Carmel

20 janvier 1890 – Bethléem

 

Ma Révérende et très honorée Mère,

Très humble salut en Notre-Seigneur, qui vient de visiter notre Communauté en rappelant à Lui notre chère Soeur Marie-Antoinette de Jésus, religieuse professe du choeur, dans la 39e année de son âge, et la 16e de sa vie religieuse.

Notre chère Soeur naquit à Bordeaux, et entra jeune en­core au Carmel de cette Ville, mais peu de jours après, ses parents l'obligèrent à quitter cet asile sacré. Quelques an­nées plus tard, libre de suivre sa vocation, elle entra au Carmel de Pau, où sa pieuse Mère vint elle même l'accompagner. Elle y prit le St Habit et prononça ces voeux aux intervalles ordinaires.

Un an après sa profession elle obtint la grâce de venir rejoindre les premières soeurs de la fondation, auprès de la Ste Crèche de notre Divin Sauveur. Ici, sa santé, qui avait été toujours faible, se fortifia et depuis 9 ans elle avait la consolation d'observer, sans dispenses, l'austérité de notre Ste Règle.

 

Il y a quelques mois qu'elle fut atteinte de violentes dou­leurs de sciatique, que les remèdes ne purent soulager, et qui la réduisirent bientôt à un état de faiblesse contre la­quelle elle n'a pu réagir.

Quoique bien fatiguée aux dernières fêtes de Noël, elle voulut assister à tout et tenir sa place au choeur pendant le St Office.

Le Dimanche, 12 Janvier, elle se disposait à venir à la Messe, avec l'aide de son infirmière, lorsque tout à coup elle s'affaissa, et on dut la remettre au lit. Son état s'aggravant, notre vénéré Père Fondateur et Confesseur, le R. P. Estrate, vint la fortifier et la consoler de la grâce de la Ste Absolution. A une heure de l'après midi elle reçut le St Viatique et l'Extrême-Onction. Elle s'unissait à tout le ré­pondait à toutes les prières.

Dès ce moment, son âme inondée de grâces et de joie, ne sut plus que chanter sa reconnaissance. Et quand on lui demandait comment elle se trouvait : «Je vais comme le bon Dieu veut, disait-elle, mais quand on est à Bethléem on ne peut y être que dans la joie. » — Cette paix et cette joie prolongèrent sa vie de plusieurs jours, durant lesquels elle priait et chantait tour à tour. Son cantique favori était : « Vive Jésus! » et cet autre qu'elle entonnait aussi: « La mort pour moi n'a point d'alarmes.»—Elle répétait avec trans­ports: «Je suis à Bethléem, vive la joie, Alléluia!»

Son bonheur était de voir la Communauté réunie autour de son lit, et elle disait avec tout son coeur: «Je l'aime bien, ma chère Communauté!»—Elle avait un sourire et un mot aimable pour chacune, et en particulier pour une No­vice ; comme on lui en faisait la remarque, elle répondit : « Mais dans la famille, ce sont toujours les enfants que l'on aime davantage. »

 

Le Vendredi, 17 Janvier, elle était plus mal, mais conservait toute sa connaissance. Elle accueillait d'un sourire chacune de ses soeurs, et d'un merci les moindres services qu'on lui rendait. L'esprit d'obéissance, qui fut son caractère distinctif, l'animait encore à son dernier jour; et lorsque à certains moments, on voulait s'informer de son état, elle répondait: «Notre Mère m'a dit de dormir, je dors; dor­mons, dormons... »

Le soir, comme elle parut approcher de sa fin, notre vé­néré Père, qui chaque jour était venu la fortifier d'une nouvelle absolution, lui appliqua l'indulgence in articulo mortis. — Après cette dernière visite paternelle et cette dernière grâce elle ne pouvait plus contenir les élans de son âme, et s'écriait: «Je voudrais mourir dans les grâces, et si j'en avais la force je chanterais: «Mon âme, ah! que rendre au Seigneur ? » C'était son cantique favori ; elle 1'entonna, en effet, mais ne put le continuer.

 

Elle était avide de prières et d'aspersions d'eau bénite; elles ne lui firent pas défaut. Nous lui avions plusieurs fois réitéré les prières du Manuel pour la recommandation de l'âme. Après Matines nous eûmes hâte de revenir l'entourer et l'assister de nos prières; elle s'y unissait, et jusqu'à son dernier souffle ses lèvres remuèrent pour prononcer les Sts Noms de Jésus et de Marie, et pour baiser le crucifix.

Ce fut au moment où nous disions le verset: «In manus tuas Domine commendo spiritum meum », qu'elle rendit son âme à son Créateur.

C'était vers Minuit, à cette heure bénie de la Nativité de Notre Seigneur, ici à Bethléem.

Nous avons la douce confiance que notre chère Soeur au­ra été favorablement reçue du souverain Juge ; et nous vous prions, ma Révérende Mère, de lui accorder au plutôt les suffrages de notre St Ordre et tout ce que votre charité voudra bien y ajouter. Elle vous en sera très reconnaissante ainsi que nous qui nous disons, auprès de la Crèche de notre Divin Sauveur,

Ma Révérende et très honorée Mère,

Votre très humble soeur et servante

Sr Euphrasie du St Enfant Jésus

C. déch. Prieure.

De notre monastère du S' Enfant Jésus, sous la protection des Sts Innocents, des Carmélites de Bethléem, ce 20 Jan­vier 1890.

 

Jérusalem. — Imp. des PP. Franciscains.

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