Carmel

22 juin 1894 – Grenoble

 

Ma Révérende et très honorée Mère,

 

Paix et très humble salut en Notre-Seigneur, dont la volonté toujours adorable, mal­gré ses apparentes rigueurs, vient d'affliger bien douloureusement tous nos coeurs en enlevant à notre respectueuse et filiale affection Notre Révérende et bien-aimée Mère Prieure, Elie-Madeleine-Thérèse du Saint-Coeur de Marie, professe de notre Monastère, âgée de soixante-deux ans, deux mois et vingt-six jours, et de religion trente six ans, deux mois et vingt-sept jours. Cette mort sinon imprévue, du moins bien inattendue dans sa soudaineté, laisse tous nos coeurs plongés dans une bien vive affliction ; nous nous inclinons sous la main de Celui qui frappe, mais guérit et dont l'amour infini ne peut nous affliger que dans des vues d'éternelle miséricorde. Nous allons essayer, Ma Révérende Mère, de partager avec nos chers Carmels la pro­fonde édification que nous laisse le souvenir de cette Vénérée Mère, en esquissant, à grands traits le portrait de cette âme d'élite. Tout ce que nous en pourrons dire sera bien imparfait, mais le Souverain Juge a déjà, nous en avons la douce et intime con­fiance, couronné en elle ses dons, à Lui de la glorifier et de faire comprendre ce que fut pour l'Epoux Divin cette Vierge fidèle.

Notre Révérende Mère naquit à Mont-Genèvre, dans les Hautes-Alpes, où Monsieur son père se trouvait alors en résidence militaire: c'était le 18 mars 1832 et le lendemain 19, jour où la sainte Eglise célèbre la fête de notre glorieux Père Saint Joseph, pour lequel notre Vénérée Mère eut toujours une dévotion particulière et une confiance toute filiale, elle fut régénérée dans les eaux du Baptême et reçut les noms d'Elie-Madeleine, noms qui ne lui furent certainement donnés que par un dessein très particulier de la Provi­dence, qui destinait cette âme privilégiée à être la digne fille du glorieux Patriarche du Carmel, et l'imitatrice de l'amour et de la pénitence de la sainte Patronne des âmes contemplatives.

La première éducation de notre chère Mère se fit chez les dignes Religieuses de la Providence qui, dans presque toutes les paroisses de notre contrée, se dévouent avec un zèle infatigable à l'éducation de la jeunesse, elle fit là sa première Communion et y fut préparée par les soins d'un vénérable Prêtre qui ne parle encore qu'avec émotion des consolations et des espérances que donna à son âme sacerdotale cette jeune âme si prête à recevoir la première visite de Celui qui était déjà l'unique bien-aimé de son coeur ; elle était dès lors toute sienne et ne soupirait qu'après le moment où il lui serait permis de se consacrer à Lui dans la vie religieuse ; la seule vue d'une religieuse fai­sait tressaillir son âme, elle l'aurait, nous disait-elle, suivie jusqu'au bout du monde ; être une religieuse ou être une sainte, étaient deux termes inséparables dans son esprit; elle ne pouvait concevoir que sous un habit si saint, pu battre un coeur qui ne fût pas tout à Jésus.

Nous ne pouvons mieux, ma Révérende Mère, terminer ces quelques mots sur les premiers développements de la grâce dans l'âme de notre bonne Mère, qu'en vous citant intégralement ce que nous en écrit l'une de ses anciennes Maîtresses, digne religieuse de la Providence qui la pleure avec nous : Quand ses petites compagnes se faisaient punir, elle était ingénieuse à les excuser ! Elle aurait volontiers pris pour elle la pénitence. Mais, enfin, elle demandait leur grâce, et avec tant d'instance qu'elle l'obtenait toujours...

C'était un soulagement pour les Maîtresses, quand elles voyaient Mademoiselle Elie entourée de ses compagnes à la récréation ; elles étaient sûres que tout se passait bien : jeux et conversations.

