Carmel

20 mars 1889 – Bayonne

Ma Révérende et très honorée Mère

Paix et très humble salut en N.-S.-J.-C.

Le Divin Sauveur, au jour où nous célébrions la douce et aimable fête de son glorieux Gardien notre Père saint Joseph, s'est plu à assombrir pour nos coeurs cette solennité en enlevant à notre religieuse affection

notre bien-aimée Soeur Joséphine, tourière de notre Carmel, âgée de 44 ans, dont 16 années passées au service de notre Communauté.

Notre chère Soeur naquit à Estialescq, petite localité de notre Diocèse, d'une famille honnête et chrétienne. Son enfance, son adolescence durent s'écouler dans l'innocence et la piété, à en juger par la naïve candeur et la ferveur pleine de simplicité qui rayon­naient en elle et nous la firent accueillir avec joie quand elle vint s'offrir à la Communauté.

Comment vous dire, Ma Révérende Mère, son dévouement pour ce cher Carmel qu'elle aimait tant!

Quel amour, quel souci du travail, quel ordre, quelle propreté dans tout ce dont elle était chargée ! avec quel oubli d'elle-même elle s'empressait de répondre à toutes les exigences de son office ! Aussi combien était-elle appréciée par la Communauté, par nos soeurs portières surtout !

Que dire encore de son dévouement envers ses compagnes, de sa déférence envers sa doyenne, qu'elle aimait comme une mère? De combien d'attentions, de soins touchants ne l'entourait-elle pas dans ses fréquentes indispositions, avec quelle sollicitude ne veillait-elle pas auprès d'elle ! que n'aurait-elle pas fait pour lui épargner le moindre ennui ! Quelle cordiale déférence pour sa jeune compagne ; comme elle savait l'encourager, l'égayer dans ses petites épreuves des premiers temps ! Sa charité ne se bornait pas là, Ma Révérende Mère; notre chère petite Soeur l'étendait au delà du cercle de sa chère Communauté ; aussi était-elle bien payée de retour : elle inspirait une pieuse sympathie et une cordiale estime à toutes les personnes qui la connaissaient; une neuvaine de Messes déjà demandée pour le repos de son âme nous a vivement touchées.

Notre chère Soeur avait joui toujours d'une bonne santé, mais depuis quelque temps elle paraissait un peu affaiblie: c'est, croyons-nous, ce qui a contribué à la rapidité du triste dénouement qui nous l'a enlevée. Samedi a fait huit jours, elle se plaignit d'un fort mal de tête, auquel se joignirent d'abondants vomissements. Nous fîmes immédiatement appeler notre dévoué et bon docteur qui ne tarda pas à se rendre à notre appel : il ne vit pas de danger et nous dit que ce serait probablement l'affaire de quelques jours; il revint le lendemain, il la trouva bien prise, mais la maladie n'avait pas encore de symptômes alarmants.

Notre vénéré Père Supérieur vint la voir et conçut des craintes sur l'issue de cette maladie. Le docteur ordonna de la transporter à notre ancien provisoire, où elle a été soignée avec le plus grand dévouement par une garde- malade. La maladie suivait sou cours, et nous étions sans inquié­tude, lorsque hier matin la garde-malade nous fit dire que la nuit avait été très agitée et que la chère petite Soeur était en délire. Nous fîmes prévenir notre bon Père qui arriva aussitôt : il la confessa, et devant s'absenter pour la journée, il nous dit qu'il reviendrait le lendemain. Quand il quitta la malade, elle était très calme, mais peu de temps après, sa figure devint livide et le délire recommença.

Aussitôt avertie des progrès du mai, nous fîmes assembler la Communauté et nous récitâmes les prières du Manuel. Pendant ce temps, un des Directeurs du Grand Séminaire, qui a la charité de l'aire les fonctions de Chapelain, fut appelé. La chère Soeur, que le délire n'avait pas entièrement abandonnée, sentit néan­moins se réveiller dans son âme le vif sentiment qu'elle avait toujours eu des dispositions qu'exige la Sainte Communion, et pria notre Chapelain de lui laisser quelque temps pour la prépa­ration el de la recommander à Saint Joseph. Comme le péril de mort ne paraissait pas imminent, on accéda à son désir, d'autant qu'il semblait préférable de laisser entièrement tomber le délire. Lorsque la pieuse malade eut repris pleine possession de son esprit, elle demanda elle-même les derniers sacrements, qui lui furent aussitôt apportés.

Après l'avoir administrée, notre Chapelain, appelé ailleurs par des occupations urgentes, se retira; mais M. l'Eco­nome du Grand Séminaire, qui l'avait assisté, resta auprès d'elle et l'exhorta avec beaucoup de charité. Dans l'après-midi, notre bonne doyenne du tour eut la permission d'aller voir sa bien-aimée com­pagne qui la réclamait : toutes les deux furent heureuses de se retrouver, mais ce n'était pas pour longtemps : le mal faisait de rapides progrès. Le délire s'empara de nouveau de la chère malade et l'agita de plus en plus. Vers onze heures, la garde-malade et une infirmière, que la bonne Soeur Supérieure de l'hospice avait envoyée en cas d'accident, firent des prières, des aspirations : la chère Soeur répondait de tout son coeur, et c'est dans ce pieux exercice, sans souffrances, sans agonie, que le Divin Époux est venu cueillir cette petite fleur du Carmel pour la transplanter, nous eu avons la douce confiance, dans le céleste parterre de son beau Ciel, où elle priera pour ceux et celles qu'elle a aimés sur cette terre.

Veuillez nous permettre de vous deman­der de vouloir bien réciter trois Laudate en l'honneur de notre Glorieux Père Saint Joseph, en action de grâces de sa visible pro­tection sur notre chère Soeur. Elle portait son nom, elle avait fait profession au jour de sa fête, et c'est aussi le jour de cette solennité qu'elle est décédée. Daignez aussi lui faire rendre au plus tôt les suffrages en usage dans notre Saint Ordre et ajouter tout ce que votre charité vous suggérera afin de hâter, s'il en est besoin, son entrée dans le séjour de la gloire.

Dans les doux coeurs de Jésus, Marie, Joseph, je suis avec un profond et religieux respect,

Ma Révérende Mère,

Votre très humble Soeur et servante,

Sr Marie du SAINT-SACREMENT,

rci

Permettez-moi de vous recommander la famille et surtout la mère de notre chère Soeur, vénérable octogénaire, que ce coup imprévu va affecter sensiblement. Sa chère enfant la protégera du Ciel, sans nul doute, ainsi que tous les siens.

Nous vous prions en même temps de bien vouloir par vos prières nous aider à payer notre dette de reconnaissance envers tous ceux qui se sont dévoués pour notre chère soeur pendant sa maladie et qui l'ont accompagnée jusqu'en sa sépulture.

De notre Monastère de l'Immaculée Conception, sous la protection des SS. Anges Gardiens, des Carmélites de Bayonne, le 20 mars 1899.

Bayonne – impr. Lasserre

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