu'elle se remît assez pour reparaître en communauté et le jour de Pâques nous la vîmes, non sans émotion, assister à tous les offices de la nuit avec une ferveur admirable. Du reste, nous étions sans cesse obligée de l'arrêter, car sa mémoire lui faisait presque toujours défaut quand il s'agissait d'une dispense, et souvent, après lui avoir recommandé de se reposer et de ne pas assister à Matines ou au réveil, nous la voyions arriver la première avec une joie d'enfant, et d'un air suppliant, elle nous demandait miséricorde. Elle continuait à s'appliquer au travail avec la même ardeur. Ces derniers jours, elle était occupée à confectionner des bouquets pour une église pauvre, et elle a emporté dans la tómbe le regret de ne les avoir point achevés, aussi, dans ses moments de délire, elle redemandait ses chers bouquets, voulant les finir à tout prix.

 

Le jour de l'Ascension, avec nous elle s'enfonça dans le désert, et nous ne nous doutions pas que c'était le moment choisi pour le céleste rendez-vous. Le mercredi matin, elle assista à la Sainte Messe, vint à la lecture que nous faisions chaque jour à la Com­munauté pour préparer nos chères filles à recevoir le Saint-Esprit. Au sortir de cette lecture, elle vint nous trouver à notre petit office pour nous parler de son ouvrage. Nous fûmes frappées de l'altération de ses traits : et nous lui dîmes : Qu'avez-vous donc, ma chère fille? — Ce n'est rien, ma Mère, nous dit-elle qu'un peu de fatigue. Néanmoins, notre coeur s'inquiétait et retenue pour une affaire, nous priâmes l'infirmière de la suivre et de lui donner quelque soulagement. Notre bonne soeur lui fit prendre une tasse de tisane qui la soulageait ordinairement beaucoup. Revenant auprès d'elle quelques moments après, elle trouva sa chère malade assise au travail, et lui dit: Vraiment, ma soeur, je crois que vous reviendrez de l'autre monde pour travailler. Notre bonne soeur sourit et assura qu'elle était mieux.

 

Malgré cela, notre chère Infirmière se rendit de nou­veau auprès d'elle quelques moments après, et qu'elle ne fut pas sa surprise de trouver notre bonne soeur étendue à terre. Je suis tombée, dit-elle, et ne puis me relever. Appelant de suite une de nos Soeurs du voile blanc, grande et forte, elles parvinrent, non sans peine, à la mettre sur son lit, malgré les instances de notre chère fille, qui suppliait qu'on la laissât au travail. Notre bonne Infirmière crut que ce n'était qu'une de ces fatigues qu'elle avait souvent et ne s'inquiéta pas. Nous avions été appelée au parloir par notre vénéré Père supérieur et ce ne fut qu'en le quittant, que notre Infirmière vint nous avertir de l'état de notre bonne soeur Madeleine du Crucifix en nous disant que ce ne serait rien. Nous nous rendîmes aussitôt auprès d'elle; à l'altération de ses traits nous fûmes alarmée et nous envoyâmes immédiatement chercher notre bon Docteur, qui arriva sans retard. Il nous confirma dans nos tristes pressentiments, disant qu'il crai­gnait une attaque séreuse et qu'il était prudent de la faire administrer. Nous fîmes alors avertir notre bon Père confesseur, qui malgré son état de souffrance vint de suite. Mais le mal augmentait progressivement, et déjà notre bonne soeur n'avait pas assez de con­naissance pour se confesser et recevoir la Sainte Eucharistie. Elle reçut la Sainte abso­lution et l'Extrême-Onction sans se rendre compte de la grâce qui lui était faite. Elle nous connaissait cependant, mais n'avait pas assez de présence d'esprit pour suivre une idée. Nous étions profondément affligée de ne pouvoir lui faire recevoir les sacrements de notre Sainte Mère l'Église avec toute sa lucidité d'esprit et nous suppliions N. S. de nous accorder cette grâce.