Elle fit sa première Communion comme un ange, aussi, M. le Curé de la paroisse lui permit-il de communier deux fois de suite ? La bonne Mère Saint Augustin se trouvait alors à Corbelin, elle s'étonnait qu'une enfant si jeune fit la sainte Communion à des époques si rapprochées : Laissez-la faire, lui dit M. le Curé, elle peut communier souvent, son coeur est si pur !

Elle faisait journellement sa petite visite à Notre-Seigneur et avec un recueillement qui inspirait de la dévotion aux personnes témoins de sa ferveur et de sa piété. A la promenade elle ne nous quittait pas et nous priait de lui apprendre à faire la méditation. C'était un délice pour elle de parler du bon Dieu, qu'elle aimait de toute son âme. A dîner, elle venait avec beaucoup d'humilité trouver sa Maîtresse et lui disait quelquefois : Madame, permettez-moi de dîner à genoux. Quand on le lui permettait, était-elle heureuse !

Cette digne Mère termine ces touchants détails en regrettant que sa mémoire ne lui permette pas de nous citer un grand nombre d'autres traits édifiants de sa jeune élève.

Les excellents parents de notre chère Mère, obligés alors de quitter Mont-Genèvre, al­lèrent se fixer à Voiron, ville assez importante de notre diocèse et ce fut alors dans la fer­vente congrégation de Notre-Dame des Victoires que la jeune Elie termina son éducation; là, comme chez les Religieuses de la Providence, elle fut le modèle de ses compagnes et la consolation de ses Maîtresses ; elle gardait au fond de son âme, comme un précieux trésor, le secret de l'appel Divin, mais n'aimait pas à le livrer ; aussi dans un petit repas de fête donné aux élèves, l'une de leurs bonnes Maîtresses porta un toast pour la réussite des projets de Mademoiselle Elie, qu'elle connaissait, mais qu'elle ne disait pas.

Il nous semble, ma Révérende Mère, que nous pourrions résumer la vie intime de notre chère Mère dans ces deux mots : Dieu l'a gardée pour Lui, et elle s'est gardée pour Dieu. Son extérieur digne et grave en imposait tout d'abord et était comme la haie, dont le Maître divin, jaloux de la pureté de cette âme, l'avait entourée; cette gra­vité, un peu au-dessus de son âge, était tempérée en elle par les grâces naturelles dont le Seigneur l'avait douée et qui la faisaient aimer autant que respecter.

Notre chère Mère avait un esprit, élevé, un jugement sûr et net, qui, joint à une vo­lonté forte et virile, ne laissait point d'intervalle dans son esprit, entre comprendre qu'une chose était bonne et juste, et la vouloir accomplir. Ceci fut certainement pour elle la cause de bien des luttes intimes, dont Dieu et ceux qui ont eu la conduite de son âme ont eu le secret.

Son éducation terminée, notre chère Mère rentra dans sa famille où elle demeura ce qu'elle avait été au pensionnat, toute à Dieu et à ses devoirs ; ses chers parents trouvè­rent toujours en elle une enfant soumise et aimante, et son unique et bien aimé frère, une amie partageant ses joies et ses peines.

Si elle n'eût écouté que ses seuls désirs, elle se fut sans retard consacrée définitive­ment à Dieu, mais ses parents, son digne père surtout, ne pouvaient se décider à se sé­parer de cette fille tendrement aimée, et ce ne fut qu'à l'âge de 26 ans, qu'elle put les faire consentir à accomplir ce grand sacrifice.

