Carmel

2 Septembre 1897 – Saigon

 

Ma Révérende et très honorée Mère,

Paix et très humble salut en Notre Seigneur dont la volonté toujours adorable vient à quelques semaines d'intervalle seulement, imposer à nos coeurs un nouveau et douloureux sacri­fice en appelant à Lui notre chère soeur Marie Madeleine de Joseph professe annamite de notre monastère, âgée de 49 ans, dont 26 passés en religion.

Notre chère soeur nous ayant exprimé le désir de n avoir de circulaire que pour réclamer les Suffrages de notre saint ordre, nous nous rendons à son humble désir nous bornant à quelques détails seulement.

Née de parents catholiques dans une chrétienté proche de Saigon, sous l'influence de leurs bons exemples, elle montra de bonne heure une piété et une ferveur qui ne se ralentirent jamais.

Ce fut sa fidélité â tout ce qu'elle croyait être bien et devoir plaire à Dieu dans un âge encore précoce qui lui mérita la grâce de sa vocation qu'elle aima et estima toujours beaucoup.

Son attrait pour la solitude et la retraite la conduisit au milieu de nous, après bien des épreu­ves suscitées par sa famille qui voulait la retenir dans le monde, mais elle sut en triompher et montra alors l'énergie et la force d'âme dont elle nous donna toujours l'exemple.

Elle eut le bonheur d'être reçue dans l'arche sainte par notre bien aimée Mère Philomène, de vénérée mémoire, qui, après les épreuves en usage dans nos carmels de mission, satisfaite de ses efforts, lui donna le saint habit et l'admit à la profession.

Notre bonne Mère aimait à dire de ma soeur Madeleine qu'elle était toujours occupée intérieu­rement et qu'il était difficile de trouver son âme inactive, chaque heure de la journée la trouvant à méditer les souffrances de Notre Seigneur ou sa vie cachée au St Sacrement. Elle le suivait chaque jour depuis la crèche jusqu'au tombeau disait elle et la nuit veillait en esprit près du tabernacle.

Dans ces dispositions, la mesure de travaux et d'épreuves exigés pour son âme fût bientôt comblée, le bon Maître ne pouvait tarder â récompenser sa fidèle servante; c'est ainsi qu'après plusieurs années de dévouement elle fut atteinte de la maladie de poitrine qui devait l'enlever à notre affection. Elle lutta longtemps contre la faiblesse qui l'envahissait, avec un courage vrai­ment admirable, supportant son état avec une résignation et une égalité d'humeur, qui nous édifiaient tous les jours davantage.

Pendant ces longues heures qui la consumaient et la préparaient lentement à aller jouir de l'union éternelle, le bon Dieu seul a pu compter ses actes de vertu et les mérites qu'elle a dû acquérir alors, car elle a été généreuse jusqu'à la fin, nous aidant de tout ce que son état pouvait lui permettre encore pour se rendre utile.

La maladie faisait son travail de destruction, depuis deux ans une extinction de voix lui avait enlevé la consolation de pouvoir réciter le Saint Office au choeur, sacrifice qu'elle ressentit très vivement, mais elle sut l'offrir à Dieu généreusement, s'abandonnant. entre ses mains pour cela comme elle l'avait fait en tout jusque là. Dès ce moment nous la mîmes à l'infirmerie entière­ment.

Elle continua cependant à assister au St Sacrifice de la Messe au choeur, y faisant même de fréquentes visites, pour suppléer à ce qu'elle ne pouvait plus faire en commun.

Mais au commencement de cette année, elle dût s'arrêter complètement; de fréquents vomis­sements de sang l'avaient réduite à un tel état de faiblesse, qu'elle ne supportait plus aucune nourriture.

Une fièvre lente et continue la consumait et la laissa ainsi pendant les cinq mois qui la sépa­raient du dernier moment. Vers la fin du mois de Juillet, la trouvant très fatiguée, sur le conseil de notre médecin nous la fîmes administrer; on pût cependant la descendre au choeur encore pendant plusieurs jours, pour lui procurer la consolation de recevoir la Ste communion qu'elle a toujours désirée avec beaucoup d'ardeur. Quand il ne fut plus possible de la descendre, elle reçut a l'infirmerie cette nourriture divine, la seule qui la soutînt alors, aussi souvent que son âme pouvait la désirer. Nous en sommes remplie de reconnaissance envers Dieu et envers notre bon Père aumônier si dévoué pour nous.

Pleine de confiance en Dieu, elle voyait approcher la mort avec bonheur : lui en parler était donc pour elle la plus grande consolation car elle la désirait et l'appelait de tous ses voeux. Elle eut une agonie longue et pénible qui acheva de la purifier pour la préparer au dernier passage et expira le jour de la Fête du Très Saint Coeur de Marie, à 4 heures du soir, toute la commu­nauté réunie et nous présentes.

Cette divine Mère à dû sans doute nous en avons la douce confiance, lui faciliter l'entrée de la céleste Patrie, mais comme il faut être si pur pour être admis à jouir du bonheur éternel, veuillez ma Révérende Mère lui faire rendre au plus tôt les suffrages de notre St Ordre, par grâce une communion de votre sainte communauté, une journée de bonnes oeuvres, l'indulgence du via Crucis et tout ce que votre charité vous suggérera, elle vous en sera très reconnaissante ainsi que nous, ma Révérende et très honorée Mère, qui avons la grâce de nous dire au pied de la croix.

Votre très humble Soeur et servante

Sr Marie de Jésus

R. c. i.

De notre monastère du Carmel St Joseph à Saigon (Cochinchine) le 2 Septembre 1897.

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