Carmel

27 Décembre 1893 – Marseille

Ma Révérende et très Honorée Mère,

Paix et très humble salut en Notre Seigneur, qui, au moment où nous nous préparions à célébrer les saintes joies de sa naissance, a voulu nous faire part de sa croix en enlevant à notre affection notre bien-aimée et regrettée Soeur Eulalie-Louise-Marie du Précieux Sang, du coeur de notre sainte Mère Thérèse et de notre Père saint Joseph, âgée de 33 ans, 9 mois et 14 jours, et de religion 12 ans, 2 mois et 28 jours.

Notre chère Soeur naquit en notre ville, d'un père allemand et d'une mère alsacienne : elle fut la troisième de plusieurs enfants que le Seigneur leur donna ; toute jeune déjà elle se faisait remarquer par un bon sens précoce ; aussi la nommait-on quelquefois pour plaisanter : la petite femme. Elle apprit de bonne heure, de sou excellente mère, les principes religieux qui devaient plus tard si bien fructifier en elle; mais, à peine âgée de dix ans, notre jeune enfant se vit enlever, après une longue maladie, cette mère qu'elle chérissait si tendrement : son père, très recommandable d'ailleurs sous tous les rapports, professait malheureusement le protestan­tisme; mais il consentit cependant que, par les soins de deux pieuses demoiselles, amies de sa mère, sa chère Eulalie fût, avec sa soeur aînée, placée chez de saintes religieuses de notre ville, qui développèrent en elle la bonne semence jetée par la main maternelle : elle dut donc quitter son digne père et le foyer domestique; son jeune coeur le ressentit vivement; mais, douée de beaucoup de force d'âme, elle se fit bientôt à sa nouvelle vie et, d'ailleurs, son caractère aimable la rendit en peu de temps chère à ses maîtresses et à ses compagnes. L'époque de sa première Communion étant arrivée, elle la fit avec la plus grande ferveur et le souvenir de cet heureux jour resta profondément gravé dans son âme : elle avait beaucoup de peine à faire connaître ses dispositions intérieures; cependant ses bonnes maîtresses comprirent que c'était un coeur capable de beaucoup pour Dieu, aussi travaillèrent-elles avec le plus grand soin à la former à la vertu ; elle grandit ainsi sous leur douce égide et l'on pouvait remarquer, malgré les fautes inévitables â d'enfance et à la jeunesse, qu'elle s'appliquait sérieusement à servir Dieu. Son respect pour l'adorable Sacrement de nos autels était profond, elle se disposait toujours à ses communions par quelque pratique de piété ou même de mortification et, malgré toute l'ardeur que son jeune coeur éprouvait pour cette nourriture céleste, son âme timorée lui faisait toujours craindre de n'y être pas assez préparée.

Étant arrivée à l'âge de 21 ans, elle crut pouvoir réaliser le voeu le plus cher de son coeur, qui était de se donner à Dieu au Carmel : en vain lui objectait-on que la règle en était trop austère et qu'elle ferait mieux d'embrasser celle de la Visitation, elle triompha de tous les raisonnements qu'on put lui alléguer et se fit présenter à notre regrettée Mère Saint-Henri par une respectable demoiselle, qui lui servit de marraine de Religion et se montre depuis une amie toute dévouée pour notre Monastère ; son père lui donna son consentement avec la plus édifiante résignation.

Elle entra donc chez nous le 22 septembre 1881 et se mit avec ardeur à étudier et pratiquer les moindres prescriptions de notre sainte Règle ; quoique peu robuste, néanmoins sa santé ne se ressentit point de sa nouvelle vie ; sa voix juste et forte soutenait bien le choeur, et enfin la Communauté, satisfaite de ses débuts, lui fit prendre avec joie le saint habit au mois de février de l'année suivante ; le temps du noviciat s'écoula et la satisfaction qu'elle donnait par sa bonne conduite à notre regrettée Mère Saint-Henri et à toutes ses Soeurs fit que, sans retard, elle put prononcer ses saints voeux l'année suivante, à l'époque voulue. Nous étions heureuses de voir fixé désormais parmi nous un sujet orné de précieuses qualités et qui nous donnait de douces espérances ; son caractère vif et spirituel faisait le charme de nos récréations ; son dévoùment pour sa Communauté ne connaissait point de bornes et on la voyait s'employer avec ardeur et une rare dextérité au travail de ville pour lequel elle possédait beaucoup d'adresse ; toute nouvelle professe encore, elle aidait déjà pour les écritures de la Maison et, en général, à quelque travail qu'on l'employât, elle s'y dépensait avec zèle et réussissait toujours; elle fut chargée à plusieurs reprises de la provisoirerie et nommée seconde à la sacristie; enfin, aux dernières élections, elle eut la charge de première Dépositaire ; dans ces offices et charge, on a toujours pu remarquer l'ordre et le dévouement qui la caractérisaient; lorsque les Soeurs avaient recours à elle, elle ne tardait pas à les satisfaire et allait même souvent au devant de leurs désirs; mais à ces qualités extérieures qui la faisaient aimer de toutes elle unissait des qualités plus solides encore du coeur et de l'âme. Sa piété était tendre envers Dieu, son coeur ardent et généreux la portait à la pénitence et on était obligé de la retenir dans cette voie :