L'attrait très prononcé de notre Mère pour la pénitence, l'avait portée à choisir la Trappe, comme le lieu où elle pourrait le mieux assouvir sa soif d'austérités et d'immo­lation; elle ne connaissait pas alors le Carmel ; mais avant de faire aucune démarche, elle voulut aller consulter à la Grande Chartreuse, le Révérend Père Général, qui était alors Dom Jean-Baptiste Mortaiz, de vénérée et regrettée mémoire ; le saint religieux, si rempli de l'esprit de Dieu, et dont le regard pénétrait profondément dans les âmes, lui dit : Mon enfant, ce n'est pas à la Trappe que Dieu vous veut, mais au Carmel, allez vous présenter à celui de Grenoble. Cette âme, qui n'hésitait jamais quand la volonté de Dieu lui était manifestée, écrivit de suite à nos Vénérées Mères fondatrices, qui, discernant les rares qualités de cette jeune fille, répondirent favorablement à ses désirs, et lui accordèrent l'entrée de notre Monastère. Elle n'hésita plus un instant à s'arracher des bras de ses bons parents; un motif bien digne de sa grande âme l'aidait dans ce sacrifice ; celle de son cher père n'était pas tout ce qu'elle lui souhaitait, et en l'embrassant pour la dernière fois, elle lui disait avec une franchise toute filiale : Mon père, ce n'est pas seulement pour moi que je me fais religieuse, mais pour vous ; cette parole, et l'accent avec lequel elle fut prononcée, pénétra comme un trait dans cette âme, d'ailleurs si bonne et si droite, et l'odeur de ce double sacrifice montant jusqu'à Dieu, en fit redescendre la grâce et la lumière; dès le lendemain de son entrée au Carmel, ma soeur Thérèse du Saint-Coeur de Marie, recevait ces lignes de ce père si religieusement aimé : Mon enfant, tout est fait, je me suis confessé et j'ai communié ce matin. Désormais tranquille sur les intérêts spirituels de celui qui lui avait donné le jour, et qui jusqu'à sa mort marcha sans faiblir clans la voie qui mène au Ciel, ma soeur Thérèse du Saint-Coeur de Marie, ne songea plus qu'à s'avancer dans la carrière où elle s'é­lançait de toute l'ardeur de son âme ; l'une de nos chères soeurs anciennes nous disait, que l'on avait vu progresser cette âme, comme l'on voit pousser l'herbe au printemps. — Sa foi profonde et l'estime singulière de sa vocation, qu'elle produisait et entretenait en elle, la firent passer courageusement, sur les premières difficultés de la vie religieuse.

Elle y fut aussi puissamment encouragée par une parole que lui fit dire le Vénérable curé d'Ars, auquel elle avait, avec la permission de sa Mère Prieure, écrit pendant l'année de son noviciat. Une dame amie de notre Carmel, se rendant à Ars pour pré­senter son plus jeune fils aux bénédictions du saint prêtre, s'était bien volontiers chargée de la lettre de notre chère Mère, qui était enfermée dans une lettre de la Révérende Mère alors en charge. En arrivant auprès de M. le curé, la pieuse dame, toute occupée de lui demander ses bénédictions et ses conseils pour elle et sa chère famille, oubliait un peu les lettres qui lui avaient été confiées ; quand, le saint curé, à qui le bon Dieu avait sans doute fait connaître, ce qui humainement parlant lui était inconnu, l'interrompit en disant : Madame, et la lettre de la Soeur Thérèse du Saint-Coeur de Marie, vous ne me la donnez pas ? —Mais, Monsieur le curé, je n'ai point d'autre lettre à vous remettre qu'une de la Mère Prieure des Carmélites. Donnez-moi celle de la Soeur du Saint-Coeur de Marie, continuait-il ; et quand il en eut pris con­naissance : Madame, s'informant de la réponse qu'elle avait à donner aux mis­sives dont elle s'était chargée, il reprit : Vous direz à la Soeur du Saint-Coeur de Marie que tout ira bien, elle peut être tranquille. Cette parole vraiment venue de Dieu qui seul avait pu l'inspirer, dissipa toutes les craintes de notre bonne Mère et acheva d'inspirer la plus entière confiance sur la vocation de ma Soeur Thérèse du Saint- Coeur de Marie. Aussi, nos Vénérées Mères, et toute la communauté, comprenant que cette âme étant une fois entrée dans la carrière de la perfection ne s'y arrêterait plus, furent-elles heureuses de la recevoir au Saint Habit, puis à la Sainte Profession, aux époques ordinaires.

