Carmel

19 Mars 1895 – Pamiers

 

Ma Révérende et très honorée Mère,

Paix et respectueux salut en Notre-Seigneur qui vient de nous imposer un nouveau et bien douloureux sacrifice en ravissant à notre religieuse affection, le 16 Mars, à trois heures du soir, notre bien chère et regrettée Soeur Marceline-Marquète-Marie de Jésus, professe de notre Communauté, âgée de 79 ans, 2 mois, 16 jours, et de religion 50 ans.

Bien que l'âge avancé et les infirmités graves de notre bien aimée Soeur nous fissent pressentir que l'heure du départ sonnerait bientôt pour cette fidèle ser­vante du Seigneur; néanmoins, nous espérions qu'elle nous serait laissée, quelque temps encore, pour notre consolation. Hélas ! notre désir n'a pas été exaucé ; mûre pour le Ciel, chargée de mérites, sa belle âme avait hâte de quitter l'exil pour aller dans la patrie céleste recevoir la magnifique récompense que lui a mérité une longue vie de prières, de souffrances et de sacrifices.

Qu'il nous soit permis, Ma Révérende Mère, de vous dire brièvement quel­ques mots de la vie édifiante de Celle qui, en nous quittant, a laissé au milieu de nous tant et de si doux souvenirs.

Notre chère Soeur Marie de Jésus, appartenait à une famille respectable de Moissac, diocèse de Montauban. Jeune encore, la mort vint lui enlever son bon père; ce fut pour son coeur aimant, un coup des plus sensibles. Sa pieuse mère, profondément affligée de la perte cruelle qu'elle venait de faire, ne trouvait de consolation qu'auprès de son unique enfant; aussi, ne pouvant s'en séparer, elle lui fit donner, sous ses yeux, dans sa propre maison, l'éducation qui lui convenait.

Après sa première communion, qu'elle fit avec la plus grande ferveur, dirigée par de pieux ecclésiastiques, elle devint un modèle de vertu et s'adonna à toutes les oeuvres de charité. Une vie si pieuse et si bien réglée fit bientôt comprendre que Mlle Marcelline n'était pas destinée à rester dans le monde. En effet, son attrait la portait à se consacrer à Dieu dans la vie religieuse ; mais sa mère ne voulait jamais consentir à s'en séparer. Notre chère Soeur dût forcément se résigner à attendre le moment de Dieu. Peu d'années après, la mort vint briser le seul lien qui la retenait dans sa famille. Ce fut à l'âge de 20 ans, que les portes du Carmel de Moissac lui furent ouvertes; elle n'y prit que le saint habit. La Révérende Mère Élisée, de douce mémoire, qui en était la fondatrice, appréciant ce sujet l'amena dans notre Monastère, où après les temps ordinaires, elle lui fit faire profession, le 1er Mars 1845.

Douée d'un caractère calme et tranquille, elle fut au milieu de nous, un ange de paix et de charité. Cette âme vraiment heureuse portait Jésus-Christ caché dans son coeur et vivait de sa vie dans l'abnégation entière des choses de ce monde.

Sa piété tendre et affectueuse envers la Face adorable de notre divin Sauveur, excitait souvent notre admiration ; parfois ne pouvant contenir les sentiments brûlants d'amour de son coeur, elle collait ses lèvres sur l'image sacrée, et par de respectueuses tendresses, tâchait de réparer de son mieux, les outrages qui lui sont faits.

Sa dévotion envers l'Ange Gardien était aussi très grande ; son âme pure et innocente aimait à invoquer sans cesse son céleste Guide, dont elle sentait si bien la protection spéciale.

Notre regrettée Soeur aimait beaucoup notre St-Ordre et nos Saints réforma­teurs, possédait leur esprit, retraçait leurs vertus, surtout l'amour de la Pauvreté, de Noire Père St-Jean de la Croix. Tout ce qui était à son usage en avait le cachet, son attrait pour cette vertu était si bien connu, qu'on lui portait ce dont on ne pouvait tirer parti ; son industrie trouvait toujours le moyen d'utiliser les moin­dres choses.

L'ermitage qu'on lui avait confié était décoré de croix nues ; elle aimait à en expliquer le sens aux jeunes soeurs, et à leur donner de l'estime pour la sainte pauvreté.

