Carmel

29 octobre 1895 – Cahors

 

Ma Révérende et très honorée Mère,

Paix et très humble salut en Notre Seigneur, qui, pour la deuxième fois, vient do nous associer à son calice de douleur en retirant du milieu de nous notre très chère et regrettée soeur Jeanne-Sophie-Joséphine-Marie de Saint-Gabriel professe de notre Communauté, à l'âge de 72 ans, 3 mois, et 52 ans, 4 mois, de vie religieuse.

Notre très chère soeur nous avait plusieurs fois demandé de ne lui faire de circu­laire que pour réclamer les suffrages de notre saint ordre, voulant y faire participer les âmes du purgatoire, en faveur desquelles elle avait fait le voeu héroïque.

Le billet ci-joint, que nous avons trouvé dans ses papiers, vous fera bien connaître, ma Révérende Mère, les pieuses intentions de notre chère soeur.

 

"Ma Révérende et bonne Mère,

Le bon Dieu me fait la grâce d'être on ne peut mieux convaincue, de l'embarras où vous vous trouverez d'avoir à me faire une circulaire. Votre charité ne vous permettant pas de mettre au jour mes nombreuses infidélités, la vérité pourrait être blessée en m'attribuant des vertus que je n'aurais pas pratiquées ; je vous prie donc très humblement et très instamment, Ma Révérende et bien-aimée Mère, de vouloir bien adhérer à la volonté du bon Dieu, qui m'a toujours pressée de vous faire cette demande pour rendre hommage et amour à la vérité." 

Tout en cédant aux humbles désirs de notre chère soeur, nous devons cependant vous dire, Ma Révérende Mère, que depuis son entrée parmi nous, elle a été un vrai modèle d'édification et de parfaire régularité. Humble, silencieuse, d'une piété exem­plaire, sa charité tendre et affectueuse la rendait chère à toutes nos soeurs. Ses Mères Prieures ont toujours trouvé aide et secours dans ses sages conseils. D'un dévouement sans borne pour sa chère communauté, que de services ne lui a-t-elle pas rendus par son intelligence, son adresse et son ben goût pour toutes sortes d'ouvrages ! C'est surtout dans l'office de la sacristie, dont elle a été chargée depuis bien des années, qu'on a pu admirer son grand esprit de foi envers le Très Saint Sacrement et sa ten­dre dévotion envers la Très Sainte Vierge. Aussi quelle joie n'éprouvait-elle pas, lorsqu'elle pouvait se procurer des ornements plus beaux pour témoigner son amour à Notre Seigneur, et à sa divine Mère ! C'est dans ce même but que les vases sacrés, et tout ce qui a rapport au divin service, brillaient de propreté ; elle nous a laissé la sacristie dans l'ordre le plus parfait.

Elle allait à ses supérieures avec la simplicité et la candeur d'un enfant, voyant toujours le bon Dieu, en eux.

Après son décès Monseigneur, notre vénéré Supérieur, voulut bien venir bénir la communauté et nous apporter quelques paroles de consolation. Sa Grandeur nous dit que nous devions plutôt nous réjouir que nous attrister de son départ, qu'Elle avait la douce confiance que sa chère âme était déjà en possession du bonheur des élus.

Il nous reste à vous parler, Ma Révérende Mère, de ses derniers moments. Nos coeurs étaient d'autant plus affligés, que cette séparation a été plus prompte, depuis quelques jours l'estomac de notre bonne soeur était un peu dérangé, cependant elle continuait à remplir ses devoirs. Le 20 septembre la trouvant plus fatiguée nous priâmes Monsieur notre Docteur de venir la voir ; après l'avoir bien examinée il nous dit, en se retirant, que son état était sérieux, sans danger imminent toutefois. Après le départ du Docteur notre chère soeur prit son petit repas, et vers 6 heures elle fut conduite à sa cellule par notre chère soeur infirmière, qui après l'avoir aidée à se mettre au lit, la quitta bien tranquille. A la fin de Compiles elle ne paraissait pas plus fatiguée ni après Matines lorsque nous vînmes la voir; elle prit même un peu de lait avec plaisir, cependant elle fut très agitée pendant la nuit. Le matin au réveil de la communauté nous la trouvâmes très oppressée, elle éprouva le besoin de repren­dre du lait, et après l'avoir pris elle s'arrangea elle-même dans son lit disant qu'elle allait dormir. Nous la quittâmes et nous nous rendîmes au choeur pour le Veni Sancte.

Après Primes la bonne soeur du Voile Blanc la voyant plus oppressée vint en toute hâte nous avertir; en arrivant à sa cellule nous la trouvâmes sans connaissance Au même instant nous priâmes Monsieur notre Chapelain, qui en ce moment était dans la chapelle, d'entrer immédiatement pour lui administrer les derniers sacrements ; hélas ! Malgré toute la promptitude qu'il mit a se rendre à la porte de clôturé il arriva trop tard, notre chère et si bonne soeur venait de rendre sa belle âme à Dieu, dans l'attitude d'une personne qui dort d'un paisible sommeil, avec un doux sourire sur ses lèvres, nous laissant toutes plongées dans la consternation. Mais, Ma Révérende Mère, ce qui adoucit un peu notre profonde douleur, c'est que notre chère soeur, se préparait depuis quelque temps à son dernier passage, comme si elle avait eu la certitude de sa mort prochaine.

La vie si édifiante de notre chère soeur nous donne la douce confiance qu'elle a reçu un bon accueil du Souverain Juge ; mais, comme les desseins du Seigneur sont impénétrables, nous vous prions, Ma Révérende Mère, de vouloir bien ajouter aux suffrages déjà demandés, par grâce, une communion de votre Sainte Communauté l'indulgence des six Pater, celles du chemin de la croix, une invocation à la Sainte Famille, à Saint Joachin, à Sainte Anne, à Notre Mère Sainte 'Thérèse, et à tous ses Saints Patrons; elle vous en sera très reconnaissante, ainsi que nous, qui avons la grâce de nous dire au pied de la croix, avec un profond respect,

Ma Révérende et très honorée Mère,

Votre très humble servante.

Soeur Marie de Saint Michel.

R. C. I.

De notre Monastère de la Sainte Famille et de notre Sainte More Sainte Thérèse des Carmélites de Cahors, ce -29 octobre -1895.

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