Carmel

21 avril 1894 – Aurillac

 

Ma révérende et très honorée Mère,

 

Paix et très humble salut en Notre-Seigneur qui vient de nous imposer un bien douloureux sacrifice en rappelant à Lui notre bien chère et regrettée Soeur Marguerite-Émilie-Marie, Tourière, agrégée de notre Communauté. Elle était âgée de 54 ans 11 mois, dont 31 ans passés dans le plus généreux dévoue­ment pour sa chère famille religieuse, dévouement poussé jusqu'à l'héroïsme, vu sa faible santé qui ne lui laissait guère de jours sans souffrance.

Son coeur reconnaissant et sensible éprouvait sans cesse le besoin de payer de retour l'affection que lui portaient toutes ses Mères et ses Soeurs. La douceur de son caractère jointe à une grande piété, son air modeste et religieux lui attiraient l'estime et le respect de tous ceux qui la voyaient; son juge­ment droit et solide, son aimable gaieté la faisaient aimer de tous. On ne l'appelait que la sainte Soeur Marie. Que d'âmes n'a-t-elle pas ramenées au bien, par la douceur de sa parole et ses sages conseils ! Cette chère et regrettée Soeur avait reçu de Dieu un don tout particulier pour consoler et soigner les malades, qui n'étaient jamais plus heureux et contents que lorsqu'ils la voyaient venir prendre place à leur chevet; elle les soignait avec tant de bonté et avait pour eux des attentions si délicates qu'on ne saurait les trouver que dans le coeur d'une Mère !

Sa délicatesse de conscience la poussait à s'accuser de ses moindres fautes. Toutes nos Soeurs qui ont eu à faire avec cette chère Soeur au Tour ne peuvent assez dire avec quelle humilité elle aimait à les réparer.

Combien, ma révérende Mère, était-elle heureuse de consa­crer tous ses dimanches à la visite des pauvres et des malades, avec quel empressement nous demandait-elle toutes ses per­missions, ce qui ne l'empêchait pas de remplir tous ses autres exercices de piété, tels que : Chemin de la Croix et autres, qu'elle faisait chaque jour. Que ne puis-je vous faire connaître toute sa dévotion envers les Âmes du Purgatoire?... Elle n'était dépassée que par celle qu'elle avait pour la très sainte Vierge. Oh! comme elle aimait cette divine Mère!... Que de grâces n'en a-t-elle pas obtenues !... Nous lui avions promis de faire pour la troisième fois le pieux pèlerinage de Notre-Dame de Lourdes, où elle avait été si heureuse de prier. Mais cette bonne et divine Mère ne voulait pas se contenter cette fois de voir notre chère Malade dans les roches de Massa bielle ; Elle voulait mieux que cela : l'attirer toute à Elle, en lui faisant quitter l'exil pour la Patrie.

Sa grande dévotion aux Âmes du Purgatoire, comme nous vous l'avons dit plus haut, ma révérende Mère, la rendait ingé­nieuse à se procurer des ressources pour leur faire dire des Messes.

C'est surtout à l'époque de la construction de notre Monas­tère que nous avons pu apprécier le dévouement et l'intelli­gence de notre regrettée Soeur Marie. Ses deux bien-aimées compagnes, qui l'affectionnaient si sincèrement, auraient voulu lui épargner toute peine, toute fatigue qu'augmentait un surcroît de surveillance, mais elles ne purent jamais y par­venir, tant était grand le besoin de notre chère Soeur de se dépenser pour son cher Carmel. Laissez-moi Vous dire aussi toute l'estime, le respect qu'elle inspira toujours aux nombreux ouvriers, dans le cours de nos bâtisses, et de quel secours elle fut pour ses Mères Prieures dont elle avait si justement acquis la confiance ; son bon jugement et son excellent coeur la leur ont toujours rendue bien utile ; Elles pouvaient indifféremment lui confier toutes choses, convaincues qu'elles étaient qu'elle serait toujours à la hauteur de sa mission.

Nos familles ne lui étaient pas moins chères que la sienne et sa bonne Communauté ; comme elle les accueillait gracieuse­ment et en toutes circonstances de son gracieux sourire ; sa perte leur sera bien sensible et son souvenir bien doux.

