Carmel

27 mars 1894 – Agen

 

Ma Révérende et très honorée Mère,

 

Très humble et respectueux salut en Notre-Seigneur qui vient d'appeler aux récompenses célestes notre bien-aimée soeur Brigitte-Marie-Emmanuel, âgée do 88 ans et sept mois, et de religion 70 ans et deux mois.

Élevée à l'école de nos anciennes Mères, qui avaient soutenu la grande épreuve de la tourmente révolutionnaire, notre chère doyenne en avait pris l'esprit et acquis les vertus qu'elle conserva admirablement. C'est pourquoi elle était au milieu de nous comme un témoin des anciens temps et une relique sainte que nous ne cessions d'entourer de tout notre amour et de notre vénération.

Sa précieuse mort, en nous affligeant profondément, remplit nos coeurs d'une très douce consolation, par la ferme confiance qu'elle nous donne de son bonheur dans la gloire ; car elle laisse notre Communauté embaumée de l'odeur de ses vertus et du plus parfait esprit religieux.

Née en 1805 d'une famille honorable du diocèse d'Agen, elle reçut une éduca­tion très chrétienne. Notre chère Soeur, vivifiée par une sève si pure, plantée dans un champ fertile et plein de bénédictions, a produit au centuple les fruits les plus précieux dans tout le cours de sa longue carrière. L'Époux céleste l'avait choisie pour la cultiver de sa main, la garder comme la prunelle de l'oeil, l'entourer de soins, de grâces sans nombre, et la mettre à l'abri des orages des passions humaines; si bien qu'après une existence de près d'un siècle, nous sommes convaincue, ma Révérende Mère, qu'elle a conservé l'innocence baptismale.

« Mon coeur a toujours été à Dieu, je l'ai toujours aimé, et je n'ai aimé que lui, nous disait-elle avec la candeur d'un petit enfant ; mais, ma Mère, toute la gloire en revient à Dieu seul, car c'est à lui que je dois cette grande grâce ! »

Sa soeur, plus jeune qu'elle, devenue sa compagne, écoutait avec joie ses pieux projets qui tendaient uniquement à faire de fréquentes visites à Jésus dans son Tabernacle; et on les voyait souvent se diriger ensemble vers l'église de la paroisse. Notre-Seigneur ne pouvait que bénir de si touchants attraits dans ces petites âmes qui ne respiraient déjà que son amour. Il les marqua en effet de son sceau divin, voulant les transplanter plus tard, comme deux lis, au désert du Carmel, où elles furent des modèles de ferveur et de fidélité jusqu'à leur dernier soupir.

Notre bien chère Soeur Emmanuel fit sa première Communion dans les senti­ments de la plus tendre pitié ; mais l'appel de la grâce ne se fît entendre à son coeur que quelques années plus tard. Elle comprit alors que Dieu la voulait toute consa­crée à lui dans la vie religieuse ; cependant il restait encore dans son coeur une incertitude : c'était le choix de l'Ordre dans lequel elle devait entrer. Notre-Seigneur avait fait trouver à cette chère enfant, dans sa paroisse, comme directeur, un très digne prêtre qui sut encourager et développer les pieuses aspira­tions dont l'Esprit Saint favorisait son âme. Il l'aida à seconder les desseins de Dieu, mais sa délicatesse lui fit éviter avec soin de donner à sa pénitente le moindre con­seil pour le choix de telle ou telle vocation, ne voulant aucunement l'influencer dans une détermination d'une si haute importance.

La jeune Brigitte elle-même n'ayant point encore eu de lumière à ce sujet et ne connaissant aucune Communauté religieuse, ne ressentait pas plus d'attrait pour l'une que pour l'autre. Ayant eu l'occasion de se rendre à Agen, elle en profita pour prendre des informations sur les divers couvents de notre ville. Toutefois, le Car­mel n'avait pas encore eu sa visite. Elle y fut reçue par la Révérende Mère du Saint-Sacrement, qui avait su traverser la tempête révolutionnaire avec quelques fidèles débris de sa Communauté, sans en laisser rompre les anneaux, et qui s'était hâtée de la reconstituer aux premières lueurs de paix, en achetant un pauvre et insalubre réduit, où nos Soeurs se trouvèrent cependant bien heureuses de s'ins­taller.

