Carmel

19 avril 1891 – Agen

 

Ma Révérende et très honorée Mère,

Paix et très humble salut en Notre-Seigneur qui, au milieu des joies de sa glorieuse Résurrection, est venu soudainement frapper et affliger sensiblement nos coeurs, en enlevant à notre profonde et religieuse affection, notre chère et bien-aimée Soeur Joséphine-Marie-Victime de Jésus, pour laquelle nous avons déjà réclamé les suffrages.

Elle était âgée de 70 ans, et de religion 19 ans.

Notre chère Soeur Victime de Jésus était née d'une famille très hono­rable, à Brest, en Bretagne. C'est dans ce pays essentiellement chrétien, qu'en recevant les eaux du Baptême. Dieu mit dans l'âme de la jeune enfant, le germe des vertus fortes qui font les grands caractères et les coeurs virils. Nous verrons, en effet, dans la petite Joséphine, avec une intelligence précoce, des aspirations au-dessus de son âge qui devaient lui préparer un avenir sérieux. Ayant un attrait peu ordinaire pour l'étude, elle s'y appliqua avec soin sous la direction de son père, et arriva à posséder des connaissances bien supérieures à celles d'une jeune fille.

Cet amour de la science, du grand et du beau, qui lui avait été inspiré au foyer paternel, ne nuisit point à son âme. Son intelligence était trop élevée pour cela; elle tourna vers Dieu tout ce qu'elle avait acquis par l'étude, et ne s'en servit que pour le connaître davantage et le mieux aimer.

Notre chère fille avait reçu, dès le berceau, une éducation austère, ce qui contribua beaucoup à lui ouvrir plus tard les voies de la perfection.

 Elle nous entretenait parfois de la conduite de son père, avec une satis­faction pleine de reconnaissance pour les sévérités dont il avait usé à son égard. Entre autres faits de son enfance, elle nous racontait qu'il ne lui était jamais permis de déranger sa mère pendant la nuit... ne fût-elle âgée seulement que de quelques mois ; lorsque le soir était venu, la petite Joséphine devait jeûner jusqu'au lendemain, sans rémission !...

C'est à cette école, ma Révérende Mère, et sous cette influence virile, que notre chère Soeur grandit et arriva à l'âge de 20 ans. Elle avait vu le monde et connu ses plaisirs, sans cependant s'y attacher; bientôt elle les apprécia à leur juste valeur et les méprisa souverainement. A cette époque de sa vie, fixant ses regards sur son avenir, elle comprit l'appel de Dieu. Dès lors, elle ne souffrit point de partage dans son coeur: pour être toute à Dieu, il lui fallait la séparation complète de toutes choses, l'austérité du cloître; et par une impulsion divine, elle choisit la vie du Carmel.

Des obstacles insurmontables étaient dressés devant elle : fille unique, elle ne pouvait quitter ses parents, et devait attendre la mort de son père pour entrer en religion, terme bien tardif qui la tînt captive jusqu'à l'âge de 41 ans. Elle dut se résigner par amour pour son Dieu, et tâcha de se dédommager d'une telle privation en se consacrant aux bonnes oeuvres, à la pratique de toutes les vertus, mais surtout d'une austérité en quelque sorte semblable à celle des Pères du Désert.

Dans sa jeunesse, elle avait désiré l'heure de sa majorité, afin d'être moins dépendante; mais après vingt-et-un ans accomplis, elle ne se servit de sa liberté que pour dire adieu aux usages du monde et se livrer aux attraits que lui inspirait son grand esprit de pénitence. La chère enfant saisissait, en effet, avec bonheur toutes les occasions qui lui permettaient de se dérober aux regards de sa famille, afin de prendre ses repas au pain et à l'eau. Elle en faisait bénéficier les malheureux; et c'est par ce moyen et mille autres privations beaucoup plus considérables, qu'elle eut le bonheur de multiplier ses aumônes, et qu'elle parvint â contribuer, dans notre ville, à l'établissement d'une grande oeuvre pour l'abri et le soulage­ment des pauvres.

