Carmel

25 janvier 1897 – Poitiers

 

Ma Révérende et Très Honorée Mère,

Paix et très humble salut en Notre-Seigneur, qui, au jour où nous nous disposions à célébrer la fête du grand saint Hilaire, Titulaire de notre église, est venu ravir à notre religieuse affection pour l'associer à sa gloire, nous en avons la douce confiance, notre chère soeur Marie-Geneviève -Félicité- Saint-Augustin de Sainte Thérèse, âgée de 70 ans et 7 mois, et de religion 49 ans et 2 mois.

iNotre chère Soeur nous ayant demandé par écrit de ne lui faire de circu­laire que pour réclamer les suffrages de notre saint Ordre, nous croyons devoir respecter en partie son humble désir en nous privant de vous donner bien des détails sur une vie tout employée à aimer le Seigneur et à le glorifier.

La circulaire de notre chère Soeur Anne-des-Anges, que nous avons eu la douleur de perdre il y a quelques années, vous a fait connaître la famille honorable et chrétienne de notre chère Soeur. A ce foyer patriarcal elle puisa les sentiments de foi et de piété qui ont fait la force et le bonheur de sa vie. Bien jeune encore, elle entendit l'appel de Dieu ; mais il en coûtait à sa nature sensible et ardente de quitter une famille tendrement aimée, d'enchaîner pour toujours sa liberté sous le joug de l'obéissance. Comme un second ange gardien, sa soeur aînée fut là pour la soutenir, l'encourager ei définitivement faire triompher en elle la voix de Dieu. Depuis plusieurs années déjà, cette soeur chérie goûtait dans notre Carmel les joies de la vie religieuse, et, loin d'oublier la jeune soeur qu'elle avait laissée dans le monde, elle ne cessait de demander pour elle à son divin Epoux la grâce d'une voca­tion qu'elle appréciait tant elle-même. Notre-Seigneur ne pouvait manquer de se laisser toucher par de si ferventes et persévérantes prières. Notre future Postulante étant venue terminer son éducation dans un pension­nat de notre ville, les visites fréquentes qu'elle fit au Carmel, les entretiens qu'elle eut avec sa chère soeur firent cesser ses hésitations, et, la grâce ache­vant son oeuvre dans cette âme généreuse et fidèle, elle entra dans l'arche sainte le 18 novembre 1847. Ce fut un beau jour pour notre chère Soeur Anne-des-Anges, qui voyait ainsi se réaliser le plus cher de ses voeux, el pour la nouvelle élue le sacrifice d'une famille si tendrement et justement aimée fut adouci par la joie d'embrasser celle en qui elle retrouvait une seconde mère.

Ma Soeur Saint-Augustin eut pour guider ses premiers pas dans la vie religieuse notre vénérée Mère Aimée-de-Marie, dont le souvenir est toujours si vivant dans nos coeurs. La bonne Maîtresse s'affectionna à cette âme simple et droite, qui répondit à son dévouement maternel par la plus absolue con fiance. Les difficultés ne manquèrent pas pendant l'année du Noviciat : la chère enfant s'effrayait d'une vie toute de renoncement et de sacrifice, et elle se demandait parfois avec angoisse si elle aurait assez de courage pour tou­jours y persévérer. Mais, âme de foi et d'obéissance, la parole de ses supé­rieurs lui suffit : la volonté de Dieu devenait la sienne, et le 7 juillet 1849 elle se liait à Jésus dans la joie et la générosité de son coeur; ce coeur, elle le sentait, ne pouvait être satisfait que par l'amour de Dieu.

Ame ouverte, affectueuse, ma Soeur Saint-Augustin allait à Dieu et l'aimait avec la tendresse d'une épouse et la candeur d'une enfant. L'oraison, la prière faisaient ses délices ; elle nourrissait son âme de lectures, élevées et choisies qui lui rendaient aussi doux que faciles ses pieux colloques avec Notre- Seigneur. La pensée de l'amour de Jésus pour sa petite créature la touchait profondément ; de là naissait en elle un profond sentiment de reconnaissance pour le bienfait de sa vocation et une aspiration incessante à l'intime union avec Dieu.

A ce tendre amour pour Notre-Seigneur son bon coeur joignait pour ses Soeurs une affection sincère qu'elle était heureuse de pouvoir témoigner. Douée d'une nature très sensible, si parfois une parole ou un procédé qu'elle ne comprenait pas tout d'abord, faisait naître sur son front un léger nuage, un mot affectueux de sa Prieure, un simple sourire de ses Soeurs suffisait pour le faire disparaître. Cette délicatesse de sentiments s'unissait dans ma Soeur Saint-Augustin à un caractère vif, bouillant même, qui jusqu'à la fin de sa vie fut l'occasion de continuelles victoires. Dieu seul connaît les efforts qu'elle fit pour se dominer sur ce point et les mérites qu'ils lui firent acquérir ! Qu'il nous suffise de dire que les jeunes Religieuses témoins seule­ment de ses dernières années sont loin de se douter du travail de transfor­mation opéré dans cette si chère Soeur.