Notre chère Mère ne s'arrêta pas en effet, et travailla constamment à développer en son âme le germe des vertus que Notre-Seigneur y avait déposé, dans sa bonté, com­me dans une bonne terre, où II savait qu'elles devaient germer et produire des fruits abondants. La conscience très timorée de notre bonne Mère lui était un aiguillon qui ne lui permettait pas de se relâcher dans l'accomplissement de ses devoirs et dans la pratique des vertus; elle fut aussi pour elle la source de grandes peines intérieures, dont ses Mères Prieures eurent le secret, et qui furent pour son âme le creuset où elle se purifia.

Nous vous avons dit, ma Révérende Mère, que notre Vénérée Mère était une âme de grande foi, de foi profonde, nous pourrions dire de cette foi antique qui tient toujours l'âme en présence de Dieu, dans cet anéantissement où la créature doit être devant son Créateur; elle savait ce qu'était Dieu et ce qu'elle était elle-même; aussi son extérieur, toujours si digne, l'était bien davantage encore en présence du Très Saint Sa­crement et dans tous les exercices de religion ; sa seule vue alors portait au recueille­ment; et quand elle avait à balayer soit le choeur, soit l'oratoire, ses mouvements se ressentaient de ce profond esprit de religion qui l'animait. Cette foi fut, en notre, chère Mère, le principe de toutes ses autres vertus, elle la tint toujours humble, obéis­sante, charitable et mortifiée, L'attrait pour la pénitence qui l'avait tout d'abord incli­née vers la Trappe, ne se ralentit pas quand elle fut au Carmel, et ses supérieurs n'eurent qu'à la retenir sur cette pente où elle eut quelque fois glissée, si elle n'eut suivi que le besoin de son coeur, désireux de se rendre conforme à son Epoux crucifié.

Toutes les éminentes qualités de cette véritable Carmélite et sa rare intelligence, la rendirent bien utile, dès les commencements de sa vie religieuse, dans les différents offices, que l'obéissance lui confia tour à tour; lingère, sacristine, portière, elle s'ac­quitta de ces divers emplois à l'entière satisfaction de ses Mères Prieures; elle se dé­pensait sans compter avec son temps ni ses forces ; elle fit paraître surtout son entier dévouement à la communauté dans les charges qu'elle remplit pendant la majeure partie de sa vie religieuse, élue Sous-Prieure, puis Prieure, Dépositaire, Maîtresse des novices, et enfin Prieure , ce fut dans l'exercice de cette dernière charge, qu'elle tom­ba les armes à la main.

Ce que nous venons de vous dire, ma Révérende Mère, des vertus de notre Vénérée Mère, quoique bien imparfait, vous dit assez ce qu'elle dut être pour nous pendant son Priorat : une Mère toute dévouée au bien de nos âmes, nous donnant le double en­seignement de ses exemples et de ses paroles, se tenant à son poste de Pasteur, avec une énergie dont elle ne s'est départie qu'avec la vie.

