Carmel

24 Juin 1897 – Bayonne

Ma Révérende et très honorée Mère,

Paix et très humble salut en Notre-Seigneur qui, pendant la belle octave du Très Saint Sacrement, a appelé à Lui notre bien chère Soeur Anne-Marie du Saint Rosaire, tourière agrégée de notre Communauté, âgée de 62 ans 5 mois, dont 39 ans de religion.

Notre bien chère Soeur naquit à Mazères, petit village de notre département, aux environs de Pau, d'une famille profon­dément chrétienne. Toute jeune encore, elle se consacra à la Très Sainte Vierge par un élan spontané ; elle aimait à attribuer à sa Mère du Ciel la grâce qu'elle eut de recevoir pour la première fois, à l'âge de dix ans, la sainte communion à l'occasion d'une maladie grave qu'elle fit; heureuse maladie dont elle ne cessait de bénir le Seigneur. Sa jeunesse s'écoula au sein de sa famille, occupée tour à tour des petits travaux du ménage et des travaux des champs. Elle eut toujours un goût prononcé pour la piété; l'habitation de ses parents étant à quelques pas de l'église parois­siale, elle avait toute facilité pour satisfaire son attrait.

A l'époque de la fondation de notre Monastère, une de ses soeurs était depuis quelque temps déjà au Carmel de Pau comme converse; la Mère Elie, Prieure de cette Communauté, qui connaissait le désir de notre jeune fille alors âgée de 24 ans, n'hésita pas à la proposer comme tourière à notre fondatrice, la vénérée Mère Dosithée de douce mémoire; elle fut acceptée avec reconnaissance, et c'est avec bonheur qu'elle se joignit au petit essaim qui prenait le chemin de Bayonne.

Il nous serait difficile de vous dire, Ma Révérende Mère, la vie de dévouement de notre chère Soeur pour la Communauté. Restée seule au tour dès le troisième jour de l'arrivée de nos Mères ; elle eut à déployer ce dévouement aussitôt. Notre monas­tère se trouvant éloigné de la ville, il en résultait bien des fati­gues avec lesquelles elle ne voulait pas compter, trop heureuse si elle pouvait arriver à aider les commencements toujours diffi­ciles d'une fondation. Grâces à Dieu, les bienfaiteurs étaient en grand nombre et les forces de la pauvre tourière en subissaient nécessairement les conséquences. Les jours où elle ne devait pas aller en ville, elle entrait dans la clôture pour le tra­vail du jardin. Ceci dura quelques années, mais la croix de la maladie et de précoces infirmités devaient être son partage; aussi pouvons-nous dire que toute sa vie a été une continuelle souf­france, qui lui a valu, il est vrai, la consolation de se dévouer exclusivement au soin des choses du culte.

Quelle n'était pas sa sollicitude aux approches des grandes fêtes ! Combien elle désirait que nos cérémonies eussent tout l'éclat possible! Qui pourrait dire ce qu'elle dépensait de fati­gues pour l'ornementation de la chapelle ! Son bon goût et son adresse aidant, elle arrivait d'une manière ou d'une autre à réa­liser le plan qu'elle avait rêvé et qui, au dire des habitués de notre chapelle, était toujours parfaitement réussi. Elle était, du reste, bien secondée par ses petites compagnes qui à leur attrait propre pour tout ce qui regarde le culte, joignaient une vraie et filiale affection pour leur doyenne qu'elles aimaient à regarder comme une seconde Mère. Aussi de combien de soins tendres et délicats ne l'ont-elles pas entourée en santé comme en maladie, et combien cette affection rendait notre chère Soeur heureuse. De son côté elle savait bien la leur rendre. Durant sa dernière et longue maladie, alors que tout à fait retenue, elle ne pouvait plus surveiller les travaux de la Chapelle, elle ne se désintéressait de rien et ses petites compagnes n'auraient rien voulu décider sans son approbation.

Nous vous l'avons déjà dit, Ma Révérende Mère, notre chère Soeur avait un goût prononcé pour la piété : aussi toutes les dévo­tions lui étaient-elles chères; mais son attrait dominant se por­tait vers Notre-Seigneur dans l'Eucharistie et vers la Très Sainte Vierge. En 1875, elle eut la grâce inoubliable pour son coeur de faire une retraite à Notre-Dame de Lourdes. Permettez-nous de transcrire ici ses sentiments à cette occasion :

« Mes voeux ont été déposés au pied de Notre-Dame de Lourdes que j'aime tant. Pendant que je priais à votre Grotte bénie, que de grâces vous m'avez accordées pour le corps et surtout pour l'âme. Je puis le dire du fond du coeur, je suis votre enfant et votre enfant privilégiée depuis le berceau jusqu'à la tombe. 0 ma Mère, veuillez me conserver pure, mais surtout humble, chari­table, douce, afin que j'aime tout ce qu'il plaira à Jésus de m'en- voyer sur cette terre, afin que j'aie le bonheur de le voir un jour au Ciel. 0 ma Mère chérie, qui m'aurait dit que vous me réserviez de si grandes grâces : être l'Epouse de Jésus!... Malgré les peines et les souffrances que j'ai endurées, vous m'avez fait la grâce de conserver une grande confiance en Dieu. Vous savez, ô Mère chérie, dès l'âge de 10 ans, je vous l'avais dit, mon coeur était pour vous. Je n'avais d'autre ambition que d'appartenir à Jésus par vous. »

Nous nous étendons peut-être trop, Ma Révérende Mère, car notre humble Soeur avait manifesté le désir qu'on ne lui fit pas de Circulaires. Nous ne voulons pas terminer cependant sans vous dire quelques mots de sa longue et douloureuse maladie.

