Carmel

19 septembre 1894 – Besançon

 

Ma Révérende et très Honorée Mère,

 

Humble et respectueux salut en Notre Seigneur, dont la volonté toujours adorable a voulu nous associer aux douleurs de sa divine Mère ce même jour que la sainte Eglise consacre à Notre-Dame des Sept Douleurs, enlevant à notre religieuse affection notre bien chère Soeur Noémie-Claire-Màrie-Thérèse Victime de Jésus, professe de notre Monastère, âgée de soixante-quatre ans et de religion quarante-trois.

Ma Révérende Mère, notre chère Soeur naquit à Corre (Haute-Saône), paroisse de notre diocèse, d'une famille très honorable; elle perdit son père à dix-huit mois et avait à peine quatre ans quand sa bonne mère lui fut ravie. Malgré son jeune âge, la petite Claire très impressionnée de cette perte n'oublia jamais les circonstances dans lesquelles la mort lui avait ravi sa mère ; elle aimait à en parler souvent.

La chère enfant fut recueillie et élevée par sa grand'mère maternelle qui lui pro­digua les tendresses et eut pour elle les sollicitudes d'une véritable mère, en même temps qu'elle s'appliqua à la former aux vertus solides, dans des sentiments de foi vive et de tendre charité, aussi soeur Victime de Jésus garda-t-elle toute sa vie le meilleur souvenir des admirables exemples de cette sainte aïeule, qui mourut âgée de cent ans, en pleine possession de ses facultés morales et physiques. A si sainte école notre chère Soeur éprouva bien jeune le besoin de se consacrer entièrement à Notre Seigneur. Des circons­tances providentielles l'ayant amenée dans notre ville, le Carmel eut bientôt toutes ses préférences et devint l'objet de ses rêves. Son vénéré Directeur, Monsieur l'abbé Gouverd, alors curé de la Cathédrale, la mit quelque temps à l'épreuve; il n'eut pas de peine à reconnaître en elle une véritable vocation; la permission d'entrer au Carmel fut donnée; Claire était au comble de ses voeux.

La jeune postulante fut reçue par nos Mères fondatrices, de vénérée mémoire, dont elle avait déjà gagné l'estime et la tendre affection. Nature ardente qui ne se démen­tit jamais, c'était une heureuse recrue pour une fondation récente qui exigeait tous les dévouements. La Communauté le comprit, l'ardente postulante revêtit les livrées du Carmel et fut admise à la profession aux époques ordinaires.

Ma Révérende Mère, notre chère soeur Victime de Jésus fut successivement em­ployée dans les différents offices de la Communauté, portière, provisoire, robière; elle mit tout son art et elle déploya surtout tout son zèle à honorer et à faire honorer les Saints : ses mains laborieuses préparèrent à leurs restes sacrés des reliquaires dignes d'eux. Pendant de longues années, elle eut aussi à exercer la charge do Sous-Prieure, le zèle de la maison de Dieu la dévorait; le service Divin en bénéficia. Elle mit encore un grand esprit de foi au service de ses Mères Prieures, on la vit ingénieuse pour trouver cent moyens de leur faire plaisir, admirable de dévouement, d'une délicatesse religieuse dans les petites fêtes de famille; elle avait en grande estime tous les usages établis par nos bonnes Mères; aussi conserva-t-elle toute sa vie un respect religieux pour les pieuses traditions qu'elles nous ont laissées et pour tout ce qui a rapport à notre saint Ordre ; son heureuse mémoire était comme un livre ouvert, où nous trouvions tous les détails de telle et telle fondation, des chroniques comme des circulaires, elle en parlait d'une façon charmante et ses causeries faisaient le charme de nos récréations. Elle aimait la vie de Communauté ; sa charité s'étendait à chacune de ses Soeurs et son désir de les aider et de leur faire du bien ne pouvait se satisfaire ; les pauvres pécheurs, les chères âmes du Purgatoire avaient ses préférences; prières, chemins de Croix, jeûnes et mortifications de tout genre leur étaient donnés, sa vie était comme le reflet de sa belle âme toute de charité; nous avons surtout admiré le travail de Notre Seigneur en elle dans ces dernières années.

 Ma Révérende Mère, si parfois la volonté un peu trop personnelle de notre chère Soeur, dans ses vues et désirs de procurer la gloire de Dieu, a pu laisser une ombre, les sentiments de son noble coeur et surtout ses souffrances lui ont attiré, nous osons l'espé­rer, les miséricordieuses faveurs de Notre Seigneur; pour glorifier Dieu elle aurait voulu vivre plus de cent ans; la mort a trompé ses désirs, car Dieu avait marqué son heure; après neuf mois d'une pénible maladie, dont la science humaine ne pouvait adoucir les rigueurs, elle a regardé la mort en face, et s'est inclinée devant elle, elle a fait plus, elle a vaillamment accepté ses douleurs sans se plaindre et nous a beaucoup édifiées.