Mais, ma révérende Mère, nous ne vous avons encore rien dit des moments si délicieux que la chère Soeur Marie passait au pied du Tabernacle dans ce pieux Sanctuaire qu'elle avait vu s'élever pierre sur pierre avec tant de consolation. Comme elle était ingénieuse pour bien orner l'Autel du divin Prison­nier. Elle comptait pour rien la fatigue et les souffrances jour­nalières ! Que d'heures n'a-t-elle pas passées aux pieds de ses chères statues de Notre-Dame de Lourdes, de saint Joseph et de sainte Philomène. Cette grande consolation allait lui être en partie enlevée par la Divine jalousie de l'Époux, désireux d'embellir la couronne de ses fidèles Épouses. Il y a quatre ans une cataracte lui était tombée sur un oeil, puis peu après sur le second. Nous lui proposâmes de la faire opérer par un habile oculiste ; nos prières aidant, l'opération eut d'assez bons résul­tats, et elle permit à notre chère malade de rendre encore bien des services à la Communauté, mais non selon la mesure de son zèle et de son dévouement. Une maladie de coeur se déclara peu après le recouvrement partiel de la vue; elle fut pour ses deux bonnes compagnes, Soeur Julie et Soeur Germaine, l'objet d'une sollicitude toute maternelle. Elles ne la quittaient qu'à regret, l'entourant de mille soins. Les crises d'étouffement de la chère Patiente lui donnaient de bien mau­vaises nuits. Dans l'impossibilité où nous étions de partager les soins que réclamait notre pauvre Soeur, nous étions au moins si heureuse de la savoir si bien soignée. Notre dévoué Médecin avait prolongé, autant qu'il l'avait pu, par ses fréquentes visites, la vie de notre chère Soeur, mais les desseins de Dieu ne sont pas les nôtres; aussi l'état de la maladie s'aggravant, M. notre Aumônier s'empressa de lui administrer les derniers Sacre­ments à deux reprises différentes, lesquels semblaient lui rendre la vie. Quel ne fut pas notre étonnement la semaine dernière encore en entendant la voix de ma Soeur Marie au Tour. Elle nous demanda d'aller au parloir, voulant nous voir une dernière fois pour recevoir la bénédiction. Nous nous ren­dîmes à son désir et ce court entretien nous laisse le meilleur souvenir. C'était bien les adieux, ma révérende Mère, la cou­ronne de Notre chère Soeur était faite. Après deux jours d'agonie, tout en conservant sa pleine connaissance jusqu'à la fin, elle a été à même de profiter de toutes les grâces que le bon Jésus s'est plu à déverser sur son âme si pure. Quel­ques instants avant de rendre le dernier soupir ses compagnes la virent sourire. Était-ce la vue de cette divine Mère qu'elle avait tant aimée ?... Nous serions portées à le croire, ma révé­rende Mère. La veille de sa mort elle avait reçu Celui qui allait la fortifier pour les derniers combats; une dernière absolution lui fut donnée dimanche 15 avril et lui fut encore renouvelée le lendemain, deux heures avant sa mort...

La douce paix répandue sur le visage de notre regrettée Soeur nous fait espérer que notre divine Mère du Ciel a intro­duit sa fille bien-aimée dans le séjour de la béatitude.

Mgr Réveilhac, notre si digne et vénéré Supérieur, qui nous donne en toutes circonstances les témoignages de sa grande bonté et de son dévouement, a bien voulu faire les obsèques de notre bien chère Soeur ; l'assistance nombreuse et sym­pathique a accompagné sa dépouille mortelle à sa dernière demeure. Qu'elle reçoive ici l'expression de notre gratitude !...

Nous vous prions, ma révérende Mère, de vouloir bien faire offrir, le plus tôt possible, pour notre très aimée Soeur Marie le saint Sacrifice, selon l'usage. Nous vous en serons très reconnaissante, ainsi que de tout ce que votre charité vous suggérera d'ajouter pour le repos de notre chère défunte.

Nous sollicitons encore, ma bonne révérende Mère, un sou­venir spécial auprès de Dieu pour notre cher Carmel si éprouvé et en particulier pour nos bonnes Soeurs Tourières si profondé­ment affligées, quoique parfaitement résignées à la sainte Volonté de Dieu.

C'est dans l'amour de Jésus et de Marie que nous aimons à nous dire avec un religieux et profond respect,

Ma révérende et très honorée Mère,

 

Votre très humble Soeur et servante,

Soeur Marie-Séraphine du Sacré-Coeur,

R C Igne.

De notre Monastère du saint Coeur de Marie, sous la protection de saint Joseph et de saint Antoine de Padoue, des Carmélites d'Aurillac, ce 21 avril 1894.

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