Carmel

25 août 1896 – Draguignan bis

 

Ma Révérende et Très Honorée Mère,      

Très humble et respectueux salut en Notre-Seigneur,

Le surlendemain du décès de notre Vénérée Soeur Thérèse de Jésus, nous avions la douleur de perdre notre très chère Soeur Marie de Saint-Augustin, âgée de soixante-dix ans, et, de religion, quarante-huit ans et neuf mois, doyenne de nos Soeurs du voile blanc, professe de notre cher Carmel de Toulon.

C'eût été une consolation pour nous, ma Révérende Mère, de vous entre­tenir de la vie édifiante de notre chère Soeur, mais par un billet trouvé après sa mort, elle nous a demandé de ne pas lui faire de circulaire. Nous nous bor­nerons à dire que cette âme possédait à un haut degré l'amour de la prière qui a été le cachet de sa vie depuis sa jeunesse.

Toujours levée de bonne heure, elle arrivait avec empressement au pied dû Saint-Tabernacle où elle trouvait ses délices. Tous ses moments étaient une aspiration continuelle vers l'heure qui la ramènerait aux pieds de son Jésus. Les dimanches et fêtes, elle y passait la journée entière. Aux jours d'exposition du Saint-Sacrement, elle ne pouvait qu'à grand'peine s'éloigner de Notre-Sei­gneur. La prière était le centre de son âme. Ne pouvant rester toujours au choeur, elle accomplissait à la lettre ce passage de nos saintes Constitutions : « Tout le temps quelles ne seront point en la Communauté ou aux offices d'icelle, chacune demeurera à part soi en sa Cellule ou en l'ermitage que la Prieure lui aura permis. »

L'ermitage de son choix était celui du Caveau où elle aimait à se retirer en faisant son travail manuel. Là elle chantait à notre Divine Mère, près de sa statue bénie, tout ce qui débordait de son coeur et ses couplets étaient entrer mêlés de colloques d'amour, de confiance, de supplications à son Auguste Mère,

Depuis longtemps infirme et dispensée des travaux de nos Soeurs du voile blanc, elle se rendait cependant à la cuisine après les repas pour laver la vaisselle, et, par humilité et esprit de mortification, elle avait sollicité le soin des lampes et d'autres plus humbles encore.

L'existence de notre bonne Soeur s'écoulait paisiblement dans la solitude; elle devait faire effort pour assister aux récréations dont nous ne la dispensions que rarement.

Notre chère Soeur Saint-Augustin n'avait qu'un simple rhume pendant l'octave de Pâques et nous avions peine à la décider à ne pas se lever aussi tôt que d'habitude. Le dimanche, 12 avril, elle entendait la Sainte Messe et faisait la Sainte Communion avec la Communauté. Dans la matinée, elle se sentit très fatiguée. Notre chère Infirmière nous prévint qu'elle demandait l'Extrême- Onction. En nous rendant à sa cellule nous la rencontrâmes dans l'escalieri nous l'engageâmes à ne pas s'exposer et à garder exactement le lit.

M. le Docteur qui était annoncé à ce moment pour nos autres malades, la visita et la trouva très mal ; les derniers sacrements furent jugés nécessaires. Monsieur notre Confesseur averti, ne se fit pas attendre, nous étions consternées en voyant nos trois soeurs anciennes à l'article de la mort et notre bonne soeur Saint-Augustin réellement terrassée par une bronchite des plus graves. .. Elle conserva toute sa présence d'esprit ; elle disait à chacune qu'elle allait mourir. Elle mit à profit les. trois jours qu'il lui restait à vivre, par une prière continuelle.          

Le mardi soir, le Saint Viatique lui fut renouvelé et les prières de la re­commandation de l'âme qu'elle désirait, lui furent faites par Monsieur notre dévoué Confesseur qui a entouré nos chères malades de tous les secours en usage dans nos monastères.

Le mercredi, sentant sa fin approcher, la chère mourante disait à nos Soeurs : « Notre Mère est donc malade> la Mère Sous^Prieure et notre bonne Mère Dépositaire aussi. » Nos chères Soeurs étaient obligées de lui avouer la vérité. Nous l'avions bénie le lundi soir, et depuis nous né pûmes nous rendre à son chevet. Vous comprenez, ma Révérende Mère, combien cette privation nous fut douloureuse.

La chère malade suivait son mal ; elle comprenait qu'elle était à l'agonie. Elle disait souvent : « Je vais mourir, je suis à l'agonie. Prenez-moi, mon Jésus ! Je suis prête. Notre Mère ? La bénédiction de notre Mère... Allez vite, car je ne serai peut-être plus ici quand vous reviendrez Jésus... Jésus... Jésus... venez me chercher.... Tirez-moi, s'il vous plaît de cette terre. O Jésus ayez pitié de moi! Miséricorde ! Je languis, Jésus sanctifiez-moi,... ne soyez pas mon Juge, mais mon Sauveur,... o Jésus, bénissez-moi,... venez vite,... aidez-moi... »

Notre dévoué Médecin la trouvait dans cette continuelle prière, que sa présence n'interrompait pas. La malade lui disait qu'elle était à l'agonie, puis elle poursuivait ses pieuses invocations : « Jésus ! venez me chercher. » M. le Docteur édifié, avouait qu'il ne voyait rien de semblable dans le monde et qu'il valait la peine d'être carmélite pour mourir ainsi.

Ma Révérende Mère, veuillez nous aider à acquitter notre dette de recon­naissance envers M. le Docteur Girard qui s'est multiplié pendant trois semai­nes, par des visites assidues, matin et soir, auprès de nos malades. En retour de son dévouement désintéressé que Dieu bénisse sa chère famille.

Notre dévouée Infirmière nous remplaçait près de notre bonne Soeur qu'elle ne quittait pas. La chère malade lui disait qu'elle désirait que ce fût elle qui lui fermât les yeux et reçût son dernier soupir.

Les prières de la recommandation de 1'âme furent réitérées près de notre chère mourante qui avait sans cesse les yeux sur le Crucifix, et elle expira le 15 avril, à onze heures du soir, en présence de nos chères infirmières, le grand nombre de malades ne permettant pas de réunir la Communauté.

La mort de notre regrettée Défunte a été l'écho de sa vie. Elle a vécu dans le saint exercice de la prière jusqu'à ses derniers moments et elle a rendu son âme à son Créateur dans la paix et la confiance en sa bonté, c'est ce qui nous fait espérer qu'elle a été bien accueillie dans le sein de Dieu. Nous vous prions cependant, ma Révérende Mère, d'ajouter aux suffrages déjà demandés, par grâce, une Communion de votre sainte Communauté, le Chemin de la Croix, l'Indulgence des six Pater et celle de la Prière : « O Bon et Très doux Jésus » après la sainte Communion et le Salve Regina, demandés par notre chère Soeur. Elle en sera très reconnaissante ainsi que nous qui avons la grâce de nous dire, avec un religieux respect dans le Sacré-Coeur de Jésus, Ma Révérende et Très honorée Mère, Votre humble Soeur et Servante,

Sr M. T. Marguerite du Saint-Sacrement r. c. ind.

De notre Monastère de l'Immaculée-Conception et de notre Père Saint Joseph des Carmélites de Draguignan, le 25 août 1896.

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