Carmel

19 janvier 1890 – Besançon

 

Ma Révérende et très honorée Mère,

Paix et très humble salut en Notre-Seigneur Jésus-Christ qui, pendant que nous nous réjouissions dans le doux mystère de sa sainte enfance, vient de nous présenter sa croix, en rappelant à lui d'une manière tout inattendue notre bien chère soeur-Marie des Anges, tourière de notre Carmel, âgée de vingt-sept ans, dont elle avait passé six ans parmi nous.

Cette chère soeur était d'une pieuse famille de l'Alsace; sa piété très bien entendue et son agréable caractère Font fait apprécier de suite à son arrivée dans notre monastère; elle-même y trouvait le bonheur ; sa physionomie toute rayonnante de candeur et de paix portait l'empreinte de cette joie ineffable que l'on trouve au service de Notre-Seigneur, lorsqu'on sait se donner à lui sans compter, comme le faisait notre chère soeur. Marie des Anges.

Nous ne pouvions nous empêcher d'admirer cette âme toujours, égale, toujours contente de tout; elle remplissait toutes ses fonctions avec intelligence et activité ; sa piété lui rendait cher le soin de la chapelle et de la sacristie, où elle était dirigée par une excellente soeur ancienne, qu'elle aimait comme une mère, pour laquelle elle était pleine de déférence, et d'une affection dont nous admirions la délicatesse.

 Dans les rapides instants que nous pouvions lui consacrer, notre chère enfant nous parlait d'un mal de tète continuel qui lui rendait tout pénible, et qu'elle déplorait surtout à cause de l'impuissance où il' la mettait pour prier comme elle l'aurait désiré ; sa grande obéissance la sauvait alors, en lui disant accep­ter aveuglément tous les encouragements que nous lui donnions à ce sujet. Elle nous recommandait surtout de ne pas parler de sa santé à son ancienne compagne, qui aurait voulu la ménager, et qui elle-même, souvent, malade, avait besoin d'être entourée des soins de notre chère enfant.

 Bientôt il fut nécessaire de faire venir une troisième compagne, qui fut pour elle une vraie soeur, et partagea le surcroît de travail occasionné par le changement de monastère ; c'est alors que notre chère soeur Marie des Anges redoubla d'activité et de dévoue­ment pour son cher Carmel, qu'elle aimait de plus en plus; elle ne cessait de bénir Dieu de sa sainte vocation, et s'en félicitait en écrivant aux saintes religieuses de Turckheim, qui avaient soigné sa jeunesse, ainsi qu'à sa vénérable mère, à sa soeur religieuse et à tous ses bons parents, leur disant toujours combien elle se trouvait heureuse dans la maison du bon Dieu, comme le temps passait vite au Carmel ; et combien elle aimait sa famille religieuse et ses saintes occupations.

 En effet, notre chère soeur, qui se dévouait de tout coeur, était aussi très aimée de la communauté, ainsi que de tous les amis de notre Carmel, elle avait conservé une particulière reconnaissance à notre ancien et excellent aumônier, qui lui avait procuré le grand bonheur de sa vie, un pèlerinage à Lourdes.

Mais nous ne saurions vous dire la joie de son âme lorsque Monseigneur, notre digne archevêque et vénéré Père supérieur, venait visiter notre Carmel ; son empressement pour recevoir sa bénédiction était bien celui d'un petit enfant dont le coeur est rempli de respect et d'affectueuse confiance ; elle aimait à nous en parler et en faisait le sujet des lettres qu'elle écrivait dans son pays.

Ainsi se passa la trop courte carrière de notre chère Sr Marie des Anges. Nous aimions â espérer pour elle de longues années; mais le divin Enfant, dont elle avait mieux que jamais préparé la petite crèche pour la fête de Noël, avait jeté sur elle un regard de choix, et se préparait à cueillir cette humble et blanche fleur; dont la pureté et la simplicité devaient le charmer.   

 Notre chère soeur fut ainsi que sa jeune compagne atteinte de l'influenza; elles reçurent de suite les soins de notre excellent docteur, nous étions sans inquiétudes, lorsqu'au soir du deuxième jour de la maladie de notre chère enfant, la vigilante ancienne qui veillait sur elle comme une bonne mère, s'aperçut que l'état de notre chère soeur Marie des Anges s'aggravait : elle se hâta, malgré l'heure avancée, de faire prévenir notre dévoué Père confesseur, qui arriva très vite, et put très heureusement profiter du dernier moment de connaissance pour lui faire pro­noncer encore un acte de foi, de contrition et d'amour, pour lui donner une absolution, car elle était dans l'impossibilité de parler pour se confesser, et de recevoir la sainte communion, ayant de fréquents vomissements; enfin, on lui administra â la hâte l'extrême-onction, déjà elle n'avait plus de connaissance.

Notre excellent docteur, arrivé aussi avec empressement, s'ins­talla à son chevet et essaya toutes les ressources de son art pour arrêter un mal devenu tout à coup si violent; mais tout fut inu­tile, la fièvre augmentait avec une intensité qui réduisit notre chère enfant à l'agonie; pendant ces heures douloureuses, on récitait pour elle, au choeur, toutes les belles prières du Manuel; c'était une consolation pour nous de pouvoir nous unir à elle dans ce moment suprême, où la prière est plus efficace encore que les soins que nous ne pouvions lui donner.

Enfin, cette crise terrible, commencée à minuit, se termina à quatre heures du matin, où notre chère soeur Marie des Anges s'envolât, nous en avons la confiance, parmi les esprits bienheu­reux dont elle portait le nom, un mardi, jour qui leur est consacré. Mais, comme il faut être si pur pour obtenir ce bonheur et pour paraître devant Dieu, nous vous demandons, ma très révérende Mère, de vouloir bien lui faire rendre au plus tôt les suffrages en usage dans notre saint Ordre, et par grâce une communion, l'in­dulgence des six Pater, le Via Crucis et tout ce que votre charité vous inspirera en réparation de toutes les imperfections de sa vie religieuse, surtout de celles de ses prières, qui lui donnaient tant d'inquiétudes ; elle vous en sera très reconnaissante ainsi que nous, qui avons la grâce de nous dire, avec un affectueux respect dans l'amour de Notre-Seigneur,

Ma très révérende Mère,

 Votre bien humble soeur et servante,

Sr Thérèse de Saint-Augustin rci

De notre monastère de l'immaculée Conception sous la protection de notre père saint Joseph,

les Carmélites de Besançon, le 19 janvier 1890.

 BESANÇON. — IMPRIMERIE ET LITHOGRAPHIE Paul Jacquin

 

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