Dans l'après-midi, notre vénéré Père supérieur entra la bénir et lui fit avec nous la recommandation de l'âme, unissant ses prières aux nôtres, pour lui obtenir la grâce que nous désirions tant. Le soir, nous eûmes la pensée de mettre sur la tête de notre chère malade un morceau d'étoffe qu'une de nos soeurs Tourières avait fait toucher au Chef de saint Martial, exposé dans une église de notre ville à cause des Ostensions septennales, et nous demandâmes à ce grand saint de nous obtenir cette grâce. Gloire en soit rendue à notre glorieux apôtre, qui a bien voulu nous entendre ; dès le jeudi, notre chère fille nous parla si bien, que nous pûmes lui proposer de se confesser et de recevoir la Sainte Eucharistie, ce qu'elle accepta de grand coeur, car l'annonce delà Patrie était pour elle une fête, et elle s'écria : Ah! quel bonheur !

Notre bon Père confesseur entra de suite après la Messe de Communauté; elle se con­fessa avec toute sa connaissance, reçut le Saint Viatique avec une grande ferveur, demanda pardon à la Communauté, renouvela ses saints voeux, et alors son âme et la nôtre s'unirent dans un même chant d'action de grâce. Nous nous sentions plus forte pour le sacrifice maintenant que nous avions pu lui procurer les secours que notre Mère la Sainte Église réserve à ses enfants pour le dernier combat.

 

Une paix du Ciel était répandue sur les traits de notre chère malade; elle recevait avec un grand esprit de foi ce que N. S. mettait pour elle sur nos lèvres. Ma mère, nous disait-elle, vos paroles tombent sur mon âme comme une douce rosée et me donnent du courage, car si la pensée de quitter la terre est pour moi une fête, je souffre d'avoir une si grande dette à expier et combien sera long mon purgatoire. Lui parlant alors de la Miséricorde infinie de notre Dieu, elle se livrait à la confiance et nous disait: Mon âme se fond de reconnaissance envers N. S. et envers vous, ma Mère, et cela me rappelle l'état dans lequel je me trouvais après des luttes intimes, où après avoir travaillé des journées entières à me tenir dans le silence intérieur, N. S. me faisait entrer tout à coup dans un désert où je trouvais tant de délices que je lui disais de tout mon coeur : O Seigneur, quand il n'y aurait pas d'autre Paradis que celui que vous me faites goûter, je m'en contenterais et n'en voudrais pas d'autre.

 

Pendant que son âme s'unissait ainsi à notre divin Maître, son corps continuait à être brisé par la souffrance. Elle endurait le tourment de la faim, de la soif, sans qu'on pût la soulager, à cause d'un grand étouffement. Ne pouvant plus se remuer, elle souf­frit dans tous ses membres avec une telle patience, que pendant huit jours qu'a duré son martyre, elle n'a pas laissé échapper une seule plainte. Ah! c'est qu'elle savait ce que c'est que la souffrance ; elle avait fait cet apprentissage toute sa vie et maintenant, elle pouvait faire résonner aux oreilles de son Bien-Aimé une dernière fois les cordes de son luth, sans qu'aucune fausse note en troubla l'harmonie. Toutes nos Soeurs entouraient ce lit de douleur et pour toutes, elle avait un regard doux et céleste qui parlait plus éloquemment que beaucoup de paroles. Chacune récla­mait le bonheur de lui passer la nuit, car il fallait être plusieurs pour la remuer, mais nos chères Infirmières ne voulaient point céder leur place; oubliant leur fatigue, elles se multipliaient pour essayer de la soulager.

Nous ne la quittions ni le jour ni la nuit, craignant une surprise, et notre chère mourante en était si profondément touchée qu'elle ne cessait de nous en témoigner sa gratitude, nous suppliant de nous asseoir, de nous reposer, s'oubliant pour penser à nous.