Ici, ma Révérende Mère, la chère enfant comprit à l'instant qu'elle avait mis le pied sur la terre de "promission" ; et, tout en écoutant la digne Mère qui l'instruisait sur nos saintes observances, elle sentait la grâce agir fortement dans son âme. Néan­moins toujours prudente à l'excès, elle laissait croire qu'elle demandait des rensei­gnements pour une postulante quelconque, mais en elle-même, elle se disait avec conviction : « C'est bien ici que Dieu me veut ! » Ce ne fut qu'avant son départ que notre bonne Soeur découvrit son dessein, en s'écriant joyeusement : « Eh bien ! ma Mère, cette postulante, c'est moi !... »

Dès lors les affaires furent bientôt réglées, et le jour du départ de la maison paternelle fixé à une époque prochaine. Elle était alors âgée de 18 ans. Elle com­mença son noviciat avec une grande ferveur. Candide comme l'enfant d'un jour, il ne lui fut pas difficile de laisser imprimer en sa belle âme l'esprit d'enfance, propre au Carmel. La blancheur de son âme se révélait jusque dans son vêtement. Elle avait apporté avec elle sa robe de première communion, et durant le temps de son postulat, nos anciennes Mères se faisaient une vraie fête de l'en revêtir tous les Dimanches, ce qui causait une joie sensible à la Communauté qui l'entourait avec le plus vif intérêt.

Les postulantes étaient très rares à cette époque ; nos Soeurs peu nombreuses, et, en grande partie, âgées ou infirmes. Notre bien chère fille fut heureuse d'aider de tout son pouvoir ses vénérées Mères et Soeurs. La petite Communauté, touchée de son zèle et des saintes dispositions de son âme pure et fervente, l'admit avec bonheur à la prise d'habit, et à la profession aux temps ordinaires.

Lorsque votre vénérée Mère Catherine, envoyée par ses Supérieurs, fut arrivée à Agen pour accomplir la grande mission de Fondatrice que Dieu avait dessein de lui confier, elle trouva notre bien-aimée Soeur professe déjà depuis plusieurs années. Cette âme droite et franche se livra à sa nouvelle Prieure avec le plus complet abandon. Elle possédait à un haut degré l'esprit de foi et de simplicité qui ani­mait toutes nos Soeurs anciennes. Leur esprit si religieux consolait grandement notre Mère bien-aimée et l'aidait à porter le lourd fardeau qui venait de lui être imposé ; car toutes s'étudiaient à l'envi à adoucir sa charge par une docilité pleine d'amour et par ces mille témoignages de soumission qu'elles ne cessaient de lui rendre.

Notre bien chère Soeur Emmanuel fut témoin de la transformation qui s'opéra par l'action active et puissante de notre vénérée Mère Catherine, de ses préoccupa­tions, de ses fatigues et de ses souffrances dans l'entreprise de la fondation de notre monastère ; mais elle la vit aussi triompher des obstacles que n'aurait su vaincre une âme ordinaire dans une affaire d'une si haute importance, et couronner de succès son premier chef-d'oeuvre, en plaçant dans la nouvelle solitude sa petite ruche d'abeilles. Cette translation eut lieu avec une pompe extraordinaire. Lorsque la porte de clôture du nouveau monastère s'ouvrit pour recevoir ces vingt reli­gieuses pauvres et cachées, qui avaient fait dans tous les coeurs de si profondes impressions, on ne saurait dire avec quels transports de sainte allégresse elles retrouvèrent ces cloîtres pieux qu'elles n'avaient pas revus depuis la révolution, ces lieux réguliers et ces murs bénis aux formes monastiques et à la clôture exacte.

Notre bien chère fille n'était pas la dernière à entourer notre Mère vénérée de la plus profonde gratitude. Quel empressement ne mettait-elle pas à recevoir ses instructions et à s'impressionner de tous les principes de la vie religieuse ! Avide de recueillir toutes ses paroles, elle montrait immédiatement dans sa conduite le fruit qu'elle en retirait. S'appliquant sérieusement à la pratique de l'humilité, elle était reconnaissante et joyeuse de recevoir une observation ; et plus tard, notre bien-aimée Mère qui connaissait sa vertu, voulant donner un exemple admirable à nos jeunes novices, la reprenait à dessein quelquefois sans sujet... mais notre aimable Soeur se prosternait promptement, le sourire sur les lèvres, prouvant en cela com­bien elle était heureuse de la réprimande qui lui venait de son Dieu visible.

Nous nous sentons impuissante, ma Révérende Mère, à vous retracer ce type de la vraie Carmélite, ce caractère profondément religieux qui faisait revivre sous nos regards les vertus fortes et solides de nos devancières dans la vie monastique : esprit de foi, simplicité, humilité, obéissance surtout.

