Carmel

18 mai 1894 – Dijon

 

Ma Révérende et Très Honorée Mère,

 

Paix et très humble salut en Notre-Seigneur qui, dans ce beau mois consacré à la Très- Sainte Vierge et dans l'Octave de la grande fête de la Pentecôte, vient de rappeler à Lui notre chère Soeur Àdélaïde-Léonce-Marie-Madeleine de Saint-Joseph, Professe de notre Communauté, âgée de 43 ans 1/2 et de religion 17 ans 1/2.

Notre chère Soeur était une de ces âmes dans lesquelles l'esprit de foi domine tout : faire son devoir avec une fidélité exacte, en silence et dans la dépendance de l'obéissance; réaliser cette parole écrite sur nos murs : au Carmel et au jugement, Dieu seul et moi, tel fut le résumé de sa vie religieuse. Dieu se réserva de la marquer du sceau de sa Croix. Dès le début, un état maladif lui rendit difficile l'accomplissement de nos saintes observances ; ce fut pour elle l'occasion de bien des peines intérieures et de nombreux sacrifices. Nous n'entrerons pas dans le détail, ma Révérende Mère, comme notre bonne Soeur le disait elle-même au cours de sa dernière maladie : Dieu compte tout.

L'an dernier, au mois d'avril, ma Soeur Marie-Madeleine subit, comme nous toutes, l'atteinte de l'influenza. Le mal dégénéra en bronchite chronique et bientôt la poitrine fut gravement prise. Notre chère Soeur ne se fit aucune illusion ; elle avait eu toute sa vie le désir du Ciel; y aller bientôt, c'était pour elle une heureuse nouvelle et le plus grand bonheur, disait-elle, qui put lui arriver.

A partir de cette époque, il se fit une transformation dans l'âme de ma Soeur Marie-Madeleine. Sa paix, sa joyeuse conformité à la volonté du bon Dieu, son attente sereine de la venue de l'Epoux se reflétèrent dans toute sa personne et adoucirent ce que son caractère pouvait avoir d'un peu raide.

Elle fut vaillante jusque dans la mort ; jamais une plainte ne sortit de ses lèvres, et Notre- Seigneur se plut à récompenser sa patience en lui prodiguant ses meilleures grâces et toutes les consolations de notre sainte religion.

Dès le 19 Mars, fête de notre bon Père Saint Joseph, coïncidant cette année avec le Lundi Saint et anniversaire de sa Profession religieuse, elle avait reçu, dans des sentiments de foi vive et d'ardente reconnaissance, le Sacrement de l'Extrême-Onction. Elle avait tenu à se rendre au Chapitre et à participer à la pieuse dévotion en usage ce jour-là : touchant rapprochement, le matin comme Madeleine elle oignit les pieds du Maître ; son vase allait se briser et elle venait offrir comme les dernières gouttes de sa vie à Celui pour le service duquel elle l'avait dépensée tout entière. En retour, à 2 heures de l'après-midi, elle recevait cette Onction Suprême par laquelle Jésus lui appliquait les mérites de son Sang et de sa Passion.

Jusqu'à la veille de sa mort, elle put se rendre à la grille de l'infirmerie et recevoir la Sainte Communion. Malgré son état d'épuisement et sa faiblesse extrême, elle ne passa pas un jour sans donner quelques heures au travail manuel. Les ouvrages sortis de ses mains avaient une perfection achevée. Le jour même de sa mort, elle voulut essayer de travailler encore à de petits sachets qu'elle préparait pour notre fête prochaine. Elle avait aussi, pendant ses derniers jours, écrit de sa main plusieurs prières qu'elle voulait qu'on lui récitât au moment suprême.

Hier matin, ses traits altérés et sa faiblesse croissante nous firent comprendre qu'elle tou­chait à sa fin. Pour la première fois elle ne put se rendre à la grille pour recevoir la Sainte Communion. Nous pensions lui procurer cette consolation le lendemain matin; mais dans l'après- midi, elle se sentit mourir et demanda avec instance la grâce du Saint Viatique. Nous nous empressâmes de la satisfaire, il était temps. Peu après elle entra dans une agonie douce et tranquille et mourut silencieusement, comme elle avait vécu. On eût dit que le Seigneur la cachait dans le secret de sa face, dérobant jusqu'à la fin son action dans cette âme. Nous l'entou­rions, récitant pour la troisième fois les prières du Manuel.

Veuillez, ma Révérende Mère, lui faire rendre au plus tôt les suffrages de notre Saint Ordre ; par grâce une Communion de votre fervente Communauté, l'indulgence de Via Crucis, celle des six Pater; quelques invocations à Notre-Dame de Lourdes, à notre Père Saint Joseph, à notre Sainte Mère Thérèse et à Sainte Marie Madeleine, elle vous en sera très reconnaissante ainsi que nous qui avons la grâce de nous dire dans l'amour du Coeur de Jésus,

Ma Révérende et très honorée Mère,

Votre très humble soeur et servante,

Soeur Marie du Coeur de Jésus. r. c. i.

De notre Monastère de Saint-Joseph, sous la protection du Coeur agonisant de Jésus et du Coeur transpercé de Marie Immaculée des Carmélites de Dijon, ce 18 Mai 1894.

 

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