Carmel

28 Octobre 1893 – Jérusalem

Ma Très-Révérende Mère

Paix et salut en Notre Seigneur! dans la douloureuse épreuve qu'il a voulu per­mettre, par la mort subite de notre chère Soeur Marie du Calvaire, âgée de 37 ans 8 mois et de Religion 16 ans et 6 mois.

Un billet par lequel, dans sa profonde humilité, notre chère Soeur nous prie de ne lui faire de circulaire que pour demander les suffrages, nous impose un sacrifice. Car ç'eut été pour nous, dans notre douleur, une consolation de nous entretenir des vertus que nous lui avons vu pratiquer, sa vie pouvant se résumer en deux mots : amour et sacrifice.

Notre chère Soeur naquit à Althein des Paluds, diocèse d'Avignon. Son père, un chrétien de vieille roche, eut la consolation de voir ses enfants garder fidèlement les principes qu' il leur avait inspirés dès leur plus tendre enfance ; et il était beau de le voir chaque année, le jour de Pâque, à la Sainte Table, entouré de ses enfants lui for­mant comme une couronne. Notre chère Soeur Marie du Calvaire, qui était la plus jeune de cette nombreuse famille, reçut au baptême le nom de Thérèse.

Douée d'un coeur aimant et sensible, Dieu qui la voulait tout à lui, brisa de bonne heure les liens les plus forts et les plus doux qui pouvaient l'attacher à la terre. A 13 ans elle perdit sa bonne mère et elle n'avait que 17 ans quand son père lui fut enle­vé. C est à cette époque que notre chère Soeur sentit germer dans son coeur la voca­tion religieuse et un attrait irrésistible pour le Carmel, dont les portes ne devaient s'ouvrir pour elle que quatre ans après ; mais elle commença, dès lors, une vie d'épreuves intérieures qui n' ont cessé jusqu' à son dernier jour. Reçue par nos chères Mères de Carpentras pour Jérusalem, notre Soeur Marie du Calvaire nous arriva après sa prise d'habit, avec le ferme désir de .se sanctifier par l'immolation, pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, là où Notre Seigneur avait vécu et souffert pour le rachat du genre humain. Admise à la sainte profession en son temps, ce fut à partir du jour de sa do­nation entière à Jésus qu' il devint pour elle un époux de sang ; et, pendant quatorze ans, notre chère Soeur a enduré dans son âme tout ce qu'il y a de plus crucifiant, sans que jamais sa ferveur se soit ralentie. Témoin de ses souffrances intérieures (car la chère enfant jusqu'à sou dernier jour nous a fait lire dans son coeur) nous admirions son calme extérieur, son égalité d'humeur, sa douceur, sa patience, sa fidélité aux petites choses, sa charité qui ne se démentit jamais un instant, au milieu de conflits intérieurs et in­cessants, où, parfois, tout l'enfer semblait déchaîné contre cette chère âme. Au moment du Congrès eucharistique, notre chère Soeur s'offrit en victime et le bon Dieu accepta son sacrifice. Car, dès ce moment, ses souffrances intérieures redoublèrent d'intensité, à tel point qu'elle endurait un vrai martyre, sans compter tout ce qu'elle s'imposait, étant très-ingénieuse à trouver les moyens de porter dans sa chair la passion de Jésus-Christ.

Mais nous nous arrêtons, ayant déjà dépassé les limites que nous nous étions prescrites.

Et maintenant, ma Révérende Mère, que vous dire de la mort de notre chère Soeur? Hélas! nous n'avons pas eu la consolation de lui fermer les yeux. Il y a environ trois semaines, ma Soeur Marie du Calvaire avait éprouvé une certaine fatigue de tête et notre médecin, qui en toute occasion nous donne des preuves de son dévouement et que nous recommandons, ma Révérende Mère, aux prières de votre communauté, prescrivit un trai­tement qui, tout d'abord, avait paru soulager notre chère Soeur continuant à suivre tous les actes de communauté et vaquant à ses occupations ordinaires. Dimanche dernier, jour octave de la fête de notre mère Sainte Thérèse, elle vint deux fois chez nous dans la matinée, sans que rien ne fit pressentir sa fin si prochaine : mais ne la voyant pas à l'examen ni au benedicite, elle si exacte à tout, et ayant envoyé une Soeur s'informer du motif de son absence, celle-ci la trouva sans mouvement. Le médecin fut appelé. En l'attendant, nous fîmes tout ce qui était possible pour la rappeler à la vie; ce fut en vain; et, quand notre bon Docteur arriva, il ne put que constater la mort de notre chère Soeur. Jugez, ma Révérende Mère, de notre douleur!... Nous perdions en ma Soeur Marie dû Calvaire un modèle de toutes les vertus. Que la volonté de Dieu soit faite! c'est le cri de nos coeurs, remplis de douleur mais résignés.

Veuillez, ma Révérende Mère, faire rendre au plus tôt les suffrages à notre chère Soeur; par grâce, une communion de toute votre Ste Communauté, une journée de bonnes oeuvres, l'indulgence du chemin de la croix et celle des six Pater. Elle vous en sera très reconnaissante, ainsi que nous qui aimons à nous dire bien fraternellement, en Notre Seigneur, .

Ma Révérende Mère,

 

Votre très-humble Soeur et servante

Sr MARIE ALOYSIA

(r. c. ind.)

De notre monastère du Sacré Coeur de Jésus des Carmélites du Pater Noster, à Jérusalem, le 28 Octobre 1893.

P. S. Nous sommes fidèles à faire dire la messe pour toutes les Soeurs défuntes.

Nous osons vous demander une prière, pour obtenir que la place de notre chère Soeur soit bien vite remplie par une bonne vocation.

 

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