L'Oraison et le saint Office faisaient ses délices ; là, son âme était dans son centre; elle pouvait y satisfaire son besoin d'amour et ses désirs ardents de traiter coeur à coeur avec son Dieu.

Chargée successivement de divers offices et même de plusieurs à la fois, elle s'en acquittait toujours avec un grand zèle, avec ce dévouement et cet esprit de prière qui ne la quittaient jamais.

Notre fervente soeur conservait son âme dans une grande pureté, sa délicatesse de conscience s'alarmait devant l'ombre d'une imperfection ; quand il lui semblait avoir commis la plus légère infidélité, croyant avoir mis un nuage entre son âme et Dieu, elle s'en accusait d'une manière qui nous faisait comprendre combien son coeur souffrait de la pensée qu'elle avait pu déplaire à ce Jésus qu'elle aimait tant. C'était surtout dans sa préparation à la sainte communion que nous voyions jusqu'où allait la délicatesse de cette belle âme ; elle ne croyait jamais en faire assez pour le Dieu de l'Eucharistie, et, suivant la pieuse coutume des Saints, elle partageait son temps entre la préparation et l'action de grâces.

L'Epoux céleste lui faisait ressentir ses divines exigences, aussi quelles n'étaient point son attention et sa fidélité à profiter des inspirations de la conscience et de ses plus secrets mouvements ! C'est ce point, si essentiel pour l'avancement des âmes, qui l'a conduite à l'intime union avec Notre-Seigneur ; et c'est dans cette fidé­lité que son amour pour lui prenait sans cesse une nouvelle extension.

A la récréation, on l'interrogeait quelquefois sur ses dévotions et sur ses rap­ports avec Dieu, afin de chercher à l'embarrasser ou à l'obliger de faire une réponse aimable à laquelle on s'attendait toujours. En effet, notre bien-aimée fille ne se trouvait jamais surprise, quelque demande qui lui fût faite ; toute remplie de l'esprit de Dieu, elle répondait avec un tact si religieux et si ravissant qu'elle confondait, presque toujours celle qui lui adressait la parole, sans lui donner le plus souvent la satisfaction qu'elle aurait désirée.

Dans nos récréations encore, elle se plaisait à rapporter quelque trait intéres­sant, afin de réjouir et faire du bien. Pour l'ordinaire, le sujet de sa conversation était l'amour de Dieu. Toujours conduite dans cette voie; elle avait trouvé sans cesse ses délices dans les communications intimes avec le Bien-aimé de son âme, et on voyait la jubilation toute sainte où était notre chère Soeur en parlant des grâces de prédilection que le divin Époux fait aux âmes fidèles.

Une nouvelle postulante lui ayant demandé : « Ma bonne Soeur, qu'est-ce donc qui vous a rendue toujours si heureuse au Carmel ? » elle lui répondit avec cette grande simplicité qui la caractérisait : « C'est l'amour, c'est aimer Dieu !» Et elle exhortait la chère enfant, à commencer sa carrière religieuse avec cette générosité qui demande le don total de soi-même à Notre-Seigneur.

Elle n'avait jamais connu les rigueurs de Dieu dont la jalousie se fait parfois vivement sentir aux âmes les plus fidèles et les plus saintes. Au jour du cinquan­tième anniversaire de sa profession religieuse, où toute la Communauté l'entourait de témoignages de vénération et de joie, une de ses anciennes compagnes, qui était passée par les diverses épreuves de la vie intérieure, et qui savait, comme nous tou­tes, dans quelle voie de douceurs spirituelles Dieu conduisait la chère Jubilaire, lui dit avec l'amabilité la plus fraternelle : « Ma Soeur Emmanuel, en ce jour pour vous si mémorable, vous avez bien dû penser à demander pardon au bon Dieu de vos infidélités dans la vie religieuse ?... — « Ma bonne Soeur, répondit-elle, je pense à l'amour, je m'occupe de l'amour, tout est là ! ! »

Nous eûmes plus tard la joie de célébrer ses noces de diamants. Monseigneur, notre digne Prélat, qui portait le plus bienveillant intérêt à notre vénérée Soeur, avait eu la paternelle bonté de prendre part à nos joies de famille. La précieuse visite de Sa Grandeur fut le couronnement de cette fête qui semblait être le présage de nouvelles noces encore !

Mais la carrière de notre chère fille était remplie...