Son père, après avoir vaillamment parcouru sa carrière, prit sa retraite avec le grade de capitaine, et vint se fixer avec sa famille aux environs d'Agen. Notre bien-aimée soeur ne tarda pas à se présenter, comme postulante, à notre monastère ; et bien qu'il lui fût impossible encore de quitter ses parents, elle venait souvent prendre des informations néces­saires pour se préparer à la solitude du cloître, et tâcher de mener une vie qui ressemblât un peu à celle du Carmel.

Après bien des années passées sous le toit paternel, l'heure de la délivrance sonna enfin pour cette âme généreuse : Notre-Seigneur avait compté ses nombreuses immolations; et Lui-même vint lui donner le signal du départ, en frappant d'une mort soudaine son père vénéré, aux soins duquel elle avait sacrifié sa jeunesse. L'obstacle était levé. La chère postulante ne mit aucun retard à quitter le monde; elle accomplit gran­dement et noblement cet acte héroïque, dit adieu à sa mère avec un courage peu ordinaire, et se hâta de se rendre à notre Monastère où tous les coeurs lui étaient déjà ouverts depuis si longtemps !

Son vénéré directeur, de sainte mémoire, curé archiprêtre de la Cathé­drale, qui l'avait aidée et soutenue de ses conseils, vint la bénir à la porte de clôture, le 11 avril 1862.

Notre bonne Soeur Victime de Jésus arriva toute préparée à notre vie de pénitence et d'abnégation. Elle se plia à toutes les exigences de nos Saintes Règles et aux prescriptions de l'obéissance, avec une grande joie, une ardeur et une soumission admirables. Elle grava bien avant dans son coeur l'amour de la régularité : dès le premier coup de la cloche, on la voyait bondir, pour ainsi dire, afin de voler plus promptement où le Seigneur l'appelait.

Jamais elle ne se prévalut des connaissances qu'elle avait acquises dans le monde; elle méprisa tout cela comme une vaine fumée, dès le début de son noviciat, en pratiquant l'esprit de mort, et sut se faire petite avec ses compagnes.

Notre chère fille eut à travailler et à combattre pour arriver à l'abné­gation complète de tout elle-même ; elle s'appliqua surtout à mortifier ses facultés, à immoler sa manière de voir, point sur lequel elle trouva sou­vent matière de renoncement et de sacrifice. Âme extrêmement énergique, elle fut fidèle à cette lutte de chaque jour, et ne se lassa jamais de recommencer!

Avec de telles dispositions, ma Révérende Mère, notre bien-aimée Soeur Victime de Jésus fut admise à la prise d'habit et à la Sainte Pro­fession, à la grande satisfaction de toute la Communauté.

Successivement chargée de plusieurs offices, elle s'en acquitta avec soin: provisoire, portière, infirmière, tierce aux ouvriers; partout on remarqua sa charité, son exactitude et son esprit de pauvreté. C'est particulièrement dans la charge de Sous-Prieure que son zèle à chanter les louanges de Dieu et son amour pour le Saint Office parurent dans un plus grand jour. Elle aimait véritablement la gloire et la beauté de la maison de Dieu, et éprouvait un bonheur extrême en récitant l'Office divin. Elle-même nous exprimait, il n'y a pas longtemps, les délices qu'elle y goûtait, en nous disant combien elle avait joui lorsqu'elle faisait l'office de Semainière. Elle avait un si grand amour, un si profond respect pour le lieu saint et pour toutes les cérémonies du choeur!...

Notre bonne et regrettée Soeur, ma Révérende Mère, fut un exemple de toutes les vertus religieuses: elle travaillait, creusait et labourait son âme pour la rendre tous les jours de plus en plus agréable à Dieu. Un de nos anciens et vénérés Supérieurs, qui l'appréciait beaucoup, répondant à un épanchement intime de notre bien-aimée Soeur, lui écrivait les lignes suivantes :