Nous lui donnions toutes nos commissions pour le ciel, et nous lui parlions de sa famille, ses chères soeurs, ses neveux et ses nièces, bien désolés de la savoir si malade. Elle nous assura qu'elle ne les oublierait point et qu'elle prierait pour eux tous, quand elle serait près du bon Dieu.

Le Lundi matin notre Père confesseur entra pour la confesser ce qu'elle fit avec sa pleine connaissance, mais elle ne put recevoir do nouveau le Saint Viatique dans la crainte d'un accident. Notre bon Père lui appliqua toutes les Indulgences de l'ordre, du diocèse et lui redit ses pieux encouragements, elle le remercia de tout son coeur, et nous vous demandons très instamment. Ma Révérende Mère, de vouloir bien unir vos prières au nôtres pour la santé de ce digne Père qui nous donne de sérieuses inquiétudes.

Dans l'après-midi notre vénéré Père Supérieur vint visiter sa fille agonisante ; il fit tomber sur son âme quelques-unes de ses paroles qui sortent toujours de ses lèvres et la bénit une dernière fois. Enfin, pour comble de grâce Mgr notre digne Évêque, averti de sa maladie, lui envoya ses plus paternelles bénédictions lui faisant promettre de prier tout spécialement pour elle au Saint Sacrifice du lendemain.

Comblée de toutes ces grâces, notre chère malade avançait vers le terme. Notre bon Docteur qui un moment nous avait donné un peu d'espoir nous déclara qu'elle ne passe­rait peut-être pas la nuit; l'agonie commençait mais une agonie où la douleur se joignait aune paix inexprimable. Pendant que les tortures de son pauvre corps augmentaient sa patience redoublait et son regard s'illuminait d'un rayon de la Patrie... Toutes ses chè­res Soeurs venaient tour à tour se recommander à ses prières et d'un signe affirmatif elle promettait tout. De sa main défaillante, elle envoyait à chacune un baiser fraternel en disant: Adieu, Adieu! Les larmes coulaient autour d'elle ; elle seule était calme, rayon­nante. Nous lui fîmes encore renouveler ses saints voeux et offrir le sacrifice de sa vie pour notre Mère la Sainte Église, pour notre Saint Père le Pape, pour notre pauvre .Patrie, pour notre Saint Ordre, ses Supérieurs, sa chère Communauté qu'elle aimait tant, et toutes les intentions possibles. Elle nous répondit avec un accent ineffable. Oh! bien sûr... Oh! bien sûr!...

Nous lui avons récité jusqu'à douze fois les prières du manuel, elle-même ne cessait de prier et jusque dans les bras de la mort, elle demandait encore à dire son office, à aller à Matines. Pauvre chère Soeur, ce n'était plus sur la terre que Jésus attendait ses louanges, mais elle allait voir enfin la réalisation de ce qu'elle avait si souvent redit à son Bien-Aimé.

            Oui je t'aimerai divine beauté

            Je te contemplerai durant toute l'Eternité !

Notre chère fille avait eu dans sa jeunesse une voix très harmonieuse et son âme, nous disait-elle était chantante. Dans ses longues insomnies, elle composait mille chants d'amour à son divin Époux.

Pendant la journée du mardi nous crûmes le dernier moment arrivé et nous réu­nîmes de nouveau la Communauté pour redire les dernières prières. Notre pauvre mourante, grâce à notre grand Apôtre, conserva toute sa connaissance jusqu'à la fin et put profiter de tout ce qui fut fait pour elle. La crise passa ; l'heure suprême n'était pas arrivée. Après Matines nos Soeurs revinrent, prièrent longtemps avec nous ; mais voyant | que l'agonie se prolongeait, espérant qu'elles la retrouveraient le lendemain nous les envoyâmes se reposer gardant avec nous ses Infirmières et deux de nos Soeurs du voile blanc, dont l'une était chargée depuis longtemps de la servir, ce qu'elle a fait avec un grand dévouement ; notre chère malade lui était si attachée, si reconnaissante que pen­dant sa maladie elle lui disait : Comment pourrai-je, ma chère Soeur, vous rendre ce que vous faites pour moi ? Ah ! je vous promets de vous obtenir tout ce que vous désirerez.