En digne fille de notre Mère, Ste Thérèse, sa charité était sans bornes, au­cune d'entre nous ne lui a jamais entendu dire la moindre parole contraire à cette aimable vertu. Sa seule présence inspirait le désir de la pratiquer ; il lui était impossible d'avouer quelque tort dans son cher prochain, quel qu'il fut. Elle avait le don de justifier les actions d'autrui, car son coeur la portait à tout interpréter en bien. Une si grande bienveillance gagnait bien vite, dès leur entrée, le coeur de nos jeunes postulantes qui étaient frappées de trouver en elle tant de bonté, de douceur et de cordialité. Son affection était grande pour les Novices ; pendant les licences, elle recevait avec bonheur leur visite. L'explica­tion de la croix nue faisait en partie le sujet de la conversation ; on voyait bien vite, dans ses entretiens, à quel point elle était pénétrée de l'esprit du Carmel. Indulgente pour ses soeurs bien aimées, son excellent coeur ne pouvait en voir aucune dans l'affliction sans en ressentir une véritable douleur. Nos peines et nos joies trouvaient un écho sensible dans son âme, si douce et si compatis­sante. Douée d'une patience inaltérable, rien ne pouvait troubler son calme et sa sérénité. Elle fut placée successivement dans les divers offices du Monastère, et c'est là que nous pûmes apprécier son dévouement pour la Communauté et son grand esprit de foi. Dieu lui avait donné une santé forte et robuste qui lui permit de suivre, pendant de longues années, nos Saintes Observances.

Il y a un an, notre bonne ancienne, fit une maladie de plusieurs mois, dont elle ne s'était pas entièrement remise, malgré les soins qui lui furent prodigués. Son état de faiblesse allant toujours en augmentant, nous donnait de sérieuses inquiétudes. Néanmoins, ayant recouvré un peu de force, elle désira quitter l'in­firmerie et rentrer dans sa cellule qu'elle n'a plus quittée. N'étant qu'à quelques pas du Choeur, il lui était facile de s'y rendre pour entendre la Sainte Messe et y communier. C'est en revenant que, le Jeudi de la seconde semaine du Carême, elle eût une crise d'étouffement qui nous alarma un peu. Le lendemain, se trou­vant mieux, elle désira réconforter son âme du Pain Eucharistique ; mais, arrivée à l'avant-Choeur, Notre bonne Soeur eut une faiblesse et s'affaissa. Ses deux infirmières qui la conduisaient ne purent la retenir ; on l'emporta dans sa cellule où, peu à peu, elle reprit son état ordinaire. Le Samedi, se croyant mieux, elle nous pria instamment de lui accorder la grâce d'aller faire la sainte Communion ; malgré nos craintes nous accédâmes à son pieux désir. Quoiqu'elle fut assez bien, nous jugeâmes prudent de faire appeler notre excellent Docteur, qui après l'avoir auscultée, ne trouva rien de dangereux dans son état. Cependant il nous conseilla de la mettre à l'infirmerie ; nous n'en eûmes pas le temps. A onze heures et demie elle fit son petit repas et deux heures après, elle tomba dans sa cellule en appelant une soeur qui passait. On vint me prévenir en toute hâte et nous volâmes à son secours ; la trouvant sans connaissance, nous nous empres­sâmes de faire mander Notre bon Père confesseur, qui eût à peine le temps de lui donner une dernière absolution, et de lui administrer le sacrement de l'Extrême-Onction. A trois heures, elle rendait doucement sa belle âme à Dieu sans agonie, la Communauté et Nous présentes.

Ses obsèques ont été présidées par Monsieur l'abbé Roudière, Vicaire Général et Supérieur du Grand-Séminaire, qui a bien voulu amener ses Abbés pour chanter la messe. Il était accompagné de Monsieur le Chanoine Soula, de Mon­sieur notre Aumônier et de plusieurs prêtres de la ville. Un de nos Révérends

Pères Carmes, Le Révérend Père Supérieur des Bénédictins, qui donne en ce moment une mission dans notre Ville, nous a fait l'honneur d'y assister. Veuil­lez, Ma Révérende Mère, les recommander à Dieu et prier pour le succès de leurs prédications.

Bien que la vie édifiante de Notre chère Soeur nous donne la confiance qu'elle a été favorablement accueillie de son divin Époux, toutefois, comme Dieu trouve- des tâches même dans ses Anges, nous vous prions, ma Révérende Mère, de lui faire rendre au plutôt les suffrages de notre Saint Ordre ; par grâce une Com­munion de votre fervente Communauté, l'indulgence du Via Crucis et des six Pater, une invocation à la Sainte Face et à l'Ange Gardien, objets de sa tendre dévotion. Elle vous en sera très reconnaissante, ainsi que Nous, qui, avons la grâce de Nous dire, au pied de la croix, avec un religieux respect,

Ma Révérende et très honorée Mère,

Votre bien humble Soeur et servante,

Soeur Marie ELISÉE

R. C. I.

De notre Monastère de Jésus Sauveur et de notre Père St-Joseph des Carmé­lites, de Pamiers, le 19 Mars 1895.    

 

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