"Ma bien chère fille, vous demandez à ce que j'aide à pousser votre âme au large, au grand large... Ah ! oui, je le veux bien; au large, loin de tout ce qui est vous-même, loin de tout ce qui est terre; au large, loin même de tout ce qui serait jouissance naturelle dans les faveurs de Dieu; au large, avec Dieu seul, avec la Croix de Jésus pour nacelle. Mais, ma fille, quand on est bien loin, en pleine mer, il y a solitude autour de nous; puis il survient quelquefois des tempêtes, et alors on s'attache à son navire, n'en aurait-on qu'un débris. Attachez-vous donc bien à la Croix de votre bien-aimé Sauveur, et alors même que vous vous sentirez en pleine mer, dans les sublimités de la contemplation avec Dieu seul, aimez toujours à serrer et à sentir la Croix qui vous aura portée jusque là. Je pense à présent à votre nom. Victime de Jésus, je n'y avais pas du tout pensé en écrivant les lignes qui précédent, et je m'aperçois que tout ce que je viens de dire va bien à une victime qui s'immole avec Jésus et pour Jésus, et que le Seigneur emporte avec Lui dans les sublimités de sa grâce. »

 Il nous a été doux, ma Révérende Mère, de contempler les ascensions de cette âme dans la vie surnaturelle. Elle allait droit à Dieu, ne connais­sait pas les sentiers mesquins et étroits de l'amour-propre et de la recherche de soi-même. Elle planait dans des régions plus hautes, dans un air plus pur et plus sain... Il fallait à son intelligence des pensées célestes; à son âme, un aliment substantiel et divin, il lui fallait Dieu ! Aussi avait-elle fixé toutes ses affections en Lui seul. Il est facile de s'en convaincre par les notes suivantes qu'elle avait écrites au début d'une retraite :

« 18 Septembre 1884. — Pourquoi ma retraite... Pour travailler, purifier, simplifier mon âme; l'imprégner, la pénétrer de Dieu; la rendre adhérente à Dieu, réellement unie à Dieu. Dieu et Dieu seul ! J'en reviens toujours là !... Dieu seul ! tout pour Lui seul ! sans retour d'intérêt personnel. Se sanctifier pour sauver son âme, cela est permis, oui, mais cela est " mercenaire." — Purifier, simplifier son âme pour la rapprocher de Lui,  parce que cela le glorifie, c'est là servir Dieu pour Lui ! Mais dès que la notion est clairement acquise, dès que se développe dans l'âme ce je ne sais quoi d'indéfinissable, d'incompréhensible et d'insaisissable..., qui cependant l'inonde de clartés, de lumière, de force, de vérité; qui l'élève à des hauteurs voisines de l'Infini ; lui fait entrevoir des splendeurs que les Séraphins ne peuvent contempler sans voiler leur face... oh ! alors... l'adoration, l'anéantissement, l'amour ! L'adoration, c'est l'amour sous sa forme essentiellement divine, dominant toutes les facultés : Alors facilité d'obéir, de s'humilier, de faire bon accueil aux renoncements, d'être contente toujours... Modestie des yeux sérieusement gardée... Esprit de mort : en récréation, me veiller ; ne dire que ce qu'il faut dire, et même pas tout ce que l'on peut dire, il faut se mortifier... Dieu le veut, et il est là ! Lui, le Tout Bon, et le Tout Puissant !... »

 Depuis longtemps notre bonne Soeur Victime de Jésus soupirait avec ardeur, comme nous toutes, après l'heure bénie où nous pourrions revoir et posséder notre vénérée et si regrettée Mère Catherine. Cette immen­se joie nous fut donnée aux élections du mois de décembre 1876; élec­tions qui la consacraient à nos âmes et devaient nous procurer le bonheur de la garder, dans notre Monastère, durant les dernières et si précieuses années de sa vie !... Notre bien-aimée fille capable d'appré­cier la direction ferme, maternelle et élevée de notre vénérée Mère, était avide, ainsi que toute la Communauté, des paroles de vie qu'elle adres­sait à nos âmes ; et elle contribua beaucoup à en recueillir de très nom­breux souvenirs. — Sous une direction si sage, si éclairée, elle ne tarda pas à gravir de nouveaux degrés dans les voies parfaites, mais toujours en pratiquant les vertus solides, et par un travail constant sur elle-même.