 

Notre vénérable doyenne avait passé toute sa vie, pour ainsi dire, dans une santé parfaite. Son grand âge seul l'affaiblissait progressivement, ce qui nous ins­pira la pensée de lui assigner une infirmerie jusqu'à la fin de ses jours. Ne connais­sant que l'obéissance, elle fit le sacrifice de sa chère cellule et de l'ermitage de notre Père Saint-Joseph qui était attenant, et qu'elle soignait avec le plus grand esprit de foi. Son intention était des plus pures en ornant son autel, qu'elle tâchait avec naïveté de surcharger de tableaux, statues et fleurs artificielles d'une fraîcheur et d'un goût laissant parfois à désirer, mais que sa foi vive rendait assurément très agréables aux Saints qu'elle voulait honorer. Tous les ermitages confiés à ses soins étaient entourés de la même sollicitude.

L'infirmerie de notre bien-aimée Soeur devint bientôt un oratoire ; croix, images, statues, décors, tout abondait ; c'était un aliment nécessaire à sa piété, et nous étions heureuses de seconder ses désirs. Tour à tour nos chères novices la visi­taient à l'envi, car elles l'aimaient comme une mère ; et pour notre Soeur vénérée la jeunesse avait aussi un attrait de prédilection. C'est pourquoi elle s'en occupait devant Dieu d'une manière toute particulière, les accueillait avec une joie d'enfant et une affection toute maternelle.

Il nous était doux, ma Révérende Mère, de visiter souvent notre chère fille, surtout lorsqu'une préoccupation venait augmenter le poids de notre charge. Tou­jours en Dieu, toujours occupée de lui, l'aimant et le bénissant nuit et jour, elle se chargeait avec une joie pleine d'émotion de nos intentions les plus chères, de toutes celles de la Communauté, des conversions à obtenir, des âmes à soutenir et. à con­soler. C'était bien l'âme de prière par excellence, élevant ses mains pures vers le Ciel, pour faire descendre sur l'Eglise, sur notre Diocèse, sur sa chère communauté et sur toute la terre, les flots abondants des grâces célestes. Que de dévotions, neuvaines et rosaires n'étaient pas mis en oeuvre à cet effet ! Elle était infatigable. Nos Soeurs qui connaissaient son incomparable charité et sa libéralité à promettre et à faire des neuvaines, en profitaient largement pour solliciter tour à tour une faveur de ce genre. Elles étaient sûres d'avance que leur désir serait satisfait ; et elles ne s'en retournaient jamais sans avoir reçu le plus joyeux et fraternel accueil.

Notre chère et si bonne Soeur aimait à nous redire combien elle bénissait Dieu de nous avoir donné de si saints et vénérés Supérieurs, qui veillent sur leur famille religieuse avec tant de sollicitude et de paternité, ne mettant point de bornes à leur dévouement, et ne négligeant rien pour l'avancement et la perfection de nos âmes. — « Oh ! que nous sommes heureuses, ma Mère, nous disait-elle, et comme notre Communauté est bien partagée ! »

L'esprit de reconnaissance de notre Soeur vénérée lui inspirait le plus vif intérêt à l'égard des prêtres si dignes qui, chaque jour, nous rendent service à la chapelle. Leurs intentions étaient soigneusement recommandées à Notre Seigneur, et elle souhaitait ardemment attirer sur les travaux de leur saint ministère les plus abon­dantes bénédictions ; aussi se réjouissait-elle grandement lorsque le succès avait répondu à ses voeux.

Au mois de Juillet dernier, notre vénérable doyenne fut atteinte d'une légère congestion cérébrale. Notre bon et digne Père Confesseur, après l'avis de Monsieur notre médecin, qui déclara que tout était à craindre dans un âge aussi avancé, n'hésita pas à donner à notre Soeur bien-aimée la consolation de recevoir les derniers Sa­crements en pleine connaissance. Il lui apporta la Sainte Eucharistie et lui conféra le Sacrement de l'Extrême Onction, qu'elle reçut dans un calme, une paix toute céleste.

Quelques jours plus tard, sa chère et si dévouée infirmière, qui l'entourait des soins les plus délicats depuis plusieurs années, lui témoigna la satisfaction de la voir un peu mieux : — « Le bon Dieu ne vous veut pas encore, lui dit-elle...  « Il faut accomplir les desseins de Dieu, lui répondit notre bien chère fille, et les desseins de Dieu sont immuables, ils ne changent jamais ; il faut les accomplir jusqu'à un iota. Puisque c'est sa volonté que je reste encore, eh bien ! autant qu'il le voudra je suis dans la volonté de Dieu. »

L'affaiblissement progressif de ses facultés nous faisait présumer que la Sainte Vierge qu'elle avait si tendrement aimée toute sa vie, l'emmènerait au Ciel avec elle au beau jour de sa glorieuse Assomption. Mais notre divine Mère voulait encore lui procurer de nouveaux mérites, car elle se rétablit parfaitement et revint dans son état ordinaire de santé qui dura plus de six mois.