A son zèle pour sa perfection, cette fervente Soeur savait unir une grande assiduité au travail : ses journées lui paraissaient toujours trop courtes, et jamais durant sa longue carrière religieuse elle ne connut l'ennui.

Ma Soeur Saint-Augustin avait conservé pour sa chère famille la plus tendre affection : chacun de ses membres avait sa place dans son coeur, et à mesure que neveux ou petits-neveux en augmentaient le nombre, sa religieuse sollici­tude croissait et s'étendait à tous. Vous avez vu, dans la circulaire de ma Soeur Anne-des-Anges, Ma Révérende Mère, que Dieu exauça le plus ardent

désir des deux Soeurs en donnant à l'aîné de leurs petits-neveux la vocation sacerdotale. Ma Soeur Saint-Augustin eut la douce consolation d'assister plusieurs fois à la Messe de ce jeune prêtre, de recevoir de sa main le Pain de vie, et comme sa Soeur elle fut accompagnée à sa dernière demeure par ce digne et pieux ecclésiastique.

Notre chère Soeur avait un bon tempérament qui lui permit de suivre presque continuellement nos saintes observances. Quelques crises d'asthme l'obligèrent cependant, à différentes reprises, à un repos complet; mais des soins aussitôt donnés et les mesures de prudence dont nous l'entourions alors enrayaient promptement le mal. A la fin de novembre dernier une nouvelle atteinte se fit sentir à notre Soeur, sans cependant revêtir aucun caractère de gravité. Voyant les précautions ordinaires insuffisantes, nous la fîmes mettre à l'infirmerie. Ce fut quelques jours avant Noël que la pauvre chère Soeur quit­tait sa cellule pour n'y plus revenir. En entrant dans cette infirmerie où, il y a quatre ans, notre vénérée Soeur Anne-des-Anges avait échangé l'exil pour la patrie, ma Soeur Saint-Augustin se remit simplement et pleine­ment entre les mains Dieu, et cette disposition d'entier abandon ne la quitta plus.

Dans les premiers jours de janvier une pleurésie vint aggraver son état cl augmenter nos alarmes. Notre bon et dévoué Docteur nous dit de suivre de près la malade, tout en ne voyant pas de danger imminent. Elle reçut Notre- Seigneur en viatique le jour de l'Epiphanie ; mais le dimanche suivant elle put faire la sainte Communion à jeun ; elle semblait mieux, et le Docteur donnait bon espoir. Le lundi, une complication survint, qui augmenta nos inquiétudes, tout en ne nous faisant pas craindre un prompt dénouement. La nuit suivante fut calme : à 3 heures elle prit encore quelque chose et parla à son infirmière, puis elle s'endormit : sommeil paisible, mais, hélas! précurseur du dernier repos ! Au bout de quelques instants notre chère Fille ne donnant plus de signe de connaissance, on vint nous chercher en toute hâte. Notre bon aumônier étant malade, nous fîmes appeler le prêtre le plus proche. M. le doyen du Chapitre, toujours si bon et si dévoué, accourut aussitôt, et n'eut que le temps de donner à notre Soeur bien-aimée une dernière absolution et l'Extrême- Onction ; à peine achevait-il la formule de l'Indulgence in articulo mords qu'elle rendait le dernier soupir, calme, paisible, reflétant sur son doux vi­sage la candeur de son âme d'enfant.

Bien que nous ayons toute confiance que ma Soeur Saint-Augustin ait emporté au tribunal du souverain Juge son innocence baptismale, nous vous prions, Ma Révérende Mère, de lui faire rendre au plus tôt les suffrages de notre saint Ordre, et d'y ajouter, par grâce, une Communion de votre fer­vente Communauté, une journée de bonnes oeuvres, l'Indulgence du Chemin de la Croix, une invocation au Sacré Coeur de Jésus, au Coeur immaculé de Marié, à notre Père saint Joseph, à notre Mère sainte Thérèse, à saint Augustin, son patron, et ce que notre chère Soeur réclame de votre charité :

l'Indulgence des six Pater, Ave, Gloria, un Miserere en expiation de ses fautes, et un Te Deum en action de grâces de sa vocation.

Elle en sera très reconnaissante, ainsi que nous qui avons la grâce de nous dire avec un affectueux respect, Ma Révérende Mère,

Votre humble Soeur et servante,

Soeur Marie-Emmanuel, Rel. Carmél. ind.

De notre Monastère de l'Incarnation des Carmélites de Poitiers, le 25 janvier 1897.

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