La délicatesse de coeur qui révèle toujours les grandes âmes, était un fruit de son esprit de foi. Notre bien chère Soeur le possédait éminem­ment : elle voyait toujours Dieu dans la personne de ses supérieurs, ce qui lui rendait l'obéissance douce et facile. Elle fut longtemps une grande ressource pour Sa Mère Prieure, comme secrétaire ; et aussi pour nos fêtes de famille, prêtant son concours par de joyeux couplets remplis de l'esprit religieux.

A toutes ces qualités, notre bien-aimée fille joignait une très profonde humilité ; c'était une âme essentiellement vraie qui se voyait à la lumière de Dieu. Nous aimons à retracer ici les lignes suivantes, trouvées dans ses papiers, et qui vous prouveront, ma Révérende Mère, les bas senti­ments qu'elle avait d'elle-même :

« Mon Dieu ! vous êtes le tout bon et le Tout Puissant, tout ce que vous voulez, petit ou grand, est le meilleur ! oui, le meilleur... Et c'est pour mon âme une joie digne de vous, mon Dieu ! d'immoler à vos pieds de jeter dans cet océan de votre immensité toujours présente, mon être moral, ces facultés si fières de leur indépendance... Le front dans la poussière, je m'écrie, moi aussi, avec une allégresse qui épanouit tout mon être et rajeunit ma vie : Sanctus !!... Oui, vous êtes saint, mon Dieu ! vous êtes puissant et vous êtes bon, bon et miséricordieux surtout... Car vous permettez que je vous adore... moi créature infime, pire encore ! couverte de prévarications comme un poisson de ses écailles !... Et si je savais ainsi demeurer à vos pieds ; mes yeux ne sauraient plus voir la terre. Mon âme, ah ! mon âme, d'avance vous lui laisseriez entrevoir des splendeurs inénarrables, quelques rayons de cette lumière de gloire l'inonderaient et allumeraient en elle une flamme qui ne s'éteindrait plus ! Hélas ! hélas ! mon Dieu ! que je suis misérable et lâche ! que je me laisse facilement entraîner!... Mais cependant, si cette persistante lâcheté est ma grande, mon unique et réelle affliction, ce ne sont ni les châtiments, ni la perte des récompenses qui la causent ; c'est vous seul, c'est votre amour, ô mon Dieu !... »

Ces profonds sentiments d'humilité se révélaient si bien dans sa con­duite, que nous en étions saintement impressionnées, et que le souvenir en restera toujours gravé dans nos coeurs.

 Depuis quelques années, ma Révérende Mère, le bon Dieu a fait des visites bien crucifiantes à notre bien-aimée fille, par la maladie el par des accidents qui l'ont rendue incapable de se dévouer aux offices de la Communauté. Ayant forcé son poignet, elle devint tellement infirme de sa main, qu'il ne lui fut plus possible de s'appliquer à un travail sérieux: elle se vit même obligée de faire le sacrifice de sa plume qui lui avait si long­temps procuré l'occasion de se rendre utile... Assurément elle ne fut pas insensible à une si rude épreuve ; elle se voyait démolir peu à peu par la main divine ; mais tout en l'humiliant, cette action de Dieu élevait son âme à un plus haut degré d'amour. Elle savourait l'amertume de sa destruction, bénissait Notre-Seigneur au milieu de ses infirmités, de ses sacrifices et de ses privations : « Que Dieu est bon, ma mère, nous disait-elle souvent ! » et avec ce souverain mépris qu'elle avait de son corps, elle ajoutait quel­ques-unes de ces expressions fortes qui nous prouvaient combien elle savait le maltraiter, même dans la souffrance. Durant toute sa vie elle n'avait eu que des rigueurs à son égard, mais c'est surtout au Carmel qu'elle l'aurait épuisé de mortifications et de pénitences, si l'obéissance n'y eût mis des bornes. Aussi aimions-nous parfois, dans nos récréations, à comparer l'esprit si austère de notre chère Soeur à celui de St Pacôme ou de St Hilarion... Esprit bien rare de nos jours, ma Révérende Mère, ce qui nous fait regretter plus vivement encore la perte de ces bien-aimées Soeurs qui rappellent à notre souvenir les temps anciens, si heureux pour la foi !