Dans la nuit du 14 novembre dernier, elle fut prise tout à coup d'un fort vomissement de sang. Le Docteur constata que le dan­ger était imminent; il nous dit qu'il ferait son possible pour le conjurer, il y réussit en effet, mais la maladie devait suivre son cours : on ne pouvait que chercher à atténuer ses souffrances. Notre Docteur, si bon et d'un dévouement si désintéressé, s'est vraiment prodigué auprès de la chère malade; nous ne saurions assez le recommander à vos prières, Ma Révérende Mère.

Pendant les sept mois de maladie, il y eut plusieurs alterna­tives de mieux qui causèrent à la malade et à nous en même temps de vraies consolations. Nous pûmes lui parler au tour deux ou trois fois, et une fois même on la porta au parloir. Qu'elle était changée, la pauvre Soeur, et comme sa physionomie expri­mait la souffrance !

L'amour que ma Soeur Anne portait à la Communauté prit, durant, sa maladie, un quelque chose de si excessivement affec­tueux que cela nous touchait. Privée de voir ses Mères et Soeurs, elle éprouvait une vraie joie lorsqu'une de nous lui adressait une petite lettre, ce qui, du reste, était fréquent; avec quelle effusion de coeur elle nous en faisait remercier ! Le mieux le plus sensible de sa maladie eut lieu vers la mi-Carême; mais le Jeudi Saint elle eut une crise, et depuis ce moment le mal fit des progrès tels que les témoins de ses souffrances avaient peine à comprendre comment un corps d'apparence si frêle pouvait supporter de si vives et de si continuelles douleurs. Notre bonne Soeur a été admirable de patience et de résignation à la sainte volonté de Dieu. Ce qui la faisait surtout souffrir, c'était la pen­sée des fatigues qu'elle occasionnait à ses chères petites Soeurs et à sa charitable infirmière qui, toutes trois, jour et nuit, se dépensaient auprès d'elle, sans compter. C'est bien là le propre de la vraie affection, n'est-ce pas, Ma Révérende Mère ?

La dernière quinzaine a été peur ainsi dire une véritable ago­nie ; la malade se rendait compte de son état et appelai t de tous ses voeux le moment de son union suprême avec Dieu. La grâce de l'Extrême-Onction, qu'elle avait déjà reçue au début de sa mala­die, lui fut réitérée. Elle a eu la grâce de faire plusieurs fois la communion, même alors que dans les derniers jours de sa ma­ladie il fallait calculer l'intervalle des vomissements. Elle a eu aussi la consolation de recevoir plusieurs fois la paternelle béné­diction de Monseigneur notre Evêque.

Le sang précieux de Notre-Seigneur qu'elle recevait journel­lement par la grâce de la Sainte Absolution que notre bon Père Supérieur venait lui apporter était un baume et un réconfort pour son âme. C'est samedi dernier, vers sept heures et demie du matin, que notre chère Soeur a pris son vol vers le Ciel.

Ses obsèques ont eu lieu lundi. Un nombreux clergé et une nom­breuse et sympathique assistance entouraient son cercueil. M. L'archiprêtre nous a fait l'honneur de venir avec ses vicaires chanter la messe d'enterrement. Nous vous prions, Ma Révérende Mère, de vouloir bien nous aider par vos prières à acquitter notre dette de gratitude envers ces Messieurs. Nous vous demandons aussi une intention bien spéciale pour les bonnes Religieuses, Ser­vantes de Marie, des deux Communautés nos voisines, qui sont en toutes circonstances d'un dévouement sans bornes pour notre Communauté, et qui, non contentes de s'être prodiguées auprès de notre chère défunte durant sa maladie, ont eu la charité de venir la veiller encore après sa mort.

Nous avons la douce confiance que les longues souffrances endurées par notre regrettée Soeur auront plaidé sa cause auprès du Souverain Juge; cependant, comme il faut être si pur pour paraître devant le Dieu de toute sainteté, nous vous prions, Ma Révérende Mère, de vouloir bien faire offrir pour elle le saint sacrifice de la Messe; nous nous permettons de vous demander aussi une communion de votre fervente Communauté, l'indul­gence des six Pater, celle du Via Crucis et quelques invocations à Notre-Dame de Lourdes, à Notre-Dame du Saint Rosaire, à notre Père Saint Joseph et à Sainte Anne; elle vous en sera très reconnaissante ainsi que nous, qui avons la grâce de nous dire,

Ma Révérende Mère, dans les Coeurs sacrés de Jésus et de Marie,
Votre très humble servante,
Soeur MARIE du SAINT-SACREMENT, r. c. ind.

De notre Monastère de l'Immaculée Conception, sous la pro­tection des Saints Anges Gardiens, des Carmélites de Bayonne, le 24 Juin 1897.

Bayonne. — Imp. Lasserre.

 

 

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