Carmel

20 août 1892 – Fontainebleau

 

Ma Très Révérende Mère,

La grâce du Saint-esprit soit toujours en l'âme de Votre Révérence. Amen.

C'est au pied de la Croix que nous venons vous entretenir de Notre Chère et Bien-Aimée Soeur Adelphine-Marie- Véronique de la Sainte-Face, professe de notre monastère, âgée de 38 ans 6 mois 22 jours ; et de religion, 8 ans et 4 mois.

Cette chère Soeur était née à Madrid, en Espagne, de parents français, et crut toujours devoir l'origine de sa voca­tion à la protection de notre Mère Sainte Térèse, et à des grâces toutes particulières reçues par elle à un autel de Notre-Dame du Mont-Carmel.

Privée de sa mère à l'âge de 18 mois, elle grandit entourée des soins assidus de son père et de sa grand'mère. A 7 ans, elle fut mise en pension à Bayonne, son père tenant essen­tiellement à ce qu'elle sût le français aussi bien que l'espagnol. Elle y fit sa première communion avec une grande piété, et on s'en souvient encore au pensionnat avec édification. Elle y resta jusqu'à 18 ans. Alors, elle retourna à Madrid. Un an après, elle se maria dans une honorable famille. Mais Dieu avait d'autres vues : 18 mois s'étaient à peine écoulés que son mari mourait lui laissant une petite fille qui, elle aussi, ne tarda pas à être réunie aux anges dans le ciel. C'est alors que Dieu frappa le grand coup, lui montrant qu'il lui avait ravi toutes ses affections pour la posséder entièrement.

Sa vocation fut sérieusement étudiée, et le 25 mars 1884, toutes ses affaires de famille étant réglées, nous la reçûmes des mains des Révérends Pères Bénédictins de Solesmes. Douce et pieuse pendant son postulat, elle nous inquiéta cependant par une sorte d'impuissance à comprendre les choses spirituelles, Nous découvrîmes alors qu'elle n'avait point reçu la confirmation. Elle se disposa avec piété à ce grand sacrement. Merveilleuse fut la transformation de cette âme dès qu'elle eut reçu le Saint-Esprit. Dès lors, elle tendit à une vie intérieure très mortifiée, et Notre-Seigneur daigna lui accorder de grandes grâces d'oraison. C'est ainsi que s'écoulèrent son noviciat et les courtes années de sa vie reli­gieuse. Nous pouvons les résumer par ce mot : Elle a été fidèle à tout ce quelle a su, compris, connu être la volonté de Dieu sur elle.

Humble, cachée, silencieuse, elle traversa ainsi le peu de temps que Dieu la laissa au Carmel.

Une maladie terrible et subite faillit nous la ravir au mois de décembre dernier. Dieu nous la rendit pour quelques mois. Mais le mardi 19 juillet dans la nuit, elle nous fut enlevée rapidement par un nouvel accident. Elle se montra douce à la mort et soumise aux vouloirs divins. Elle reçut les sacre­ments en pleine connaissance, et rendit son âme à Dieu, Notre-Seigneur, entourée de ses Mères et Soeurs.

Quoique confiante que les vertus de notre chère Soeur Véronique lui ont obtenu un accueil miséricordieux de son céleste Époux, nous vous supplions, ma Très Révérende Mère, d'ajouter aux suffrages déjà réclamés, le Via crucis et les invocations au Coeur Sacré de Jésus, à Notre-Dame du Mont-Carmel, à notre sainte Mère Térèse et à notre Père saint Jean de la Croix.

Elle vous en sera très reconnaissante ainsi que nous.

Veuillez agréer, ma Très Révérende Mère, l'expression des sentiments de religieux respect avec lesquels je suis, en Notre-Seigneur Jésus-Christ,

Ma Très Révérende Mère, De Votre Révérence,

 

La pauvre petite Servante,

Soeur Marie-Elisabeth de la Croix,

Carmélite déchaussée indigne, Prieure.

De notre monastère du Sacré-Coeur de Jésus et de l'Immaculée-Conception,

Carmel de Pie VII. Fontainebleau, le 20 août 1892.

 

Retour à la liste