Malgré son grand âge, notre vénérée Soeur ne désirait pas la mort; elle n'était pas pressée de nous quitter.... Aussitôt cependant qu'elle se crut près de sa fin, son âme se trouva prête à partir pour la céleste Patrie, car elle ne voulait en tout que le bon plaisir de Dieu. Désormais elle parla plus fréquemment de ce départ suprême et se tint paisible et joyeuse comme l'enfant qui va se jeter dans les bras de son tendre Père.

Le jour du Jeudi Saint approchait ; notre bien-aimée doyenne se préparait avec le plus grand soin et la joie la plus pure à faire sa communion pascale avec toute la communauté. C'était une grande fête pour son âme... La veille elle avait eu le bon­heur de recevoir encore la sainte absolution, à laquelle elle avait apporté des dispo­sitions toutes particulières de contrition.

Le lendemain, l'heure si désirée étant arrivée, elle se rendit au choeur pour entendre la Sainte Messe. Nous la fîmes communier une des premières ; mais hélas! en se retirant de ce banquet céleste, elle fut frappée d'une dernière attaque de para­lysie. Notre-Seigneur attendait là son Épouse fidèle, afin de lui donner, pour ainsi dire, un éclatant témoignage de son amour. Il se hâta d'entrer encore dans ce taber­nacle où de si tendres et ardentes adorations l'avaient dédommagé de l'indifférence de tant de coeurs infidèles. Ces paroles de l'Evangile de ce jour que nous venions d'entendre, se réalisaient en sa personne : « Jésus ayant aimé les siens, Il les aima jusqu'à la fin. » Oui, c'était bien la véritable Pâques pour notre chère fille, le pas­sage de l'exil à l'éternité bienheureuse !

Elle ne tarda pas à perdre connaissance. Nous la transportâmes à l'infirmerie, tandis que notre bon Père Aumônier terminait les Saints Mystères. Il entra ensuite immédiatement, afin de lui apporter les secours de la Sainte Église ; il lui conféra les Sacrements de Pénitence et d'Extrême-Onction, avec l'application de l'Indul­gence in articulo mortis.

Dans la journée, notre digne Père Supérieur entra pour bénir notre vénérée malade, mais elle n'eut pas la consolation de le reconnaître et d'entendre sa parole paternelle qu'elle avait toujours écoutée avec tant de respect et de vénération.

Les prières du manuel ont été réitérées plusieurs fois à notre Soeur bien-aimée, particulièrement durant, la grande veille du Jeudi au Vendredi Saint.

La journée du Vendredi et du Samedi se passèrent dans le même état ; il semblait que Notre-Seigneur voulait prolonger ses souffrances durant ces jours con­sacrés à honorer sa douloureuse Passion. Il attendait l'anniversaire de son glorieux triomphe pour couronner cette vie qui n'avait été qu'un Alléluia perpétuel.

Le jour de Pâques, voyant qu'elle s'affaiblissait sensiblement, la Communauté se réunit autour d'elle. A l'heure de l'Angélus et à cette date si mémorable du 25 Mars, la Sainte Vierge s'inclinait vers cette âme qui l'avait saluée avec tant d'amour durant toute sa vie par la répétition de ces paroles qu'elle ne pouvait se lasser de redire : « Je vous salue, Marie. »

Nous récitâmes une partie du Rosaire, et tandis que nous adressions à sa tendre Mère nos plus ardentes supplications, son âme allait pour toujours la voir et la saluer au Ciel !

Bien que nous ayons la ferme confiance que notre vénérée doyenne jouit du bonheur sans fin que son ardent amour lui a si bien mérité, nous vous prions, ma Révérende Mère, de lui faire rendre au plus tôt les suffrages de notre saint Ordre. Par grâce, une communion de votre fervente Communauté, une journée de bonnes oeuvres, les indulgences du Chemin de la Croix, et des six Pater, quelques invoca­tions aux Sacrés Coeurs de Jésus et de Marie, à notre Père saint Joseph et à notre Mère sainte Thérèse. Elle vous en sera très reconnaissante, ainsi que nous, qui avons la grâce de nous dire au pied de la Croix,

Ma Très Révérende Mère,

Votre humble soeur et servante

MARIE DE SAINT-MICHEL,

 

De notre Monastère de la Sainte Trinité, de Notre-Dame du Mont Carmel et de notre Mère sainte Thérèse des Carmélites d'Agen, ce 27 Mars 1894.

 

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