La santé de notre bonne Mère avait toujours été bonne, elle avait constamment sui­vi la règle, y ajoutant des pratiques de surérogation, que lui inspiraient son amour pour Notre-Seigneur et son dévouement pour les âmes ; elle jeûnât encore tout le Ca­rême dernier, nous dissimulant, autant qu'elle le pouvait, ses souffrances ; mais, au milieu de la Sainte Quarantaine, elle se trouva beaucoup plus fatiguée, son estomac ne fonctionnait que très difficilement, des vomissements, dont la fréquence se rapprochait de semaines en semaines, nous inspirèrent de justes et vives alarmes, mais notre bonne Mère, seule ne s'inquiétait pas et ne voulait pas que nous nous inquiétions, elle attri­buait tous ces accidents à un rhumatisme, nous assurait que le beau temps arrange­rait tout, et s'opposait même à ce que nous fassions appeler le médecin; elle céda pourtant à nos désirs, niais, hélas ! Je mal était trop avancé, les remèdes ordonnés ne firent pas grand effet ; notre vénérée malade continuait à croire que tout allait s'arran­ger, et pourtant elle ne pouvait plus supporter aucune nourriture, et ses forces décli­naient rapidement ; le mardi 12 courant, elle consentit à voir de nouveau M. notre médecin, car depuis deux jours de vives souffrances ne l'avaient pas quittée, le médecin ne nous cacha pas que son état était des plus graves, mais il ne nous parla pas d'un danger imminent ; dès son départ, notre chère Mère vit ses douleurs augmenter dans des proportions effrayantes ; notre chère Soeur infirmière, demeurée prés d'elle pendant ­les Matines, essaya en vain quelques remèdes pour la soulager, après l'office, nous nous rendîmes près d'elle et la trouvâmes si souffrante, que nous ne pûmes nous ré­soudre à la quitter, quoiqu'elle nous pria d'aller nous reposer, s'oubliant jusqu'à la fin; nous terminions, le lendemain, une neuvaine à St Antoine de Padoue, à qui nous demandions un miracle, de toute l'ardeur de nos âmes ; cette nuit fut pleine d'angois­ses pour la chère malade et pour nous, les nôtres étaient d'autant plus grandes, que notre bonne Mère ne se croyait pas encore si mal et répondait à l'offre que nous lui faisions d'envoyer chercher notre vénéré Père Supérieur : attendez encore, quand je serai mieux; vers le matin du 13, pendant l'oraison, elle prit une syncope, et nous envoyâmes, en hâte, chercher M. notre digne aumônier, si dévoué pour nos âmes; la vénérée malade revint à elle quand il fut là, nous la prévînmes alors de sa présence, elle avait toute sa connaissance et ne se croyait pas encore si près de la mort, pour­tant elle l'accueillit avec reconnaissance, se confessa avec toute sa lucidité, reçut l'Extrême-Onction et quoique sa langue eut déjà beaucoup de peine à articuler un son, elle nous demandait pardon avec une touchante humilité, qui achevait de briser nos coeurs.

M. l'Aumônier s'était à peine retiré, que notre bonne Mère entrait dans une paisible agonie, nous l'entourions avec notre vénérée Mère Fondatrice, dont elle était la fille bien-aimée et le plus ferme appui, nos chères soeurs Infirmières et nos bonnes soeurs du Voile blanc, le reste de la communauté, récitant les petites heures ; quand elles furent terminées, nos soeurs accoururent, nous récitâmes les prières du Manuel, nous ne cessions de prier, tenant le cierge béni près de la chère mourante, elle le vit, le saisit avec force, puis le lâchant, elle entrelaça ses deux bras autour du cou de sa pau­vre Sous-Prieure, et ce fut dans cette suprême étreinte, dont la muette éloquence ne s'effacera jamais de notre mémoire, que notre Révérende et bien-aimée Mère rendit son dernier soupir, ses bras se desserrant peu à peu, nous comprîmes que pour cette belle âme toutes les angoisses de l'exil étaient finies et que le grand jour de l'éternité avait lui à ses yeux ; il était 7 heures un quart, du matin, le mercredi, jour dédié à notre Père Saint Joseph, pour lequel notre bonne Mère avait toujours eu une si filiale dé­votion, et le jour auquel la sainte Église célèbre la fête de St Antoine de Padoue, qu'elle avait eu cette année pour son Saint Protecteur du mois. M. l'Aumônier allait monter à l'Autel pour offrir le Saint Sacrifice, afin d'obtenir la guérison de notre chère Mère, et ce fut pour le repos de son âme qu'il offrit la Divine Victime.