son désir de souffrir pour Dieu n'était point une illusion, nous pûmes nous en convaincre en trois opérations douloureuses qu'elle eut à subir pour lui enlever des loupes qui lui survenaient à la tête ; à la seconde qui fut la plus longue, elle montra tant de force d'âme, que MM. les Docteurs ne purent s'empêcher de lui dire qu'elle l'avait supportée vaillamment. D'un caractère naturellement porté à la fierté, elle avait cependant de bas sentiments d'elle-même et il nous souvient encore de certains couplets qu'elle fit pour une de nos petites fêtes, où elle se disait petit ramoneur portant dans son sac l'amas de ses misères. Son coeur était excellent : elle s'attachait fortement quoique peu démonstrative, mais elle témoignait par ses actes le dévouement qui l'animait, toujours prête à tout pour obliger et se rendre agréable. Très appliquée à la pratique de la sainte pauvreté, elle ne ressentait point d'attache aux petits objets à son usage et son détachement faisait qu'elle s'arrangeait toujours pour n'avoir que le moins possible et encore était-elle heureuse de trouver l'occasion de s'en dépouiller ; aussi aimions-nous à la nommer, en plaisantant : notre petit philosophe.

Toutes ces qualités, cependant, n'étaient pas encore au point où Dieu les voulait. Il n'en était pas encore assez le seul et unique mobile; son coeur était capable de beaucoup, aussi souvent lui disions-nous qu'elle ne pouvait rester dans un milieu ordinaire, mais que Dieu demandait plus d'elle que de bien d'autres : elle nous répondait que c'était en effet ce qu'elle ressentait, mais ne s'expliquait pas bien encore ce que pouvait être pour elle cette voie où elle se sentait si fortement appelée, lorsque Dieu se servit d'une circonstance particulière qu'il avait ménagée dans sa bonté. Au mois de novembre 1890, nous fîmes donner une retraite à la Communauté par un saint Religieux dominicain, tout dévoué à notre Monastère ; l'époque de la retraite annuelle de notre chère Soeur du Précieux Sang étant arrivée, nous la lui fîmes faire en même temps. Dieu l'attendait là : elle ne s'y sentait point disposée, l'obéissance seule la décida et elle n'y entra que pour faire la volonté de Dieu qu'elle voyait manifestée par notre désir ; mais un sermon sur l'obéissance la toucha si vivement et elle ressentit une touche si profonde de la grâce, que la vie lui apparut sous un jour tout nouveau. Notre chère enfant voulut consacrer le souvenir de ce précieux moment dans les vers dont nous extrayons le couplet suivant :

Parfois mon coeur, dans sa détresse. Demandait une goutte d'eau, Il ne trouvait que sécheresse : Rien alors ne lui semblait beau.

Mais, un jour, paternel et tendre, Jésus, ton Coeur se fit sentir : En sanglotant, je vins me rendre. Te jurer un vrai repentir.

Le sermon fini, elle s'empressa de se rendre auprès du digne Père où elle répandit son âme; les saintes paroles qu'il lui fit entendre lui montrèrent plus clairement le chemin qu'elle avait à suivre, et depuis cette heure bénie nous pûmes remarquer, de jour en jour, le travail suivi de cette âme qui s'était si bien donnée à Dieu : ses qualités furent dès lors embellies par un nouveau lustre et l'on sentait que Dieu se rendait chaque jour plus maître de son coeur : le besoin du plus constant renoncement, de l'obéissance la plus aveugle, de l'humilité surtout dans les sentiments les plus intimes de son être, alors qu'elle ne pouvait ignorer son intelligence, sa capacité naturelle; le besoin, disons-nous, de toutes ces vertus qui crucifient l'âme se faisait sentir à elle ; nous ne pouvons résister, ma Révérende Mère, au désir de vous citer encore quelques lignes dans lesquelles notre chère enfant aimait à retracer ses sentiments, mais Dieu lui faisant voir ses moindres défauts à la claire vue de sa divine lumière, elle se laisse aller à de pieuses exagérations qui nous privent de tout reproduire ici :

Aspire donc en haut, vers les sphères sublimes Où tu dois te fixer par le plus noble essor; A toi de pratiquer les vertus magnanimes, Ceci n'est pas orgueil, Jésus l'ordonne encore.