Pendant cette dernière nuit, nous ne cessions pas une seule minute de prier. Tout ce qui fut possible de dire fut dit, les hymnes à la Très Sainte Vierge, les psaumes, les litanies, le rosaire, les prières de la recommandation de l'âme, les invocations à tous les saints, tout fut récité avec une ardeur incessante, et tout à coup notre chère Soeur commença le Te Deum, que nous continuâmes avec attendrissement. 

 

A quatre heures du matin voyant que la respiration baissait nous fîmes passer la matraque, afin que sa famille religieuse eut la consolation de l'entourer. Nos Soeurs arrivèrent en toute hâte autour de ce lit d'où s'échappait un parfum du Ciel. Rien d'effrayant en effet dans notre chère agonisante ; ses bras avaient pris d'eux-mêmes la position de notre Jésus sur la croix, ses yeux levés au Ciel et l'expression de douleur et de paix céleste répandue sur tout son visage, en faisait une vraie image du Crucifix. Nous lui redîmes les paroles de notre adoré Maître sur la Croix, et comme au Calvaire, on n'en­tendait plus qu'un silence profond entrecoupé de nos larmes et de nos prières mêlées aux gémissements de la poitrine haletante de notre pauvre mourante. Tout à coup, ô moment solennel... trois soupirs nous annoncèrent que cette chère âme avait paru devant Dieu. Tout était consommé ! Notre bonne Soeur quittait cette triste terre à 4 h. 25 minu­tes, le 23 Mai 1890, année où dans notre diocèse de Limoges on célèbre les Ostensions septennales de tous les Saints dont on possède les reliques. C'était vraiment une consola­tion dans notre douleur de penser que c'était sous l'auspice de tous ces bienheureux qu'elle allait paraître devant Dieu. C'était aussi dans le même mois de Marie qu'elle avait quitté le monde pour le Carmel, il y a 56 ans!... Ses yeux se fermèrent d'eux-mêmes et son visage conserva son air de paix et de repos céleste. Malgré notre profonde tristesse, nous bénissions le bon Dieu de toutes les grâces accordées à notre chère défunte. Pendant qu'elle est restée exposée bien des personnes sont venues prier auprès de sa dépouille mortelle et c'est Jeudi matin qu'ont eut lieu les obsèques. Bien des amis de notre Monas­tère ont voulu l'accompagner jusqu'à sa dernière demeure. Elle repose maintenant loin de nous, car nous n'avons pas la consolation de garder la dépouille de nos chères mortes ; mais la séparation n'est que passagères et du haut de la Patrie, elle nous obtiendra toutes les grâces qu'elle nous a promises.

Nous avons le doux espoir que ses longues souffrances supportées avec tant d'amour lui ont mérité un accueil favorable du Souverain Juge ; mais comme il faut être si pur pour paraître devant la pureté Infinie, nous vous prions. Ma Révérende et très honorée Mère de vouloir bien lui faire rendre au plus tôt les suffrages de notre Saint Ordre. Par grâce une Communion de votre Sainte Communauté, une journée de bonnes oeuvres, le Via Crucis, les six Pater de l'Immaculée Conception, une invocation à N.-D. du Mont Carmel, à N.-P. Saint Joseph, à notre Sainte Mère Thérèse, à notre P. Saint Jean de la Croix, à Sainte Madeleine sa patronne et à Sainte Gertrude, objets de sa tendre dévotion. Son âme reconnaissante vous le rendra, ainsi que nous, qui avons la grâce de nous dire,

Ma révérende et très honorée Mère, au pied de la Croix,

 

Votre très humble soeur et servante,

Soeur Marie Baptiste

Rel. Carm. ind.

De notre monastère de la Sainte Mère de Dieu et de notre Père Saint Joseph des Carmélites de Limoges.

Le 30 Mai 1890.

 

Limoges. — Typ. Marc Barbou et Cie.

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