La Vénérée dépouille fut portée au choeur avant les Vêpres, et c'est autour d'elle que nous nous groupâmes jusqu'au lendemain, à trois heures après-midi, où eurent lieu les obsèques. Le matin, une Messe de Requiem avait été chantée par le zélé Pasteur de notre paroisse, que nous nous faisons un devoir de reconnaissance, ma Révérende Mère, de recommander, ainsi que toutes ses oeuvres à vos saintes prières ; un nombreux clergé vint entourer la dépouille mortelle de notre regrettée Mère ; M. notre Supérieur était absent, ce qui venait ajouter à notre douleur. M. le chanoine Fagot voulut bien le remplacer pour les absoutes. Veuillez, ma Révérende Mère, nous aider à acquitter notre dette de reconnaissance envers tous ces vénérables membres du clergé, qui ont bien voulu unir leurs prières aux nôtres, et. nous pouvons ajouter aussi, leur douleur, car notre bonne Mère était connue et estimée de tous.

Une foule recueillie s'est succédée auprès de notre grille pour contempler une der­nière fois les traits de la vénérable défunte, qui étaient empreints de la plus douce paix ; nous dûmes, pour répondre aux pieux désirs de ces âmes de foi, faire toucher à ses mains et à ses vêtements tous les chapelets que l'on nous présentait et Notre-Seigneur qui a tout promis à la foi qui n'hésite pas, s'est plu à répandre bien des grâces dans les âmes qui sont venues ce jour-là prier dans notre église.

Tous ces témoignages de sympathie pour notre douleur et de vénération pour la Mère que nous pleurons, ont été certainement une très douce consolation pour nos coeurs affligés, mais le vide creusé par ce départ, demeure toujours bien grand parmi nous ; Notre-Seigneur a seul le secret de le combler ; la tâche qui incombe à notre fai­blesse est bien lourde, et nous aimons à espérer, ma Révérende Mère, que vous voudrez bien accorder à nous et à toute notre petite famille religieuse, un tout spécial souvenir aux pieds du divin Maître ; veuillez surtout lui demander avec instance de conserver bien longtemps encore à notre vénération et à notre amour filial, la vénérée Mère Fon­datrice de ce petit Carmel qui nous a toutes introduites dans l'Arche sainte, et qui est encore, malgré ses 84 ans, l'âme et le coeur de notre communauté, et pour notre inexpérience le guide, le conseil et l'appui de tous les instants.

Quoique nous ayons, ma Révérende Mère, l'intime confiance que notre Révérende et bien chère Mère Thérèse du Saint-Coeur de Marie, jouit déjà de la claire vue de ce divin Epoux des vierges que son âme a constamment et fidèlement suivi ; cependant comme ce Dieu trois fois saint, juge les justices mêmes, nous vous supplions humblement de vouloir bien ajouter aux suffrages de l'ordre, déjà demandés, par grâce une communion de votre sainte communauté, une journée de bonnes oeuvres, l'indulgence du Via Crucis et celle des six Pater. Notre regrettée Mère, dans un petit billet écrit de sa main, où elle demande humblement qu'on ne lui fasse de circulaire que pour demander les suffrages de notre saint Ordre, qu'elle abandonne de nouveau, dit-elle, à la Très Sainte Vierge à qui elle a tout donné en faveur des âmes du Purgatoire, prie ses chères Mères et Soeurs d'avoir la charité de faire un acte de contrition, en amende honorable de l'abus, dit-elle, qu'elle a fait des grâces de la Sainte Religion et un acte d'amour en reconnaissance des miséricordes dont Notre-Seigneur a usé envers elle, avec une invocation aux Sacrés Coeurs de Jésus, Marie, Joseph et notre sainte Mère Thérèse. 

Nous ne doutons pas, ma Révérende Mère, que vous n'accédiez à ce pieux désir; notre bien chère Mère vous en sera très reconnaissante, ainsi que nous, qui avons la grâce de nous dire, au pied de la Croix, avec un affectueux et profond respect,

Ma Révérende et très honorée Mère,

Votre bien humble Soeur et servante,

Sr Marie-Elisabeth de Jésus,

R. C. ind.

De notre Monastère de notre Père Saint Joseph, des Carmélites de la Tronche-Grenoble, le 22 juin 1894.

 

P. S. — Nous prions nos chers Carmels qui ont bien voulu nous donner des témoignages de leur religieuse et fraternelle sympathie, de recevoir ici l'expression ne notre bien vive recon­naissance.

 

 

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