Imite te dit-il, de mon Père céleste

Les attributs divins; comme Lui sois parfait,

Fuis du moindre péché l'occasion funeste.

Ne vis que pour Dieu seul : — Oui, Jésus, c'en est fait!

A ton divin plaisir mon âme s'abandonne. Détruis, si tu le veux, le corps, l'esprit, le coeur. Et, si de tes rigueurs quelque jour je m'étonne, Frappe de nouveaux coups et demeure vainqueur!

Mais, quand viendra le soir de ma triste agonie. Alors que mon cadavre inspirera l'effroi : Oh! parle-moi, Jésus, qu'à ta douce harmonie J'expire sur ton Coeur, dans l'amour et la foi!

Elle nous redisait souvent, dans des entretiens intimes, ce que disait saint Paul : qu'il lui semblait que rien au monde ne pourrait désormais la séparer de Notre-Seigneur, à qui elle se sentait toujours plus étroitement unie; elle éprouvait tellement le besoin de ne tenir uniquement qu'à Lui, qu'elle s'affligeait parfois de ressentir de l'affection, quelque sainte et légitime qu'elle fût, et que nous étions obligée de la rassurer : nous admirions en cette âme, qui nous devenait toujours plus chère, le travail incessant de la grâce; ses longs et fréquents entretiens nous remplissaient de la plus douce consolation et nous ne pouvions assez remercier Dieu des progrès constants que nous remarquions en notre chère enfant ; nous espérions en jouir longtemps encore, nous ne nous doutions pas que sous l'action du divin soleil qui dardait de plus près ses rayons sur son coeur le fruit mûrissait rapidement et que bientôt le céleste Jardinier viendrait le cueillir. Avait-elle un pressentiment de sa fin prochaine ? Nous l'ignorons, mais nous incline­rions à le croire, car un jour, mettant ordre à notre bibliothèque et trouvant plusieurs sentences, elle en choisit une qu'elle nous pria de vouloir lui donner pour mettre au dépôt où elle se tenait et qui était ainsi conçue : A la mort, que voudrai-je avoir fait ? Cependant elle appréhendait ce dernier passage, mais elle désirait qu'il fût, en ce qui la concernait, le plus parfait, le plus agréable à Dieu : « Je voudrais, avant de mourir, nous disait-elle souvent, passer par une mala­die bien douloureuse et qui en valût la peine ! » Dieu sembla ne pas l'avoir exaucée d'abord, sa maladie traînant en longueur et sans de trop vives souffrances, mais, dans le dernier mois et jusqu'à son dernier soupir. Il lui fit ressentir vivement les douleurs de son amer calice.

Ainsi que nous vous l'avons dit, ma Révérende Mère, notre chère Soeur du Précieux Sang fut élue Dépositaire à nos dernières élections d'octobre 1892 ; elle ressentit aussitôt un nouvel attrait à se dévouer pour ses Soeurs, elle aimait à nous le dire ; aussi embrassa-t-elle avec ar­deur les devoirs qui lui étaient échus, et jusque sur son lit de mort elle nous rappelait divers achats, ou diverses nécessités d'offices auxquelles elle avait à pourvoir.