 Monseigneur l'Archevêque, notre vénéré et premier Supérieur qui a pour nous toutes les délicatesses et nous a déjà donné les témoignages du plus paternel dévoue­ment, daigna venir Lui-même porter à notre chère malade les secours de sa réconfor­tante parole et de son auguste Bénédiction; cette précieuse visite de Sa Grandeur pro­duisit le plus heureux changement.

 A partir de ce jour, ma Révérende Mère, notre chère soeur Victime de Jésus s'oublia elle-même. Elle n'eut plus qu'une sollicitude : communier à la très sainte et adorable volonté de Dieu. Elle montra un parfait abandon à nos moindres désirs, les derniers jours de sa vie furent des jours d'immense souffrance ; ils en firent une victime dans le véritable sens du mot et achevèrent de la purifier en la sanctifiant.

 Le Prêtre du Seigneur qui voulut bien assister notre chère Soeur dans les derniers jours de sa vie lui prodigua tous les secours de notre sainte religion. Le lundi, 10 septembre, elle reçut les derniers sacrements dans les sentiments d'une piété admirable, elle demanda pardon à la Communauté en termes bien touchants. Ma Révérende Mère, depuis ce jour notre bien chère Soeur ne voulut plus recevoir aucun soulagement, répétant que Jésus lui suffisait. Son pauvre corps qui ne reposait plus que sur des plaies ne fit plus un mou­vement, attendant la venue de Jésus qu'elle désirait avec une sainte impatience.

 Au milieu de ses cruelles souffrances, désirant ardemment recevoir une dernière Bénédiction de notre premier Pasteur, mais sachant que Sa Grandeur ne pouvait venir jusqu'à elle, elle la fit demander par le Prêtre tout dévoué, qui depuis déjà près d'un mois nous tient lieu d'Aumônier. Le vénéré et saint Prélat accéda à cet humble désir et avec sa précieuse Bénédiction fit transmettre à la chère malade les plus paternels encou­ragements qu'elle reçut dans les plus vifs sentiments de foi et de filiale reconnaissance-

 Ma Révérende Mère, notre chère Soeur a eu pendant les derniers jours de sa vie le bonheur de recevoir quotidiennement la sainte Communion; malgré la fièvre qui la dévorait elle savait faire d'héroïques efforts pour posséder Celui qu'elle avait tant aimé et chaque fois avec cet aimable sourire qui révélait la joie de son âme elle voyait venir son Dieu. C'est comblée de toutes ces grâces que samedi 15 septembre, après avoir reçu la sainte Communion en viatique, elle est entrée en agonie ; le lendemain dimanche, fête de Notre-Dame des Sept Douleurs, vers les trois heures et demie de l'après-midi, après une terrible agonie, notre chère soeur Victime de Jésus a rendu son âme à Dieu, avec ce calme de la dernière heure qui semble préluder à la paix d'une autre vie; toute la Communauté était présente, ce que notre chère Soeur avait toujours désiré et ce qu'elle demandait encore la veille de sa mort, ayant eu la grâce de conserver sa pleine connais­sance jusqu'à sa dernière heure.

 C'est le surlendemain qu'ont eu lieu ses obsèques : elles ont été très solennelles; les amis de notre humble Communauté nous ont donné dans ces circonstances des témoignages de sympathie auxquels nous sommes très sensibles.

 Nous leur envoyons nos remerciements; nous les envoyons aussi aux Prêtres vénérés et aux Communautés religieuses qui ont bien voulu s'associer ù notre deuil, et nous vous prions, ma Révérende Mère, de bien vouloir nous aider par vos bonnes prières, à acquitter notre dette de profonde reconnaissance.

 Ma Révérende Mère, bien que nous ayons confiance que notre chère soeur Victime de Jésus a reçu un bienveillant accueil du Souverain Juge, nous vous prions cependant de lui faire rendre au plus tôt les suffrages de notre saint Ordre, par grâce une commu­nion de votre fervente Communauté, les indulgences du chemin de la Croix, celles des six Pater, quelques invocations au Sacré Coeur de Jésus, Coeur Immaculé de Marie, à Saint Joseph et à ses Saintes patronnes, elle vous en sera très reconnaissante ainsi que nous qui avons la grâce de nous dire, aux pieds de la Croix de Notre Seigneur,

 

Ma Révérende et très Honorée Mère,

 

Votre très humble soeur et servante,

 

Soeur MARIE-THÉRÈSE,

 

R. Carmélite ind.

 

De notre Monastère de l'Immaculée-Conception, sous la protection de notre Père Saint Joseph des Carmélites de Besançon, le 19 septembre 1894.

 

 

 

septembre 1894  -
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