Notre bien-aimée fille profita d'une solitude plus complète pour travail­ler à la perfection de son âme et s'appliquer plus assidûment à l'oraison. Profondément affligée des maux de la France, des tristesses de l'Eglise et de la situation faite au Saint Père, elle faisait monter vers Dieu ses ardentes supplications... Chaque heure était consacrée par une intention particulière : les âmes du Purgatoire, les pécheurs n'étaient jamais oubliés. Elle était très fidèle à réciter souvent les six Pater, si riches en indulgen­ces plénières. et appliquait soigneusement le mérite de ses oeuvres satisfactoires aux âmes souffrantes.

C'est ainsi, ma Révérende Mère, que notre Soeur bien-aimée se sancti­fiait et se préparait à paraître devant Dieu. Nous avons trouvé dans ses notes quelques lignes bien frappantes qui nous ont prouvé combien Dieu lui avait donné le pressentiment de sa mort prochaine ; c'est un souvenir qu'il nous est bien doux de conserver et que nous transcrivons ici textuel­lement :

« 24 juin 1890 ( Fête de St Jean-Baptiste) — Mon Dieu ! que vous êtes bon ! d'après l'affaiblissement progressif de ma vue, il est probable que dans un an. je serai plongée dans une cécité à peu près complète. Eh bien, mon Dieu, par votre grâce, j'accepte cette éventualité d'un coeur vraiment joyeux ! n'y plus voir !... Mais dans un an !... en y réfléchissant ce terme, un an m'a frappée !.. un an ... Il me vient parfois comme des brises du Ciel !... Et ce matin j'ai demandé à St Jean-Baptiste de m'obtenir de n'être plus là, au guichet de la Communion, dans un an ! si c'est la volonté de Dieu... et de communier à cette volonté, non pas dans la Lumière de gloire je n'en suis pas digne, oh ! non, mais dans les flammes purificatrices... Et « puis, j'ai pris la résolution de rendre pleins ces Jours comptés. Passion de la gloire de Dieu, des âmes des sacrifices, des croix ! seule monnaie qui puisse diminuer mes dettes... »

 Le mois dernier, notre bien-aimée Soeur écrivait l'expression de ce dé­sir d'une manière encore plus précise, au bas du Testament de notre Père St Joseph qui lui était échu : Mon, Père St Joseph, obtenez-moi d'abord la grâce de pratiquer vos vertus ; puis celle d'une mort bonne, prompte, prochaine; c'est-à-dire la grâce de ne plus pouvoir offenser Dieu et de l'aimer uniquement. Souffrir, souffrir beaucoup, je le veux, il le faut ! mais non offenser Dieu ! »

Jamais demande n'a été mieux exaucée, ma Révérende Mère. Il y avait seulement quelques jours qu'elle avait eu la satisfaction d'accomplir au choeur son office de dignité, après nos fêtes de Pâques; et Dimanche, 5 avril, elle était avec nous devant le St Sacrement, en son état de santé ordinaire, lorsque dans la journée, elle sentit une indisposition générale. Elle perdait la mémoire et ne se rendait plus compte des heu­res et des exercices. Nous lui prodiguâmes immédiatement les soins né­cessaires et notre chère fille passa la nuit sans accident. Le lendemain, se trouvant mieux, elle put se lever, et se rendre au confessionnal, com­me toutes nos soeurs, mais hélas ! sans se douter que ce fût pour la der­nière fois ! Notre digne Père Aumônier et dévoué confesseur, obligé de partir le lendemain pour un voyage, se fit rendre compte avec soin de l'état de notre bonne Soeur. Il constata avec nous qu'il n'y avait rien d'alarmant et qu'aucun symptôme de gravité ne paraissait dans cette indisposition. Il exécuta son projet et partit sans retard. Dieu réservait à son coeur pater­nel un immense sacrifice, celui de ne point se trouver au chevet de notre bien-aimée mourante au moment suprême : en moins de 24 heures, la congestion cérébrale était déclarée. Malgré tout l'empressement qu'il mit à se rendre à notre appel, aussitôt que la gravité du mal se manifesta, il n'arriva pas à temps, notre bonne Soeur avait quitté l'exil !