Mais Dieu, dans ses desseins impénétrables, marquait déjà la fin de sa course : plusieurs rhumes qu'elle eut vers le printemps la fatiguèrent beaucoup et, au milieu de mai, nous nous aperçûmes du grand état de fatigue auquel ils l'avaient réduite ; nous la montrâmes à M. notre Docteur, qui nous prescrivit divers remèdes, mais ils restèrent sans effet. Au commence­ment de juin elle dut s'aliter; ce digne docteur, dont le dévouement est si désintéressé envers notre Carmel, et pour lequel nous sollicitons votre souvenir devant Dieu, nous déclara que notre chère Soeur était atteinte d'une congestion pulmonaire. Nous nous empressâmes d'écrire à Monseigneur notre saint Evêque, qui, dans sa paternelle bonté, daigna venir la bénir ; nous nous permettons de réclamer un souvenir tout particulier, ma Révérende Mère, dans vos saintes prières et celles de votre pieuse Communauté, pour ce digne Prélat qui se montre si bien un vrai père pour notre humble Carmel. Le mal fit de rapides progrès et nous eûmes à faire rece­voir les derniers Sacrements à notre bien-aimée malade ; M. notre digne Père confesseur voulut bien venir les lui administrer ; la nuit suivante elle fut si mal, que nous n'attendions plus que son dernier soupir, lorsqu'après avoir bu de l'eau de Notre-Dame de Lourdes, le mieux se manifesta ; elle échappait à ce premier danger et se remit un peu ; notre chère enfant put même, durant quelque temps, assister à la sainte Messe et à nos récréations ; mais, hélas ! de tristes pressentiments nous empêchaient de nous réjouir de cette amélioration passagère, la toux continuait et devenait même plus fatigante ; la douce Marie n'avait conservé la vie à son enfant que pour embellir sa couronne.. Elle fut prise d'une extinction de voix qui ne lui permit plus de s'exprimer comme elle l'aurait voulu ; ceci lui parut bien dur, surtout pour la confession, où elle ne parvenait pas toujours à dire tout ce qu'elle aurait désiré ; mais une privation bien plus sensible lui fut encore imposée, vers le commencement de septembre : ce fut celle de la communion, obligée qu'elle était de boire pour calmer les accès de toux qui remplissaient ses nuits. Cette épreuve la trouva résignée, comme toujours, au bon vouloir de Dieu.

Cependant la maladie s'aggravait : chaque jour nous voyions les forces de notre chère malade diminuer; vers la fin d'octobre elle ne put plus venir que rarement à nos récréations et bientôt n'y parut plus du tout. Cependant un petit triduum préparatoire à la rénovation de nos voeux devait avoir lieu les 13,14 et 15 novembre ; notre bonne Soeur souhaitait ardemment d'y assister; il était peu probable, la veille encore, qu'elle pût jouir de cette grâce précieuse; toutefois le Seigneur, voulant la favoriser de cette suprême consolation, lui donna, contre notre attente, assez de forces pour assister aux deux sermons de chaque jour, prêchés par le même Religieux qui nous avait donné la retraite où son coeur avait ressenti une aussi profonde touche de la grâce; mais le soir du dernier jour elle se trouva de nouveau si mal, qu'elle dut renoncer au dernier sermon et se mettre au lit pour ne plus s'en relever : le digne Père entra le lendemain matin lui donner la sainte absolution et lui adressa quelques paroles encourageantes dans l'état si grave qui commençait; ce qui fut une bien grande consolation pour notre chère enfant. M. notre dévoué Docteur, appelé de nouveau, ne put que constater une aggravation du mal, ce qu'il fit à chacune de ses visites; mais plus d'un mois devait encore s'écouler dans un état de souffrances qui aurait dû, suivant toute apparence, terminer sous peu cette doulou­reuse existence; ce n'était que par les plus grands soins que l'on pouvait soutenir sa vie languissante ; elle ne prenait que très peu d'aliments et encore au prix de vives douleurs, car elle souffrait beaucoup du gosier; nous prévînmes Monseigneur notre saint Evêque qui, ne pouvant, par cause d'une indisposition, venir la bénir, lui accorda du moins la grâce inestimable de recevoir de temps en temps le saint Viatique; notre pauvre malade ne put en profiter longtemps, vu la toux presque continuelle qui la fatiguait tant et la faisait abondamment expectorer, Dans son état de souffrance elle se trouvait heureuse, et lorsque nous lui disions que nous demandions à Dieu de la guérir ou au moins de la soulager, elle nous répondait que, pour elle, elle ne voulait que la sainte volonté de Dieu et qu'elle ne désirait point changer son état : « J'ai offert an petit Jésus ma toux, — nous disait-elle un jour — et depuis je tousse moins, ajoutait-elle », s'affligeant de n'être pas digne de faire accepter ce petit sacrifice à son Bien-aimé. Pauvre enfant, l'Enfant-Jésus l'avait bien accepté, puisque la diminution de la toux ne venait que de son état toujours plus grand d'épuisement, qui lui procurait un étouffement bien plus souffrant que ne l'était sa toux continuelle.

