Carmel

27 Février 1893 – Besançon

Ma Révérende et très honorée Mère,

Très humble et respectueux salut en N. S. dont la volonté toujours adorable vient d'imposer à nos coeurs un douloureux sacrifice en enlevant à notre religieuse affection notre chère Soeur MÉLAME-MARIE-JOSEPH, tourière de notre Carmel. Elle était âgée de 62 ans, dont 40 passés dans un entier dévouement pour la communauté.

Issue d'une famille foncièrement chrétienne et religieuse de nos montagnes, notre chère Soeur Marie-Joseph laissa paraître dès l'enfance, une piété tendre et solide, un esprit sérieux, une aimable modestie, et une humble condescendance, faisant l'édification de la paroisse et de sa famille.

Ma Révérende Mère, notre très chère Soeur, d'une santé très délicate, ne pouvant satisfaire son attrait pour la vie religieuse du cloître, se dédommagea en se consacrant au service de notre humble Carmel où elle se fit remarquer par son esprit de foi, et un goût particulier dans l'entretien et l'ornementation de la Chapelle, charge qu'elle ne céda à ses jeunes compagnes que lorsque ses forces ne lui permirent plus de se livrer à ces consolantes fonctions.

Notre chère Soeur était douée d'une intelligence rare, et d'une très grande discrétion ; aussi nos anciennes Mères ne craignaient pas de la consulter et voulaient connaître son sentiment sur les sujets qui se présentaient, l'on a toujours remarqué que son appréciation était juste, l'on pouvait aussi compter sur elle pour tout ce qui était dans l'intérêt de la communauté.

Pendant de longues années, privée de compagnes, elle savait se multiplier, entendre à tout malgré son état habituel de souffrances. Voyant ses forces s'affaiblir, elle eut re­cours aux prières, aux neuvaines pour obtenir de bonnes Touriéres ; nous eûmes la con­solation de voir ses voeux et les nôtres exaucés.

Quel ne fut pas le bonheur de notre chère Soeur en voyant ses deux jeunes compagnes, dociles à ses recommandations, se livrer corps et âme à leurs différentes occupations, en­couragées qu'elles étaient par l'exemple et la sollicitude de celle qu'elles aimaient et considéraient comme leur mère, notre bonne Soeur ayant en effet pour celles-ci le dé­vouement et les délicates attentions d'une véritable mère.

Ma Révérende Mère, notre bonne et chère Soeur Marie-Joseph se fit aussi remarquer par l'expression religieuse qui paraissait dans tout son extérieur, ses rapports avec le monde lui gagnaient bien vite l'affection et l'estime de toutes les personnes qui la voyaient et la connaissaient, particulièrement des personnes dévouées au Carmel, lesquelles étaient heureuses de rencontrer la chère petite soeur qui, malgré sa timidité, savait trou­ver un mot à propos pour consoler, encourager et donner un conseil.

De toutes parts les témoignages d'affection et de reconnaissance lui ont été té­moignés avec une excessive charité surtout pendant sa dernière maladie.

Ma Révérende Mère, notre chère Soeur, dans un état continuel de souffrances depuis de longues années, acceptait cet état avec une courageuse énergie, lorsque il y a trois ans, l'influenza, qui nous enleva une de ses compagnes, la bonne petite Soeur Marie des Anges, que notre chère Soeur affectionnait particulièrement. Elle-même en fut atteinte et, depuis ce moment, elle DUT renoncer à tout travail fatigant. Le soin de la chapelle lui était si cher que ce fut pour elle une pénible épreuve de ne pouvoir s'y rendre utile.

On espérait qu'elle se remettrait et que les beaux jours lui permettraient de sortir. Le bon Dieu en avait disposé autrement et l'humble fleur du Carmel qui s'était ouverte sur le Calvaire devait s'épanouir aux pieds de la Croix.

 

Le mercredi, 8 courant, elle eut une indisposition. M. le docteur appelé aussitôt reconnu les symptômes d'une fluxion de poitrine ; on espérait enrayer le mal qui fit de rapides progrès. Notre chère soeur demanda et reçut les derniers sacrements le samedi suivant. Le lendemain elle eut une forte crise qui se calma bientôt, la maladie continua son cours, le jeudi soir elle entra dans une douce agonie. M. notre Père Aumônier et le Père confesseur extraordinaire vinrent successivement lui renouveler la sainte absolution. Nous récitions pour la deuxième fois les prières du Manuel et après l'office de Matines qui était celui de la Sainte Couronne d'épines, Notre Seigneur voulut nous faire part de son calice et de sa croix.

Notre chère Soeur rendit le dernier soupir pendant que nous récitions les dernières prières des agonisants, le jeudi 16, vers onze heures du soir, jour où nous avions célébré la fête des saintes reliques des Eglises du Carmel.

Les obsèques de notre bonne soeur eurent lieu le samedi. Monsieur le Supérieur de la communauté, accompagné de Monsieur l'Aumônier et de plusieurs prêtres, célébra la Sainte Messe et fit la cérémonie.

Les personnes amies de notre chère Soeur et de la communauté remplissaient la chapelle. Les communautés religieuses de notre ville s'étaient fait représenter et ren­dirent à notre soeur les derniers devoirs de la religion.

Quoique nous ayons la confiance que notre chère soeur Marie-Joseph jouisse déjà du bonheur des saints, comme il faut être si pur pour obtenir ce bonheur et paraître de­vant Dieu, nous vous demandons, ma très Révérende Mère, de vouloir bien lui faire ren­dre au plus tôt les suffrages en usage dans notre Saint Ordre et par grâces une com­munion, et tout ce que votre charité vous inspirera en réparation de toutes les imperfec­tions de sa vie religieuse ; elle vous en sera très reconnaissante, ainsi que nous, qui avons la grâce de nous dire avec un religieux respect aux pieds de la croix.

 

Votre bien humble soeur et servante.

Soeur Marie-Thérèse,

Religieuse carmélite indigne.

 

p. s. Nous recommandons à vos prières toutes les personnes amies de notre Carmel qui nous ont en cette circonstance donné bien des preuves de. leur dévouement, et en particulier pour notre dévoué Aumônier et pour les personnes pieuses qui l'ont accompagnée jusqu'à sa der­nière demeure.

 

Au moment où nous terminons cette lettre, Notre-Seigneur appelle à Lui notre bien chère et regrettée Mère Marie-Clotilde-Antoinette, de l'Enfant-Jésus.

En attendant sa circulaire, nous vous demandons, ma révérende Mère, de vouloir

lui faire rendre au plus tôt les suffrages de notre Saint-Ordre.

Nous profitons de cette triste circonstance pour recommander à vos prières, notre communauté bien éprouvée.

De notre monastère de l'Immaculée-Conception, sous la protection de notre père Saint Joseph, les Carmélites de Besançon, le 27 Février 1893. -

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