Dès que nous eûmes compris le danger, nous fîmes prévenir notre vé­néré Père Supérieur qui se rendit immédiatement avec cette bonté et cette paternité qui lui sont ordinaires. Il put causer avec notre chère fille e!t ne fut pas impressionné de son état, car elle lui affirma, avec certitude et avec ces expressions de mépris qu'elle avait pour son corps, qu'elle n'avait rien de grave, mais seulement une fatigue générale qui assurément ne serait que passagère.

Notre bon Père se laissa persuader ainsi que nous toutes ; et il la bé­nit avec la ferme confiance de la retrouver beaucoup mieux.

Nous crûmes prudent de mettre auprès d'elle une de nos bonnes Soeurs du voile blanc pendant la nuit, qui fut très agitée. — Le lendemain, 8 avril, on vint nous chercher au réveil : la trouvant bien changée et beaucoup plus souffrante, nous fîmes appeler notre digne Père Supérieur qui se hâta de venir. La gravité augmentait d'un moment à l autre. Notre bon Père essaya d'interroger notre chère fille ; elle le reconnut encore, mais elle ne put le lui exprimer que par un léger sourire, car la paralysie était générale. Ce n'est qu'auprès de son Dieu qu'elle devait lui témoigner sa reconnais­sance pour tout le bien qu'il fait à nos âmes, et pour la grâce insigne des derniers Sacrements et de l'Indulgence plénière qu'il lui conféra à cette heure solennelle !...

La Communauté réitéra plusieurs fois à notre bonne Soeur les prières de la recommandation de l'âme.

Monsieur notre Docteur, en nous exprimant son vif et profond regret, ne put nous donner aucun espoir de guérison. Il eut la bonté de renouve­ler sa visite dans la même journée, et avec lui nous eûmes la douleur de constater le progrès extrêmement rapide de la maladie. — Pour l'intérêt si assidu et si touchant qu'il porte à notre Communauté, veuillez, ma Ré­vérende Mère, demander à Dieu les plus précieuses bénédictions, en faveur de sa chère famille.

Notre bon Père Supérieur eut la paternité de bénir une seconde fois notre fille bien-aimée, et il lui accorda de nouveau la grâce de l'Absolution. Peu de temps après sa sortie du Monastère, notre bonne Soeur Victime de Jésus rendit paisiblement son âme à Dieu, à deux heures et demie, pendant que la Communauté récitait l'Office de Vêpres, nos chères infirmières, nos bonnes Soeurs du voile blanc, et nous présentes.

Bien que nous ayons la ferme confiance que notre bien-aimée fille contemple son Dieu, et jouit de cette « lumière de gloire » qu'elle avait si ardemment désirée, nous vous prions, ma Révérende Mère, d'ajouter aux suffrages déjà demandés, une Communion de votre fervente Commu­nauté. une journée de bonnes oeuvres, l'indulgence du Chemin de la Croix et des six Pater . quelques invocations aux Sacrés-Coeurs de Jésus et de Marie, à N. D. des Sept Douleurs, à notre Père Saint Joseph et à notre Mère Sainte Thérèse, objets de sa tendre dévotion. Elle vous en sera très reconnaissante, ainsi que nous, qui avons la grâce de nous dire, au pied de la Croix,

Ma Révérende et très honorée Mère

 

Votre très humble Soeur et servante,

Soeur MARIE DE SAINT-MICHEL,

r. c. ind.

De notre Monastère de la Sainte-Trinité, de Notre-Dame du Mont-Carmel et de notre Mère Sainte Thérèse des Carmélites d'Agen, ce 19 Avril 1891, fête du Patronage de notre Père Saint Joseph.

 

Agen, Imprimerie Vve Lamy.

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