Les jours se succédaient auprès de ce lit de douleurs, où nous reconnaissions toujours plus l'impuissance des moyens humains devant cette mort qui s'avançait lentement, mais d'une marche sûre. Bientôt notre pauvre malade ne put avaler que du liquide et encore en petite quantité, des accès d'étouffement venaient souvent augmenter ses douleurs ; enfin arriva le jour que Dieu avait choisi pour appeler à Lui cette âme toujours si unie, si abandonnée à son bon vouloir ; la nuit du mardi au mercredi, 20 décembre, avait été très mauvaise et lorsqu'à 5 heures du matin nous arrivâmes auprès de notre bien-aimée Soeur nous la trouvâmes en effet beaucoup plus mal que la veille ; nous y demeurâmes presque toute la matinée : des crises de suffocation et un râle très pénible se succédaient rapidement ; elle nous demanda alors M. notre digne Père confesseur que nous nous empressâmes d'avertir, mais nous croyions qu'elle passerait facilement la journée; en l'attendant, nous allâmes prendre notre repas. A peine finis­sions-nous, qu'une de nos chères Soeurs infirmières vint nous appeler en toute hâte. Les sombres teintes de l'agonie étaient déjà répandues sur les traits de notre bien aimée Soeur, l'étouffement lui donnait de véritables convulsions ; son pauvre corps se soulevait sur sa couche, elle souffrait extrêmement. M. notre digne Père confesseur arrivait au même moment, lui donnait une dernière absolution et lui adressait quelques paroles pleines d'onction et d'encouragement qui firent le plus grand bien à notre pauvre agonisante. Nous recommandons, ma Révérende Mère, ce pieux curé à votre souvenir devant Dieu, ainsi que la paroisse qu'il dirige avec tant de zèle. Nous appelâmes la Communauté pour réciter auprès d'elle les prières de la recommandation de l'âme. Notre bonne Soeur en éprouva bien de la consolation : « Priez ! priez ! » disait-elle. Puis nous faisant signe de le faire passer à toutes : « Patience ! patience ! se prenait-elle à dire. — Vous désirez que nous demandions la patience pour vous lui demandions-nous. — Oui ! nous répondait-elle. La Communauté se retira pour vêpres et le restant de l'après-dîner se passa en crises continuelles d'étouffement toujours plus pénibles et douloureuses. Dans un des moments de léger mieux, elle se fit lire par une de nos Soeurs infirmières la maladie, la mort et l'entrée au ciel de l'Enfant de Marie, dans une collection de petites images que nous lui avions apportées et qui lui inspiraient de pieux sentiments.

Vers les 6 heures et demie, elle demanda qu'on mit sur son lit, près d'elle, un petit tableau représentant Notre-Seigneur mort dans les bras de la Très Sainte Vierge, ainsi qu'une image de la mort de notre Père saint Joseph ; elle resta absorbée dans une fervente oraison devant ces pieux objets pendant plus d'une demi-heure, après quoi elle retomba dans une nou­velle crise d'étouffement. Pensant que cet état se prolongerait toute la nuit, nous allâmes faire collation et prendre notre bréviaire, croyant la passer auprès d'elle ; nous dîmes cependant aux infirmières de sonner si elle paraissait plus mal A peine entrions-nous dans l'infirmerie, que la cloche se fit entendre, nous hâtâmes le pas, le râle avait cessé, notre chère Soeur s'était inclinée sur son coussin, la respiration baissait sensiblement ; nous lui suggérâmes quelques aspirations, comme nous l'avions fait dans le courant de l'après-dîner ; nous lui présentâmes le Crucifix à baiser, mais ses lèvres ne purent se mouvoir, elle exhala quelques soupirs et s'endormit du sommeil des justes, nous en avons la douce confiance, nos chères Soeurs infirmières, notre bonne Soeur doyenne et nous présentes ; il était environ 8 heures du soir.

La vie édifiante de notre chère Soeur et les souffrances d'une longue maladie endurées avec résignation et amour nous font espérer qu'elle jouit du bonheur des élus ; mais, comme il faut être si purs pour paraître devant le Dieu qui redemandera jusqu'à la dernière obole, nous vous prions, ma Révérende Mère, de vouloir bien lui faire rendre au plus tôt les suffrages de notre saint Ordre ; par grâce, une communion de votre fervente Communauté, une journée de bonnes oeuvres, l'indulgence des six Pater, du Via Crucis, quelques invocations à Notre-Dame de Lourdes, à saint Paul et à saint François de Sales, objets de sa tendre dévotion ; elle vous en sera très reconnaissante, ainsi que nous qui avons la grâce de nous dire, en union de vos saintes prières et au pied de la croix de Jésus,

Ma Révérende et très Honorée Mère,

 

Votre très humble servante et Soeur,

Soeur MARIE du Sacré-Coeur.

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De notre 1er Monastère de Sainte-Magdeleine au pied de la Croix, sous la protection de notre sainte Mère Thérèse des Carmélites de Marseille, près du boulevard Guigou, le 27 décembre 1893.

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